Plus grands que nos fautes

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Plus grands que nos fautes / 17 – Les voies de Saül sont après tout couvertes de poussière, comme les nôtres

de Luigino Bruni

publié dans Avvenire le 13/05/2018

samuele 17 210x300« Saül : Oh, mes enfants !... — Je fus père. —
Te voilà seul, ô roi ; il ne te reste plus un seul
de tes nombreux amis ou serviteurs.
— Aurais-tu payé pour la terrible et inexorable colère de Dieu ? »

Vittorio Alfieri, Saul

Chaque fois qu’il fait une lecture authentique, le lecteur y prend une part active et créative. Loin d’être le simple spectateur des histoires qu’il lit, il en est le coauteur et acteur. Dans cette forme spéciale de lecture qu’est la lecture de la Bible, le lecteur reçoit la faculté, mystérieuse mais réelle, de transformer les personnages en personnes qui, comme toutes les personnes vivantes, grandissent, changent, se déplacent et font des rencontres inattendues. Arrive alors le moment où les personnes bibliques commencent à interagir entre elles, à tisser des trames relationnelles différentes de celles que leur premier auteur avait imaginées et voulues. C’est ainsi que la sorcière d’Endor se fait l’amie du père du fils prodigue, que Jérémie se découvre frère de David et que Saül devient le compagnon de route et d’infortune de Job, jeté comme lui sur un tas de fumier par un Dieu qui souhaite (Saül) ou permet (Job) leur malheur. L’un comme l’autre, Saül et Job, sont frappés par des châtiments divins plus grands que leur (possible) faute ; tous deux sont plongés dans le silence d’un Dieu muet, qui ne leur délivre pas de paroles de vie, peut-être parce que, tout simplement, il attend les nôtres.

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David poursuit sa guerre aux côtés des Philistins (1 Samuel, 29) ; or, à présent, à la veille du combat final contre Saül, les chefs l’empêchent de prendre part à la bataille. Entre-temps, les Amalécites, autre peuple ennemi historique d’Israël et de Saül et responsable de son rejet par Dieu (chap. 15), ont mené un assaut sur la ville de Ciqlag, où se trouvent la famille et les femmes de David, qui ont été faites prisonnières. Avec ses hommes, David se lance à la poursuite des Amalécites et, grâce à sa rencontre (providentielle) avec un esclave égyptien, il parvient à vaincre l’armée ennemie en lui tendant une embuscade : « David sauva tout ce que les Amalécites avaient pris. Il sauva en particulier ses deux femmes » (30,18). Il amasse aussi un impressionnant butin de guerre : « Il prit tout le petit et le gros bétail » (30,20). Les six cents hommes de David n’ont pas tous participé à cette entreprise car deux cents d’entre eux, « trop épuisés pour franchir le torrent de Besor » (30,10b), se sont arrêtés au bord de la route. Lorsque David revient au campement, « tous les méchants et les vauriens élevèrent la voix et dirent : “Puisqu’ils ne sont pas venus avec moi, nous ne leur donnerons rien du butin que nous avons repris” » (30,22). Les « méchants » et les « vauriens » n’ont jamais cessé d’exclure les plus faibles de la répartition des richesses. Or, aujourd’hui nous n’attribuons plus ces paroles et ces actes d’exclusion aux « méchants » et aux « vauriens » ; au contraire, nous les louons, nous les enrobons de vertu et de belles paroles telles que mérite et méritocratie, puis nous excluons, en leur nom, les pauvres et les « épuisés », après les avoir traités de fainéants et de paresseux.

La Bible possède, quant à elle, une autre logique : « Mais David dit : “Vous n’agirez pas ainsi, mes frères, avec ce que le SEIGNEUR nous a donné […].  Telle la part de celui qui descend au combat, telle la part de celui qui reste auprès des bagages : ensemble, ils partageront” » (30,23-24). La richesse est un « don du Seigneur », et sa nature de don-providence l’emporte sur les raisons du mérite ou démérite individuel (qui, cependant, peuvent parfois exister, même si elles sont presque toujours surestimées). Par conséquent, la solidarité trouvant son origine dans l’appartenance à la même communauté passe avant la productivité et l’efficience, car nous ne sommes pas les vrais propriétaires de notre richesse. Avant de produire de la richesse, nous la recevons en cadeau. C’est là le fondement de la gratuité et de la gratitude, qui doivent accompagner notre regard reconnaissant sur nos richesses et sur celles des autres. C’est sur l’idée de richesse conçue comme un don que nous avons fondé la démocratie, les droits, les retraites, l’assistance publique, l’école pour tous, les allocations chômage, les impôts et le système fiscal, une société où les « épuisés » puissent recevoir en toute légitimité une part de richesse. Des vérités anciennes et grandioses, que l’idéologie néo-pélagienne de l’incitation et de la méritocratie nous ont fait oublier en l’espace de quelques décennies.

À présent, laissons-nous toucher et blesser par les derniers moments de la vie de Saül : « Les Philistins se mirent à talonner Saül et ses fils. Ils abattirent Jonathan, Avinadav et Malki-Shoua, les fils de Saül. Le poids du combat se porta vers Saül. Les tireurs d’arc le découvrirent » (31,2-3). Saül dit alors à son écuyer : « “Dégaine ton épée et transperce-moi, de peur que ces incirconcis ne viennent me transpercer et ne se jouent de moi.” Mais son écuyer refusa, car il avait très peur » (31,4). Le récit de cette scène ne contient aucune condamnation morale ou religieuse envers Saül. Le rédacteur final des livres de Samuel n’interprète pas la mort de Saül comme la fin qu’il méritait pour ses fautes. Au contraire, le texte continue envers et contre tout à porter un regard bienveillant sur le triste sort du premier roi, lui donnant même une mort digne et héroïque : « Alors Saül prit l’épée et se jeta sur elle. Son écuyer, voyant que Saül était mort, se jeta lui aussi sur son épée et mourut avec lui. Saül, ses trois fils, son écuyer, ainsi que tous ses hommes, moururent ensemble ce jour-là » (31,4-6). L’histoire tragique de ce roi s’achève par un suicide qui est un acte d’honneur. Il ne méritait pas de mourir en lâche et n’a pas eu une telle mort.

Les Philistins coupent ensuite la tête de Saül et de ses fils, le dépouillent de ses armes et la font circuler dans tout le pays pour « annoncer la nouvelle » dans leurs temples (31,9), puis ils « clouèrent son corps sur le rempart de Beth-Shéân » (31,10). Or, les habitants de Jabesh Galaad, ceux à qui les Ammonites avaient crevé à chacun l’œil droit et qui avaient ensuite été sauvés par Saül (chap. 11), ayant appris les faits, « se mirent en route, marchèrent toute la nuit et enlevèrent du rempart de Beth-Shéân les corps de Saül et de ses fils. […] Ils recueillirent leurs ossements et les ensevelirent sous le tamaris de Yavesh, puis ils jeûnèrent sept jours » (31,12-13). Il s’agit d’un magnifique hommage à la reconnaissance du peuple : le peuple se souvient, entretenant une mémoire différente de la mémoire officielle de la politique et de la religion. Il est capable de marcher toute la nuit, d’aller chercher le corps de l’ami vaincu et de lui assurer une sépulture digne, simplement pour honorer cette mémoire. Saül est enterré là, sous le tamaris où il avait l’habitude de rester, sa lance enfoncée dans la terre, assis au milieu de ses soldats se tenant droits sur leurs pieds. C’est là une expression vraie et profonde de cette loi de la gratuité, inscrite dans l’ADN des peuples et des personnes, car aucune loi économique ne saurait expliquer pourquoi nous prenons le train ou l’avion pour nous rendre aux funérailles d’un ami ; mais, le jour où notre calcul individuel coûts-bénéfices cesse de nous inciter à ces actes économiquement désavantageux envers les morts, peu à peu nous oublions aussi les principes de l’économie et de la réciprocité entre vivants.

David apprend à son tour la mort de Saül et de Jonathan par un Amalécite revenant du champ de bataille et qui fera une triste fin. « David saisit ses vêtements et les déchira. Tous ses compagnons firent de même. Ils célébrèrent le deuil, pleurèrent et jeûnèrent jusqu’au soir pour Saül, pour son fils Jonathan » (2 Samuel 1,11-12). C’est lors de ce deuil de David que nous lisons ce que beaucoup considèrent comme son chant le plus beau, le chant de l’arc :

« Ils sont tombés, les héros ! Ne le publiez pas dans Gath,
ne l’annoncez pas dans les rues d’Ashqelôn. […]
Saül et Jonathan, les bien-aimés,
inséparables dans la vie et dans la mort,
plus rapides que des aigles,
plus vaillants que des lions !
Filles d’Israël, pleurez sur Saül,
qui vous revêtait de pourpre et de parures,
qui de bijoux d’or surchargeait vos habits.
Ils sont tombés en plein combat, les héros !
Jonathan, gisant sur tes collines !
Que de peine j’ai pour toi,
Jonathan, mon frère !
Je t’aimais tant !
Ton amitié était pour moi une merveille
plus belle que l’amour des femmes.
Ils sont tombés, les héros ! » (2 Samuel 1,19-27).

Cela se passe de commentaires. Ne l’annoncez pas... En grec, Euangelizein. Ne répandez pas cette mauvaise nouvelle, n’annoncez pas cet anti-évangile. Jonathan, « bien-aimé », et Saül, « bien-aimé » lui aussi, jusqu’à la fin. Si la Bible a souhaité conserver cette oraison funèbre (extraite d’une source très ancienne, le livre des Justes), c’est pour nous enseigner quelque chose sur David, qui n’est pas monté sur le trône en tuant son rival. Cependant, elle veut nous révéler un élément important sur Saül également. On n’entonne pas un merveilleux chant pour un roi méchant et mauvais. En effet, la Bible savait que, dans son malheur, Saül avait gardé une innocence et une pureté mystérieuses, qui lui valurent ce chant de David, peut-être le plus beau de tous. Si David a pu chanter ces paroles pour un roi répudié et dominé par un esprit mauvais mais resté en quelque sorte sincère, alors, si les répudiés et les exclus ont conservé une petite part de sincérité dans leur cœur, eux aussi sont dignes des psaumes de David, et des nôtres. La Bible ne réserve pas ses bénédictions aux seuls gens bénis et aux vainqueurs : ses plus beaux chants sont pour les amis et amies de Saül, donc, y compris pour nous. La Bible offre plus d’une voie pour la pénétrer. Certaines sont réservées à ceux qui se sentent justes et bénis, mais sont très rares ; les autres, les plus nombreuses, sont les voies de Saül, des routes très fréquentées, pleines de poussière, tortueuses et sombres, mais que tout le monde peut emprunter.

David avait entamé sa relation avec Saül en jouant de la cithare pour lui et en chantant des psaumes pour chasser son « esprit mauvais », car Saül retrouvait la paix en écoutant les notes et la voix de David. À la fin, nous retrouvons un autre chant de David ; le texte affirme en effet que David « chanta » cette lamentation. Toute l’histoire de David et Saül est contenue à l’intérieur de deux chants, à partir d’un chant qui ne s’est jamais interrompu. L’histoire de Saül ne se conclut pas sur sa mort par l’épée qui le transperce, ni sur son enterrement qui lui offre une sépulture digne sous le tamaris : elle s’achève par le chant de David, qui est un chant de résurrection. Chaque fois que nous l’entonnons, Saül redevient ce superbe jeune homme de haute stature, y compris grâce à nous ; nous le revoyons à la recherche de ses ânesses égarées, en extase mystique au milieu des prophètes, encore docile sous la main de Samuel qui le sacre roi. Pour que la Bible continue à vivre et à renaître, le merveilleux chant de David ne suffit pas : il faut aussi notre chant. Tous les protagonistes de la Bible sont des « personnages en quête d’auteur », un lecteur qui leur permette de recommencer à vivre en les libérant des interprétations étroites du rôle que les religions officielles leur ont assigné. Ils cherchent un lecteur qui leur crie de sortir et leur fasse ainsi quitter, une fois revenus à la vie, leurs sépulcres.

