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Par Luigino Bruni
Paru dans Avvenire le 21/02/2016
« Ce qui ajoute à la sagesse de Qohéleth, c’est qu’il a enseigné la science au peuple ; il a pesé, examiné, ajusté un grand nombre de proverbes. Les paroles des sages sont comme des aiguillons, des jalons bien plantés… Fin du discours : tout a été entendu ».
Qohelet, 12, 9-13
Il est difficile de lire les grands livres. Il y faut la douceur de l’esprit, la liberté de l’intelligence, la pureté du cœur, et surtout la pauvreté : ne rien avoir et ne rien défendre. Quelques livres et les grandes œuvres d’art nous visitent dans nos sépulcres et nous répètent "viens, sors". Mais nous ne pouvons sortir, face à l’auteur qui nous parle et nous appelle, que nus et pauvres, libérés du suaire qu’on a ‘roulé à part, dans un autre endroit’.
[fulltext] =>Cette opération de dépouillement est encore plus difficile face au texte biblique. Nous l’approchons chargés des multiples idéologies qui se sont construites sur la religion au cours des siècles, riches de notre idée de Dieu, de notre foi et de celle des autres. Cela empêche le chant de ces grands textes, qui nous frôlent sans nous toucher, sans nous blesser, sans nous bénir. Qohéleth nous a bénis au long de ces quatre mois en sa compagnie, dans la mesure où nous l’avons accueilli au tréfonds de notre âme, chez nous, pour parler et manger avec lui. Alors, après avoir écouté son chant, la seule vraie consolation possible en cette vie nous inonde : la réalité nue, chargée de ses profondes douleurs et habitée de ses vraies joies.
Au moment de nous quitter, Qohéleth nous gratifie d’une dernière fresque anti consolatrice sur la vieillesse : « Et souviens-toi de ton créateur aux jours de ton adolescence, avant que ne viennent les mauvais jours et que n’arrivent les années dont tu diras : "je n’y ai aucun plaisir" ; avant que ne s’assombrissent le soleil et la lumière et la lune et les étoiles, et que les nuages ne reviennent, puis la pluie ; au jour où tremblent les gardiens de la maison, où se courbent les hommes vigoureux, où s’arrêtent les meunières, devenues peu nombreuses ; où perdent leur éclat celles qui regardent par la fenêtre, quand les battants se ferment sur la rue, tandis que tombe la voix de la meule, quand on se lève au chant de l’oiseau et que les vocalises s’éteignent ; alors, on a peur de la montée, on a des frayeurs en chemin… avant que la jarre ne se casse à la fontaine »… pour conclure ensuite avec ses paroles les plus aimées, qu’il nous a appris à comprendre et aimer : « Vanité des vanités, a dit Qohéleth, tout est vanité » (Qohéleth 12, 1-8).
Quand tu es encore jeune, que tu as toutes tes dents, fortes et blanches, que tu peux entendre le chant des oiseaux, que sûr de toi tu veux gravir les cimes, quand l’éros (le ‘câprier’) est encore fort, et encore loin le bout de ta course (‘la jarre se brisera’), tu découvres et vis l’authentique joie du bon temps que tu as : « Douce est la lumière, c’est un plaisir pour les yeux de voir le soleil… Tout ce qui vient est vanité. Réjouis-toi jeune homme, dans ta jeunesse, que ton cœur soit heureux aux jours de ton adolescence » (11, 7-9).
Il est sage de regarder la vie entière avec les yeux des derniers jours, et il n’est pas de plus belle aurore que celle que contemple le crépuscule des autres. Qohéleth ne loue pas la vieillesse, et en cela aussi il démasque les idéologies, celles qui en son temps parlaient trop bien des vieux, oubliant leurs coûts et leurs limites. Ici aussi il contredit les idéologies et les consolations. Mais il nous contraint à regarder la vieillesse, à la mettre au centre de la vie de tous, surtout aujourd’hui, car nous en avons un besoin extrême, vital. Le premier pas d’une nouvelle culture de la vieillesse et de la mort est de se remettre à les voir, à les regarder dans les yeux, à les faire sortir de leurs éclipses des dernières décennies. Nous réapprendrons à vivre et à grandir dans la mesure où nous réapprendrons à vieillir et mourir.
Une vraie culture de la vie aime la vieillesse, qui en est le sommet et non la négation, tandis qu’une culture de la mort la chasse et la maudit, attristant ainsi les années les plus belles. L’amour pour la vie d’une civilisation s’évalue à sa façon de considérer et traiter la vieillesse et la mort. Une culture ennemie de la vie méprise les vieux et prétend aimer les enfants, tandis qu’une culture de la vie les aime tous deux, parce qu’elle sait voir dans la personne âgée la beauté de l’enfant, et ne fait pas de l’enfant une idole (dans l’humanisme biblique, le fils est l’anti-idole).
Le mépris de la vieillesse fait perdre à la vie son éclat, et fait vivre chaque jour non comme un jour en plus mais comme un jour en moins. Le symbole de la vie dans les cultures qui l’aiment est l’arbre, pas la chandelle. L’arbre croît d’année en année, fleurit, porte du fruit, et meurt au sommet de sa vie en se redonnant à la terre qui l’a généré et nourri. La chandelle au contraire se consume en brûlant, et alors même qu’elle éclaire, le temps qui passe est son ennemi. On peut considérer le vieux comme un grand chêne ou comme un bout de chandelle qui va s’éteindre. La Bible nous apprend à regarder nos chênes ; elle aime trop la vie pour nous la présenter comme un cimetière peuplé de lumignons plus ou moins consumés.
La vieillesse est le grand défi que dénie notre temps. Nous vivons dans un monde toujours plus peuplé de personnes âgées, mais, paradoxalement, aucune époque autant que la nôtre n’a avili la vieillesse et adoré et adulé, non pas les jeunes, mais la jeunesse. Seul le marché s’intéresse à la vieillesse : il transforme notre peur de vieillir et mourir en son plus grand business, faisant croire qu’on peut bien vieillir autrement qu’en accueillant le grand âge comme un ‘frère’. Le marché de la santé est plein de drogues contre la déchéance naturelle du corps. Trop d’assurances s’alimentent à l’illusion de l’invulnérabilité absolue.
Nous avons donc urgemment besoin de nouveaux ‘charismes’ pour réapprendre à vieillir et mourir, après l’avoir oublié le temps d’une génération. Les millénaires avaient vu se développer toute une sagesse du grand âge. Un des fruits les plus précieux des grandes religions avait été de nous apprendre à souffrir, vieillir et mourir. Cet équilibre entre vie et mort, pétri de famille, communauté, religion, foi, temps, espace et mémoire, au contact d’une nature qui donnait le rythme de la vie et de la mort, s’est à un certain moment brisé, surtout en occident. Chez nous la vieillesse est désormais affublée de vilains qualificatifs : son nom même est banni d’un monde qui ne la comprend plus. Mais sans une bonne culture de la vieillesse et de la mort comment pouvons-nous vivre un bon rapport à la vie, à la naissance, aux enfants ? Moins on aime les vieux, moins on aime les enfants, qui deviennent des droits, des marchandises ou des idoles.
Qohéleth, en conclusion, n’a pas été qu’un sage. L’épilogue du livre nous montre qu’il a été aussi un maître, un homme qui a ‘enseigné’, ‘donné au peuple la connaissance’, quelqu’un qui s’est senti appelé à communiquer ses propres découvertes. Il est donc un modèle pour tout enseignant conscient de son devoir d’aider ses auditeurs et élèves à poser les bonnes questions, des questions honnêtes, courageuses, douloureuses parce qu’elles engagent. Ami de Qohéleth est l’enseignant qui travaille sur les questions, avec l’espoir de pouvoir donner parfois une réponse, provisoire et partiale, précieuse donc, comme l’ont été les demandes nues de Qohéleth et ses réponses, précieuses parce que rares.
Il n’est pas facile de clore ce voyage en compagnie de Qohéleth, qui nous rappelle que « l’aboutissement vaut mieux que les prémices » (7,8). Nous ne parvenons pas toujours à terminer les voyages que nous avons commencés, n’étant maîtres ni de notre temps ni de nos forces. Aussi faut-il d’abord dire merci au terme du voyage. Un merci qui s’agrandit et se multiplie si le voyage a été long, beau, peuplé de rencontres, de surprises, de découvertes. Merci à Qohéleth, vieux maître d’antan toujours vivant. Merci à toi dont les paroles ont fait mûrir ma vie et ma foi, ont purifié mes idéologies et illusions consolatrices. J’ai moins de certitudes, mais des certitudes plus vraies.
Merci aussi au Directeur Marco Tarquinio. Il y a deux ans, je lui ai dit mon fort désir de commenter quelques livres bibliques. Je ressentais le besoin de contribuer un peu à faire à nouveau parler d’économie et de vie sociale ces antiques grands livres. Je voulais qu’Adam, Abraham, Agar, Joseph, Moïse, Job reviennent sur les places, dans les parlements, les chantiers, les écoles, car ils en sont trop loin. Je lui ai demandé de m’accorder deux années : je savais que le voyage serait long. Le Directeur savait que je ne suis ni bibliste ni théologien, et m’a donc surpris par un généreux et courageux ‘oui’. Ce commentaire de quatre livres – Genèse, Exode, Job et Qohéleth – a été une de mes plus grandes expériences humaines et spirituelles. Aujourd’hui, deux ans exactement après mon premier commentaire de Genèse 1, prend fin ce premier voyage biblique, non sans un grand désir de rencontrer dans quelques mois d’autres livres bibliques. Le Directeur a cependant voulu me laisser la ‘page trois’ du dimanche pour que je continue, dès la semaine prochaine, à chercher et écrire.
Merci enfin à vous lecteurs. J’ai reçu de vous plusieurs centaines de lettres, splendides pour la plupart – dont celle d’Anna, sage-femme de 99 ans, que j’ai reçue après le premier épisode sur les ‘sages-femmes d’Égypte’ : la plus belle lettre, peut-être, que j’ai jamais reçue, fleurie de belle vieillesse. Et merci à Dieu, pour les inspirations et pour la joie d’avoir pu les écrire. Tout est gratuité. Ensemble, encore, le chemin continue.
Oui, le chemin continue. Il continue ensemble avec Luigino Bruni, qui contribuera encore dans cette page ‘Idées’ à partager sa précieuse expérience, sa profondeur d’analyse et sa percutante écriture. Je lui dis donc notre "merci". Celui qu’il m’adresse est en fait pour "Avvenire", journal qui permet, grâce à qui l’a conçu il y a un demi-siècle, à qui le soutient et le construit, de conjuguer antique et nouvelle sagesse, pressante actualité et regard sur l’avenir. (mt)
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Les demandes nues / 16 – Au bout de la vie s’élève son sommet, pas le business
Par Luigino Bruni
Paru dans Avvenire le 21/02/2016
« Ce qui ajoute à la sagesse de Qohéleth, c’est qu’il a enseigné la science au peuple ; il a pesé, examiné, ajusté un grand nombre de proverbes. Les paroles des sages sont comme des aiguillons, des jalons bien plantés… Fin du discours : tout a été entendu ».
Qohelet, 12, 9-13
Il est difficile de lire les grands livres. Il y faut la douceur de l’esprit, la liberté de l’intelligence, la pureté du cœur, et surtout la pauvreté : ne rien avoir et ne rien défendre. Quelques livres et les grandes œuvres d’art nous visitent dans nos sépulcres et nous répètent "viens, sors". Mais nous ne pouvons sortir, face à l’auteur qui nous parle et nous appelle, que nus et pauvres, libérés du suaire qu’on a ‘roulé à part, dans un autre endroit’.
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Par Luigino Bruni
Paru dans Avvenire le 14/02/2016
« Valence. Près de l’étang un vieil homme se promenait avec son chien, plus âgé encore peut-être. Je le vis s’approcher de l’eau et tirer de son sac des morceaux de vieux pain. Un par un il les jeta aux poissons. Je le regardai, fasciné par la monotonie de ses gestes. Cela dura longtemps. À la fin seulement je compris qu’en fait je regardais ce verset du chapitre 11 de Qohéleth : « Lance ton pain à la surface des eaux ». À l’automne 93, dans une ville espagnole, un vieil homme exécutait à la lettre cette invitation, faisant prendre au verset tout son sens. »
Erri de Luca, Récit sur un verset de Qohéleth
« Jette ton pain sur la face des eaux, car à la longue tu le retrouveras » (Qohéleth 11, 1). Nous avons là un des plus beaux et évocateurs versets de Qohéleth.
[fulltext] =>Sa signification est ambivalente, car pourrait s’y cacher la trace d’un antique proverbe sur les avantages et les risques du commerce maritime. Mais cela ne doit pas nous empêcher de prendre au sérieux son sens primordial (une vieille règle affirme qu’il est sage de préférer l’interprétation la plus simple à toutes celles possibles d’un texte complexe). Son sens s’éclaire en effet à la lecture des versets qui suivent : « Qui observe le vent ne sèmera pas, qui observe les nuages ne moissonnera pas… Dès le matin sème ta semence, et le soir ne laisse pas reposer ta main, car tu ne sais pas ce qui réussira, ceci ou cela, ou si l'un et l'autre ne sont pas également bons » (11, 4-6).
Ce qui rend la vie féconde, c’est la surabondance, la magnanimité, la générosité. Le blé pousse et nous rassasie de pain si nous le semons en quantité supérieure à ce qu’il faudrait selon les calculs de productivité, si nous le semons plus dru que nécessaire. Ne jetons pas nos semences sur la seule bonne terre. Les cailloux et les épines aussi doivent recevoir leur part, car si je ne sème que dans les strictes limites de mon bon champ, le blé qui lèvera ne suffira même pas pour moi. La fertilité du ‘centuple’ requiert la générosité du semeur, qu’il gaspille une bonne partie du grain, qu’il sache se dépasser, se transcender.
Quand Qohéleth écrivait ou dictait ces paroles, le pain était un aliment essentiel et à peine suffisant pour la quasi-totalité de la population. On vivait de pain et on en faisait vivre les enfants ; sans lui on souffrait, on mourait. Le jeter dans l’eau était donc un acte subversif, imprudent, surprenant, une erreur aux yeux des observateurs. Mais les paradoxes plaisent à Qohéleth, on le sait, surtout ceux qui démasquent les vanités et le leurre des faciles certitudes. Cette fois encore, le meilleur exégète d’un beau vers mystérieux est l’auteur lui-même, qui, par toutes les paroles de son livre, nous dit que la première et immédiate interprétation de ce texte est sans doute la bonne. La vision grand angle du livre tout entier nous révèle que la clé de lecture de l’incipit de cet avant dernier chapitre est encore la polémique de Qohéleth contre la religion économico-rémunératrice. Rien ne conteste plus la logique économique que du pain jeté dans l’eau.
Dans sa société beaucoup plus que dans la nôtre, le pain était un bien spécial, beaucoup plus qu’une marchandise. Très rarement on l’achetait ou le vendait. Il était produit ensemble, partagé au repas, et surtout donné. Un quignon de pain ne se refuse à personne, aujourd’hui comme hier ; le refuser serait renier notre dignité. Ce bien précieux servait aux sacrifices, en offrande sacrée (Genèse 14, 18). En-dehors de l’autoconsommation et des devoirs cultuels et de solidarité, le pain ne pouvait ni ne devait être gaspillé. À la maison, quand j’étais enfant, si un morceau de pain tombait et se salissait, ma mère me faisait lui donner un baiser avant de le donner aux animaux. Tout pain vécu comme un don reçu devient pain eucharistique : bonne gratuité (eu charis), gratitude. Manne et pain de vie. Nous pourrions réécrire la Bible comme histoire du pain, tant sa présence est puissante, essentielle.
Qohéleth ne veut certes pas nous inviter à faire des sacrifices propitiatoires à la mer ou aux dieux des eaux – il a durement réagi aux sacrifices à Elohim dans le temple de Jérusalem (4, 17). Le pain jeté dans l’eau n’est d’ailleurs pas plus pour les pauvres que pour le temple. En fait Qohéleth défie la théologie qui justifiait tout acte humain par ses résultats. Il était écrit de celui qui donnait du pain pour être justifié et gagner ainsi la bénédiction de Dieu : « L'homme au regard bienveillant sera béni, parce qu'il donne de son pain au pauvre » (Proverbes 22, 9). Qohéleth nous suggère, au contraire, de jeter le pain à la face de l’eau pour le voir revenir de mille manières, une multitude de fois. Sa sagesse prône la surabondance, le dépassement des limites sociales et religieuses du raisonnable et du convenable.