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Plus grands que nos fautes / 17 – Les voies de Saül sont après tout couvertes de poussière, comme les nôtres

de Luigino Bruni

publié dans Avvenire le 13/05/2018

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Te voilà seul, ô roi ; il ne te reste plus un seul
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— Aurais-tu payé pour la terrible et inexorable colère de Dieu ? »

Vittorio Alfieri, Saul

Chaque fois qu’il fait une lecture authentique, le lecteur y prend une part active et créative. Loin d’être le simple spectateur des histoires qu’il lit, il en est le coauteur et acteur. Dans cette forme spéciale de lecture qu’est la lecture de la Bible, le lecteur reçoit la faculté, mystérieuse mais réelle, de transformer les personnages en personnes qui, comme toutes les personnes vivantes, grandissent, changent, se déplacent et font des rencontres inattendues. Arrive alors le moment où les personnes bibliques commencent à interagir entre elles, à tisser des trames relationnelles différentes de celles que leur premier auteur avait imaginées et voulues. C’est ainsi que la sorcière d’Endor se fait l’amie du père du fils prodigue, que Jérémie se découvre frère de David et que Saül devient le compagnon de route et d’infortune de Job, jeté comme lui sur un tas de fumier par un Dieu qui souhaite (Saül) ou permet (Job) leur malheur. L’un comme l’autre, Saül et Job, sont frappés par des châtiments divins plus grands que leur (possible) faute ; tous deux sont plongés dans le silence d’un Dieu muet, qui ne leur délivre pas de paroles de vie, peut-être parce que, tout simplement, il attend les nôtres.

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L’honneur de l’exclu

Plus grands que nos fautes / 17 – Les voies de Saül sont après tout couvertes de poussière, comme les nôtres de Luigino Bruni publié dans Avvenire le 13/05/2018 « Saül : Oh, mes enfants !... — Je fus père. — Te voilà seul, ô roi ; il ne te reste plus un seul de tes nombreux ami...
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Plus grands que nos fautes / 16 – Toute vie peut faire éclater la compassion et le bien

de Luigino Bruni

publié dans Avvenire le 06/05/2018

Piu grandi della colpa 16 rid« Le Baal-Shem dit à l’un de ses disciples : “La plus infime part qui puisse te venir à l’esprit, moi, je l’aime plus que tu n’aimes ton unique fils.” »

Martin Buber, Les récits hassidiques

Les aruspices, les mages et les devins reviennent souvent dans la Bible. Il s’agit d’une forme de fausse prophétie très répandue dans l’Antiquité et énergiquement combattue par les prophètes ; elle a représenté une tentation constante et très séduisante pour Israël, qui y a d’ailleurs cédé plus d’une fois. Cette fausse prophétie incarne une religiosité populaire archaïque qui n’a jamais disparu et, de nos jours, son commerce est florissant. La foi biblique se trouve menacée non pas par l’athéisme, mais par des dieux naturels et plus simples que le Seigneur, qui viennent se substituer à lui. Aujourd’hui comme hier, dans la religion et dans la vie, nous sommes constamment tentés de nous persuader que nous représentons quelque chose de plus petit et de plus banal que notre réalité complexe et magnifique.

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« David se dit en lui-même : “Malgré tout, un jour ou l’autre, je périrai par la main de Saül. Je n’ai rien de mieux à faire que de me sauver au pays des Philistins” » (1 Samuel 27,1). David continue à faire preuve d’ingéniosité en trouvant des solutions improbables mais efficaces à ses problèmes. À présent, pour se sauver il décide de s’allier avec l’ennemi, se rangeant ainsi du côté des Philistins. Il remporte d’importantes victoires militaires, commet des razzias et vole de grosses parts de butin. C’est au milieu des incursions de David que nous assistons aux derniers jours de la vie de Saül, qui figurent parmi les plus intenses et émouvants de toute la Bible.

Samuel est désormais mort. Obéissant à la loi de Moïse, Saül avait « aboli la pratique de divination dans le pays » (28,3). Pourtant, les événements politiques se précipitent. Les Philistins se rapprochent dangereusement de Saül. Le roi, se rendant compte de la supériorité militaire écrasante des Philistins, est pris de panique : « Saül aperçut le camp des Philistins : il eut peur et son cœur trembla violemment » (28,5). Il sent bien que seule une intervention extraordinaire du Seigneur pourrait le sauver. Il a encore confiance en son Dieu et implore son aide : « Saül interrogea le SEIGNEUR, mais le SEIGNEUR ne lui répondit pas, ni par les songes, ni par le Ourim [destinée sacrée], ni par les prophètes » (28,6). Il s’agit du énième échec de Saül et du énième silence de Dieu face à lui. Saül continue de placer sa confiance dans ce Dieu qui l’avait appelé et lui avait donné l’onction à travers Samuel. Pourtant, un jour le Seigneur a cessé de lui parler et s’est tu jusqu’à la fin. Ce silence de Dieu soulève des questions difficiles et ne peut nous laisser indifférents. Saül est encerclé, son peuple est sur le point de capituler, et Dieu refuse de lui parler. Les prophètes se taisent. Tout est obscurité, la nuit n’en finit plus, et les rêves sont peuplés de fantômes et de cauchemars.

La théologie et l’exégèse nous apportent quelques explications à ce silence et à cette obscurité, qui ne font cependant rien d’autre qu’augmenter notre pietas envers ce roi répudié et abandonné à son triste sort. Le lecteur peut éprouver une fois encore de la pitié quand Saül, désespéré, recourt à un dernier moyen illicite et scandaleux, qu’il avait pourtant lui-même combattu. C’est là que nous trouvons l’une des scènes les plus connues et les plus belles de la Bible. « Saül dit à ses serviteurs : “Cherchez-moi une femme qui pratique la divination, que j’aille chez elle la consulter” » (28,7). Saül se déguise afin qu’on ne le reconnaisse pas et se rend auprès de la sorcière d’Endor.

Ce déguisement de Saül nous évoque beaucoup de personnes : les nombreux malades désespérés qui, après avoir épuisé en vain toutes les méthodes offertes par la médecine et la science, font appel à des guérisseurs et à des santons afin de ne pas mourir. Souvent, ils se « déguisent » pour ne pas être reconnus, se sentant honteux vis-à-vis de cette part de leur cœur qui ne recourrait jamais à de tels moyens, après les avoir tant de fois critiqués et condamnés chez les autres. Ou bien, les nombreux chefs d’entreprise, dont certains sont bons et honnêtes : la veille de leur dépôt de bilan, peut-être après avoir regardé un de leurs salariés dans ses yeux humides, ils attendent la nuit pour se rendre en cachette chez un usurier qui leur accordera cet emprunt venu du « royaume des morts », afin de continuer à espérer ou de retarder la fin, ne serait-ce que d’une journée. Ou encore, ces nombreux hommes et femmes qui s’accrochent à la dernière lueur d’espoir de sauver leur famille et vont consulter en secret des magiciens et des sorcières pour faire revenir un fils chez eux. Ce sont eux, les nombreux frères et sœurs de Saül, qui ne sont pas tous mauvais mais tous en proie au désespoir, plongés dans une nuit sans fin, au milieu du silence assourdissant de Dieu (et des hommes). Le manteau de pitié que la Bible jette sur les épaules de Saül en vient à envelopper tous ses compagnons et compagnes d’infortune aussi désespérés que lui, qui continuent de se déguiser et d’« invoquer les morts » afin de ne pas mourir.

Chaque fois que la Bible s’arrête sur cette humanité blessée et fragile, elle nous demande de prendre position, de dire de quel côté nous nous rangeons. Nous pouvons décider de suivre la théologie officielle, le Dieu des scribes, du temple et de la loi, et condamner Saül et tous les désespérés comme lui. Cependant, nous pouvons aussi avoir le courage de devenir solidaires de la nombreuse famille de ce roi rejeté pour voir dans les yeux de ces malheureux des larmes qui n’ont pas séché, de nous arrêter un instant avec eux, de les accompagner par notre compassion, de nous réconcilier avec nos actes désespérés et avec ceux des désespérés qui nous entourent. Ensuite, nous devenons leurs prochains en nous gardant de les juger, nous les recueillons à demi morts sur le bord du chemin, nous les installons sur notre âne, nous désinfectons leurs blessures et nous les amenons à l’auberge où nous laissons en gage nos deux derniers deniers.

« La femme dit : “Qui dois-je invoquer pour toi ?” Il dit : “Appelle-moi Samuel” » (28,11). Il s’agit d’un autre coup de théâtre, extraordinaire. Saül veut Samuel, le prophète qui était venu le trouver, l’avait sacré roi avant de le répudier et ne lui avait jamais pardonné. Le texte ayant probablement subi quelques modifications, il ne nous dit pas pourquoi Saül invoque Samuel. Peut-être parce que ce dernier incarnait sa vocation originelle et authentique, l’esprit bon qui, avant de l’abandonner, lui avait transformé le cœur, car il était la voix de la part la plus pure de son âme ; ou encore, peut-être était-il poussé par un immense besoin de vérité même s’il n’employait pas le bon procédé pour la chercher. Nul ne le sait ; ce qui rend la Bible vivante, ce sont aussi ses nombreux trous et espaces ouverts transformés en blessures où le texte prend naissance et renaît grâce à nous, lecteurs.

À peine la femme entend-elle le nom de Samuel qu’elle « poussa un grand cri. La femme dit à Saül : “Pourquoi m’as-tu trompée ? Tu es Saül !” » (28,12).  Ce hurlement de la femme est extraordinaire, et la façon dont la femme reconnaît Saül, au moment où il prononce le nom de Samuel, l’est tout autant. Samuel symbolise aux yeux de la femme la condamnation de son métier, de la fausse prophétie, des procédés de divination et de la magie. Sans doute est-ce la raison de son hurlement. Mais comment reconnaît-elle Saül lorsqu’il dit « Samuel » ? Peut-être parce que toute personne a une façon bien à elle de prononcer le nom de ceux qui comptent dans sa vie, un accent reconnaissable entre mille et un timbre de voix unique. Chaque chrétien dit « Jésus » différemment de tous les autres chrétiens, chaque enfant dit « maman » à sa façon et, lorsqu’un homme appelle son épouse, il prononce son nom comme aucun autre. On peut reconnaître un franciscain rien qu’à sa façon de prononcer « François », même « déguisé » et sans sa robe de bure. Aucun déguisement ne résiste à la façon de prononcer certains noms bien précis car, au moment de les dire, nous nous retrouvons nus comme au premier jour. Cela explique entre autres pourquoi, lorsque nous décidons d’effacer notre passé qui nous fait trop souffrir, nous commençons par oublier certains noms.

Fait plus surprenant encore, et déconcertant à certains égards, l’esprit obéit à Samuel au moment où la femme l’invoque. Celle-ci déclare : « “J’ai vu un dieu qui montait de la terre.” Il lui dit : “Quelle apparence a-t-il ?” Elle dit : “C’est un vieillard qui monte. Il est enveloppé d’un manteau.” Saül sut alors que c’était Samuel. Il s’inclina, la face contre terre, et se prosterna » (28,13-14). C’est tout simplement splendide. Il n’est pas facile de commenter ces versets à couper le souffle, à tel point que notre main s’immobilise sur le clavier tandis que notre cœur accélère. C’est lui ; Saül en est sûr car, dans ces moments-là, le doute n’est pas permis. Alors que nous nous attendrions à des paroles différentes de la part de Samuel, nous retrouvons celles qu’il a toujours prononcées. Samuel ne change pas, et c’est aussi dans cette cohérence hiératique que réside sa grandeur. Il déclare à Saül : « Le SEIGNEUR t’a arraché la royauté et il l’a donnée à un autre, à David. […] Et, avec toi, le SEIGNEUR livrera Israël lui-même aux mains des Philistins. Demain, toi et tes fils, vous serez avec moi » (28,17-19). Si les paroles du prophète ne varient pas, les nôtres, en revanche, le peuvent ; nous pouvons à présent chuchoter des paroles différentes à l’oreille de Saül tandis que nous sommes couchés à terre à ses côtés : « Aussitôt, Saül tomba à terre de tout son long, effrayé de ce que Samuel avait dit » (28,20). Saül ne désire plus qu’une chose, mourir, après avoir épuisé cette dernière ressource clandestine.

Or, c’est là que ce chapitre nous livre sa dernière perle, elle aussi imprévue et improbable : « La femme vint auprès de Saül et le vit tout bouleversé. Elle lui dit : “Tu vois, ton esclave t’a écouté. […] Et maintenant, daigne écouter, à ton tour, la voix de ton esclave. Laisse-moi te servir un morceau de pain et mange, ainsi tu auras des forces quand tu reprendras ta route.” » Même une devineresse ou une sorcière peut faire preuve de pitié, dans la vie comme dans la Bible. Cette femme va au-delà de son mauvais métier, car nous sommes tous capables d’accomplir des actes ou de prononcer des paroles meilleures que celles que la vie nous fait faire et dire tous les jours. Et ses paroles « ressuscitent » Saül : « Il refusa et dit : “Je ne mangerai pas.” Mais ses serviteurs insistèrent, ainsi que la femme, et il écouta leur voix » (28,21-23). Dans cette scène de mort et d’obscurité, un rayon de lumière émanant d’une femme marginalisée et excommuniée éclaire tout l’environnement : « Il se leva de terre et s’assit sur le divan. La femme avait chez elle un veau à l’engrais. Elle se hâta de l’abattre. Elle prit de la farine, la pétrit et fit cuire des pains non levés. Elle servit Saül et ses serviteurs et ils mangèrent » (28,23-25).

La devineresse se transforme en « père miséricordieux » qui tue un veau gras pour fêter le retour d’un homme et fils « qui était mort » et qui « est revenu à la vie », même si ce n’est que le temps d’un repas ; le « frère aîné », c’est nous, qui refusons de participer au banquet, scandalisés que nous sommes par l’excès d’humanité de la Bible.

Un extrait merveilleux, qui nous révèle l’humanité infinie de la Bible et nous ouvre aussi le cœur des femmes, capables de regards bienveillants et différents lorsque la religion, la loi et les hommes les ont épuisés. Le dernier repas de Saül fut souhaité et préparé par une sorcière, une devineresse, une femme, une personne qui lui donna peut-être la dernière étreinte miséricordieuse et lui offrit les dernières bonnes paroles que la vie, Samuel et Dieu lui avaient refusées.

La Bible est infinie entre autres grâce aux paroles et aux gestes de femmes et d’hommes ordinaires, souvent exclus et pécheurs, qui rendent parfois la parole biblique plus humaine que les paroles de Dieu prononcées par la bouche de ses prophètes.

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Plus grands que nos fautes / 16 – Toute vie peut faire éclater la compassion et le bien

de Luigino Bruni

publié dans Avvenire le 06/05/2018

Piu grandi della colpa 16 rid« Le Baal-Shem dit à l’un de ses disciples : “La plus infime part qui puisse te venir à l’esprit, moi, je l’aime plus que tu n’aimes ton unique fils.” »

Martin Buber, Les récits hassidiques

Les aruspices, les mages et les devins reviennent souvent dans la Bible. Il s’agit d’une forme de fausse prophétie très répandue dans l’Antiquité et énergiquement combattue par les prophètes ; elle a représenté une tentation constante et très séduisante pour Israël, qui y a d’ailleurs cédé plus d’une fois. Cette fausse prophétie incarne une religiosité populaire archaïque qui n’a jamais disparu et, de nos jours, son commerce est florissant. La foi biblique se trouve menacée non pas par l’athéisme, mais par des dieux naturels et plus simples que le Seigneur, qui viennent se substituer à lui. Aujourd’hui comme hier, dans la religion et dans la vie, nous sommes constamment tentés de nous persuader que nous représentons quelque chose de plus petit et de plus banal que notre réalité complexe et magnifique.

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Les saintes paroles des exclus

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Plus grands que nos fautes / 15 – Nous apprenons le métier de la vie en savourant les brefs moments de paix

de Luigino Bruni

publié dans Avvenire le 29/04/2018

Piu grandi della colpa 15 rid« Dieu est l’Autre par excellence, l’Autre en tant qu’autre, le tout autre, et pourtant, l’accord avec ce Dieu ne dépend que de moi. L’instrument du pardon est entre mes mains. Or, mon prochain, mon frère, est dans un certain sens plus autre que Dieu : pour obtenir son pardon, je dois parvenir à faire en sorte qu’il s’apaise. Et s’il refuse ? Comme nous sommes deux, tout se trouve mis en péril. L’autre peut me refuser son pardon et m’en priver à tout jamais. »

Emanuel Levinas, Quatre lectures talmudiques

Chaque jour, des millions de personnes font et disent de mauvaises choses, ce qui ne les empêche pas de dire ou de faire de bonnes choses en toute sincérité, juste avant ou après. La bonté et la méchanceté s’entremêlent, car c’est tout simplement le propre de la condition humaine. La Bible connaît très bien ce mystère ambivalent de toute personne, peut-être le plus grand de tous les mystères. Nous pouvons devenir méchants et nous égarer jusqu’à perdre le fil d’or de notre vie, et pourtant, jusqu’à notre dernier souffle nous sommes encore capables de bonté, car nous avons été créés à l’image et à la ressemblance d’une danse infinie d’amour réciproque à laquelle aucun péché ne saura mettre fin. Caïn a tué son frère Abel, mais il n’a pas tué l’Adam, le premier (et dernier) homme. Et, tandis que Caïn continue de tuer Abel, l’Adam persiste inlassablement à le ressusciter, chaque jour. Aucune méchanceté fratricide présente en nous n’est capable de détruire cette empreinte originelle de bien gravée au plus profond de notre être. Ainsi, si le mal peut être banal, le bien, lui, ne l’est jamais. Le mal possède certes une résilience qui peut être très grande, pourtant elle sera toujours inférieure à la résilience du bien. C’est ce bien qui résiste obstinément et qui nous rend plus beaux que nos nombreuses fautes. C’est là que réside l’immense optimisme anthropologique de la Bible, qui a sauvé l’Occident après et pendant ses péchés les plus atroces, et qui continue de nous sauver.

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Lors de la dernière rencontre entre David et Saül, la Bible nous offre une autre partition. Afin de nous raconter son sacre de roi et le retournement de son cœur, le premier livre de Samuel avait eu besoin de trois récits. À présent que Saül quitte la scène, le texte nous livre deux récits, à la fois semblables et différents. Cette abondance et cet excès narratifs expriment toute la richesse de Saül, qui continue de commettre des méchancetés, mais aussi de se repentir et de s’émouvoir sincèrement. Les actes réellement méchants de Saül n’annulent en rien ses bénédictions et ses moments de repentance.

Après sa merveilleuse rencontre avec Avigaïl, David poursuit son chemin de nomade et d’exilé. Ayant appris à quel endroit Saül, parti à sa recherche, a dressé son camp, David, accompagné d’un de ses hommes, Avishaï, s’introduit en pleine nuit dans le camp ennemi : « Saül était couché, endormi, dans l’enceinte, sa lance fichée en terre à son chevet » (1 Samuel 26,7). David entre dans la tente de Saül et se penche à son chevet, pourtant il se contente de prendre la lance et la gourde d’eau de Saül ; une nouvelle fois, faisant fi des conseils de ses hommes, il épargne son roi.

Saül et son armée dorment « profondément ». Le mot hébreu « tardemà » (torpeur, sommeil profond) est rare dans la Bible. Nous le trouvons à deux reprises dans le livre de la Genèse : il décrit d’abord l’autre sorte de sommeil dans lequel tombe Adam lorsque Dieu lui prend une de ses côtes pour « façonner » la femme (Genèse 2,21-22), puis la torpeur d’Abraham quand, lors de la scène grandiose de l’Alliance, Dieu lui révèle en songe l’avenir de sa descendance (15,13). Une torpeur théologique, donc, qui marque deux interventions cruciales de Dieu lors de moments fondateurs et décisifs à l’origine des deux pactes fondamentaux : le pacte entre l’homme et la femme et le pacte entre Dieu et son peuple. Les mots et les verbes présents dans la Bible ne sont jamais choisis au hasard, car cet humanisme de la parole et des paroles ne le permet pas. Ce « sommeil profond » vient nous signifier qu’un événement important est sur le point de se produire, et cet acte marquera de son empreinte la nature du règne de David, la qualité de ses relations. Pour la deuxième fois, David a la possibilité de tuer Saül ; pourtant, il y renonce, préférant faire le choix de la vie et renouveler le pacte horizontal et vertical.

Les pactes fondateurs de notre vie reposent sur de nombreux actes, choix et faits. Nous prononçons de nombreuses paroles, de nombreux « oui », comme ceux que nous échangeons le jour de nos noces, où l’héritage de la vieille capacité performative de la parole est encore vivant : au moment où nous prononçons ces paroles spéciales, elles engendrent une réalité nouvelle. Cependant, les actes, les faits et les paroles que nous avons omis alors que nous aurions pu et dû les entreprendre ou prononcer, sont tout aussi fréquents et presque toujours invisibles. Combien de silences et de paroles non dites ont sauvé des vies, notre honneur ou notre dignité. Le degré de moralité d’une vie se mesure aussi à partir des actes et des paroles dont nous nous sommes abstenus, alors que le bon sens, nos amis, les normes sociales, la loi et même notre religion nous commandaient d’accomplir les premiers et de prononcer les secondes. Ces « ne pas » qui, en grammaire, sont de simples adverbes de négation, s’incarnent dans la vie en verbes qui se transforment en chair, la nôtre et celle de ceux qui vivent à nos côtés.

Ce renoncement à tuer Saül est évoqué par deux fois dans la Bible, qui nous parle ainsi de Saül et le fait s’exprimer afin de nous révéler cette face cachée de son cœur qui a conservé une part de bonté ; cependant, ce double récit est également le langage auquel recourt la Bible pour nous enseigner, par une redondance généreuse, qui est David. David était jusqu’alors celui qui avait reçu l’onction, le roi « selon le cœur de Dieu », celui qui chantait des psaumes, le bien-aimé ; à présent, il est aussi celui qui, par deux fois, aurait pu tuer son aîné et ennemi et y a renoncé. David devient ainsi le double non-parricide, le double non-Œdipe et, à deux reprises, l’anti-Zeus.

Ayant quitté le camp, David se met à crier du sommet de la montagne d’en face. Contrairement à ses soldats, Saül reconnaît la voix de David : « “Est-ce là ta voix, mon fils David ?” David dit : “C’est ma voix, mon seigneur le roi” » (26,17). Du haut de la montagne, Saül répond à David : « J’ai péché. Reviens, mon fils David ! » (26,21). Le père, qui a reçu l’onction du Seigneur, reconnaît son péché et implore David, son « fils », de revenir.