Qui s’est efforcé de vivre sa vie en profondeur et vérité, a formé une famille, a mis au monde des enfants, a créé une entreprise ou une communauté, ou l’a reçue en succession et n’a pas voulu qu’elle meure, qui a sincèrement suivi une vocation… sait que les plus belles choses lui sont revenues quand il a été capable de dépasser le registre du calcul utilitaire, la logique coût/profit et, désavantageusement, a agi à l’encontre de la prudence et du bon sens. On a semé à la mauvaise saison, on est parti en mer à contrevent. Et pourtant, parfois, les fruits sont venus, le calme plat n’a pas vaincu. Une fois au moins.
Nous savons mettre au monde un enfant rien que par amour, de façon désintéressée ; traverser des déserts sans fin en croyant en une terre promise ; repartir âgés en y croyant encore, malgré tant et trop d’interminables déserts déjà traversés. Et tout en sachant que c’était le dernier, nous n’avons pas mis dans le sac notre quignon de pain, mais l’avons jeté à la face des eaux. Nous savons désirer le paradis, même si nous sommes sûrs qu’il ne sera pas pour nous.
Notre vie est pleine d’actes gratuits, mais presque toujours ils sont partiels et ne nous délivrent que partiellement de la logique rémunératrice. Nous sommes trop pétris de réciprocité pour savoir abandonner le registre de l’échange. La gratuité absolue, l’amour pur sont-ils possibles ?
Il y a de cela quelques siècles, la question de ‘l’amour pur’ fut débattue par une certaine théologie quand, en réaction à la Réforme protestante, naquit le besoin d’une mise en garde contre le danger d’attribuer à l’homme aussi la faculté d’aimer d’amour pur qui n’appartient qu’à Dieu. L’amour pur est dangereux, subversif. Mais en regardant bien le monde, nous voyons que les êtres humains, malgré tout, sont capables aussi d’amour pur. Nous ne le sommes presque jamais, mais cela fait partie de notre répertoire. Et si dans la vie nous ne faisons pas au moins une fois l’expérience de le donner et de le recevoir, notre humanisation ne s’accomplit pas pleinement, il nous manque un bout du chemin sous le soleil. Un homme sans amour pur reste petit. Notre ressemblance à Elohim doit être aussi ressemblance à son amour ; au moins une fois, une seule fois peut-être, mais décisive, ne serait-ce qu’à la dernière heure, quand nous pourrons donner le dernier bout de pain qui nous sera demandé, choisissant de devenir par notre corps eucharistie de la terre.
Dans la Bible – et dans la vie – la surabondance advient dans la mesure où nous sortons, librement ou par nécessité, de l’horizon commercial. Le fils rentre à la maison après qu’on l’ait laissé partir et se perdre ; l’enfant naît d’un ventre flétri ; le bélier apparaît au moment où la main empoigne le couteau ; les quelques pains sont multipliés une fois donnés et perdus ; un prophète ressuscite après qu’on l’ait vu mourir en croix. Aucun contrat ne pouvait ramener à la vie le fils décédé, ranimer en nous la générativité éteinte, ressusciter un crucifié. Aucun bélier ne peut remplacer un garçon, et il n’est pas de sac où cinq pains se transforment en repas pour la foule.
Les vraies surprises de la vie sont celles qui fleurissent librement de la surabondance ; celles que personne ne pouvait prévoir ni imaginer, celles qui nous sauvent parce qu’immensément plus grandes que nous et que nos convenances. Si nous avions la garantie ou seulement l’espoir que le pain donné se multiplierait au centuple, il ne serait plus la bonne gratuité capable du centuple. Il serait un investissement, une assurance, ou un pari. Pour construire sur cette terre la ‘civilisation du centuple’, ou au moins un fragment, il faut réapprendre la logique de la surabondance et du pain jeté à la face des eaux.
Il se perd beaucoup plus de pain dans les eaux que le courant n’en rapporte. Ce qui rend extraordinaire la multiplication du pain rapporté par les eaux est la certitude de l’avoir à jamais perdu au moment où nous l’avons donné. La valeur infinie, inestimable, du pain qui nous revient tant de fois multiplié dépend aussi de la quantité restée au fond des eaux, qui ne revient plus nous rassasier. Tout ce qu’on donne ne revient pas ; mais ce qui nous semble perte et douleur peut entrer dans une autre économie, plus grande, qui inclut au moins la mer et ses poissons. La terre se nourrit et vit aussi de nos larmes devenues pain (Psaumes 42, 4).
Le pain centuplé est le dernier qui nous restait. Pas le pain superflu, ni celui de la philanthropie des riches. Ce sont plutôt les miettes du pauvre Lazare qui peuvent revenir multipliées, pas les restes du riche épulon : « Ceux qui étaient rassasiés se louent pour du pain, et ceux qui étaient affamés n’ont plus faim ; même la stérile enfante sept fois, et celle qui avait beaucoup de fils se flétrit » (1 Samuel, 2, 5). Seul le pain des pauvres peut être ‘sauvé des eaux’, et un jour revenir nous libérer de nos esclavages, au-delà des mers.
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Les demandes nues / 15 – Vivre et donner gratuitement et avec gratitude. Ainsi rien de ne perd.
Par Luigino Bruni
Paru dans Avvenire le 14/02/2016
« Valence. Près de l’étang un vieil homme se promenait avec son chien, plus âgé encore peut-être. Je le vis s’approcher de l’eau et tirer de son sac des morceaux de vieux pain. Un par un il les jeta aux poissons. Je le regardai, fasciné par la monotonie de ses gestes. Cela dura longtemps. À la fin seulement je compris qu’en fait je regardais ce verset du chapitre 11 de Qohéleth : « Lance ton pain à la surface des eaux ». À l’automne 93, dans une ville espagnole, un vieil homme exécutait à la lettre cette invitation, faisant prendre au verset tout son sens. »
Erri de Luca, Récit sur un verset de Qohéleth
« Jette ton pain sur la face des eaux, car à la longue tu le retrouveras » (Qohéleth 11, 1). Nous avons là un des plus beaux et évocateurs versets de Qohéleth.
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Par Luigino Bruni
Paru dans Avvenire le 07/02/2016
« La fondation d’une communauté recèle toujours un point obscur, un inconscient collectif, qui a son origine dans l’inconscient du fondateur et dans son besoin humain de contrôler. Si la communauté est appelée à grandir et se développer, ce point obscur doit être purifié. La crise est la purification de cet inconscient collectif. La communauté doit passer du mythe du fondateur parfait à une appropriation plus collective du mythe fondateur, purifié de ce qui n’est pas essentiel ».
Jean Vanier, le mythe fondateur
« Quelques mouches mortes infectent l’huile du parfumeur. Un peu de sottise pèse plus que la gloire d’un sage » (Qohéleth 10, 1)
[fulltext] =>Il nous avait quittés, quelques versets plus haut, en louant la lumière qui éclaire le visage du sage (8, 1), et voilà que Qohéleth complique à présent le discours, en nous montrant la vulnérabilité et la fragilité de la sagesse. Comme il suffit d’une mouche morte dans le flacon de parfum pour l’infecter, il suffit d’un peu de sottise pour ruiner la sagesse. De fait, Qohéleth semble nous dire que cette sagesse "lointaine", "d’une profondeur sans fin" (7, 24) succombe à la sottise, même quand nous réussissons à en faire l’expérience et à être sages, au moins provisoirement. Au début de son discours, il avait affirmé que « On profite de la sagesse plus que de la sottise, comme on profite de la lumière plus que des ténèbres » (2, 13). Maintenant, au bout son chant, il nous dit que la sottise est la plus forte, qu’il en faut peu pour tout corrompre. On ne gagne rien à chercher dans ce livre, et dans les autres livres sapientiaux, des clés de lecture qui révèlent si les versets sur la supériorité de la sagesse sont plus vrais que ceux où Qohéleth affirme le contraire. Il est beaucoup plus fécond de lire Qohéleth en tant que maître à penser non idéologique, et donc auto-subversif.
Un des ingrédients de base des cultures non encore contaminées par l’idéologie, ou des cultures qui ont su résister et s’en libérer, est justement leur capacité d’auto-subversion. L’auto-subversion, au sens du grand économiste Albert O. Hirscham, est la vertu, très rare, de savoir mettre en question ses propres certitudes, de ne pas chercher dans ce qui nous arrive la confirmation de nos idées, mais ce qui les nie et les défie. Vertu de celui qui croît que la vie telle qu’elle se présente à lui aujourd’hui est plus vraie que les vérités qu’il s’est construites et conquises hier. La pensée auto-subversive est utile à tous ; elle est surtout essentielle à qui a embrassé une foi, religieuse ou laïque, adhéré à la promesse d’une terre nouvelle. La pratique de l’auto-subversion est la meilleure prévention contre toute forme d’idéologie. Si l’idéologie est en effet irréfutable, c’est parce qu’elle a tendance à nous faire trouver au bout du parcours ce qu’on y avait mis au début.
La naissance d’une idéologie comporte au moins deux opérations. La première commence quand on est encore conscient que la réalité est ambivalente, que tout ce qui arrive n’est pas en cohérence avec nos convictions. Le monde nous paraît plus grand que celui de nos thèses, mais on commence à exclure de nos analyses l’incommode et le dissonant. La seconde opération consiste à nous auto-convaincre que le monde n’a pas d’autre dimension que celle qui nous intéresse et qui confirme notre vision : à force de raconter un monde différent du vrai, on finit par ne plus voir la réalité dans son ensemble.
C’est en cela que l’idéologie est intouchable : l’évidence contraire à nos idées ne réussit pas à corriger nos convictions tout simplement parce que nous ne sommes plus en mesure de voir cette évidence. Si l’on ne soigne pas le trouble de la vue qui empêche de distinguer les couleurs, on croît fermement que le monde n’est qu’en noir et blanc. Aussi la personne absorbée par l’idéologie nous apparaît-elle de bonne foi et d’une étrange sincérité, confondant notre jugement, nos analyses, nos thérapies. L’auto-subversion n’est possible que dans la première phase, quand nous pouvons encore reconnaître les signaux des premiers mouvements du virus dans le corps.
Un premier signe de l’imminence de la fièvre est le moindre intérêt pour les idées des autres, et la recherche de la compagnie des semblables. On ne se pose plus de nouvelles questions, on veut seulement les vieilles et sûres réponses. Un second signe est l’émergence du sentiment de persécution. On commence à diviser le monde en deux groupes : le petit monde des amis avec qui on partage la même vision, et l’ensemble des autres qui ne nous comprennent pas et qu’on ressent hostiles. On se crée un ennemi imaginaire qu’on voit partout : les journaux, la télé, les voisins, Dieu (s’il ne correspond pas à l’idée qu’on s’en est faite). On commence même à mettre en discussion et à relativiser les propos des meilleurs, ceux qu’on a toujours estimés, s’ils ne confirment pas notre naissante idéologie. On se crée ainsi, jour après jour, un "texte sacré" dont on devient évangéliste et prophète.
Le livre de Qohéleth, comme celui de Job, est en soi un exercice d’auto-subversion propre à la Bible, niant continuellement les idées de Dieu et de religion qu’elle propose, pour éviter sa transformation en idéologie. Le Dieu-Elohim de Qohéleth a survécu parce que Qohéleth l’a renversé souvent.
L’idéologie – qui est une idolâtrie sophistiquée – est une pathologie universelle, particulièrement commune et grave quand elle touche des personnes religieuses, parce qu’elle consomme et utilise Dieu et les autres habitants invisibles du monde comme des matériaux de construction d’un empire idéologique. Quand Dieu lui-même finit par coïncider avec l’idée qu’on a de lui, l’idéologie est parfaite et sans issue. Les mouches mortes ont infecté tout le parfum. Il est rare de rencontrer d’authentiques communautés et personnes de foi, parce qu’on a affaire, le plus souvent, non pas à la foi et à des idéaux, mais à des variantes des nombreuses idéologies de ce monde.
La foi et l’idéologie de la foi sont deux choses très différentes. La foi libère des propres dogmes et idoles, elle interroge ; l’idéologie, elle, attache, consomme, rend esclave de l’idole, et invente de multiples réponses faciles et fausses. Nulle vie spirituelle authentique ne peut naître si l’on reste incapable de se libérer un jour de l’idéologie de la foi que nous nous sommes peu à peu construite.
La phase idéologique est (quasi) inévitable, notamment au sein de communautés spirituelles et charismatiques. Autour de l’idée originelle qui nous a "appelés" se crée peu à peu un édifice : d’abord une tente, puis un temple gardien de "l’arche" de la première alliance, et enfin, à côté, nous nous bâtissons un palais, plus grand que le temple construit pour Dieu – comme l’avait bâti Qohéleth-Salomon (1R 7, 1). L’idéologie est le processus qui va de la voix invisible à la construction de l’arche, puis de l’arche à la tente et au palais. L’auto-subversion individuelle et collective, les rares fois où elle advient, est œuvre de destruction, intentionnelle cette fois, des nombreuses constructions qui se sont succédées autour de la première promesse, pour revenir à la gratuité de la première parole.
C’est un chemin à rebours, un retour à la maison en réduisant, simplifiant, démontant les empires de sable que nous avons construits. Ce chemin de retour, nous l’accomplissons parfois dans les derniers mois ou jours de notre vie, quand nous voyons s’écrouler notre palais, notre temple, pour nous libérer enfin de tout, et ne plus rien posséder.
L’arche, le temple et le palais s’élèvent progressivement au service du charisme et de sa communauté, et même quand ils commencent à devenir trop grands, on les considère et les justifie comme des moyens nécessaires à leur développement.
Mais avec le temps, et sans que jamais on en prenne pleinement conscience, les constructions idéologiques finissent par étouffer la première gratuité de l’événement vocationnel originel. Dans un premier temps, l’idéologie côtoie l’idéal et le soutient, mais bientôt elle prend sa place, et cela peut durer très longtemps, parfois toute la vie, presque toujours sans retour.
Prendre conscience de la ‘sécrétion idéologique’ de ‘l’idéal originel’ est en effet très difficile, parce qu’ils ont tous deux les mêmes formes, sont de la même génération, ont les mêmes traits, la même beauté, disent les mêmes paroles, les mêmes prières, et produisent (au début) les mêmes fruits spirituels. Le même don peut en effet devenir névrose, contamination progressive des capacités critiques de discernement individuel et collectif, victimes du même enchantement.
Mais le miracle de la grande bénédiction peut aussi advenir – c’est l’histoire qui le dit. Au faîte de l’expérience d’une communauté idéale devenue entretemps idéologique – intentionnellement ou inévitablement – quelqu’un émerge de l’enchantement et comprend, ou au moins devine – l’advenue transformation idéologique.
La fin de l’enchantement extérieur et intérieur provoque une crise, mais en réalité cette crise est la crête séparant l’étroit vieil horizon du nouveau, ample et clair, la ligne de partage entre la vieille vie et la nouvelle. Mais pour que la libération de l’idéologie soit collective, il faut aussi que se réveillent et sortent de l’enchantement ceux qui l’ont générée. Événement plus rare encore, parce que l’enchanteur est le premier enchanté du propre enchantement : « Qui creuse une fosse tombe dedans ; qui sape un mur est mordu par un serpent ; qui extrait des pierres peut se blesser avec ; qui fend du bois encourt un danger » (10, 8-9).
Parfois le fondateur parvient à se libérer du propre enchantement, mais cela ne suffit pas pour que s’accomplisse la libération communautaire de l’idéologie. Il faut qu’il "disparaisse". Élie, le prophète et le maître, laisse son "manteau" à Élisée, son disciple et continuateur, puis un char de feu l’emporte au ciel. Ainsi s’accomplit la grande auto-subversion : l’âge de l’idéologie est passé, et commence pour tous la vie spirituelle.
Quand au contraire les prophètes, une fois "désenchantés", se refusent à "mourir" en disparaissant, ou quand leurs disciples, encore prisonniers de l’enchantement, ne leur permettent pas de disparaître, il peut arriver que le serpent morde son fifre : « Le serpent mord faute d’être charmé, sans qu’en profite le charmeur » (10, 11). Les prophètes sauvent leurs communautés s’ils parviennent à rompre l’enchantement qu’ils ont suscité, en ne laissant que la pauvreté de leur manteau.
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Par Luigino Bruni
Paru dans Avvenire le 07/02/2016
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Par Luigino Bruni
Paru dans Avvenire le 31/01/2016
« comblé de mérite, mais aussi de poésie, l’homme habite cette terre »
Friedrich Hölderlin
La logique du mérite a toujours été très puissante. Les êtres humains que nous sommes veulent croire qu’il existe un rapport logique et juste entre nos actions, talents, efforts, et nos résultats. Nous aimons penser que notre salaire est le fruit de nos qualités et de nos efforts, que nos notes à l’école dépendent de nos études, que nous avons vraiment gagné nos récompenses (mériter vient du latin merere : gagner, acquérir).