Ce récit du « fils prodigue à l’envers » est extrêmement puissant et suggestif. Le fils, David, se montre miséricordieux envers son père en lui laissant la vie. Cette miséricorde inspire la repentance au père, qui lui demande de revenir. Souvent, ce sont les fils qui font preuve de miséricorde, tandis que les pères et les mères se repentent et demandent au fils de « revenir » après l’avoir blessé et maltraité. En revenant, les fils et les filles réengendrent leurs parents, devenant ainsi leurs pères et leurs mères. De même façon que, dans la parabole de Luc, le premier acte subversif est celui du père (qui accorde de son vivant sa part d’héritage à son fils et accepte que cet héritage soit dilapidé), ici c’est le fils qui transgresse les codes de guerre en choisissant d’épargner son ennemi. Ce sont ces transgressions imprudentes et risquées qui engendrent et réengendrent vraiment les parents et les enfants.

Saül reconnaît sa faute : « Je ne te ferai plus de mal puisque ma vie a été précieuse à tes yeux en ce jour. Oui, j’ai agi comme un fou, je me suis lourdement trompé » (25,21), avant de conclure : « Béni sois-tu, mon fils David ! » (25,25) Ce sont les dernières paroles que Saül adresse à David, des paroles de bénédiction, lumineuses et vraies. Lors de cette dernière entrevue, peut-être Saül a-t-il revu le chanteur qui apaisait son cœur avec sa cithare, le vainqueur de Goliath, le jeune homme pur et d’une grande beauté, comme le sont tous les jeunes. Il en va de même de nous quand, en voyant un ami ou un fils pour la dernière fois, avant de fermer les yeux nous revoyons l’enfant et l’ami, très beaux et purs comme au premier jour.

Les psaumes que la tradition attribue à David sont splendides. Pourtant, ces psaumes brefs, intenses et sincères de Saül n’en sont pas moins beaux et vrais : bien que sous l’emprise de l’esprit mauvais, dans ces moments-là il parvient à s’élever au-dessus de ses fautes pour entonner des vers de bénédiction. Nous, lecteurs, nous savons bien que ces chants de Saül sont temporaires, provisoires, fugaces, et qu’il sera bientôt de nouveau possédé par son démon. Nous savons bien que ces réconciliations sont instables et brèves, aussi intenses que passagères.

Pourtant, nous savons également que les psaumes de réconciliation, que nous sommes parfois capables de chanter ou d’accueillir, ressemblent davantage à ces psaumes brefs et instables de Saül qu’aux psaumes éternels de David. Nous sommes aussi capables de réconciliations qui apaisent définitivement certaines relations, pourtant nous nous livrons bien plus fréquemment à des étreintes semblables à une oasis au milieu d’un désert où les difficultés et les conflits demeurent. Après des années de souffrance et de combat, nous aussi, comme Jacob et Ésaü, nous pouvons nous découvrir capables de nous étreindre et de pleurer ensemble. Malgré cela, nous retombons presque à chaque fois dans nos incompréhensions, anciennes et nouvelles, et nous reprenons nos petites et grandes batailles d’hier et d’aujourd’hui. Et pourtant, l’instabilité de la paix et de la réconciliation n’efface pas la vérité et la beauté de ces étreintes et de ces larmes, qui restent vraies et magnifiques même lorsqu’elles ne durent qu’un instant. La rose, éphémère, n’en est pas moins authentique et belle que le pin ou l’olivier.

Nous savons aussi que, parfois, les enfants reviennent, et nous donnons alors une grande fête en leur honneur. Or, contrairement au fils de la parabole de Luc, bien souvent ces mêmes enfants, repartent en quête d’autres libertés après la fête ; ils retournent avec les cochons pendant que nous les attendons sur le seuil de notre maison, sans savoir s’ils reviendront encore une fois, ni quand ni comment, ni si, cette fois-ci, le frère aîné fera de nouveau la fête avec nous.

Nous atteignons la maturité et nous apprenons le métier de la vie en goûtant intensément aux petites réconciliations passagères, en faisant la fête avec nos enfants entre le moment où ils reviennent et celui où ils repartent. Car, lorsque ces rencontres sont vraies et sincères, elles sont parfaites à leur façon bien que temporaires ; elles sont infinies car instables et transitoires. Quand, lors d’une étreinte mêlée de larmes, la voix du passé nous chuchote à l’oreille : « Ce ne sera pas long », nous devons lui répondre : « Ce n’est pas vrai et peu importe, va-t’en ; la seule chose qui compte, c’est le paradis de cette vraie étreinte. » Car c’est à travers ces étreintes provisoires que nous touchons l’éternité du doigt, que nous pouvons faire l’expérience du sublime et sentir la vie palpiter au plus profond de nous. C’est la seule possibilité que nous avons d’expérimenter, sur cette terre, l’éternité ou, du moins, la chose qui s’en rapproche le plus. Notre désir et notre nostalgie profonds et très sincères du banquet final de la réconciliation définitive, ne doivent jamais nous ôter la joie sincère des banquets brefs et provisoires, qui sont presque toujours les seuls que nous parvenons à préparer et à consommer ensemble sous notre tente mobile. Ainsi, en nous efforçant d’apprendre le doux art des étreintes provisoires, peut-être comprendrons-nous à la fin que le désert et l’oasis ne formaient qu’un ; que nous n’avons manqué de rien car, même si nous ne le savions pas, ces brèves étreintes ne s’étaient jamais terminées.

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Plus grands que nos fautes / 15 – Nous apprenons le métier de la vie en savourant les brefs moments de paix

de Luigino Bruni

publié dans Avvenire le 29/04/2018

Piu grandi della colpa 15 rid« Dieu est l’Autre par excellence, l’Autre en tant qu’autre, le tout autre, et pourtant, l’accord avec ce Dieu ne dépend que de moi. L’instrument du pardon est entre mes mains. Or, mon prochain, mon frère, est dans un certain sens plus autre que Dieu : pour obtenir son pardon, je dois parvenir à faire en sorte qu’il s’apaise. Et s’il refuse ? Comme nous sommes deux, tout se trouve mis en péril. L’autre peut me refuser son pardon et m’en priver à tout jamais. »

Emanuel Levinas, Quatre lectures talmudiques

Chaque jour, des millions de personnes font et disent de mauvaises choses, ce qui ne les empêche pas de dire ou de faire de bonnes choses en toute sincérité, juste avant ou après. La bonté et la méchanceté s’entremêlent, car c’est tout simplement le propre de la condition humaine. La Bible connaît très bien ce mystère ambivalent de toute personne, peut-être le plus grand de tous les mystères. Nous pouvons devenir méchants et nous égarer jusqu’à perdre le fil d’or de notre vie, et pourtant, jusqu’à notre dernier souffle nous sommes encore capables de bonté, car nous avons été créés à l’image et à la ressemblance d’une danse infinie d’amour réciproque à laquelle aucun péché ne saura mettre fin. Caïn a tué son frère Abel, mais il n’a pas tué l’Adam, le premier (et dernier) homme. Et, tandis que Caïn continue de tuer Abel, l’Adam persiste inlassablement à le ressusciter, chaque jour. Aucune méchanceté fratricide présente en nous n’est capable de détruire cette empreinte originelle de bien gravée au plus profond de notre être. Ainsi, si le mal peut être banal, le bien, lui, ne l’est jamais. Le mal possède certes une résilience qui peut être très grande, pourtant elle sera toujours inférieure à la résilience du bien. C’est ce bien qui résiste obstinément et qui nous rend plus beaux que nos nombreuses fautes. C’est là que réside l’immense optimisme anthropologique de la Bible, qui a sauvé l’Occident après et pendant ses péchés les plus atroces, et qui continue de nous sauver.

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L’art de l’étreinte est infini

Plus grands que nos fautes / 15 – Nous apprenons le métier de la vie en savourant les brefs moments de paix de Luigino Bruni publié dans Avvenire le 29/04/2018 « Dieu est l’Autre par excellence, l’Autre en tant qu’autre, le tout autre, et pourtant, l’accord avec ce Dieu ne dépend que de moi. L’...
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Plus grands que nos fautes / 14 – C’est en pansant les blessures et en agissant à temps que l’on construit la paix

de Luigino Bruni

publié dans Avvenire le 22/04/2018

Piu grandi della colpa 14 rid« Nous voyons les biens comme un moyen, comme les fils d’un voile qui masque les relations sous-jacentes. Notre attention se porte sur les flux d’échanges, dont les biens ne représentent pourtant que la trame»

Mary Douglas, The World of Goods

Le don est un mot grand et, par conséquent, ambivalent. Car, s’il n’était pas ambivalent, il ne serait pas grand, de même que l’amour, la religion, la communauté, la vie et la mort sont grands et ambivalents. La « capacité à donner et à accueillir les dons » est une possible définition de la nature humaine, car qui dit don dit liberté, autonomie, dignité, beauté. Les dons que nous recevons ou faisons représentent des étapes décisives dans notre vie et dans celle de ceux que nous aimons, du premier au dernier, lorsque nous rendrons au centuple ce premier don reçu ; alors, seulement, nous en saisirons toute la valeur, mais aussi la valeur et le sens de ce dernier don que nous ferons.

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Cependant, les jours les plus douloureux de notre vie sont ceux qui laissent une profonde entaille dans notre chair, lorsque nos dons sont rejetés, que notre confiance est trahie par la personne qui a mal jugé notre don, l’a manipulé, dénaturé, détruit. Or, de la même façon que les dons bien utilisés enclenchent des cercles vertueux de contre-dons et de réciprocité générative, les dons gâchés engendrent une spirale de violence et, dans tous les cas, une grande souffrance. Le don possède en outre une caractéristique stupéfiante et terrible, celle de se transformer immédiatement en son exact opposé : tout comme l’eau qui passe en un instant de l’état liquide à l’état solide, le don nié meurt, réveillant la colère et la rancune au moment même où il est rejeté, à l’instar du don de Caïn qui, refusé par Dieu, se transforme en anti-don, en fratricide. C’est là une conséquence de la complexité et de la richesse de notre cœur, capable d’un amour ou d’une haine immense car infini.Cependant, les jours les plus douloureux de notre vie sont ceux qui laissent une profonde entaille dans notre chair, lorsque nos dons sont rejetés, que notre confiance est trahie par la personne qui a mal jugé notre don, l’a manipulé, dénaturé, détruit. Or, de la même façon que les dons bien utilisés enclenchent des cercles vertueux de contre-dons et de réciprocité générative, les dons gâchés engendrent une spirale de violence et, dans tous les cas, une grande souffrance. Le don possède en outre une caractéristique stupéfiante et terrible, celle de se transformer immédiatement en son exact opposé : tout comme l’eau qui passe en un instant de l’état liquide à l’état solide, le don nié meurt, réveillant la colère et la rancune au moment même où il est rejeté, à l’instar du don de Caïn qui, refusé par Dieu, se transforme en anti-don, en fratricide. C’est là une conséquence de la complexité et de la richesse de notre cœur, capable d’un amour ou d’une haine immense car infini.

La rencontre entre David et Avigaïl constitue un vrai bijou de littérature, de théologie, d’anthropologie et de sociologie. Elle est introduite par un fait important : « Samuel mourut. Tout Israël se rassembla et célébra son deuil » (1 Samuel 25,1). Samuel a un lien avec Saül et David puisqu’il les a lui-même consacrés rois tour à tour. Pourtant, sa disparition rend David encore plus vulnérable en Israël, et celui-ci poursuit alors ses pérégrinations de ville en ville. Il arrive dans le désert de Maon, dans le nord-est du Sinaï. Là, « il y avait un homme dont l’exploitation se trouvait à Karmel. Cet homme était fort riche. […] L’homme s’appelait Naval et sa femme, Avigaïl. La femme était intelligente et jolie, mais l’homme était dur et méchant » (25,2-3). Vient le jour de la tonte des troupeaux, et David envoie à Naval (dont le nom signifie « infâme » : nomen omen, comme nous le verrons) dix hommes pour demander à ce riche seigneur des dons sous forme de nourriture et de provisions, particulièrement précieux étant donné leur condition d’exilés. La motivation de la requête de David a son importance : « Quand tes bergers ont été avec nous, nous ne les avons pas molestés et ils n’ont rien perdu » (25,7). David considère donc sa requête adressée à Naval comme un contre-don, un dû de réciprocité : en effet, dans la pratique du don, on se doit d’offrir un don en retour. La politesse dont il a fait preuve le conduit à penser que Naval va se plier à la double règle sacrée du don et de l’hospitalité et qu’il va donc se montrer tout aussi honnête. Hélas, il se trompe. « Naval répondit aux serviteurs de David : “Qui est David et qui est le fils de Jessé ? Il y a aujourd’hui beaucoup d’esclaves qui s’évadent de chez leur maître. Et je prendrais de mon pain, de mon eau, de ma viande, que j’ai fait abattre pour mes tondeurs, pour les donner à des gens venus je ne sais d’où !” » (25,10-11). Non seulement Naval n’envoie pas de dons à David, mais il l’offense, lui et ses hommes. Il ne le reconnaît pas, or la première négation du don consiste à refuser de reconnaître celui qui le fait. Ce refus du don pervertit la bienveillance originelle de David pour la transformer en colère et en violence : « David dit à ses hommes : “Que chacun ceigne son épée !” » (25,13). Il ne cesse de se répéter dans son cœur : « C’est donc en vain que j’ai protégé au désert tous les biens de cet individu sans que rien n’en disparaisse. Il m’a rendu le mal pour le bien. Que Dieu fasse ceci et encore cela à David – ou plutôt à ses ennemis – si, d’ici demain matin, de tout ce qui lui appartient, je lui laisse rien de ce qui urine contre un mur ! » (25,21-22).

C’est lors de cette phase de la crise qu’Avigaïl entre en scène. Ayant appris par l’un de ses domestiques ce qui s’est passé, elle prend littéralement la situation en main. Elle mesure aussitôt la gravité du geste maladroit de son mari et passe donc à l’action : « Avigaïl se hâta de prendre deux cents pains, deux outres de vin, cinq brebis tout apprêtées, cinq mesures de grains grillés, cent grappes de raisin sec et deux cents gâteaux de figues, et elle les chargea sur les ânes » (25,18). Avigaïl agit à la hâte. On saisit toute la beauté narrative de son action rapide, scandée par cette série de nombres (les nombres possèdent eux aussi leur beauté laïque), qui nous révèle que l’auteur de ce livre connaissait bien le talent féminin. C’est une spécificité féminine que de comprendre immédiatement ce qu’il convient de faire dans les situations dramatiques, notamment lorsqu’elles résultent de conflits entre hommes, de deviner le rythme à adopter et de savoir en combien de temps agir. À travers cette action rapide, nous revoyons devant nos yeux ces nombreuses femmes qui, lors des crises et des guerres, agissent d’instinct et avec rapidité pour sauver leur famille, à n’importe quel prix.

Avigaïl est le modèle de la femme pleine de sagesse, concrète et intelligente, qui sait lire à l’intérieur des relations et, à partir de là, œuvre au bien commun. Elle agit mue par un instinct de survie. Elle est experte en relations et en bons traitements, construit la paix et tisse des trames de bien au service de la vie. Elle agit en secret (« elle ne prévint pas son mari »), sachant bien que les hommes ne comprendraient pas cette intuition différente de la leur et s’opposeraient à son action. Gardant cela dans son cœur, elle se lance. « Apercevant David, Avigaïl se hâta de descendre de l’âne. Elle se jeta face contre terre devant David et se prosterna. Puis elle tomba à ses pieds et dit : “À moi, à moi la faute, mon seigneur !” » (25,23-24). Encore une fois, Avigaïl descend de l’âne à la hâte, car elle doit guérir cette blessure sans attendre. Les femmes répugnent bien davantage que les hommes à entretenir des relations malades. En tant qu’expertes dans l’art de calculer les temps de la vie et du corps, elles savent que le temps est le facteur décisif dans les blessures relationnelles.

Bien qu’Avigaïl soit innocente, elle prend sur elle la responsabilité de ce qui s’est passé. Lorsqu’il s’agit d’assainir une relation afin d’éviter que la spirale de la vengeance ne s’enclenche, peu importe de savoir qui a raison et qui a tort, et les actes justes comme les torts n’importent d’ailleurs guère. La justice doit laisser la place au bien et, par conséquent, à la vie, car trop de blessures continuent de saigner au nom de la justice et de la vérité.

Les relations sont un « tiers » par rapport aux personnes qui les génèrent, elles sont une chair vivante et, lorsque ce « tiers de chair » doit être guéri, peu importe si celui qui a blessé ce corps a raison ou tort. Il s’agit en effet de le guérir et rien d’autre. Nous n’établirons les responsabilités qu’ensuite, car les « comptes » faits avant une réconciliation sont trop différents et bien pires que ceux qui sont faits après. Nous en sommes tous capables, cependant les femmes s’y prennent mieux, à cause de leur instinct vital qui les amène à choisir la vie coûte que coûte. Avigaïl présente ensuite ses offrandes à David : « Voici mon don » (25,27). Il est révélateur que le mot hébreu choisi pour exprimer le don soit brk, c’est-à-dire bénédiction, la bonne parole que l’ange donne à Jacob après s’être battu avec lui et après que celui-ci s’est blessé en passant le gué du Yabboq. Les dons sont toujours des paroles, et les dons accordés après les blessures sont invariablement et d’abord des bénédictions, des paroles bonnes qui réclament une réconciliation.

Dans le cas de relations primaires, les femmes ne font pas la même analyse que les hommes des coûts et des bénéfices : pour elles, la réconciliation et le bien commun de la famille passent avant tout. Peut-être cette raison explique-t-elle en partie pourquoi, au moment où Muhammad Yunus, prix Nobel de la paix, lança la plus grande innovation financière du siècle dernier (la Grameen Bank), il décida d’accorder des emprunts uniquement à des femmes : en effet, il savait que les femmes accordaient plus d’importance et un sens différent au fait d’honorer ces emprunts et de les rembourser car, derrière eux, il y avait des relations, une famille, des enfants, du sang, de la vie. Il avait raison, car cela permit à des millions de femmes, musulmanes dans leur majorité, ainsi qu’à leurs familles, à leurs enfants et à leurs maris, d’améliorer leurs conditions de vie.

David fut convaincu et conquis par les paroles d’Avigaïl, qui possèdent la beauté et la force d’une prière, d’un psaume. Nombreux sont les prières et les psaumes jaillis de paroles telles que celles d’Avigaïl, car il n’existe pas de paroles humaines plus spirituelles et saintes que les paroles prononcées par un innocent qui se rend coupable afin de sauver quelqu’un à n’importe quel prix. Voilà pourquoi celui qui prie loue l’homme et la femme avant de louer Dieu car, même s’il l’ignore, dans ces louanges il recourt aux paroles humaines les plus belles et les plus saintes, des paroles distillées par la souffrance et l’amour de celui qui a sauvé quelqu’un en prononçant des paroles différentes. Ce sont des paroles d’hommes et des paroles de femmes. Cependant, les femmes prononçaient leurs paroles différentes dans le secret de leur maison ou de leur âme, en particulier dans l’Antiquité, quand ces paroles ne restaient pas coincées dans leur gorge, comme dans la splendide prière muette d’Anne (chap. 1). Remercions la Bible de nous avoir entre autres sauvés en nous offrant ces paroles de femmes sous forme de prières, qui sont de vraies tombes du « soldat inconnu s’étant battu pour sauver la paix et les relations » et qui, comme n’importe quelle pierre tombale, honore la mémoire de quelqu’un en nous invitant à la reconnaissance et à la gratitude.

« David dit à Avigaïl : “Béni soit le SEIGNEUR, le Dieu d’Israël, qui t’a envoyée en ce jour à ma rencontre ! Béni soit ton bon sens, bénie sois-tu toi-même, pour m’avoir aujourd’hui retenu d’en venir au meurtre et de triompher par ma propre main !” » (25,32-33). Des paroles magnifiques, qui font écho à celles que l’ange adresse à Marie, qui bénissent l’intuition, la hâte et le génie de cette femme.

Cette histoire s’achève par la mort de Naval, victime d’un infarctus après un somptueux banquet : « Le lendemain matin, quand Naval eut cuvé son vin, sa femme lui raconta ce qui s’était passé. Alors le cœur de Naval mourut dans sa poitrine, et il fut comme pétrifié » (25,37). Ayant appris la nouvelle, David, qui est évidemment touché par la beauté et la grâce d’Avigaïl, envoie ses messagers auprès d’elle afin qu’ils lui demandent de devenir sa femme : « Avigaïl se hâta de partir. Elle monta sur son âne et, accompagnée de cinq de ses servantes, elle suivit les envoyés de David. Ainsi, elle devint sa femme » (25,42). Une nouvelle fois, elle agit à la hâte, et elle sortira d’ailleurs tout aussi vite de la Bible. Elle donnera à David un fils (dont on n’est pas sûr du nom), qui est peut-être mort en bas âge, puis nous n’entendrons plus jamais parler d’elle. Si son passage fut fugace, sa figure demeure présente dans la Bible et vient nous rappeler le talent des femmes, leur intuition différente, leur sens du concret, leurs temps qui ne sont pas les mêmes, tout comme leur vocation aux relations, à la paix et à la vie. Un hymne et un bel hommage aux femmes, qui poursuivent en toute hâte leur travail au service de la paix, pendant que nous, les hommes, nous continuons sans hâte de nous exercer à l’art de la guerre.

 

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Plus grands que nos fautes / 14 – C’est en pansant les blessures et en agissant à temps que l’on construit la paix

de Luigino Bruni

publié dans Avvenire le 22/04/2018

Piu grandi della colpa 14 rid« Nous voyons les biens comme un moyen, comme les fils d’un voile qui masque les relations sous-jacentes. Notre attention se porte sur les flux d’échanges, dont les biens ne représentent pourtant que la trame»

Mary Douglas, The World of Goods

Le don est un mot grand et, par conséquent, ambivalent. Car, s’il n’était pas ambivalent, il ne serait pas grand, de même que l’amour, la religion, la communauté, la vie et la mort sont grands et ambivalents. La « capacité à donner et à accueillir les dons » est une possible définition de la nature humaine, car qui dit don dit liberté, autonomie, dignité, beauté. Les dons que nous recevons ou faisons représentent des étapes décisives dans notre vie et dans celle de ceux que nous aimons, du premier au dernier, lorsque nous rendrons au centuple ce premier don reçu ; alors, seulement, nous en saisirons toute la valeur, mais aussi la valeur et le sens de ce dernier don que nous ferons.