[fulltext] =>C’est une exigence naturelle, vraie. Le problème que cela pose n’est pas l’idée en soi du mérite, mais nos réponses aux demandes de reconnaissance de notre mérite et surtout de celui des autres. Qohéleth le sait fort bien : « Je vois encore sous le soleil que la course n’appartient pas aux plus robustes, ni la bataille aux plus forts, ni le pain aux plus sages, ni la richesse aux plus intelligents, ni la faveur aux plus savants… » (9, 11).
Les hommes ont toujours cherché à réagir au spectacle de ce qui leur semble une grande injustice. Les antiques civilisations résolvaient le problème de l’injustice en imaginant un dieu différent des hommes, conduisant une politique juste de récompenses et de peines. On prenait pour fait historique les inégalités et les injustices, et l’on conférait à la réalité une dimension religieuse. On transformait l’apparente inégalité en une justice invisible plus profonde, et on ordonnait le monde en attribuant un sens religieux aux richesses et aux malheurs de tout un chacun. Le puissant riche avait le statut de ‘béni’, sans devoir aucunement se convertir ; et le pauvre malheureux était deux fois condamné : par une vie de malheur et par Dieu lui-même. Le besoin moral de reconnaître le mérite produisait chez les plus pauvres et malheureux un immense sentiment de culpabilité quant aux malheurs subis.
D’autres humanismes religieux ont au contraire réagi en imaginant que les injustices sous le soleil seraient éliminées dans des vies au-delà, où le pauvre juste serait récompensé et le riche impie puni. La terre est injuste, pas le paradis. La logique économico-rémunératrice restait, mais l’horizon de son application sortait de l’histoire temporelle pour s’étendre à l’éternité ou au moins à une autre vie. Les théories du mérite ont besoin d’un humanisme où les individus sont moralement différents les uns des autres, chacun muni de sa propre fiche personnalisée d’actions/récompenses. Les sociétés holistiques, elles, ne sont pas méritocratiques.
L’esprit humaniste et individualiste de l’idéologie méritocratique, qui fait du mérite le critère d’évaluation, de classification et d’agencement des personnes et des organisations, rend cette idéologie fascinante, séduisante et captivante pour tous. Elle est centrale dans la culture des grandes entreprises et banques multinationales. Sa méthodologie est duelle. D’un côté, les grandes entreprises configurent un système sophistiqué de primes pour individualiser et récompenser le mérite en fonction de leurs objectifs. De l’autre, l’employé se situe dans ce mécanisme d’intéressement, et lit son propre salaire et ses primes comme un signe de reconnaissance de ses propres mérites. Un contrat parfait, encouragé des deux bords parce qu’il apparaît mutuellement avantageux : l’entreprise satisfait son besoin de rationalité et d’ordonnancement de la réalité en fonction de ses buts, et le travailleur satisfait son propre besoin de se sentir méritant et valorisé.
Cette idéologie a grandi comme une plante grimpante sur l’arbre de la morale rémunératrice du jardin de la foi biblique, et connaît un incroyable et grandissant succès en ce temps du capitalisme individualiste. Max Weber nous a montré, il y a plus d’un siècle, qu’un courant de l’humanisme judéo-chrétien a interprété le succès économique comme un signe d’élection et assurance de salut. L’actuelle culture économique a radicalisé et universalisé ce mécanisme psycho-religieux. Il l’a sécularisé et étendu de l’entrepreneur à tout le système économique, productif, financier de la société de consommation. La quantité et la qualité des salaires et des primes (consommation incluse) deviennent les nouveaux indicateurs d’élection et de prédestination au ‘paradis’ des méritants. La dimension symbolico-religieuse de l’argent et de son succès s’est ainsi amplifiée, radicalisée, généralisée.
Mais le tartre de tout système religieux rémunérateur saute aux yeux quand on quitte le paradis pour descendre en tournée dans le purgatoire et l’enfer.
Car le mérite ne peut se passer du démérite. Il est positionnel et relatif : le monde des méritants fonctionne si le mérite peut être défini, ordonné, hiérarchisé, mis en rapport au démérite. Au dessus d’un méritant il en faut un plus méritant, et sous lui un moins méritant. C’est un parfait système de caste, où les brahmanes ont besoin des parias, mais ne doivent pas les toucher sous peine d’être contaminés par leur démérite. La gestion simple du démérite consiste à le présenter comme un passage obligatoire vers le mérite, une étape du chemin. Cela fonctionne très bien avec les jeunes : on leur présente la ‘montagne chérie’ qu’ils ne pourront gravir que s’ils savent ‘grandir’, alors que le gestionnaire du scenario sait fort bien que les places sont limitées dans la maison du mérite.
Alors, aux premiers échecs, quand le mérite espéré n’est pas à la hauteur des objectifs fixés, le miracle se produit : le travailleur, bien formé à reconnaître son insuffisance dans son échec, accepte docilement son triste sort. Le culte est parfait : le ‘croyant’ intériorise la religion et fait qu’elle grandit d’elle-même. Et la production de masse des sentiments de culpabilité devient la grande scorie de notre économie, qu’alimentent l’agressivité, l’orgueil et la vantardise propres à ceux qui font l’éloge de la méritocratie.
Ce que dit Qohéleth à ce sujet est très important : lire notre vie et celle des autres comme on comptabilise mérite/récompense, démérite/punition, est une réponse vaine et trompeuse à la demande de justice. En effet le mécanisme du mérite ne peut satisfaire les demandes de justice les plus profondes, même économiques. Il est vain, vanitas. Surtout, il est muet face à l’apparition du malheur sur la scène : « L’homme ne connaît pas plus son heure que les poissons qui se font prendre au filet du malheur, que les passereaux pris au piège. Ainsi les fils d’Adam sont surpris par le malheur quand il tombe sur eux à l’improviste » (9, 12). Sur la vie d’un malheureux nous ne pouvons rien dire. Qu’il soit bon ou méchant, intelligent ou sot, son infortune ou sa chance ne nous permettent d’articuler aucun jugement sur son mérite. Les paroles de nos malheurs sont muettes, incapables d’exprimer seules la moralité de notre passé comme de notre futur. Les brillantes carrières s’accompagnent de séparations, dépressions, maladies, événements que le système des primes expulse tout simplement. La démocratique casualité de la ‘malchance’ fait sortir de ses gonds la mécanique méritocratique de notre économie. Rien n’est plus étranger à notre culture capitaliste que les maladies graves et les morts prématurées. Elle ne réserve aucune place à l’inattendu du malheur, qu’elle traite comme une friction, un grain de sable dans l’engrenage ; aucune place non plus à la mort – si peu sont les collègues présents aux funérailles ou au chevet des longues agonies.
Mais Qohéleth nous fait aller plus loin. En prenant au sérieux l’esprit de ses antiques paroles, nous pouvons dire que le mérite est ambigu, rarement ami des pauvres gens – la méritocratie moins encore. La logique de ‘l’ouvrier de la dernière heure’, une des plus belles pages jamais écrites, est une critique du mérite pas moins radicale que celle de Qohéleth (ou de Job), qu’il faut comprendre à travers la polémique opposant les premiers chrétiens à la religion rémunératrice de leur temps.
La critique du mérite que fait Qohéleth est fondamentale pour comprendre les dangers inhérents à une vie sociale entièrement construite sur la logique du mérite telle que la conçoivent et la promeuvent les entreprises. Si nous avions pu imaginer un capitalisme moins ancré dans la religion rémunératrice, certainement notre planète serait moins malade et nos relations sociales plus saines ; aujourd’hui, évitons au moins que toute la vie sociale ne modèle sa culture sur cette logique. Nous voyons au contraire que les primes et la méritocratie pénètrent de plus en plus de milieux non économiques.
La raison de cet extraordinaire succès est facile à comprendre. Nous savons qu’il existe toutes sortes de mérites et d’insuffisances. Beaucoup de bons travailleurs sont de mauvais parents, et vice-versa, et nous vivons habituellement avec des mérites et des insuffisances dont nous n’avons pas conscience. Ceux-ci ne se révèlent qu’à certains moments décisifs, parfois les derniers, quand nous prenons conscience qu’apparemment nous avons eu peu de mérite dans la vie, mais que nous avons mérité que le bon ange de la mort vienne nous embrasser.
Le piège qui se cache dans l’idéologie méritocratique est donc subtil, en général invisible. Les entreprises se présentent comme des lieux capables de rémunérer le mérite, parce qu’elles ne considèrent que les mérites correspondant à leurs objectifs : un artiste qui travaille dans une chaîne de montage n’est pas méritant par la main qui sait peindre, mais par celle qui sait serrer les boulons. Le mérite est facile à récompenser en économie parce que le rapport mérite/démérite y est simple, facile à voir, à mesurer et à récompenser. On voit bien le grand risque que cela comporte : comme il est facile à mesurer, le mérite tel qu’on le considère dans l’entreprise devient dans la société toute entière le seul pris en compte, mesuré et récompensé. Avec deux effets : on encourage trop les mérites quantitatifs et mesurables, au détriment des qualitatifs et improductifs ; et on continue de détruire les vertus non économiques mais essentielles au bien vivre (douceur, compassion, miséricorde, humilité…)
La grande œuvre de l’humanisme chrétien a été la libération de la culture rémunératrice qui dominait le monde antique, et de la culpabilisation des vaincus. Ne nous résignons pas à sa liquidation pour un plat de lentilles acquis par le mérite. Nous valons beaucoup mieux.
Dédié à Pier Luigi Porta, cher ami, maître à penser et guide.
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Par Luigino Bruni
Paru dans Avvenire le 31/01/2016
« comblé de mérite, mais aussi de poésie, l’homme habite cette terre »
Friedrich Hölderlin
La logique du mérite a toujours été très puissante. Les êtres humains que nous sommes veulent croire qu’il existe un rapport logique et juste entre nos actions, talents, efforts, et nos résultats. Nous aimons penser que notre salaire est le fruit de nos qualités et de nos efforts, que nos notes à l’école dépendent de nos études, que nous avons vraiment gagné nos récompenses (mériter vient du latin merere : gagner, acquérir).
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Par Luigino Bruni
Paru dans Avvenire le 24/01/2016
« La sagesse crie dans les rues, elle élève sa voix sur les places. Elles prêche dans les carrefours bruyants ; à l’entrée des portes, dans la ville, elle tient ses discours ».
Livre des Proverbes 1, 20-21
La sagesse existe. La désirer, la chercher : il n’est rien de mieux sur la terre. Mais elle reste lointaine, car, à trop s’approcher, elle s’altère et devient simplement banale. Elle est tout autre chose que ce que nous appelons aujourd’hui intelligence, talents, sagesse, compétence, culture.
[fulltext] =>Ce sont là des capitaux que nous pouvons et devons gérer, faire croître, cultiver, que nous possédons et dont nous sommes responsables. La sagesse, non. Elle n’est pas un stock à notre disposition. Elle interfère avec nos capitaux naturels et moraux, mais elle est autre chose. Certains ont le don de la sagesse sans être particulièrement intelligents, ni érudits, ni expérimentés. Ce don, comme tous les dons, dépend peu des mérites. Même les enfants ont des paroles de sagesse. Elle est un souffle qui va et se pose où il veut. Comme la beauté, la vérité, la sainteté, le bonheur, elle peut et doit être cherchée, mais elle n’est jamais le simple résultat d’un projet ou d’une volonté. Elle n’est pas une vertu, mais un don. Elle nous arrive parfois, seulement quand nous avons perdu la volonté de la dominer.
« Sagesse, sagesse - disais-je – mais j’en suis loin, et ce qui vient à l’existence est distant et profond, profond ! Qui le découvrira ? » (Qohéleth 7, 23-24). La sagesse nous échappe. Trop abyssale est sa profondeur, trop distant son éloignement. Elle se rend pourtant parfois présente, agit, œuvre, change l’histoire. Et on peut la reconnaître : « Qui est comme le sage pour expliquer ceci : "la sagesse d’un homme illumine son visage et sa dureté en est transformée" ? » (8, 1).
La sagesse a son propre éclat, elle transfigure le visage. Ce sont les autres qui s’en aperçoivent – comme quand Moïse descendit du Sinaï avec les tables de la loi. La sagesse est une relation, son éclat apparaît à celui qui la reconnaît sur le visage d’autrui. On peut reconnaître les signes de la sagesse à sa lumière sur un visage humain. Son témoin est celui qui distingue son incomparable lumière ; il n’est son bon miroir que s’il est lui-même opaque et absorbe cette lumière, sans devoir la restituer au sage. Typique pauvreté du sage. Il brille d’une lumière spéciale qui apparaît dans une relation, mais qui disparaît si le sage, d’un regard narcissique, se regarde lui-même dans le regard de l’autre. Cette dimension relationnelle constitutive de la sagesse met en jeu une qualité intrinsèque : la gratuité qui empêche le sage de s’approprier sa propre sagesse, sous peine d’obscurcissement de son visage. Quand le sage voit son visage plus lumineux que celui des autres, aime l’éclat spécial de sa propre lumière, sa sagesse s’éteint par manque de gratuité : « Cette eau n’est pas pour moi » (Bernadette Soubirous).
Tous les sages ne le sont que provisoirement. La lumière de la sagesse n’émane d’eux que lorsqu’ils en font l’expérience. Et entre une expérience de sagesse et une autre, ils vivent pauvres et indigents comme tout le monde, parlent comme tout le monde, et leur visage n’a pas d’autre lumière. La lumière de la sagesse est donc éphémère et ne vit que dans une relation, tant qu’en dure l’expérience. Elle ne peut s’accumuler ni se conserver dans des coffres-forts. Si la sagesse est don et gratuité, nul n’est sage par métier : « Sage, ne sois pas sage à l’excès : pourquoi te détruire ? » (7, 16).
La sagesse est lointaine, insondable profondeur. Nul sage ne l’est pour toujours. La sagesse est une expérience. Nous sommes sages dans la mesure où nous expérimentons la sagesse, et les paroles sages et lumineuses que nous avons pu dire dans le passé ne nous en garantissent pas de nouvelles demain. Nous pouvons seulement l’espérer. Il n’est pas de sagesse sans que se renouvelle ici et maintenant le miracle de sa gratuité.
C’est pourquoi il n’est pas vrai que les sages sont les meilleurs témoins des paroles qu’ils disent. La vraie sagesse, dont les mots transforment la vie des autres, ne parvient pas toujours à transformer la vie de ceux qui les prononcent. Elle dépasse toujours le sage, si grand témoin soit-il. La vie morale du sage ne prouve pas sa sagesse, son témoignage ne fait pas que ses paroles soient vraies. Ce qui prouve la sagesse, c’est la lumière du visage et des paroles. C’est là un des grands mystères de la gratuité-charis sur la terre.
Quelques suggestions s’ensuivent. Méfions-nous des "sages" qui se donnent pour modèles à ceux qui suivent la lumière de leur visage, qui mesurent la sagesse de leurs paroles au témoignage de leur propre vie. Méfions-nous de ceux qui croient et déclarent posséder la sagesse, s’en sentent les maîtres, et croient l’avoir toujours à portée de main, la considérant comme un capital dont ils disposent à tout moment. Ce sont certainement des faux sages.
La première sagesse du sage est l’humble conscience de ne pas être lui-même la source de la sagesse qu’on lui attribue, mais d’être la source, quelquefois et sans qu’on en sache la raison, d’une autre eau, toujours nouvelle. Savoir qu’on est un aveugle qui de temps en temps voit et fait voir. Quand dans une relation jaillit la sagesse, la première personne surprise, reconnaissante et émerveillée de ses propres paroles de sagesse, est celle qui découvre sur son propre visage une lumière que jusqu’alors il ne connaissait pas, et qui se met à l’écoute de ses propres paroles, qui ne sont pas seulement siennes. Qohéleth a été capable de nous donner des paroles de sagesse parce qu’il n’a jamais pensé s’être élevé jusqu’à elle.
Autre avertissement : il n’est pas bon de dire aux sages que leur visage brille d’une autre lumière, car c’est les exposer à la plus grande tentation. Pour que ne s’amenuise pas sur terre la lumière du sage, la gratuité doit demeurer en lui, comme en ceux qui le regardent et jouissent de sa sagesse, chose aussi difficile pour eux que pour lui. Car si la grande tentation des sages est d’affectionner et de s’approprier leur propre sagesse, de transformer la vraie mais éphémère lumière en lumière artificielle, ceux qui contemplent et profitent de cette sagesse sont, eux, toujours tentés d’institutionnaliser la lueur de ce visage, de ne pas se satisfaire qu’elle soit temporaire, et de faire ainsi du sage un dieu immuable. La relation qui génère la sagesse risque aujourd’hui encore d’être idolâtre.
La vertu du sage consiste donc à supporter la souffrance que représente le don d’une lumière qu’il ne connaît pas, ni ne contrôle. La sagesse ne fleurit qu’entre pairs, seulement entre pauvres. Le règne de la sagesse est leur règne : celui de ceux qui ne se font pas dieu et ne veulent pas adorer une idole.