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La hâte pleine de sagesse des femmes

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Plus grands que nos fautes / 13 – Renoncer à tuer pour sauver son nom et couper un pan du manteau

de Luigino Bruni

publié dans Avvenire le 15/04/2018

Piu grandi della colpa 13 rid« Cher mal,
je ne te demande pas de te justifier ;
c’est cela, la loi de l’hospitalité…
Je t’offre un abri
à toi qui me prives de toit.
Je ne t’aime pas, mal,
je te sais adroit, je te surveille,
je te sers de nid,
à toi qui me dégustes
avant de recracher le noyau. »

Chandra Livia Candiani, Fatti vivo

Les conflits peuvent revêtir de multiples formes. Chaque époque vient en ajouter de nouvelles à celles reçues en héritage. La Bible en connaît elle aussi plusieurs. Citons le conflit entre Caïn et Abel, où une frustration verticale (entre Caïn et Dieu qui rejetait ses propositions) se transforme en violence horizontale (envers Abel) ; le conflit entre Joseph et ses frères aînés, où l’envie aboutit à l’élimination de celui qui en est l’objet, vendu aux chameliers en route vers l’Égypte ; ou encore, le conflit entre Abraham et son neveu Loth, déclenché par l’abondance de ressources dans un espace commun réduit et qui se règle par une séparation : Abraham, généreux, laisse Loth choisir où il s’établira (« Sépare-toi donc de moi. Si tu prends le nord, j’irai au sud ; si c’est le sud, j’irai au nord » : Genèse 13,9).

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Le conflit entre David et Saül revêt une forme encore différente. C’est le type même du conflit qui apparaît entre celui qui, souvent plus jeune, a reçu un vrai appel à accomplir une mission et trouve en travers de son chemin un autre qui accomplit déjà cette même mission consécutive à un appel reçu antérieurement et qui perçoit l’arrivée du nouveau comme une menace et un message funeste pour sa vocation. Ce genre de conflit est particulièrement douloureux pour les deux parties, car il s’agit d’un affrontement identitaire et nécessaire, où chacun pense être à sa place légitime et l’est réellement. Ces conflits ne peuvent être résolus ou anticipés qu’à partir du moment où l’une des deux parties cède, ce qui peut prendre de multiples formes : peur, faiblesse ou obéissance à une nouvelle voix qui nous appelle ailleurs. Dans la plupart des cas, nous ne savons pas résoudre ces conflits, ou bien nous nous y prenons trop tard, provoquant de lourds dégâts qui finissent par nous rendre plus mauvais, jusqu’à nous déformer le cœur et à le dénaturer. Le récit biblique de la guerre entre Saül et David est important entre autres parce qu’il nous fournit le modèle d’une possible gestion saine de ces conflits dévastateurs et si fréquents.

David quitte la caverne d’Adoullam pour Moab, et il demande au roi de cette contrée d’accueillir son père et sa mère. Moab nous évoque immédiatement Ruth et sa merveilleuse histoire. Les Moabites étant les amis des Judéens, ils acceptent d’accueillir les parents de David. Or, un autre prophète, Gad, entre en scène et dit à David : « Ne reste pas dans ton refuge. Va-t’en et rentre au pays de Juda ! » (1 Samuel 22,5). Les livres de Samuel nous présentent David comme l’ami des prêtres, mais aussi et surtout comme l’ami des prophètes, qu’il écoute. La beauté de David réside également dans sa capacité à écouter les prophètes et explique en partie l’amour que la Bible porte en abondance à ce roi messie.

David fuit encore et toujours devant Saül et plante sa tente dans le désert de Zif. Là, il est rejoint par son ami Jonathan, et tous deux renouvellent leur « pacte de sel » : « “N’aie pas peur. La main de mon père Saül ne t’atteindra pas. C’est toi qui régneras sur Israël, et moi, je serai ton second ; même Saül, mon père, le sait bien.” Ils conclurent tous les deux une alliance devant le SEIGNEUR » (23,17-18). David repart ensuite et s’établit dans le désert montagneux de Ein-Guèdi, non loin de la Mer Morte, où une rencontre décisive l’attend.

Saül, averti de la présence de David dans ces montagnes, prend trois mille soldats avec lui et se lance à sa poursuite. Sur la route, Saül entre dans une caverne pour faire ses besoins ; or, tout au fond, dans une cavité reculée, se cachent David et ses hommes. « Les hommes de David lui dirent : “C’est le jour dont le SEIGNEUR t’a dit : Voici que je vais livrer ton ennemi entre tes mains et tu le traiteras comme il te plaira” » (24,5). Les compagnons de David, se faisant les interprètes de la volonté de Dieu et des sentiments de celui qui écoutait alors ce récit, invitent David à saisir cette occasion pour éliminer Saül, à un moment où celui-ci, seul et dos tourné, est extrêmement vulnérable. Pourtant, David n’assimile pas la vox populi à la vox Dei. S’approchant de Saül, au lieu de le frapper il « coupa furtivement le pan du manteau de Saül » (24,5). Non seulement David n’écoute pas le conseil de ses hommes, mais il « sentit son cœur battre, parce qu’il avait coupé le pan du manteau de Saül » (24,6). Ainsi, il « arrêta net l’élan de ses hommes. Il ne leur permit pas de se jeter sur Saül » (24,8). Il leur dit : « Que le SEIGNEUR m’ait en abomination si je fais cela à mon seigneur, le messie du SEIGNEUR. Je ne porterai pas la main sur lui, car il est le messie du SEIGNEUR » (24,7). Nous sommes là face à un récit complexe, très efficace sur le plan narratif et riche en pathos ; il illustre entre autres le phénomène désigné par Freud sous le nom de « tabou des dominateurs » ou d’intouchabilité du souverain. Dans de nombreuses civilisations archaïques (et dans d’autres également), le roi est protégé par une interdiction de le toucher, qui trouve son origine dans le profond désir qu’ont le peuple et ses héritiers de le tuer (dans le texte, ce désir s’exprime à travers le conseil des compagnons de David). Cependant, plus beau encore est ce pan de manteau dans la main de David, qui rappelle aussitôt à qui a suivi l’épopée de Saül dès le début, le pan de manteau de Samuel qui reste dans la main de Saül au moment où celui-ci essaie de retenir le prophète le jour de sa répudiation.

Ayant fait ses besoins, Saül sort de la caverne, et David le rejoint avec, dans la main, le pan de son manteau qu’il a coupé. Le dialogue qui suit entre ces deux hommes est magnifique de sincérité. Après s’être prosterné devant Saül, David lui déclare : « On parlait de te tuer, mais j’ai eu pitié de toi et j’ai dit : “Je ne porterai pas la main sur mon seigneur, car il est le messie du SEIGNEUR. Regarde, ô mon père, oui, regarde dans ma main le pan de ton manteau” » (24,11-12). Saül répond à David : « “Est-ce là ta voix, mon fils David ?” Et Saül éclata en sanglots. Il dit à David : “Tu es plus juste que moi, car tu m’as fait du bien, alors que je t’ai fait du mal. Et toi, tu as manifesté aujourd’hui la bonté avec laquelle tu as agi envers moi : c’est que le SEIGNEUR m’avait remis entre tes mains et tu ne m’as pas tué” » (24,17-19).

Encore une fois, Saül est capable d’éprouver de vrais sentiments de repentance et de pleurer « tout haut » pour le mal qu’il est en train de faire. Il appelle David « mon fils » avant de reconnaître son erreur et sa méchanceté. Il éveille ainsi en nous une compassion sincère et inspire à David de la pitié. L’histoire tragique de Saül continue d’être émaillée de ces regards bienveillants, fugaces mais intenses, que porte le texte sur lui, comme pour attribuer sa méchanceté à l’esprit mauvais de Dieu qui, un beau jour, a pris possession de son cœur ; une façon efficace et très humaine de racheter quelque chose chez ce premier roi triste et malheureux. À peine cet esprit mauvais le quitte-t-il que Saül redevient capable de prononcer des paroles belles et bonnes : « Que le SEIGNEUR te récompense pour ce que tu m’as fait aujourd’hui » (24,20).

Cette grande rencontre entre Saül et David se conclut sur ces mots de Saül : « “Maintenant donc, jure-moi par le SEIGNEUR que tu ne supprimeras pas ma descendance après moi et que tu ne rayeras pas mon nom de la maison de mon père.” David le jura à Saül » (24,22-23). Sentant sa fin proche, Saül, à l’instar de tous les grands personnages de la Bible, pense immédiatement à ses aînés et à ses enfants. Cet humanisme voit le salut le plus important non pas dans le nôtre, mais dans celui de nos enfants et de nos aînés, qui incarnent ensemble notre vrai nom. Dans ce bref moment de lucidité spirituelle, Saül mentionne le nom de son père et celui de ses enfants, car il refuse que l’échec de sa vocation soit aussi celui du passé et de l’avenir. Lorsque nous prenons conscience d’être passés à côté de notre vie, qu’elle n’a pas pris l’orientation qu’elle aurait pu et dû, nous pouvons encore sauver quelque chose de bon et de vrai à condition que nous protégions notre nom, en évitant que nos erreurs et nos péchés ne contaminent la racine et les bourgeons, car nous savons bien qu’ils sont innocents, et nous tenons à ce qu’ils le restent. Sauver notre nom nous permet d’engendrer une nouvelle fois nos enfants et de devenir les aînés de nos parents ; parfois, nous réussissons même à écouter leur « merci » qui nous parvient jusqu’au plus profond de nos abîmes et vient les éclairer. Certaines familles se sont sauvées grâce à un ultime acte d’amour d’un de ses membres qui, après s’être fourvoyé, a su préserver l’innocence de son nom.    

Après cette rencontre intense, David reprend sa fuite. Il refuse de se rendre car il ne peut renoncer à sa vocation, devenir le roi légitime de son peuple. Il a beau être en fuite, souffrir et constater la méchanceté de Saül, il le respecte, l’appelle « mon père », « mon seigneur » et le reconnaît comme souverain légitime. Alors qu’il aurait la possibilité de le tuer et de mettre ainsi fin à ses propres souffrances, il choisit de ne pas le faire ; il préfère demeurer dans le conflit plutôt que de recourir à une solution plus simple mais moins authentique. Ainsi la Bible nous donne-t-elle sa énième leçon de vie : apprendre à habiter les contradictions, à gérer les conflits, préférer une absence de solution, une situation difficile mais plus vraie, à une solution qui semble plus simple uniquement parce qu’elle est moins vraie ; s’approcher en silence de celui qui nous fait du mal, couper juste un pan de son manteau et tenir dans sa main un modeste morceau de tissu déchiré à la place du couteau meurtrier. En effet, lorsque nous renonçons, avec loyauté et douceur, à résoudre un conflit dans lequel nous nous sommes retrouvés malgré nous, sans l’avoir cherché, alors seulement, nos vocations mûrissent, lorsque nous choisissons de sortir notre couteau uniquement pour couper un pan de tissu. Nous venons à bout de certains conflits uniquement lorsque nous recourons à la force faible d’un lambeau de tissu.

David avait été choisi et couronné roi alors qu’il n’était encore qu’un jeune homme. Un jour, il devint roi, et il se révéla être le plus grand de tous. Cette loyauté exigeante et généreuse, qu’il apprit et démontra face à son conflit avec Saül, fit de lui le roi le plus aimé, en dépit de ses nombreuses fautes. Même après nous être rendus coupables de graves péchés et infidélités, nous avons toujours la possibilité de nous faire pardonner par la vie, par Dieu, par nos amis et par l’ange de la mort, à condition d’avoir su respecter un ennemi possédé par un esprit mauvais, de ne pas avoir abusé de sa vulnérabilité et de l’avoir appelé « mon père » ou « mon ami » alors qu’il ne le méritait plus. Il nous suffira de l’avoir fait au moins une fois.

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Plus grands que nos fautes / 13 – Renoncer à tuer pour sauver son nom et couper un pan du manteau

de Luigino Bruni

publié dans Avvenire le 15/04/2018

Piu grandi della colpa 13 rid« Cher mal,
je ne te demande pas de te justifier ;
c’est cela, la loi de l’hospitalité…
Je t’offre un abri
à toi qui me prives de toit.
Je ne t’aime pas, mal,
je te sais adroit, je te surveille,
je te sers de nid,
à toi qui me dégustes
avant de recracher le noyau. »

Chandra Livia Candiani, Fatti vivo

Les conflits peuvent revêtir de multiples formes. Chaque époque vient en ajouter de nouvelles à celles reçues en héritage. La Bible en connaît elle aussi plusieurs. Citons le conflit entre Caïn et Abel, où une frustration verticale (entre Caïn et Dieu qui rejetait ses propositions) se transforme en violence horizontale (envers Abel) ; le conflit entre Joseph et ses frères aînés, où l’envie aboutit à l’élimination de celui qui en est l’objet, vendu aux chameliers en route vers l’Égypte ; ou encore, le conflit entre Abraham et son neveu Loth, déclenché par l’abondance de ressources dans un espace commun réduit et qui se règle par une séparation : Abraham, généreux, laisse Loth choisir où il s’établira (« Sépare-toi donc de moi. Si tu prends le nord, j’irai au sud ; si c’est le sud, j’irai au nord » : Genèse 13,9).

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La force faible qui nous sauve

Plus grands que nos fautes / 13 – Renoncer à tuer pour sauver son nom et couper un pan du manteau de Luigino Bruni publié dans Avvenire le 15/04/2018 « Cher mal, je ne te demande pas de te justifier ; c’est cela, la loi de l’hospitalité… ...
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Plus grands que nos fautes / 12 – On apprend le métier de la vie en se mettant en chemin

de Luigino Bruni

publié dans Avvenire le 08/04/2018

Piu grandi della colpa 12 rid« Enfant, il m’est arrivé de regarder avec sympathie et un infini respect le visage à moitié flétri d’une femme, sur lequel on eût dit qu’il était écrit : “La vie et la réalité sont passées par là.” Pourtant, nous sommes vivants, et cela renferme quelque chose de merveilleux. Appelle-le Dieu, nature humaine ou comme tu voudras ; il y a là cependant quelque chose que je ne saurais définir au sein d’un système, même si ce quelque chose est très vivant et vrai et, pour moi, c’est cela, Dieu. »

Vincent Van Gogh, Lettres, 179, 193

Lorsqu’une vocation est authentique et qu’elle se développe bien, après les « hosanna » de la foule arrive la passion en son temps. Il s’agit toujours d’une période cruciale, où le dessein et la mission de cette personne commencent à se révéler de façon plus nette, car les événements qui constituent sa toile de fond obscure en font ressortir les contours lumineux. Il en va ainsi de David qui, après ses premiers succès à la cour et dans le cœur de Saül, sa victoire contre Goliath et le chant des femmes à sa gloire (« Saül en a battu des mille, et David, des myriades »), se retrouve à présent obligé de fuir et de se cacher parce que Saül veut le tuer. Le texte nous le présente désormais comme un fugitif nomade errant de ville en ville, en constant danger de mort, sans demeure fixe, vulnérable et pauvre. Tout comme Abraham, Moïse, Marie et Joseph. Lui aussi est un Araméen errant ; lui aussi est en quête de bienveillance et d’hospitalité ; comme nous tous qui, dès notre venue au monde, devenons des mendiants en quête d’une bonne âme qui nous accepte et nous accueille chez elle, et nous ne cessons alors plus de la chercher, jusqu’à la fin.

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David arrive d’abord à Nov, chez un prêtre, Ahimélek. Après lui avoir donné une (fausse) explication de sa présence auprès de lui, il lui demande « cinq pains » (ce nombre et cette nourriture nous parlent immédiatement). Ahimélek lui répond : « Je n’ai pas sous la main de pain ordinaire, mais il y a du pain consacré » (1 Samuel 21,5). Le pain consacré du sanctuaire était un pain consacré aux rituels. Ayant réussi à convaincre Ahimelek, David reçoit et mange avec ses hommes ces « pains de l’offrande » qui, comme le prescrivait la Loi, ne pouvaient être consommés que par les prêtres. Voilà pourquoi les évangiles synoptiques citent l’épisode où, le jour du sabbat, Jésus passe dans les champs de blé et ses disciples se mettent à cueillir les épis. Après avoir cité David, Jésus conclut : « Le sabbat a été fait pour l’homme et non l’homme pour le sabbat » (Marc 2, 27). David, affamé, était dans le besoin ; or, la faim passe avant la Loi, dans la Bible comme dans la vie. Aucun précepte religieux, économique ou politique ne saurait justifier le refus de donner du pain à celui qui a faim. Lorsque le pain et le travail sont niés au nom de la loi, de toute loi, et que l’homme est laissé sans pain, ce sont la Bible et la foi qui se trouvent niées ; encore avant, c’est la loi du pain, la première loi de la vie, qui se trouve niée. Si j’ai du pain chez moi et qu’un homme affamé m’en demande, je me dois de lui en donner, même s’il ne peut pas me le payer, même s’il ne peut rien m’offrir en échange et même si c’est du pain consacré, car rien n’est plus sacré et saint qu’un homme affamé. La Bible est aussi une histoire du pain, de la manne à la dernière cène, et c’est une histoire du don. Le pain marque de son empreinte symbolique, donc en profondeur, y compris le début de l’odyssée de David, qui nous est présenté avant tout comme un homme affamé ayant besoin de pain.

C’est en portant ce regard généreux et bon sur la condition humaine élémentaire que la Bible réussit à « voir » les nombreux hommes et femmes qui continuent chaque jour d’avoir faim et qui, comme David, doivent user de stratagèmes et de mensonges afin de ne pas mourir, la plupart du temps sans y parvenir. Ces regards portés par la Bible en font le grand livre ami de l’homme, de tout homme, de l’homme dans son ensemble, de toutes les femmes et de tous les hommes. N’oublions jamais qu’avant de nous parler en bien de Dieu, la Bible nous parle en bien de l’homme et qu’elle le bénit. Ainsi, elle le rencontre dans sa vulnérabilité et dans ses limites, car elle sait que c’est seulement à l’intérieur de cet infiniment petit que l’on peut toucher du doigt l’infiniment grand et son mystère. En réclamant du pain, David, désarmé, demande au prêtre une arme. Grâce à une autre série de mensonges, il reçoit l’épée de Goliath qui est conservée dans ce temple (21,10). David fait preuve de ruse et se montre peu scrupuleux, à tel point qu’il recourt systématiquement au mensonge pour se sauver. Ses mensonges et demi-vérités ne le font pourtant pas tomber en disgrâce auprès du Seigneur, qui continue de lui venir en aide, de le bénir et de le protéger. La Bible, qui estime énormément la capacité performative de la parole et qui, à l’ère des démentis permanents, des pactes invariablement transformés en contrats et des fake news, continue de nous rappeler l’importance et la dignité des paroles dans la vie, ne craint pas de faire figurer même des mensonges dans les fondements de son humanisme, mensonges proférés par ses personnages qu’elle aime et sur lesquels elle porte un regard bienveillant (Abraham, Jacob, Mikal, Jonathan, David, Pierre...). Les mensonges de David sont une autre expression de sa « pauvreté » et de sa vulnérabilité, de son humanité et de la nôtre ; c’est la réponse naturelle à une autre forme d’indigence. Les mensonges de David sont ceux de l’homme pauvre, effrayé, sans défense et affamé. Ainsi les mensonges ne sont-ils pas tous les mêmes. Ceux du serpent, de Caïn et des faux prophètes sont exclusivement mauvais, dans tous les cas ; par conséquent, ils sont condamnés par la Bible et par nous-mêmes. Or, les mensonges de David, à l’instar de la violation de la loi sur le pain consacré, sont au service de la vie.

La Bible n’est ni un traité d’éthique, ni un manuel de vertus civiles. Elle représente bien plus que cela : c’est le livre de la vie, un hymne à l’homme vivant et à la terre qui est la première demeure des anges d’Élohim, ces anges qui viennent nous rendre visite non pas parce que nous sommes bons et religieusement parfaits, mais parce qu’ils sont attirés par notre imperfection lorsqu’elle s’accompagne d’un cœur bon. La sincérité biblique du cœur dépend en premier lieu de la capacité à se repentir et à souffrir pour le mal que l’on a commis (David se repentira de ses mensonges au prêtre : 22,22) ; c’est cette bénédiction qui touche notre âme et nous surprend alors que nous étions déjà fermement convaincus d’avoir perdu notre pureté à tout jamais. Peu auparavant, dans un autre récit de sa fuite vers les Nayoth, c’étaient les prophètes qui avaient sauvé David, d’abord des hommes envoyés par Saül, puis du roi lui-même. Saül entre ainsi en contact avec la communauté de prophètes proche de Samuel ; « contaminé » par l’enthousiasme prophétique, il tombe dans une sorte d’exaltation mystique : « Lui aussi se dépouilla de ses vêtements et il fut en transe, lui aussi, devant Samuel. Puis, nu, il s’écroula et resta ainsi toute la journée et toute la nuit » (19,24). Un épisode mystérieux et ambivalent, certainement suggestif et fascinant, faisant écho à une vieille tradition locale. À présent que l’esprit bon l’a abandonné, qu’il se trouve de plus en plus sous l’emprise de l’esprit mauvais et de ses propres fantômes et que sa fin approche inexorablement, au contact de cette communauté de prophètes Saül revit quelque chose de très semblable à l’enthousiasme prophétique le jour où il a été appelé, quand il a reçu de Samuel l’onction qui l’a fait roi et que « Dieu lui changea le cœur » (10,9).

Cette nudité de Saül, qui tombe à terre en transe et y demeure toute la journée et toute la nuit, est profondément humaine et pleine de pietas. En se retrouvant face à l’esprit qu’il avait senti si vivant et merveilleux en ce premier jour béni, peut-être est-il secoué de l’intérieur, frappé et abattu par quelque chose. Une situation vécue par celui qui, après avoir suivi des sentiers où la voix et la lumière de cette première rencontre lointaine se sont égarées, retrouve un jour par hasard sa première communauté, réécoute une vieille chanson, revoit une photo ou retourne sur les lieux où il a reçu un appel véritable (de même que l’appel de Saül était vrai). Au plus profond de son âme, il fait face à un vent puissant d’émotions qui le troublent et le submergent ; il est alors envahi par une nostalgie immense et profonde face à quelque chose de merveilleux en sachant qu’il l’a perdu pour toujours. Grâce à Dieu, contrairement à ce qui est arrivé à Saül, parfois ces grandes lamentations et ces longues heures passées à terre en transe ouvrent une phase nouvelle et splendide de la vie. Aidé des prophètes et des prêtres, David se sauve et poursuit sa fuite. Il arrive à Gath, une ville philistine. Comme il est reconnu, pour se sauver « il simula la folie sous leurs yeux et se mit à divaguer entre leurs mains, à tracer des signes sur les battants de la porte et à baver dans sa barbe » (21,14). Le chef de la ville de Gath, Akish, déclare à ses serviteurs : « Vous voyez bien que c’est un fou. Pourquoi me l’amenez-vous ? Est-ce que je manque de fous, que vous ameniez celui-ci pour faire le fou auprès de moi ? » (21,15-16). David se fait passer pour fou, tout comme Ulysse. Il continue de lutter et de feindre pour rester en vie.