Pour comprendre quelle vision de la sagesse a Qohéleth, il faut tenir compte de sa polémique avec les mouvements "apocalyptiques" de son temps, quand des visionnaires captivaient les foules par leurs récits de révélations dont ils étaient les seuls indiscutables détenteurs. Il y a certes dans le monde des gens plus sages, d’autres moins sages, et beaucoup de sots. Il y a aussi beaucoup de personnes très sages, mais rien ne garantit que leur sagesse et sa lumière soient toujours actives, pas même chez les plus sages. Qohéleth aime et cherche la sagesse, mais se méfie des sages qui acquièrent une position sociale et deviennent une élite dont la lumière du visage est "à but lucratif".
Certains visages brillent de lumières artificielles et froides, de traits et de clins d’œil savamment truqués, qui ne convainquent que les adulateurs de la feinte sagesse. Qui connaît la vie de ceux qui ont eu le don de la sagesse, sait que leur plus grand défi a été de la conserver au fil des ans. Avec le temps la tentation se fait forte, presqu’invincible, de s’approprier la lumière qu’ils donnent aux autres. C’est alors, très souvent, que la lumière imperceptiblement se met à changer de nature, que le visage perd ses anciens traits. La gratuité disparaît et avec elle ses fruits caractéristiques : liberté, joie, présence des pauvres. Ce processus touche les ex-sages et leurs auditeurs, et de ce piège il est difficile de se libérer, mais pas impossible.
N’oublions pas que Qohéleth se présente à ses auditeurs sous le nom de Salomon (chapitre 1), le roi le plus sage, qui cependant, dans ses dernières années de vie, subit une régression. L’histoire personnelle du roi Salomon, complexe, ambivalente et mystérieuse, est l’arrière-plan indispensable à la compréhension des paroles de Qohéleth sur la sagesse. Salomon, sage en sa jeunesse, aima dans sa vieillesse de nombreuses femmes étrangères qui détournèrent son cœur vers d’autres dieux (1 Rois, 11) – fait qui explique en partie la dure critique de Qohéleth envers la femme (7, 26-28). Même l’homme le plus sage de tous ne le fut pas toujours.
Tous, cependant, nous pouvons être sages ; nous avons tous fait l’expérience de cette sagesse dans notre vie, une fois au moins. Ce n’est pas un bien de luxe réservé à quelques élus, animateurs de clubs spirituels. La vraie sagesse est populaire, habite les maisons, les lieux de travail, les places, les marchés. Elle est cette lumière sur le visage d’un ami qui, pauvre comme nous, compatit et réussit à nous parler de vie, paroles qui consolent, et qui parfois nous sauvent. Lumière que nous avons souvent vue sur le visage de nos parents, don de quelques paroles différentes qui nous aident en chemin. Mais cette chaude lumière de la sagesse sur le visage de l’autre – froide, elle ne serait pas sage – nous la sentons aussi distante, d’une "abyssale profondeur". Aussi continuons-nous à la désirer et à la chercher, gratuitement.
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Par Luigino Bruni
Paru dans Avvenire le 24/01/2016
« La sagesse crie dans les rues, elle élève sa voix sur les places. Elles prêche dans les carrefours bruyants ; à l’entrée des portes, dans la ville, elle tient ses discours ».
Livre des Proverbes 1, 20-21
La sagesse existe. La désirer, la chercher : il n’est rien de mieux sur la terre. Mais elle reste lointaine, car, à trop s’approcher, elle s’altère et devient simplement banale. Elle est tout autre chose que ce que nous appelons aujourd’hui intelligence, talents, sagesse, compétence, culture.
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Par Luigino Bruni
Paru dans Avvenire le 17/01/2016
« Quelquefois Dieu tue les amants parce qu’il ne veut pas qu’on le surpasse en amour »
Alda Merini, Quelquefois Dieu
La vérité est un besoin primordial du cœur humain. Nous avons construit des théories du comportement basées sur des "pyramides des besoins", où les biens moraux se situent aux niveaux III et IV, comme biens de luxe qu’on ne peut se permettre qu’après avoir mangé et bu. Comme si beauté, amour, vérité n’étaient pas des biens essentiels, comme si le sommeil était plus important que l’estime, le sexe que les sentiments, la sécurité plus que l’assistance.
[fulltext] =>Ce faisant nous oublions que l’histoire nous parle de nombreuses personnes bien portantes qui se sont laissé mourir faute d’une bonne réponse à la question : "pourquoi dois-je me lever ce matin ?", et autant d’autres qui ont enduré pendant des années le calvaire de la faim et de la soif, parce que quelqu’un les attendait à la maison. Il assume de multiples formes ce besoin de vérité sur nous-mêmes, sur le cœur et les actions de ceux que nous aimons, sur la foi et les idéaux qui ont construit et nourri notre existence. L’une d’elles est l’urgence vitale, qui surgit un jour à l’improviste, de vérifier si nous ne nous sommes pas abusés, si nous ne sommes pas tombés dans une bulle de "vanitas" qui nous enveloppe, nous et ceux que nous aimons, Dieu, nos certitudes. Ce jour-là nous relativisons tout, nous absolutisons cette vérité, et dépensons nos meilleures énergies pour comprendre si nous sommes libres et vrais comme nous le pensions, ou si, au contraire, nous sommes tombés dans un piège sans nous en apercevoir.
Cette expérience n’est ni universelle ni nécessaire, mais elle est fréquente chez ceux qui dans leur jeunesse ont fait des choix radicaux, ont cru dans une grande promesse, et suivi une voix qui les appelait vers une terre nouvelle. Ces personnes, religieuses ou laïques, peuvent un jour douter, quelle qu’en soit la raison, que la réalité d’hier fut autre que vent et songe. Si nous avons peu demandé à la vie, ce jour n’arrive pas ; mais il vient presque toujours quand nous avons beaucoup attendu d’elle, avec le grand enthousiasme de ces belles années. Quelquefois la mise à l’épreuve du doute nous fait découvrir que la grande auto-duperie ne l’était qu’en apparence, que ce qui nous semblait un fantasme n’était que l’ombre d’une présence réelle. Mais d’autres fois nous finissons par nous apercevoir que nous nous sommes vraiment trompés, pendant longtemps, sur beaucoup de choses importantes.
Le livre du Qohéleth nous a dit jusqu’ici et continue de nous répéter que ce second aboutissement n’est pas un échec, mais plutôt une fort bonne chose. Parce que mieux vaut la déception d’une vie vraie qu’une vie faite d’illusions, une amère vérité qu’une douce auto-duperie. Sa sagesse nous aide essentiellement à nous libérer des illusions. Si la vérité a une valeur en soi, il faut préférer la déception des illusions aux fausses certitudes. Qohéleth nous dit que ces temps de transformation des "jours vains" en déception, ces authentiques réveils, sont de vraies bénédictions, parmi les plus grandes qui soient. Il sait aussi que l’acceptation de la "vanitas" et la reconnaissance de l’auto-duperie que génère le besoin d’illusions, sont difficiles et longues à effectuer. Aussi nous adresse-t-il plusieurs fois - sa méthode est cyclique - les mêmes messages en diverses nuances : « Qu’a de plus le sage que l’insensé ?... Dans ma vaine existence j’ai tout vu : un juste qui se perd par sa justice, un méchant qui survit par sa malice » (Qohéleth, 6,8 ; 7,15). La répétition créative et poétique fait partie de son style. Savoir supporter debout la répétition de grandes paroles théophores requiert mansuétude et force d’âme et d’esprit, ce que notre temps ne connaît plus et combat même avec force au nom de l’efficience et de la rapidité : « Mieux vaut un esprit patient qu’un esprit prétentieux ».
Dans nos vies les illusions "vanitas" se mêlent aux plus belles vérités. Elles font leur nid dans nos talents ; elles sont l’excès d’ivraie autour du bon grain. Ayant mûri en même temps que nous, elles portent des masques calquant les meilleures personnes de notre vie, et se sont nourries de nos plus beaux charismes. Aussi faut-il temps et constance pour se libérer des illusions, pour aller jusqu’au terme du processus sans nous arrêter trop vite, nous satisfaisant des premières petites entailles, incapables de nous détacher des duperies du passé, des antiques objets de nos affections : « Ne dis pas : comment se fait-il que les temps anciens aient été meilleurs que ceux-ci ? Ce n’est pas la sagesse qui te fait poser cette question » (7,10).
La seule possible victoire sur la "vanitas" est de réussir à mourir et ressusciter tant que nous sommes en vie. Au moins une fois. Cette mort-résurrection peut advenir de mille manières, lumineuses comme obscures. Cela peut être la sortie d’une grave maladie – toute grande guérison est un combat sur un gué nocturne, dont on sort blessé, béni, avec un nouveau nom, avec un corps nouveau marqué des stigmates de la passion. Il arrive aussi, surtout à qui a déjà expérimenté une mort-résurrection et croit ne plus devoir mourir, que cela prenne la forme de la "grande déception". Alors, ce qui commence à mourir n’est pas un mal physique ou moral à combattre, mais tout ce qui avait représenté le beau, le bon et le vrai de la vie passée.
C’est le fils de la promesse qui se met en route avec nous, de bon matin, vers le mont Moriyya.
Il est rare que ces combats avec la grande déception aient une heureuse issue. Il n’est pas facile de vaincre ces luttes, car l’ennemi n’est pas hors de nous-mêmes : on lutte avec le meilleur qui est en nous. Il est facile d’arriver au seuil de la déception, plus difficile et rare de la traverser. On devine la rudesse, le doute et le désarroi de la vie d’après les leurres, on n’ose affronter la peur de l’inconnu et la douleur de la déception, et l’on retombe donc facilement dans l’adolescence. Pour ne pas risquer la mort du passé, on renonce à un nouvel avenir (et à un bon présent).
Ainsi naît un conflit entre le besoin de vérité et le coût du processus de libération des illusions. On reste d’abord dans la brèche illusion-déception. Mais cette tension dure peu, car il faut tôt ou tard se décider entre sauter sur la roche au-delà de la crevasse, au risque de chuter, et faire demi-tour et revenir aux vieilles illusions. En rentrant chez soi on ressent pendant quelque temps encore la gêne et la souffrance du manque de vérité, mais presque toujours on commence à considérer vraies les vieilles et nouvelles illusions.
Le besoin de vérité prévaut alors fortement, mais de manière perverse. « Les illusions se transforment en vérité ». On s’adapte à l’illusion et, pour survivre, on commence presque toujours inconsciemment à prendre pour bonheur l’infortune, pour vérité la duperie. Le piège est alors parfait. D’autres n’acceptent pas la déception et deviennent cyniques, fâchés avec la vie, le passé et les compagnon-complices des "jours vains". Autre piège, pas moins profond ni fort.
Quelques rares fois, cependant, l’opération réussit et on se réveille un jour ressuscité. L’humanité est parvenue à comprendre quelque chose de la résurrection de Jésus de Nazareth parce que beaucoup d’hommes et de femmes étaient déjà ressuscités des milliers de fois, et continuent de le faire. Au début de cette authentique nouvelle vie on ressent une grande solitude. Le temps de l’illusion avait été une expérience collective, sociale, communautaire. Après avoir traversé la grande déception, on se retrouve seul au contraire, et chacun a la sensation d’être le seul à vivre éveillé dans un monde de dormants.
Une autre étape commence si l’on réussit (cela n’est pas donné) à endurer cette souffrance morale particulière. On découvre qu’on n’est pas seul en réalité, et l’on fait connaissance avec d’autres qui vivent la même expérience sous le ciel. Il s’ensuit une nouvelle socialité, très différente de la précédente. Ces nouveaux compagnons se trouvent dans des lieux surprenants, improbables, parfois dans des lieux très connus. On les découvre dans les livres, l’art, la poésie, presque toujours parmi les pauvres.
Et puis, plus avant en chemin, vient le désir de rencontrer ceux, nombreux, qui se trouvent encore dans la bulle de l’illusion, pour les "réveiller", les libérer et les faire sortir de leur caverne d’ombres à la rencontre de la vraie réalité. On s’investit beaucoup dans cette mission, jusqu’à comprendre, un jour, que notre démarche souffre d’une nouvelle idolâtrie, dont nous sommes nous-mêmes l’idole.
On se retrouve encore sur la brèche entre les roches, devant décider de rester dans cette illusion-idolâtrie, ou de tenter un nouveau saut, au risque de mourir encore, dans l’espoir d’une nouvelle résurrection. De nouveau ressuscité, il ne faut plus s’arrêter. Nous nous rendrons compte alors, en versant d’autres larmes, que cette vérité-ressuscitée était déjà présente dans cette "vanitas" que nous avions tant combattue à mort. Ainsi le papillon remercie-t-il la chenille ; la perle, son huitre ; le ressuscité, l’abandonné. Mais du début du processus jusqu’à son terme nous ne pourrons le savoir : « Mieux vaut l’aboutissement d’une chose que ses prémices » (7,8).
Qohéleth aura connu et expérimenté quelque chose de semblable. En cherchant dans ses paroles nous voyons clairement le long chemin de l’illusion à la déception, et pouvons aussi entrevoir la lueur d’une résurrection. S’il n’était pas ressuscité après la "vanitas" il n’aurait pas pu nous donner ses paroles. Son livre ne serait pas resté dans la Bible. Il ne nous aurait pas rejoints au cœur de nos déceptions, pris par la main et accompagnés dans nos résurrections.
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Par Luigino Bruni
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Alda Merini, Quelquefois Dieu
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Éditorial de Luigino Bruni
Paru dans Avvenire le 10/01/2016
« Quand la Providence répartit la terre entre quelques seigneurs, elle n’a ni oublié ni abandonné ceux qui semblaient laissés-pour-compte. Ceux-ci aussi ont leur part en jouissance. Si l’on considère en quoi consiste le vrai bonheur dans la vie, les pauvres ne sont pas inférieurs à ceux qui se situent très au-dessus d’eux. En matière de bonheur, les divers rangs de la société sont presque tous au même niveau, et le mendiant jouit d’une sécurité qu’aimeraient avoir les rois ».
Adam Smith, La théorie des sentiments moraux
La profanation du droit et de la justice a toujours provoqué l’indignation des prophètes, qui continuent de démasquer les corrompus et de les appeler à la conversion.
[fulltext] =>La critique que fait Qohéleth de l’iniquité de sa société est différente, mais pas moins radicale que celle des prophètes. Il croit peu à la conversion morale des puissants, mais par la force de sa sagesse il démonte la logique interne de leur pouvoir et de leur richesse, et montre en laïciste leur intrinsèque vanité.
Pour redonner espoir aux pauvres humiliés il faudrait les paroles ardentes de nouveaux prophètes, mais aussi de nouveaux Qohéleth pour révéler la triste stupidité de nos faux bonheurs.
« Si tu vois l’indigent opprimé, le droit et la justice violés, ne sois pas surpris de la chose ; car tout surveillant est encadré par un autre, et un autre encore les domine. Et à tous la terre profite ; le roi est tributaire des travaux agricoles » (Qohéleth 5, 7-8). Au centre de son discours, Qohéleth nous introduit dans les dynamiques du pouvoir et des sociétés bureaucratiques et hiérarchiques. Il voit d’abord le "pauvre opprimé", mais au lieu de condamner, "il aime" ce pauvre en vérité, et nous révèle une chose peu évidente : ceux qui paraissent forts et dominateurs sont en réalité victimes d’un système malade et corrompu.
L’œil traqueur de Qohéleth voit au-dessus du pauvre une haute pyramide d’oppressions, d’exploitations, d’injustices. Tout bourreau est opprimé par un autre, jusqu’au chef suprême, le roi, en qui Qohéleth voit encore un "tributaire de la terre". Même si le sens de ce verset (5, 8) est incertain, vu sa dégradation par le temps, on peut penser que Qohéleth veuille insérer le roi aussi dans la chaîne des servitudes et des vanités. Même l’homme le plus grand et le plus riche – comme le montre le "cycle de Joseph" dans la Genèse – ne peut s’affranchir des rythmes de la nature, des famines et des calamités, du redevenir poussière et terre comme tous les Adam : « Comme il est sorti du sein de sa mère, nu, il s’en retournera comme il était venu » (5, 14).
Cette description de l’injustice comme une pyramide sociale d’abus nous montre beaucoup de choses. D’abord Qohéleth nous invite à un regard moral moins sévère sur le dernier oppresseur du pauvre, car son injustice envers lui est souvent due à d’autres abus dont il est lui-même victime. Cela ne justifie en rien son comportement, mais nous invite à mieux discerner l’injustice. Ce que l’on prend pour un rapport victime-bourreau est souvent un rapport victime-victime. Le monde est peuplé de Hevel, d’Abel sans fin, de victimes : Qohéleth nous l’a dit au début de son livre. Il nous fait maintenant voir des victimes là où nous ne voyons que des bourreaux.
Il en découle trois remarques importantes : davantage de hiérarchie multiplie les victimes sous le soleil ; le dernier pauvre opprimé supporte le poids de toute la pyramide ; pour sauver les pauvres de l’oppression, il faut abattre les pyramides génératrices de victimes. Aujourd’hui comme hier. Les entreprises capitalistes ou autres institutions hiérarchiques ne nous semblent pas aujourd’hui avoir pour nature l’abus ou l’exploitation. L’idéologie néo-managériale remplace les rapports hiérarchiques par des primes qu’on fait passer pour des rapports horizontaux, des contrats librement choisis par tous les partenaires. En réalité, à la lumière de cette antique sagesse, nous découvrons au-delà des apparences idéologiques que derrière un produit financier perfide administré à un retraité par un fonctionnaire, se trouve un cadre supérieur qui lui ‘serre la vis’ pour l’atteinte d’objectifs dont dépendent leurs revenus et carrières respectifs. Ainsi, de marche en marche jusqu’au sommet de la pyramide, on arrive à un ou plusieurs chefs "tributaires" des oscillations de la bourse, de la géopolitique, des phénomènes naturels. Sur le dernier produit-abusif pèse toute la chaîne des rapports tronqués.
Toutes les hiérarchies ne sont pas injustes et opprimantes, mais beaucoup le sont encore, et la Bible nous invite à rêver d’une terre nouvelle, d’un droit et d’une justice encore à venir. Il n’existe pas d’organisations sans exercice de l’autorité, mais l’autorité peut s’exercer sans être hiérarchique. Dans l’histoire il y a eu peu d’essais non hiérarchiques de l’autorité, et fort peu ont été un succès. Mais le pauvre restera "opprimé" et les victimes se multiplieront tant que nous n’apprendrons pas à mettre en œuvre le principe de fraternité dans la gouvernance des entreprises et des institutions.
Après cette description morphologique du pouvoir et de la hiérarchie, Qohéleth revient sur l’un de ses grands thèmes : la vanité de la recherche de la richesse, l’illusion de l’avarice : « Qui aime l’argent ne se rassasiera pas d’argent, ni du revenu celui qui aime le luxe. Cela aussi est vanité » (5,9).
Cette phrase, nous devrions l’afficher à l’entrée des écoles de commerce, des entreprises, des banques. Quand l’argent n’est plus un moyen mais une fin en soi, il cause infiniment d’infortune, parce que le but principal et exclusif de la vie devient vite son accumulation, qui, par nature, est une idole toujours affamée. Il n’est pas de pauvre plus malheureux que l’avare : plus il a d’argent, plus il a faim. Qohéleth continue : "Avec l’abondance des biens, abondent ceux qui les consomment, et quel bénéfice pour le propriétaire, sinon un spectacle pour les yeux ? Doux est le sommeil de l’ouvrier, qu’il ait mangé peu ou beaucoup ; mais la satiété du riche, elle, ne le laisse pas dormir" (5, 10-11). Quelle sagesse !
Qohéleth nous fait ici entrer dans un palais moyen-oriental de son temps. Il nous montre un riche, entouré d’une pléthore de courtisans et parasites qui mangent sa richesse. Ils sont tout sauf heureux, les parasites comme le roi, dont on mange la richesse et le sommeil. En dehors du palais un travailleur, paysan ou artisan, vit, lui, de son travail, et fait de doux rêves. Revoilà en peu de mots l’antique et éternel conflit entre rente et travail, entre qui vit du pain d’hier et des autres, et qui vit du pauvre pain de son travail. Les grandes richesses n’ont jamais été générées par le travail, mais presque toujours par des rentes, des revenus qui naissent d’une forme de privilège, d’abus, d’avantage. Or les rentes produisent des parasites, de la consommation improductive, qui ne génère ni travail ni bonheur. Le "syndrome parasitaire" apparaît précisément en temps de décadence morale, quand les entrepreneurs, les salariés, d’entières catégories sociales cessent de générer aujourd’hui du travail et de nouveaux flux de revenus, pour investir leurs énergies dans la protection des gains et des privilèges d’hier.
Le parasitisme est une maladie qu’on trouve aussi hors du domaine économique. Sont victimes de ce syndrome, par exemple, les communautés et mouvements qui, devenus grands et beaux grâce au travail des fondateurs et de la première génération, au lieu de s’investir dans le risque et la créativité pour développer le patrimoine reçu, se mettent à vivre de rentes, rassasiés du passé, incapables de générer des "fils" et du futur. Le syndrome parasitaire est ainsi la principale cause de mortalité des entreprises et communautés.
Qohéleth se situe clairement du côté du travail, de qui s’épuise "sous le soleil" pour gagner son pain. Il nous l’avait dit (3, 12-13) et nous le répète à présent avec plus de force et de poésie : « Ce que, moi, je reconnais comme bien pour l’homme, le voici : il convient de manger et de boire, de goûter le bonheur dans tout le travail que l’homme fait sous le soleil… car telle est sa part » (5, 17. Il n’est pas d’autre bonheur que celui du travail quotidien et de ses fruits. Qohéleth, fidèle à lui-même, continue sa critique de la religion rémunératrice et économique.
La bénédiction de Dieu ne réside pas dans la richesse et dans les biens. Mais, étonnamment, Dieu concède aussi au riche d’avoir "part" à ce bon bonheur : « Que tout homme à qui Dieu donne richesse et ressources avec la faculté d’en manger, d’en prendre sa part et de jouir de son travail, y reconnaisse un don de Dieu » (5, 18). C’est rare, mais pas impossible : le riche aussi peut être heureux, s’il travaille et jouit de sa fatigue.
Des millions de personnes, riches et pauvres, entrepreneurs et ménagères, remplissent leur vie de bonheur en travaillant, tout simplement ; chaque jour ils survivent à la vanité en mettant en ordre une pièce, préparant un repas, réparant une auto, donnant un cours. Il est certes de plus grands bonheur dans la vie, mais nous n’y parvenons pas sans apprendre le simple bonheur de la fatigue quotidienne. Seul le travail nous sauve. Pas pour la joie sentimentale et l’autosatisfaction dont parlent abondamment les non-travailleurs – Qohéleth ne nous le pardonnerait jamais – mais pour la joie qui éclot dans la fatigue et les larmes aussi.
Mais Qohéleth nous dit une chose encore plus belle : « non, il ne songe guère aux jours de sa vie, tant que Dieu le tient attentif à la joie de son cœur » (5, 19). Le travail génère de la joie parce qu’en nous occupant à une tâche utile il nous préserve de ‘trop penser’ aux vanités pourtant réelles de notre vie ; car c’est dans le travail que la joie de Dieu nous attend.
Cette humble joie n’est pas l’opium des peuples, mais simplement notre beau destin. Si la présence de Dieu dans notre cœur est sa "réponse" à notre bonne fatigue, le premier salaire du travailleur, alors cette joie qui nous surprend au travail n’est-elle pas la présence du divin sur la terre ? C’est là, ami Qohéleth, une bonne nouvelle. Comment a-t-on pu tant condamner ton pessimisme ? Sous le soleil, la joie toute simple est possible.
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Éditorial de Luigino Bruni
Paru dans Avvenire le 10/01/2016
« Quand la Providence répartit la terre entre quelques seigneurs, elle n’a ni oublié ni abandonné ceux qui semblaient laissés-pour-compte. Ceux-ci aussi ont leur part en jouissance. Si l’on considère en quoi consiste le vrai bonheur dans la vie, les pauvres ne sont pas inférieurs à ceux qui se situent très au-dessus d’eux. En matière de bonheur, les divers rangs de la société sont presque tous au même niveau, et le mendiant jouit d’une sécurité qu’aimeraient avoir les rois ».
Adam Smith, La théorie des sentiments moraux
La profanation du droit et de la justice a toujours provoqué l’indignation des prophètes, qui continuent de démasquer les corrompus et de les appeler à la conversion.
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Par Luigino Bruni
Paru dans Avvenire le 06/12/2015
" La mort, sais-tu ce que c’est ? C’est une nivelle.
Aucun roi, aucun magistrat, aucun grand homme
N’a marqué de points à ce jeu-là
Mais y a tout perdu : la vie et aussi le nom.
Ne t’en es-tu point encore aperçu ?
Alors, écoute-moi bien ... ne fais pas le rétif.
Supporte-moi près de toi, que t’importe ?
Ces pitreries, seuls les vivants les font :
Nous, nous sommes sérieux, nous appartenons à la mort."Antonio de Curtis-Totò, ’A livella
Après nous avoir parlé de la vanité de la recherche intellectuelle et de celle des plaisirs du corps, à présent Qohelet met à l’épreuve une idée, bien ancrée dans les esprits, qui voyait et recherchait une absence de vanité dans le souvenir entretenu par les descendants.
[fulltext] =>Dans un humanisme sans paradis, où la foi et l’existence humaine se déroulaient toutes deux « sous le soleil » (la terre est le lieu où l’on rencontre YHWH, le « Dieu des vivants »), notre souvenir après notre mort était perçu comme un but non vain, comme une bonne et sage raison de vivre.
Et pourtant : « Car il n’y a pas de souvenir du sage, pas plus que de l’insensé, pour toujours. Déjà dans les jours qui viennent, tout sera oublié : Eh quoi ? le sage meurt comme l’insensé ! » (2,16). Tous les jours, nous voyons le souvenir de personnes non sages honoré au fil des générations, tandis que la mémoire d’une multitude de sages humbles n’est entretenue qu’au sein de leur famille, et notre époque marquée par l’absence de solidarité entre les générations a tôt fait d’abréger ce souvenir. Qui incarne davantage la justice et la sagesse que des millions de femmes des siècles passés et leurs vies sages et bonnes vécues dans l’ombre, entièrement au service de leurs maris et de leurs enfants ? La mémoire libre des peuples est trop petite pour contenir toute la vérité et toute la sagesse du monde. Que l’on se souvienne de nous ne saurait donc être un avantage à la mesure du travail que nous avons fourni pour devenir sages. Dans le souvenir éternel des peuples, il y a aussi Caïn, Hérode et Pilate. Quant aux sages et aux bons, ils sont oubliés au même titre que les sots et les impies.
Il est tout aussi vain de penser que la richesse accumulée par le sage se transformera en bénédiction pour ses enfants : « J’en suis venu à me décourager pour tout le travail que j’ai fait sous le soleil. En effet, voici un homme qui a fait son travail avec sagesse, science et succès : C’est à un homme qui n’y a pas travaillé qu’il donnera sa part. Cela aussi est vanité et grand mal » (2,20-21).
Rien ne peut nous assurer que notre travail profitera à des personnes méritantes. Vivre avec cet espoir n’est que vanité. La thèse effrayante et révolutionnaire de Qohélet (que nous retrouvons seulement en Job) consiste à affirmer que le même sort attend le juste et le mauvais. Israël avait construit sa théologie consolatrice sur cette affirmation : les biens que le juste laisse à ses enfants se transforment en bénédiction. Vivre confortablement et devenir riche est un acompte de bénédiction y compris pour les enfants. Cette alliance, qui se transmettait de père en fils, était accompagnée et confirmée par les biens laissés en héritage. Or, Qohélet, à l’issue de sa recherche d’homme sage et riche, nous dit que cette théologie est elle aussi illusion et vanité. Certains hommes justes ont laissé un héritage important à leurs enfants sots qui ont tout dilapidé ou ne percevaient la richesse de leurs parents que comme une malédiction. Nombreux sont les entrepreneurs sages qui arrivent à la fin de leur vie en sachant qu’ils laissent le fruit de leur travail à des héritiers qui ne le méritent pas. Qohélet nous affirme que cette injustice est source de grande souffrance. Les richesses ne constituent pas une réponse non vaine à la vanitas de notre vie et de celle de nos enfants.
Qohélet juge nos illusions au terme de la vie. Il nous enseigne même quelque chose de plus : la seule perspective sage et vraie de l’existence est celle de ceux qui la regardent et la jugent à la fin de leur parcours : « Et je me dis en mon cœur : mon sort est celui d’un idiot. » Par conséquent, il se demande : « Ce qui arrive à l’insensé m’arrivera aussi, pourquoi donc ai-je été si sage ? Je me dis à moi-même que cela aussi est vanité » (2,15). La mort annule toute récompense d’une vie passée à agir en sage. C’est la thèse la plus radicale de Qohélet, le fondement de son jugement universel sur la vanitas, la fumée, le vent et le hebel. Un jugement qui fait peur et qui a empêché beaucoup de personnes de rencontrer la sagesse de Qohélet. Et pourtant, son message est un message de vie, qui requiert toutefois la capacité à regarder la mort en face, sans nous satisfaire de consolations faciles donc vaines. Il nous invite à observer notre vie et celle des autres depuis le chevet des mourants. Et il nous dit ceci : la première et la plus grande vanitas des êtres vivants, c’est qu’ils sont tous mortels. Donc, la première et la plus grande des sagesses consiste à envisager le monde et notre vie en qualité d’êtres mortels.
Qohélet ne parle pas de la mort et de la vie en dépressif. Il est là, au cœur de la Bible (nous ne remercierons jamais assez les anciens sages d’avoir voulu l’inclure dans le canon), et il nous dit qu’il n’y a pas de regard vrai et sage sur la vie qui n’incluse pas aussi le regard des derniers instants. Si nous parvenons à trouver quelque chose de non vain et de non illusoire lorsque nous assistons un ami ou l’un de nos enfants dans les derniers jours de sa vie, alors nous pouvons avoir l’espoir non vain que la vie entière n’est pas que fumée. Qohélet nous enseigne qu’aucune quête de non-vanité sous le soleil ne peut nous épargner cette dernière perspective, lorsque nous nous adonnons aux jeux de l’enfance religieuse et humaine.
L’exercice éthique extrême de Qohélet est particulièrement précieux parce qu’universel. Il ne croit pas au paradis. S’il sait qu’Élohim existe, il ne pense pas que le rencontrer après la mort constitue une consolation non vaine. Le christianisme nous a offert d’autres perspectives sur la mort et sur le paradis. Pourtant, aujourd’hui de très nombreux hommes et femmes, à l’instar de Qohélet, ne voient pas l’horizon du ciel ou bien, lorsque c’est le cas, en ont une image trop vague et distante.
Ainsi, suivre cet ancien sage, qui s’inscrit tout à fait dans l’humanisme biblique hébraïque et chrétien, peut conduire sur un sentier ardu qui nous fait passer par des arêtes aux paysages merveilleux, parce qu’il peut nous enseigner un nouveau langage pour nous réapprendre à parler du ciel à ceux qui ne voient plus qu’il existe au-delà de la mort ; il peut également apporter une grande aide à ceux qui, tout en croyant au paradis, se concentrent trop sur les dernières paroles de Dieu et risquent ainsi d’oublier les avant-dernières paroles des hommes honnêtes qui cherchent le visage d’Élohim « sous le soleil ». Nous devons réapprendre et raconter le paradis aux gens qui ne parviennent plus à le voir, entre autres parce que nos idéologies religieuses consolatrices nous l’ont voilé. Qohélet est certes absent de notre paradis. Cependant, il le vide de nos idoles, et sa compagnie nous est plus utile que celle des bâtisseurs de nombreux paradis consolateurs. Dans un paysage libéré des fétiches et des totems, un jour peut-être, nous pourrons voir apparaître sur la ligne d’horizon quelqu’un qui ne sera pas que fumée. La Bible recèle beaucoup de richesses pour les hommes et les femmes d’aujourd’hui. Il nous faut donc réapprendre à la voir et à la raconter. Cependant, la Bible se révèle être un humanisme authentique uniquement lorsqu’on la prend au sérieux dans son ensemble, sans éviter ses écueils et ses accords douloureux. La résurrection constitua un événement bouleversant, à même de fonder un monde nouveau, entre autres parce que la tombe vide se mit à resplendir avec, en toile de fond, les lamentations, le juste qui souffrait et Job. Et Qohélet. Une toile de fond obscure qui permit de faire apparaître une lumière vraie et différente, hier et aujourd’hui.
Les hommes et les femmes d’aujourd’hui expriment une infinie quête de sens et de non-vanité. Notre cri est fort. Nous sommes de plus en plus insatisfaits des réponses que la science et la sagesse déçue de notre temps nous apportent. Nous n’avons pas encore réappris à mourir sous un ciel qui est devenu vide, et c’est pour cette raison que vieillir devient trop douloureux pour nous.
Les générations qui nous ont précédés avaient élaboré une culture du vieillissement et de la mort. J’ai vu mourir mes grands-parents qui m’ont ainsi aidé à vivre. Nous croyons pouvoir vaincre la mort en l’oubliant, en la chassant de nos cités et en nous gardant d’amener nos enfants aux enterrements. Pourtant, si nous ne restaurons pas très vite un rapport sain à la fin de vie, si nous ne réapprenons pas à dire « notre sœur la mort », la dépression deviendra à l’avenir la nouvelle peste si elle ne l’est pas déjà. Nous aurons beau découvrir mille vaccins et remèdes contre de nouveaux virus et bactéries, ils ne pourront pas grand-chose contre la mort si nous ne réapprenons pas à vivre. Notre modèle hédoniste de consommation cache une grande peur refoulée de la mort : nous accumulons les biens et nous nous étourdissons dans les plaisirs afin d’exorciser la mort. Nous l’avons certes toujours fait ; cependant, dans une culture qui refuse d’appeler de nouveau la mort par son nom, la fabrication d’idoles devient la seule « réponse » de masse à la mort. L’idolâtrie, et non l’athéisme, a toujours été la grande illusion pour tenter de vaincre la mort. Tant que les religions restaient vivantes, les cultures savaient reconnaître et combattre les idoles. Or, dans un monde où les dieux n’existent plus, seuls restent les fétiches, et nos anticorps qui nous permettent de les combattre meurent.
Aujourd’hui, Qohélet ne cherche pas à nous offrir une réponse non vaine au sens de la mort. Comme il s’arrête aux questions sans trouver de réponses, il se rebelle contre la vie : « Donc, je déteste la vie, car je trouve mauvais ce qui se fait sous le soleil : tout est vanité et poursuite de vent » (2,17). Pourtant, Qohélet ne se limite pas à cet absurde : avec lui, il y a Job, Jérémie et beaucoup de psalmistes. L’Abandonné. Mais aussi tous les hommes, trop nombreux, qui continuent d’arriver au terme de leur vie avec la sensation de n’avoir accumulé que du vent.
Nous avons trouvé une première non-vanitas du chant de Qohélet à la vanité : c’est lui-même. Sa recherche n’a pas été vaine puisque ses paroles sont parvenues jusqu’à nous. Son message vit et grandit avec nous qui le lisons aujourd’hui. Non, Qohélet, ce n’est pas vrai : il ne reste pas rien de ta vie et de celle des vrais sages. Tes paroles vivantes sont restées, et tu continues de nous aimer de tes demandes nues.
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Par Luigino Bruni
Paru dans Avvenire le 06/12/2015
" La mort, sais-tu ce que c’est ? C’est une nivelle.
Aucun roi, aucun magistrat, aucun grand homme
N’a marqué de points à ce jeu-là
Mais y a tout perdu : la vie et aussi le nom.
Ne t’en es-tu point encore aperçu ?
Alors, écoute-moi bien ... ne fais pas le rétif.
Supporte-moi près de toi, que t’importe ?
Ces pitreries, seuls les vivants les font :
Nous, nous sommes sérieux, nous appartenons à la mort."Antonio de Curtis-Totò, ’A livella
Après nous avoir parlé de la vanité de la recherche intellectuelle et de celle des plaisirs du corps, à présent Qohelet met à l’épreuve une idée, bien ancrée dans les esprits, qui voyait et recherchait une absence de vanité dans le souvenir entretenu par les descendants.
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Par Luigino Bruni
Paru dans Avvenire le 29/11/2015
« Enfant joueur et gai, / ton âge en fleur / est comme un jour plein d’allégresse, / jour lumineux, serein, / qui prélude à la fête de ta vie. / Jouis-en, mon petit : âge suave, / saison joyeuse est la tienne. / Et je ne dis pas plus ; mais ne regrette pas / que ta fête tarde encore à venir. »
Giacomo Leopardi, Le samedi du village
Il existe une tension entre bonheur et vérité. Tant que les deux sont petits, ils vont tout naturellement ensemble. Mais, lorsque la vérité grandit et se fait une place, elle finit par laisser notre bonheur s’évaporer, et une souffrance morale devient alors notre précieux compagnon pour ce dernier bout de chemin, un bout décisif.
[fulltext] =>Face à cette nouvelle souffrance inconnue, certains préfèrent conserver leurs illusions afin de sauver un peu de leur vieux bonheur, tandis que d’autres poursuivent leur chemin à travers les fumées de leurs vieilles certitudes. C’est alors qu’ils rencontrent Qohélet : « Je me suis dit en moi-même : “Allons, que je t’éprouve par la joie, goûte au bonheur !” Et voici, cela aussi est vanité » (Qohélet 2,1).
Après avoir exploré le monde des hommes avec la sagesse, après avoir accumulé sagesse et connaissance et découvert que tout n’est que vent et faim de vent, Qohélet essaie une autre voie, celle de la non-vanité. C’est celle que l’humanité a toujours tentée pour trouver « un peu de bien » et de vrai qui ne soit pas seulement fumée et vent, habel. C’est la voie de la recherche du plaisir des corps, des richesses, de l’éros, du bien-être : « J’ai délibéré en mon cœur de traîner ma chair dans le vin et tout en conduisant mon cœur avec sagesse, de tenir à la sottise, le temps de voir ce qu’il est bon pour les fils d’Adam de faire sous le ciel pendant les jours comptés de leur vie » (2,3).
Ces expériences nous sont elles aussi présentées par Qohélet comme une recherche faite avec le « cœur attaché à la sagesse ». Même cet hédonisme devient une exploration fondamentale : « J’ai entrepris de grandes œuvres : je me suis bâti des maisons, planté des vignes ; je me suis fait des jardins et des vergers, j’y ai planté toutes sortes d’arbres fruitiers ; […] j’ai acheté des esclaves et des servantes, j’ai eu des domestiques. […] J’ai aussi amassé de l’argent et de l’or, la fortune des rois et des États ; je me suis procuré des chanteurs et des chanteuses et, délices des fils d’Adam, une dame, des dames » (2,4-8). Les descriptions de Qohélet ressemblent beaucoup à la vie de Salomon, d’après le récit que nous en font les livres des Rois et des Chroniques. Même l’homme le plus savant d’entre tous avait cherché « un peu de bien » dans les grands palais, dans les jardins paradisiaques, au milieu du luxe, aux fêtes et chez les femmes (« Le roi Salomon eut sept cents femmes de rang princier et trois cents concubines » : 1 R 11, 3).
Qohélet se livre à cette recherche du plaisir après avoir expérimenté la vanité de la recherche des vérités plus élevées, intellectuelles, philosophiques et théologiques. Il s’agit d’un hédonisme différent de celui des personnes qui choisissent d’abord le plaisir avant d’avoir cherché les joies plus élevées et spirituelles. L’hédonisme dont nous parle Qohélet ici est d’une autre nature : c’est le choix fait par celui qui recherche dans la chair et sous le ciel ce qu’il n’a pas trouvé dans l’esprit, ni au-dessus du ciel. C’est la joie éprouvée par celui qui veut rire pour ne plus pleurer.
Il y a le plaisir et l’allégresse de celui qui n’a jamais essayé ni connu des joies plus vraies et plus élevées que les joies premières et primitives des corps, du vin et des sens. Nous le savons et nous le voyons tous. Mais il y a aussi la recherche du plaisir chez celui qui, déçu par de plus grandes promesses de bonheur qui se sont révélées vaines, se tourne vers son propre cœur et commence à se consumer lui-même et les autres, espérant trouver de la vie dans d’autres « galaxies ».
Nous rencontrons des personnes qui fondent leur vie sur l’aspiration aux plaisirs du corps et des choses, et peut-être leur recherche est-elle une recherche seconde, une fois que leurs premiers idéaux, plus nobles, se sont révélés être de la fumée. Le cœur peut se nourrir de sa propre chair et de celle des autres pour fuir le manque de nourritures plus sublimes, espérées, promises mais non obtenues. On essaie ainsi de combler l’indigence du ciel vide ou silencieux en touchant les corps et en écoutant les sons des choses de la terre, en « mangeant » la vie qu’ils contiennent. Il y a souvent beaucoup de souffrance et de désillusion derrière les vies de personnes repliées sur elles-mêmes, qui se contentent du goût amer des glands parce qu’elles sont déçues des fruits de l’arbre de la vie qui ne sont jamais arrivés. Ces vies répondent à la première faim de vie qui s’est révélée être faim de vent et a pris un tournant radical, en se raccrochant à la consistance plus basse mais vraie des corps, des sens et des choses.
Ne soyons donc pas surpris si Qohélet considère que cette recherche n’est pas forcément idiote et qu’il lui confère même une légitimité par sa propre expérience : « Je devins grand, je m’enrichis plus que tous mes prédécesseurs à Jérusalem. Cependant ma sagesse, elle, m’assistait » (2,9).
Ce bonheur que nous trouvons dans la Bible doit alors nous faire porter un regard miséricordieux sur ceux, nombreux, dont le cœur se tourne vers des bonheurs seconds après avoir été déçu par les premiers. Nous découvrons avec satisfaction que, dans l’humanisme biblique, ces bonheurs tristes sont eux aussi présents, parce que nous les rencontrons tous les jours dans les rues et à l’intérieur de nos maisons. Ils sont bien installés dans notre cœur. Ce sont les bonheurs de tant d’habitants sous le ciel, trop communs pour qu’on les ignore, et ils le sont parce qu’ils se présentent à l’heure même lorsque nous recherchons des bonheurs plus élevés.
Il arrive un jour où même chez les sages, qui ont exploré les hautes voies de la connaissance spirituelle et philosophique, après être enfin parvenus à la nécessaire étape de la désillusion, la révélation de cette vanitas engendre un nouveau besoin, presque invincible, d’explorer la vérité des corps et des biens ; ceux-ci deviennent alors le dernier territoire vierge qu’ils avaient souvent fui, convaincus qu’il n’en existait pas de pire. Tout ce qu’ils considéraient et vivaient auparavant comme de la tentation et de la sottise devient soudain fascinant, la dernière terre promise. Un charme et un attrait aussi forts que leur engagement pour la première et la plus élevée des vérités était radical et sincère. La découverte de la réalité comme étant une fumée et un vent impalpables génère une soif de ce que l’on peut toucher, voir et posséder. C’est la difficulté à prier et à suivre un Dieu plus vrai que l’on ne peut ni voir ni toucher, qui transforme YHWH en un veau très concret et scintillant.
La recherche sage de Qohélet inclut aussi ces recherches secondes qui font partie de la condition humaine et sont donc communes, quotidiennes, familières, sœurs. Elle les prend au sérieux, sans les écarter a priori, elle veut les essayer, y compris pour nous. C’est ainsi que l’horizon humain s’élargit et atteint tous les hommes.
L’humanisme biblique évoque aussi le chemin du fils entre la maison de son père et le dernier enclos de cochons. Si nous sautons trop rapidement vers l’étreinte miséricordieuse et le banquet, nous ne voyons plus tous ces fils consumés par le bonheur du « vin » et des corps ; et, comme nous ne les voyons pas, nous les laissons au milieu des glands, si bien qu’ils ne reviennent plus. Durant presque toute notre vie, nous passons des fêtes idolâtriques autour des veaux d’or aux banquets miséricordieux autour des veaux gras, et vice-versa. Nous sommes tous des constructeurs naturels d’idoles, presque toujours à la recherche de rien d’autre que la vie et le bonheur. Parfois, nous croisons sur notre route des yeux et des bras qui nous accueillent et nous sauvent. Qohélet est l’un de ces regards et l’une de ces étreintes.
Qohélet nous dit pourtant encore autre chose. Il nous explique pourquoi ces routes vers le bonheur mille fois empruntées sont si communes sur la terre : « Je n’ai rien refusé à mes yeux de ce qu’ils demandaient ; je n’ai privé mon cœur d’aucune joie, car mon cœur jouissait de tout mon travail : c’était la part qui me revenait de tout mon travail » (2,10). Le cœur « jouit » du « travail » de recherche de ces bonheurs très terrestres et corporels, parce que les biens et les corps sont aussi là pour nous réjouir et nous aimer. Quant à la connaissance de la sagesse spirituelle la plus élevée, elle engendre essentiellement de la souffrance, un travail que Qohélet avait défini comme une « occupation de malheur » (1,13). Rechercher le bonheur dans les corps et dans les choses engendre du plaisir et débouche sur une récompense. La recherche de la connaissance démasque nos illusions et lève le voile pour nous faire rencontrer notre humanité nue, indigente et précaire. La recherche de la vie à travers les plaisirs inscrits dans les choses mêmes apporte en revanche une consolation qui peut nous enfermer longtemps, souvent même définitivement, dans nos illusions. Elle ne possède pas en elle l’instrument permettant de la réfuter, parce qu’il lui manque la souffrance qui est toujours le premier ressort du changement. Ce bonheur second nous nourrit, il soulage notre indigence. Nous le retrouvons également à l’occasion d’expériences religieuses lors desquelles, parallèlement à notre recherche douloureuse qui révèle nos illusions, nous pouvons observer des pratiques non douloureuses qui se nourrissent du plaisir et de la « récompense » inhérents à ces pratiques.
Pourtant, à l’issue de cette seconde recherche de la vérité dans les bonheurs sous le ciel, nous entendons encore prononcer cette effrayante et magnifique phrase : « Tout cela est vanité [habel] et poursuite de vent, on n’en a aucun profit [Itron] sous le soleil » (2,11). Tout est habel, tout est encore un infini Abel. Les plaisirs, les corps et les nombreux biens ne viennent pas à bout de l’habel. Riches et pauvres éprouvent la même faim de vent. C’est l’égalité devant cette faim impossible à apaiser qui nous rend tous semblables sous le soleil.
Cette recherche du plaisir n’engendre, elle non plus, aucun « profit » : rien n’avance. La récompense apportée par ces plaisirs s’épuise dans l’acte même de leur consommation. Il ne reste plus rien d’autre une fois qu’ils se sont évaporés, on n’en retire aucun gain. Les fruits des plaisirs de la chair et des biens ne couvrent que leur coût, car la joie qu’ils procurent ne s’accumule pas, elle ne se transforme pas en capital qui nourrira nos enfants et nous-mêmes dans notre vieillesse. Le bonheur de la vie et du corps ne s’accumule pas lorsqu’on l’acquiert. Et si ce n’était qu’un don ? Le premier Caïn a frappé son frère et l’a vaincu en le tuant. Mais les acquisitions de biens et de personnes ne peuvent plus vaincre Abel, parce que même les fils de Caïn sont placés sous le signe de l’habel. Le second Abel est devenu invincible.
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Les demandes nues/4 - L’importance de considérer la condition humaine dans sa globalité
Par Luigino Bruni
Paru dans Avvenire le 29/11/2015
« Enfant joueur et gai, / ton âge en fleur / est comme un jour plein d’allégresse, / jour lumineux, serein, / qui prélude à la fête de ta vie. / Jouis-en, mon petit : âge suave, / saison joyeuse est la tienne. / Et je ne dis pas plus ; mais ne regrette pas / que ta fête tarde encore à venir. »
Giacomo Leopardi, Le samedi du village
Il existe une tension entre bonheur et vérité. Tant que les deux sont petits, ils vont tout naturellement ensemble. Mais, lorsque la vérité grandit et se fait une place, elle finit par laisser notre bonheur s’évaporer, et une souffrance morale devient alors notre précieux compagnon pour ce dernier bout de chemin, un bout décisif.
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Par Luigino Bruni
Paru dans Avvenire le 22/11/2015
« Seuls les dieux vivent pour toujours sous le soleil. Quant aux hommes, leurs jours sont comptés ; quoi qu’ils fassent, ce n’est que du vent »
(épopée de Gilgamesh).
« Moi, Qohélet, j’ai été roi sur Israël, à Jérusalem. J’ai eu à cœur de chercher et d’explorer par la sagesse tout ce qui se fait sous le ciel. C’est une occupation de malheur que Dieu a donnée aux fils d’Adam pour qu’ils s’y appliquent. J’ai vu toutes les œuvres qui se font sous le soleil ; mais voici que tout est vanité et poursuite de vent » (Qohélet 1, 12-14).
[fulltext] =>Qohélet se représente comme Salomon, l’homme le plus sage d’Israël qui, grâce à sa sagesse, a étudié et exploré « toutes les œuvres sous le soleil ». Personne n’est plus sage que Salomon ; personne, plus que Qohélet, n’a mis son « cœur » – c’est-à-dire toutes les entrailles de son intelligence, de sa sagesse et de son amour – au service de la connaissance du monde et des fils d’Adam.
La sagesse n’est pas le but de sa recherche, mais l’instrument au service de cette recherche. Elle est la prémisse, la condition préalable à la recherche de la vérité. Qohélet renverse la thèse commune qui envisageait la sagesse comme le fruit de la recherche, comme le bout du chemin : il la place au tout début, faisant d’elle la manière d’être de la personne qui recherche la connaissance. Il ne nous dit pas comment on accède à la sagesse. Son discours n’en a pas besoin, précisément parce qu’il se présente comme la parole prononcée par Salomon dans sa vieillesse, après avoir longtemps exercé avec une très grande sagesse sa fonction de roi : « Je me suis dit à moi-même : “Voici que j’ai fait grandir et progresser la sagesse plus que quiconque m’a précédé comme roi sur Jérusalem.” J’ai fait l’expérience de beaucoup de sagesse et de science » (1,16).
C’est là que réside l’éternel paradoxe de toute recherche sincère de la vérité – anthropologique, morale, religieuse, artistique… Pour partir à sa recherche en prenant la bonne direction, nous avons besoin d’une sagesse que nous ne possédons pas encore avant de nous engager sur ce chemin. Et pourtant, nous devons bien commencer un jour. Le peuple d’Israël et, à des degrés divers, tous les peuples et toutes les cultures, ont choisi de dissiper ce paradoxe en donnant une sagesse collective à celui qui commence sa recherche de la vérité sans posséder individuellement la sagesse. On peut se mettre en quête de sagesse sans la posséder parce que nous pouvons hériter de la sagesse du début comme d’un don. La sagesse est un patrimoine, donc un don (munus) de nos pères (patres). Celui qui commence son chemin de foi a déjà pénétré la sagesse du peuple qui, en tant que pédagogue, le guide vers cette sagesse de la fin, indispensable si l’on veut que la sagesse ne se réduise pas à une tradition et à un héritage, mais soit aussi une manière d’être bien à nous.
Pourtant, Qohélet, par son analyse impitoyable des lois de la vie, met justement en crise cette sagesse héritée de la tradition : Salomon, sommet et image de la sagesse des pères, le garant de cette sagesse reçue en héritage, grâce à laquelle les fils et les filles d’Adam peuvent cheminer vers la vérité sur le monde et sur les choses sous le soleil (et au-dessus), a prononcé, à la fin de sa recherche, le habel sur la sagesse de la fin. Le fruit de la recherche de la connaissance est souffle et faim de vent ; et pourtant, il n’existe pas d’occupation plus sage que celle-ci sous le soleil. Rechercher la vérité sans parvenir à la posséder, interroger la connaissance en restant sans cesse insatisfait et indigent, c’est tout simplement la condition humaine. Un destin que Qohélet qualifie de « mauvais », un métier néfaste que Dieu-Élohim a voulu pour les hommes, malades d’un désir insatiable d’infini. La sagesse en tant que don et patrimoine, c’est de la fumée, du vent, un gâchis, le néant, Abel. Sage est celui qui commence sa recherche en sachant qu’à la fin, il trouvera la même vanitas qu’au début. La sagesse consiste à reconnaître que nous courons déjà et courrons toujours après une plénitude qui reste inaccessible, assoiffés que nous sommes d’un soleil qui n’atteint jamais le midi. Lorsque nous parvenons à une certitude, aussitôt nous nous apercevons qu’elle est caduque, brève, éphémère, que ce vent ne nous comble pas. En même temps, Salomon-Qohélet reste l’homme le plus sage de tous. La sagesse consiste alors à prendre conscience de cette indigence infinie, à reconnaître l’impuissance de notre cœur et de notre intelligence : « Ce qui est courbé, on ne peut le redresser, ce qui fait défaut ne peut être compté » (1,15). La sagesse, c’est pouvoir enfin chanter l’habel.
À partir de là, il nous faut commencer, humblement et tragiquement, à vivre en renonçant aux illusions et aux fausses consolations. Qohélet nous demande une nouvelle maturité dans nos relations humaines et dans notre foi. Il est notre ami précieux le jour où, après avoir vécu aux côtés d’une personne pendant des décennies, nous nous apercevons que son cœur comporte une dimension mystérieuse qui nous est totalement inconnue et que nous ne connaîtrons jamais. Ou bien, lorsque nous comprenons enfin que notre foi était le fruit de notre imagination et une idéologie, et que nous entendons prononcer au-dedans de nous l’effrayant et salvateur habel pour redevenir finalement pauvres. Le jour de notre réveil adulte, Qohélet nous répète que cette indigence ne peut être comblée, que celui qui nie cette pauvreté radicale de l’esprit et du cœur en prétendant posséder tout le mystère de l’autre et peut-être de Dieu, est un sot, un idolâtre ou une idole. Le jour où le chant de Qohélet commence ne marque pas la fin de la foi, mais peut-être tout simplement son début. C’est également pour cette raison que la Bible a voulu garder l’habel au centre de son humanisme. Notre foi devient adulte et la vie spirituelle s’épanouit lorsque nous sommes capables d’entonner « tout est habel » et de rester dans l’horizon d’un ciel non vide.
Pourtant, nous ne pouvons saisir toute la valeur des paroles nues de Qohélet sans le replacer dans son époque (qui est aussi la nôtre). Lorsque ce livre a été écrit, en Israël une nouvelle littérature religieuse de nature apocalyptique était en plein développement. Cette littérature niait le caractère limité et l’indigence de la connaissance et de la vérité ; elle laissait à des visions et des révélations spéciales, à des rêves, le soin de combler ce manque, reportant à plus tard l’assouvissement de l’indigence de connaissance et de sagesse. Qohélet ne combat pas seulement l’idéologie véhiculée par la théologie de la rétribution : la religion apocalyptique et visionnaire est elle aussi son ennemi. Lorsque la littérature apocalyptique a rencontré la tradition biblique, le peuple d’Israël en a saisi tout le charme et elle a même marqué de son empreinte certains de ses livres et de ses traditions. Tous les textes apocalyptiques les plus radicaux (comme ceux d’Hénok) ne sont pas entrés dans le canon ; or, tandis que Qohélet écrivait, les controverses étaient très vives et nombreux étaient les Israélites séduits par la nouvelle foi apocalyptique. Grâce aussi à la lutte éthique et spirituelle de Qohélet, les anciens scribes ont laissé Hénok de côté et placé Qohélet au centre de la Bible. Si la ligne apocalyptique avait prévalu, nous n’aurions pas seulement eu une autre Bible hébraïque : même l’interprétation de l’expérience chrétienne aurait été très différente ; les évangiles canoniques et les évangiles apocryphes, la lecture de la personne de Jésus Christ, l’histoire de l’Europe et du monde, la science, la philosophie, la vie, l’auraient été également. Nous aurions eu une Bible moins en faveur des hommes et des pauvres, une Bible gardienne d’un Dieu plus simple mais moins vrai, une Bible plus éloignée de l’habel-Abel. Nous aurions eu moins de mots authentiques pour nous aider à balbutier quelque chose, en ce mois de novembre 2015, durant ce « temps pour pleurer ».
Ces dialogues entre religion et idéologie, entre religion apocalyptique et humanisme historique, se poursuivent encore aujourd’hui, au sein de nos sociétés, de nos religions, de nos églises, à l’heure où certains, face à la dureté du métier de la vie sous le soleil, sont souvent tentés de se construire des paradis artificiels, des religions spectaculaires, des révélations qui répondent à toutes les questions d’hier et de demain, qui promettent de dévoiler tous les secrets et mystères sous le soleil et au-dessus, au lieu d’accueillir docilement la vérité sur notre indigence morale et spirituelle. Ceux-là, incapables de se satisfaire d’une foi vraie en noir et blanc, réclament une foi imaginaire en couleurs. Avec la force de sa sagesse douloureuse car non idéologique, Qohélet nous affirme que les seules « révélations » qui nous aident à vivre sont celles qui nous réconcilient avec la finitude, la fragilité, la précarité de la vie et de la foi, avec l’habel. Il n’y a pas de folie plus grande que de se fabriquer des illusions en réponse à nos désillusions. Une sottise qui atteint des proportions énormes quand ces fabrications deviennent collectives et se transforment en véritables empires de l’illusion. Les hommes et les femmes l’ont toujours fait et continueront de le faire. Or, en produisant sans cesse des religions artificielles et des paradis artificiels, ils ne trouveront jamais en Qohélet un allié.
La foi – toute foi – vit aussi de promesses et de pas encore. Or, on passe par des époques de crise où la recherche du paradis devient l’ennemie de la recherche d’Abel, où l’attente du pas encore risque de tuer l’Abel déjà présent ici, avec son humanité indigente, blessée, partielle, imparfaite, pénultième. Au cours de ces époques – et la nôtre en est une –, il est essentiel de revenir à Qohélet si nous ne voulons pas transformer la foi en illusion collective et les religions en temples de la consommation, en théâtre d’expériences émotionnelles trop éloignées d’Abel.
« J’ai eu à cœur de connaître la sagesse et de connaître la folie et la sottise ; j’ai connu que cela aussi, c’est poursuite de vent. Car en beaucoup de sagesse, il y a beaucoup d’affliction ; qui augmente le savoir augmente la douleur » (1,17-18).
La faim de ce souffle, impossible à rassasier, grandit en même temps que notre désir de sagesse, et elle ne nous fait pas mourir, à condition que nous parvenions à l’appeler par son nom. Sœur vanitas, frère Abel. La seule solidarité qui sauve est celle qui fleurit sur la reconnaissance réciproque de notre fragilité. Si la fraternité peut revivre, ce sera la résurrection d’un nombre infini d’Abel.
Le livre de Qohélet est lu lors de la « fête des cabanes » (Souccot) quand, parallèlement aux joies des vendanges, on célèbre le souvenir de l’humble et fragile cabane de l’Exode, que les familles construisaient dans les jardins des maisons, à l’aide de matériaux tout simples et provisoires. Qohélet continue de nous rappeler la caducité de la vie. Mais la cabane est aussi le symbole et le souvenir de la traversée de la mer, lorsque des femmes et des hommes libres car libérés de l’esclavage des pharaons et de leurs idoles, ont commencé une vie nouvelle dans le désert. Une cabane de roseaux est une bonne maison pour qui souhaite se libérer de l’empire des illusions consolatrices, pour qui veut rester aux côtés d’Abel alors que la main de Caïn continue de le frapper.
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Les demandes nues/3 – Au-delà du vertige de l’Apocalypse et des paradis artificiels
Par Luigino Bruni
Paru dans Avvenire le 22/11/2015
« Seuls les dieux vivent pour toujours sous le soleil. Quant aux hommes, leurs jours sont comptés ; quoi qu’ils fassent, ce n’est que du vent »
(épopée de Gilgamesh).
« Moi, Qohélet, j’ai été roi sur Israël, à Jérusalem. J’ai eu à cœur de chercher et d’explorer par la sagesse tout ce qui se fait sous le ciel. C’est une occupation de malheur que Dieu a donnée aux fils d’Adam pour qu’ils s’y appliquent. J’ai vu toutes les œuvres qui se font sous le soleil ; mais voici que tout est vanité et poursuite de vent » (Qohélet 1, 12-14).
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Par Luigino Bruni
Paru dans Avvenire le 08/11/2015
Alors que le roi Salomon était installé sur son trône royal et qu’il jouissait de sa richesse, son cœur se gonflait d’orgueil. La colère du Seigneur se déchaîna alors contre lui. Il lui retira son anneau du doigt afin qu’il s’en aille de par le monde pour y errer en vagabond. Le roi parcourait les villes d’Israël en pleurant et disait d’une voix suppliante : « Je suis Qohélet » car, auparavant, son nom était Salomon.
Targum, Ec 1,12
Toute sagesse non trompeuse est un chœur à plusieurs voix. Une seule voix, fût-elle sublime, ne suffit pas à exprimer la polyphonie de la vie. Même la sagesse biblique est plurielle, symphonique, multicolore.
[fulltext] =>Elle se nourrit de traditions différentes où chacune développe sa note unique qui ne résonne que de concert avec les autres. Lorsqu’une note manque, la musique s’appauvrit et se déforme, elle perd de son harmonie, de sa beauté et de sa profondeur. Seule l’idéologie est monotone, singulière, monochrome. Le travail le plus difficile, mais essentiel, de celui qui aborde honnêtement le texte biblique pour se laisser toucher et contaminer par lui, consiste à placer sur le même plan le Cantique des Cantiques et Job d’une part, Daniel et l’Ecclésiaste d’autre part.
Qohélet, dans son originalité et sa dissonance, pense et vit selon l’humanisme biblique. Il en est l’héritier et le continuateur. Le début du livre – « Paroles de Qohélet, fils de David, roi à Jérusalem » (1,1) – veut déjà dire beaucoup. Qohélet, qui est peut-être un nom collectif, place ses paroles sous l’aile de l’icône biblique de la sagesse, Salomon (« fils de David »). Il nous annonce d’emblée que son discours portera sur la sagesse au nom du roi le plus sage d’entre tous. Et, si ce livre est resté dans le canon hébraïque et chrétien, c’est parce que les anciens scribes et rabbins ont cru en son auteur, parce que, dans ce chant différent des autres, ils ont perçu la sagesse et la vérité bibliques.
Salomon et Jérusalem, que Qohélet choisit comme premiers mots, constituent les coordonnées géographiques et culturelles de son discours. Nous sommes plongés au cœur de l’histoire biblique, dans la ville sainte. Dans chacun des textes bibliques, l’homme est l’adam, et la terre, le soleil, la mer, les fleuves, sont ceux du chapitre 1 de la Genèse. Ils le sont pour Qohélet également, même s’il ne nous le dit pas car, dans son monde, il ne servait à rien de le dire ; or, au moment de commencer à le lire, nous devons le savoir.
La lecture générative de chaque page de la Bible est toujours et peut-être seulement la première. Les rappels doivent aller de la fin au début et non l’inverse. Si nous voulons que ces mots nous parlent, nous devons les écouter comme si c’était la première fois, en commençant par la plus célèbre de ces phrases : « Vanité des vanités, dit Qohélet, vanité des vanités : tout est vanité » (1,1-2).
Les spécialistes actuels de Qohélet continuent de proposer de nouvelles traductions de ce vieux et terrible adage : habel habalim, hakkol habel : vanité des vanités, tout est vanité. L’autre Cantique des Cantiques.
Tout est habel : tout est fumée, souffle, vent, vapeur, gâchis, absurde, vide, néant. Fumée des fumées, vent des vents, souffle des souffles, gâchis des gâchis, absurde de l’absurde, tout n’est qu’un néant infini. Mais, avant de révéler tout autre sens à celui qui écoutait alors le livre de Qohélet, ce habel lui suggérait d’abord un nom : Abel, la victime de Caïn, ce jeune homme tué dans les champs lors de la première nuit obscure du monde, lorsque le premier sang qui arrosa le sol fut celui du premier frère : Abel, dont la vie fut brève, telle un souffle, une vie éphémère, fragile, innocente, vulnérable, une blessure mortelle. Tout est Abel, chante Qohélet. Le sol de la terre regorge d’infinis Abel. Le monde est plein de victimes, de sang innocent versé, de liens fraternels qui se transforment en fratricides. La condition humaine est éphémère comme le fut la vie d’Abel. Elle est pareille à un souffle de vent (ruah), et nous restons en vie uniquement si et tant que ce souffle invisible et délicat est vivant. L’adam de Qohélet n’est pas Caïn, mais Abel. Avant d’être un pécheur, l’homme est un être éphémère et fragile, soumis à la mort et à la caducité.
C’est dans cet horizon fragile, qui embrasse tout ce qui se trouve « sous le soleil », que Qohélet envisage aussi le travail humain et son profit : « Quel profit y a-t-il pour l’homme de tout le travail qu’il fait sous le soleil ? » (1,3) Le travail (amal) est vu comme un effort, un tourment, une souffrance. Et qu’est-ce qu’était le travail au Proche Orient, il y a vingt-trois siècles, sinon un effort et une souffrance ? La première image d’ouvriers qui venait à l’esprit du lecteur de la Bible était celle des constructeurs de briques, employés comme esclaves en Égypte. Et qu’est-ce que le vrai travail encore aujourd’hui, pour une très grande majorité de personnes, sinon aussi et surtout un effort, un tourment, une vie passée à souffrir ? Le reste est, dans la plupart des cas, du romantisme et de la rhétorique de personnes qui observent le travail des autres de bien trop loin.
Le mot que Qohelet place entre habel et adam est yitron : profit. Le profit est le premier mot culturel du livre, l’expression parfaite de cette religion qui promettait et promet encore de triompher du caractère éphémère de la condition humaine grâce aux réussites économiques. Ces premiers versets ne sont pas une morale sur les profits et sur l’économie mais, en choisissant pour première parole humaine le mot profit, Qohélet a voulu nous dire une chose importante. Yitron était un terme issu du langage économique de la nouvelle religion du commerce et du gain facile. Pour exprimer la vanité de la vie et du travail, Qohélet pouvait tout aussi bien utiliser un mot issu du vocabulaire moral ou théologique. Or, il l’a emprunté au vocabulaire commercial, pour nous montrer qu’il existe un lien très étroit entre la vanitas et l’économie. Il envoyait ainsi un message clair à sa culture qui, à l’instar de la nôtre, voyait dans le profit et dans l’argent le premier remède à la vanité, la première sécurité face à l’incertitude de la vie, le premier signe par lequel Dieu bénit la vie non vaine du juste. La première des vanités consiste à penser que l’argent peut éliminer ou réduire l’extrême vulnérabilité de la vie humaine.
Face à la condition existentielle fragile et éphémère de l’adam, Qohélet nous montre la pérennité de l’adamah, la terre : « Un âge s’en va, un autre vient, et la terre subsiste toujours. Le soleil se lève et le soleil se couche, il aspire à ce lieu d’où il se lève. Le vent va vers le midi et tourne vers le nord, le vent tourne, tourne et s’en va, et le vent reprend ses tours. Tous les torrents vont vers la mer, et la mer n’est pas remplie ; vers le lieu où vont les torrents, là-bas, ils s’en vont de nouveau » (1, 4-7).
Dans ce monde de choses qui sont et demeurent, l’adam perçoit l’insuffisance de sa parole, de sa vue, de son ouïe : « Tous les mots sont usés, on ne peut plus les dire, l’œil ne se contente pas de ce qu’il voit, et l’oreille ne se remplit pas de ce qu’elle entend » (1,8). La pauvreté de la parole, de l’œil et de l’oreille reflètent l’expérience de l’incapacité des humains à dire la vie, à écouter vraiment les sons du monde. Nous voyons à travers un verre opaque. Nous manquons cruellement de paroles, de regards et d’écoute, et nous n’accédons pas aux choses les plus profondes et vraies de la vie. Ce qui était vrai hier l’est encore plus aujourd’hui : nous sommes noyés dans un océan de moyens très puissants pour écrire, voir et entendre mais, lorsque nous tombons amoureux, que nous souffrons ou voulons consoler un ami, nous ressentons la vieille indigence de Qohélet. Les médias tout-puissants amplifient la lassitude de nos paroles au lieu de la réduire.
La vie de l’homme, si pauvre en temps et en connaissance, s’écoule en un éclair. La terre, les fleuves, les mers, eux, restent là, avec leur mystère et leur temps intemporel. Ici, Qohélet nous fait entrevoir le cœur de l’homme ancien, avant que la science ne lui explique le « cycle de l’eau ». Dans tout le mystère et toute la stupeur qu’il ressentait quand, assis sur la rive d’un fleuve, il observait le mouvement éternel de l’eau, ou bien lorsque, perché sur une hauteur, il regardait l’estuaire en se demandant : « Comment les grandes eaux de la mer peuvent-elles alimenter la petite source dans la montagne ? » Et, tandis qu’il regardait les fleuves et les mers poursuivre leur éternel retour, cet homme des temps anciens voyait mourir le vieillard et l’enfant ; il percevait la fragilité du souffle qui l’habitait temporairement et dont il n’était pas maître.
Qohélet nous rejoint dans notre temps plein de nouveautés qui ont prolongé le temps de notre souffle ; il nous parle, à nous qui sommes enivrés par une technologie qui prétend nous rendre maîtres de notre dernier souffle et du premier souffle de nos enfants. Si nous parvenons à deviner quelque chose de ce premier regard, qui remonte à des temps anciens, sur le monde et sur nous-mêmes, si nous percevons bien que nous passons tandis que la terre, les rochers, les montagnes et les mers restent, cela peut nous ouvrir à une nouvelle réconciliation avec l’éternel et avec notre finitude. Nous pouvons ainsi devenir davantage hommes et prendre une plus grande part à ce rester. L’adam est à la fois « presque un dieu » (Psaume 8) et presque vapeur. Il est le seul sur la planète à savoir prier et penser l’univers mais, face à la force et à l’« éternité » d’un rocher ou d’une cascade, il se sent comme un roseau qui ploie sous le vent. Toutes les idéologies et les maladies anthropologiques trouvent leur origine dans l’apparition de cette ambivalence, lorsque nous ne parvenons plus à concilier notre dignité infinie et notre infinie fragilité. Toute prière non vaine s’élève d’un roseau sous un ciel qui espère ne pas être vide et y croit.
Et quand, au milieu des roseaux de nos fleuves désormais vidés même de leur mystère, nous entendons le verset : « Rien de nouveau sous le soleil » (1, 9), nous ne pouvons qu’affirmer avec Qohélet que c’est exact. « Ce qui a été, c’est ce qui sera », une phrase qui fait peut-être écho à ce nom imprononçable et absent, YHWH : « Je suis celui qui est et qui sera. »
Nous devons également nous poser cette question : dans notre dimension existentielle, sommes-nous aujourd’hui vraiment différents du premier Adam ? Où est notre nouveauté par rapport à Ève, Noé ou Lamek ? Si nous essayons réellement d’examiner le cas de la Syrie, du Sinaï ou des gares la nuit, comment ne pas répéter ici et maintenant : « Tout est un infini Abel » ? Où sont les innovations sur le plan anthropologique (qui concerne Qohélet) ? Y a-t-il « une chose dont on puisse dire : “Voyez, c’est nouveau, cela !” » ? (1,10). En quoi es-tu différent de Caïn et d’Abel, homme de mon temps ?
Qohélet laisse le point d’interrogation dans son camp, et nous ne pouvons, ni ne voulons plus l’effacer. Tout humanisme non vain doit partir de ce point d’interrogation pour se mettre en quête de nouveauté. La nouveauté réside dans Abel qui revient des champs, accompagné cette fois-ci de son frère, de ce fratricide qui ressuscite la fraternité. Nous devons ainsi poursuivre notre marche à travers les villes et les déserts, jusqu’au jour où nous reverrons tous nos frères.
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Les demandes nues/2 – Vanité, en hébreu, se dit « habel », souffle. Ce que nous sommes
Par Luigino Bruni
Paru dans Avvenire le 08/11/2015
Alors que le roi Salomon était installé sur son trône royal et qu’il jouissait de sa richesse, son cœur se gonflait d’orgueil. La colère du Seigneur se déchaîna alors contre lui. Il lui retira son anneau du doigt afin qu’il s’en aille de par le monde pour y errer en vagabond. Le roi parcourait les villes d’Israël en pleurant et disait d’une voix suppliante : « Je suis Qohélet » car, auparavant, son nom était Salomon.
Targum, Ec 1,12
Toute sagesse non trompeuse est un chœur à plusieurs voix. Une seule voix, fût-elle sublime, ne suffit pas à exprimer la polyphonie de la vie. Même la sagesse biblique est plurielle, symphonique, multicolore.
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Par Luigino Bruni
Paru dans Avvenire le 01/11/2015
Qohélet est un livre ascétique, le seul ascétique pur et dur du canon hébraïque qui ne prescrit pourtant pas le jeûne et l’abstinence. Seul Job a pareille altitude. Mais les coups de coin du Qohélet, dépouillés de métaphores, s’enfoncent plus fort et disloquent mieux la science mondaine. Il apaise bon nombre de peines superflues, et ne laisse pas s’éteindre la flamme de la connaissance, pourtant incline aux railleries et allergique au transcendant.
Guido Ceronetti, Qohélet. Celui qui prend la parole
Il y a des livres particulièrement précieux à certains moments de la vie individuelle et collective. Ils nous aident à comprendre en profondeur la nature des crises que nous traversons ; ils font parler les émotions, les souffrances ; ils illuminent des zones d’ombre que seules des paroles plus grandes que les nôtres peuvent nommer, éclairer, et sortir au grand jour.
[fulltext] =>Comment aurions-nous pu réapprendre à nous parler et à nous regarder encore dans les yeux après les guerres et les holocaustes, si nous n’avions eu La Divine Comédie, Les Chants de Leopardi, Les Possédés de Dostoïevski, Joseph et ses frères de Mann, Les Misérables de Hugo, L’étranger de Camus, Si c’est un homme de Primo Levi ? Ces livres et d’autres grands ouvrages produisent le même admirable effet de l’œuvre d’Eschyle, Les Perses, qui fit pleurer les athéniens en les faisant s’identifier avec la souffrance des Perses qu’ils avaient vaincus en combat. Ces mythes et ces livres rebâtissent ce que la politique ne peut reconstruire, guérissent de leurs baisers des blessures inguérissables, régénère une nouvelle fraternité humaine.
Certains livres ne sont pas seulement précieux en temps de crise : ils sont essentiels. Quand un monde finit sans que s’entrevoie encore le nouveau, dans les "samedis saints" de l’existence des personnes et des peuples, la compagnie de quelques livres devient pour l’âme comme le pain quotidien. Le Qohélet est l’un de ces livres. J’ai toujours été fasciné par ce livre si différent des autres de la Bible, seulement comparable à Job, à quelques pages de Jérémie, d’Isaïe, des Psaumes, de l’évangile de Marc. Un livre dont la lecture peut changer la vie, nous introduire à une foi et une humanité nouvelles et adultes. Avec et comme Job, Qohélet est une profonde et très efficace cure des deux principales maladies de toute foi religieuse e laïque : l’idéologie et la recherche de faciles consolations en réponse banale à de redoutables questions.
Qohélet a été écrit pour qui ne veut pas sombrer dans l’éternelle tentation de l’idéologie. Les hommes religieux et ceux qui sont sensibles à l’action de l’esprit, commencent leur cheminement en suivant la voix qui les appelle, se mettent à sa suite avec d’autres compagnes et compagnons de voyage, puis créent des institutions pour garder et servir cette voix dans l’histoire.
Mais ponctuelle arrive alors l’invincible tendance-tentation de ne plus se contenter de la nudité de cette voix : voilà qu’apparaît vite, autour de la première foi, celle des pères, l’idéologie des fils. Ainsi se forment des religions où se mêle au bon grain de la foi, s’accumulant de siècle en siècle, la bale de l’idéologie de la foi, qui croît et se multiplie au fil du temps.
Et si les prophètes et les sages ne venaient sauver le bon grain, chacun à sa manière, la bale finirait par couvrir et étouffer tout le froment. Cette dynamique se vérifie pour toute foi religieuse et laïque où cependant, en absence d’idolâtrie, se trouvent les prophètes et les sages, principale sauvegarde contre les idéologies. Avec Job et Qohélet la tradition biblique atteint de très hautes cimes, inégalables peut-être, et devient un don universel pour toute femme et tout homme qui veut protéger de l’idéologie sa propre foi. L’idéologie religieuse fait mourir la foi parce qu’elle est idolâtre, transformant YHWH en veau d’or. C’est ainsi que la foi devient éthique, manuel de bonne cohabitation civile, pratique de piété, recueil de fausses consolations, religion économique.
Qohélet, comme et avec Job, est le grand inquisiteur et accusateur de la religion rémunératrice, de l’idée, très enracinée dans la culture de l’auteur comme dans la nôtre, que le juste a sa récompense en biens, santé, progéniture et providence, et que le méchant tombe dans la misère parce qu’il est coupable d’une faute que lui ou ses aïeux ont commise. Lire Qohélet nu et désarmé est donc un antidote contre l’idolâtrie méritocratique qui envahit en tout temps, sans trouver de résistance, les entreprises, la politique, la société civile, et désormais même certains secteurs des églises.
Les idéologies sont des entreprises collectives, mais aussi des créations individuelles, car chaque croyant produit sa propre idéologie, nichée au cœur de son expérience religieuse. Foi et idéologie grandissent ensemble, entrelacées, et seul un dur travail volontaire peut – et doit – de temps en temps démêler, séparer, faire pénétrer la lame dans les fibres, couper et soigner, pour qu’on se remette à l’écoute, pauvre et doux.
La production de fausses (parce que faciles) consolations est un fruit typique d’une foi devenue idéologique. On s’invente de sûrs et clairs paradis artificiels à la place du vrai paradis, incertain et mystérieux, et l’on se berce d’illusions dans l’incapacité d’affronter les déceptions de toute foi dépourvue de vanité.
La Bible – hébraïque et chrétienne – a voulu garder Qohélet parmi ses livres les plus précieux, un livre où ne se trouvent ni YHWH, ni la foi des patriarches, ni la vision de la terre promise, ni Moïse ni sa Loi. S’il y a Qohélet dans la Bible, alors il y a place, au cœur de l’humanisme biblique, pour tout homme qui, à la manière de "Celui qui parle dans l’assemblée" (il est Qohélet, l’Ecclésiaste), pose à la vie et à la foi les questions les plus extrêmes, radicales, nues, scandaleuses – certaines si dérangeantes que les éditeurs et rédacteurs du texte ont, dans le passé, ressenti le besoin de les corriger.
La présence du Qohélet au cœur de la Bible et de la tradition hébraïque-chrétienne est une blessure. Traverser le Qohélet n’est productif que si nous laissons ses paroles mettre à vif notre souffrance et celle du monde. Mais, comme beaucoup de souffrances fécondes, cette présence ouvre la Bible à tout homme et toute femme en quête de vérité, sans que sa recherche ait besoin d’avoir une connotation religieuse. Par la fenêtre du Qohélet, l’humanisme biblique sort à la rencontre du dernier indécis parmi les chercheurs épris de vérité ; mais à travers cette fenêtre c’est toute l’humanité qui est entrée et entre dans la Bible, et qui est faite plus belle, plus humaine, plus vraie, plus honnête, capable d’accueillir en chair et en os celui qui, dans la Bible, ne comprend ni Isaïe ni Marc, mais a compris et aimé le poète de la vanitas.
Le livre du Qohélet fut écrit en Israël pendant la conquête grecque et l’imposition, par ce grand empire, de sa langue et de sa culture. Certains intellectuels hébreux étaient fascinés par ce nouveau monde, ses valeurs, sa recherche du bonheur, du profit, des beaux corps, du plaisir et de la jeunesse. Mais certains contemporains voyaient aussi dans cette "globalisation" la crise profonde de la culture d’Israël. Qohélet était l’un d’eux, et c’est pourquoi la méditation de son livre est si utile, voire nécessaire, à qui, aujourd’hui, dans une nouvelle ère de globalisation et d’uniformisation des valeurs, cherche à comprendre la nature du nouveau monde et de ses dogmes. Qohélet est un inestimable compagnon de voyage de tout observateur réaliste des dogmes et cultes trompeurs des empires qui viennent nous dominer.
La grande force de ce livre ancien est sa capacité unique de regarder dans sa nudité le nouveau, le fascinant, sans céder d’aucune manière au besoin de consolation face au monde tel qu’il est. Cet antique auteur anonyme a eu la force et le courage moral et spirituel de poser à son monde en crise des questions radicales, d’une force et d’une profondeur immenses, qui nous interpellent aujourd’hui encore. Il ravive le désir de réfléchir sans peur, courageusement, à nos propres empires et à l’asservissement aux idoles du plaisir et de l’argent.
Qohélet nous guide loyalement dans l’édification d’une vie adulte, sans idéologie, vraie ; il est un ami pas commode, parfois même déconcertant, dont l’amour nous tient jusqu’à ce qu’enfin nous répondions à ses demandes douloureuses et libératrices.
Quand arrive le jour – gare à nous s’il n’arrive pas – où tombe le voile de la première foi et se dévoile la vie, tout ce qui avait fait la trame de notre existence spirituelle et idéale nous apparaît pure comédie ou tragédie. Nos compagnons d’hier ne sont plus que les acteurs et les masques d’un scenario que personne n’a écrit, d’une mise en scène de l’absurde dont nous sommes protagonistes. On se retrouve d’un coup sur une scène vide, aux décors défaits. Ce jour-là, dramatique et merveilleux, deux possibilités se présentent à nous.
Nous pouvons nous mettre à écrire nous-mêmes, volontairement cette fois, le scénario d’une nouvelle tragi-comédie, transformant cette scène, que nous prenions jusqu’alors pour la vraie vie, en une vie nouvelle, unique, nôtre. Le théâtre devient la vie. Nous laissons la scène nue, vide et désolée, et devenons les écrivains, metteurs en scène et acteurs de notre comédie. Nous nions et fuyons la réalité et, pour survivre, nous entrons volontairement dans notre The Truman Show.
Mais nous pouvons aussi vouloir enfin commencer la vie spirituelle : sortir du théâtre et nous mettre à marcher sur les routes du monde, à chercher une nouvelle foi dans les souffrances et les joies vraies des gens réels qui nous entourent.
Découvrons Job, les Psaumes, et laissons leur lecture chanter en nous. Et puis, quelquefois, allons à la rencontre de Qohélet, et avec l’argile de son authentique néant, fabriquons les briques pour construire notre nouvelle maison. Qohélet ne nous guide pas dans la construction d’une cathédrale ; il nous veut seulement artisans d’une maison d’hommes qui ne veulent plus vivre dans une feinte fiction consolatrice. Une maison sobre et sans idoles, où un jour, peut-être, nous pourrons aussi réapprendre à prier.
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