De Gath, il arrive dans une région pleine de grottes : Adoullam. Il y est rejoint par les membres de sa famille qui, désormais, ne se sentent plus en sécurité à Bethléem. Autour de David se rassemblent « tous les gens en difficulté, tous les endettés et tous les mécontents, et il devint leur chef » (22,2). La description de cette communauté qui se forme autour de David est magnifique. Elle rappelle en effet celle des Hébreux qui quittèrent l’Égypte avec Moïse, les foules qui suivaient Jésus en Palestine, les premières églises chrétiennes, le premier mouvement monacal, les ordres mendiants et les nombreuses communautés qui, aujourd’hui comme hier, cherchent un libérateur qui les fasse rêver à une autre vie. Des personnes honnêtes et opprimées, des endettés qui fuyaient la prison et l’esclavage, et d’autres tout simplement mécontents. Tous pauvres, persécutés, opprimés. Le peuple des béatitudes. Les vraies communautés, capables de reconnaître les David et de lancer des mouvements de libération sociale et d’authentiques révolutions, sont toujours ainsi : métissées, mixtes, biodiversifiées, hétérogènes, composées de personnes animées d’élans très différents, qui se prennent soin les unes des autres et s’améliorent en se « touchant ». C’est ce qui leur permet de rester vivantes et fécondes. Lorsqu’à l’inverse, les communautés commencent à se subdiviser et à se segmenter en communautés de gens honnêtes, de personnes endettées ou de mécontents-et-c’est-tout, elles perdent de leur force prophétique et de leur générativité, et leur capacité de changement diminue. Les endettés se retrouvent alors esclaves, les mécontents abandonnent le combat et les gens honnêtes se mettent à trop ressembler aux ouvriers de la première heure ou au frère aîné du fils prodigue. Lorsque les communautés de gens différents se transforment en communautés de gens semblables, elles s’appauvrissent et ont tôt fait de s’éteindre. David poursuit son chemin sur les routes dangereuses de Palestine, affamé, menteur et effrayé, en compagnie de gens normaux et imparfaits comme lui et comme nous. Le jeune élu, fascinant et aimable, apprend le métier de la vie en expérimentant la fragilité et la vulnérabilité de la condition humaine, comme nous, comme tous les hommes.

 

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Plus grands que nos fautes / 12 – On apprend le métier de la vie en se mettant en chemin

de Luigino Bruni

publié dans Avvenire le 08/04/2018

Piu grandi della colpa 12 rid« Enfant, il m’est arrivé de regarder avec sympathie et un infini respect le visage à moitié flétri d’une femme, sur lequel on eût dit qu’il était écrit : “La vie et la réalité sont passées par là.” Pourtant, nous sommes vivants, et cela renferme quelque chose de merveilleux. Appelle-le Dieu, nature humaine ou comme tu voudras ; il y a là cependant quelque chose que je ne saurais définir au sein d’un système, même si ce quelque chose est très vivant et vrai et, pour moi, c’est cela, Dieu. »

Vincent Van Gogh, Lettres, 179, 193

Lorsqu’une vocation est authentique et qu’elle se développe bien, après les « hosanna » de la foule arrive la passion en son temps. Il s’agit toujours d’une période cruciale, où le dessein et la mission de cette personne commencent à se révéler de façon plus nette, car les événements qui constituent sa toile de fond obscure en font ressortir les contours lumineux. Il en va ainsi de David qui, après ses premiers succès à la cour et dans le cœur de Saül, sa victoire contre Goliath et le chant des femmes à sa gloire (« Saül en a battu des mille, et David, des myriades »), se retrouve à présent obligé de fuir et de se cacher parce que Saül veut le tuer. Le texte nous le présente désormais comme un fugitif nomade errant de ville en ville, en constant danger de mort, sans demeure fixe, vulnérable et pauvre. Tout comme Abraham, Moïse, Marie et Joseph. Lui aussi est un Araméen errant ; lui aussi est en quête de bienveillance et d’hospitalité ; comme nous tous qui, dès notre venue au monde, devenons des mendiants en quête d’une bonne âme qui nous accepte et nous accueille chez elle, et nous ne cessons alors plus de la chercher, jusqu’à la fin.

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La communauté métissée capable d’engendrer

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Plus grands que nos fautes / 11 – Si l’amour est unique, les amours sont multiples : éros, philia, agapè…

de Luigino Bruni

publié dans Avvenire le 01/04/2018

Piu grandi della colpa 11 B rid« Pierre, m’aimes-tu ? [agapè] – Oui, Seigneur, tu sais que je t’aime [philia]. 
Pierre, m’aimes-tu ? [agapè] – Oui, Seigneur, tu sais que je t’aime [philia].
Pierre, m’aimes-tu ? [philia] »

Évangile de Jean 21,15-17

Si l’amour est unique, les amours sont nombreux. Nous aimons beaucoup de personnes et beaucoup de choses, et nous sommes aimés de nombreuses personnes, de différentes façons. Nous aimons nos parents, nos enfants, nos fiancé(e)s, nos maris ou femmes, nos frères et nos sœurs, nos instituteurs et institutrices, nos grands-parents et cousins, les poètes et les artistes. Et nous aimons nos amis et amies, beaucoup. L’amour humain ne se limite pas aux êtres humains : il englobe les animaux et la nature tout entière pour aller jusqu’à Dieu. Les Grecs disposaient de deux mots principaux pour dire amour : éros et philia, qui n’épuisaient certes pas ses nombreuses formes, mais qui offraient un registre sémantique plus riche que le nôtre pour décliner ce mot fondamental de la vie. Un lexique capable à la fois de faire la distinction entre le « je t’aime » adressé à la femme que l’on aime et le « je t’aime bien » adressé à un ami, et de reconnaître que le second n’était ni inférieur au premier, ni moins authentique.

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Par la suite, le christianisme a ajouté un troisième mot grec pour exprimer une autre nuance de cet amour déjà présent dans la Bible hébraïque et, surtout, déjà présent dans la vie. Ce troisième et superbe mot est agapè, l’amour capable d’aimer celui qui n’est pas désirable ou qui n’est pas notre ami. Trois dimensions de l’amour que l’on trouve souvent ensemble dans les relations vraies et importantes. C’est certainement le cas pour l’amitié, où la philia n’est jamais seule, car elle est la première à avoir besoin d’amis. Elle s’accompagne du désir-passion pour l’ami et elle est irriguée par l’agapè qui lui permet de durer éternellement, de renaître de nos échecs et de nos fragilités. Une amitié qui n’est que philia n’est pas suffisamment chaleureuse et puissante pour ne pas nous laisser seuls en chemin. Pourtant, c’est la philia qui lie l’éros et l’agapè et les unit : Jésus lui-même a eu besoin de recourir à la philia pour nous dire son amour. Dans ces très rares amitiés qui nous accompagnent durant de longues années, parfois même jusqu’à la fin de notre vie, la philia réunit en elle les couleurs et les saveurs de l’éros et de l’agapè. Ce sont à ces amis que nous avons pardonné, eux qui nous ont pardonné soixante-dix fois sept fois, eux que nous avons attendus et désirés lorsqu’ils ne revenaient pas, de la même façon que l’on attend le retour d’un époux ou d’un enfant. Ce sont eux encore que nous avons étreints et embrassés, eux à qui nous avons offert des étreintes et des baisers à la fois semblables et différents ; plus d’une fois, nous avons pleuré ensemble et nos larmes se sont mêlées aux leurs dans la même goutte salée. Peu de souffrances sont plus atroces que la mort d’un ami ; ce jour-là, c’est un morceau de notre cœur qui cesse de battre pour ne plus jamais repartir. La Bible, experte en humanité, connaît très bien le fonctionnement des relations et des sentiments humains, et elle nous livre des pages merveilleuses sur l’amitié. C’est ainsi qu’elle utilise un seul et même mot, ahavah, pour désigner aussi bien l’amour entre un père et un fils que l’amour érotique et sensuel entre un jeune homme et une jeune fille ou l’amour entre deux amis.

C’est avec Jonathan, fils du roi Saül, que l’amitié fait son entrée dans la Bible. C’est une apparition magnifique, un véritable hymne à l’amour-amitié. Jonathan est prince et guerrier, mais c’est surtout un ami. Le texte nous le présente comme un homme conquis à son tour par le charme de David : « Alors, Jonathan fit alliance avec David, parce qu’il l’aimait comme lui-même » (1 Samuel 18,3). Un pacte solennel, peut-être un « pacte de sel » car, le sel étant incorruptible, dans la Bible il signifiait symboliquement « pour toujours ». La Bible sait ce que signifie un pacte-alliance ; par conséquent, si elle recourt à ce mot pour évoquer une amitié, c’est qu’il s’agit de quelque chose d’important. Un élément que le missionnaire italien Matteo Ricci (LìMǎdòu利瑪竇) jugeait lui aussi important, puisque son premier livre écrit en chinois, en 1595, portait sur l’amitié.

Comme pour servir de toile de fond à l’amitié entre David et Jonathan, après nous avoir présenté ce pacte d’amitié, le texte nous ramène à Saül, de plus en plus Piu grandi della colpa 11 ridtourmenté par ses esprits mauvais. David rentre chez lui après avoir vaincu Goliath, et les femmes sortent à la rencontre du roi Saül, chantant et dansant au son des tambourins : « Saül en a battu des mille, et David, des myriades » (18,7). Les femmes, un autre élément qui sera une constante dans la vie de David, font leur entrée solennelle en dansant en file indienne, l’une derrière l’autre, et leurs corps exécutent des mouvements avec la grâce qui leur est caractéristique. Elles célèbrent la victoire de David, mais aussi et surtout celle du Seigneur, comme l’avait fait Myriam, la sœur de Moïse : après la traversée de la mer, prenant son tambourin, elle avait entonné un chant et les femmes s’étaient mises à danser. Saül déclara : « “On attribue les myriades à David, et à moi les mille. Il ne lui manque plus que la royauté !” Et Saül regarda David de travers à partir de ce jour-là » (18,8-9). Puis, sous l’emprise de l’esprit mauvais, il jette sa lance contre David : « “Je vais clouer David au mur !” Mais David, par deux fois, l’évita » (18,11).

Le contraste est grand entre les yeux bienveillants de Jonathan et le regard mauvais de Saül. L’envie et la jalousie passent en effet par les yeux. La jalousie et l’envie sont des sentiments jumeaux qui s’alimentent mutuellement, même si la seconde possède une structure binaire (Saül envie la réussite de David), alors que la jalousie est ternaire (David a le pouvoir de lui retirer son royaume). Tandis que se déroule la tragédie de Saül, le texte continue de nous le présenter comme une victime de l’esprit mauvais envoyé par le Seigneur, comme un homme à la merci de son triste destin de roi élu puis écarté. Les auteurs font preuve, envers leurs personnages, d’une forme élevée de miséricorde, grâce à laquelle la miséricorde sur terre est plus grande que celle des hommes et des femmes en chair et en os (en cela, les artistes ressemblent un peu à Dieu, car ils peuvent aimer leurs créatures, leur pardonner et les sauver, dans un acte de liberté absolue). À présent, Saül est obsédé par David, et il commence à échafauder des plans afin de l’éliminer. Il lui promet de lui donner en mariage sa fille aînée, Mérav ; mais, « au moment où Mérav, fille de Saül, devait être donnée à David, elle fut donnée pour femme à Adriël de Mehola » (18,19). Cependant, l’autre fille de Saül, Mikal, s’éprend de David, et Saül en est heureux, pensant : « Je vais la lui donner, afin qu’elle soit un piège pour lui » (18,21).Un épisode qui fait écho à celui de Jacob, avec les deux filles de Laban, Rachel et Léa. Saül demande en dot « cent prépuces de Philistins » (18,17), un prix que David paie avec un excédent (deux cents prépuces).

Pourtant, Mikal ne se transforme pas en « piège » pour David ; au contraire, elle le sauve de la folie meurtrière de Saül en l’aidant à s’enfuir la nuit où son père a décidé de le tuer : « Mikal prit l’idole, la plaça sur le lit, mit à son chevet le filet en poil de chèvre et la couvrit d’un vêtement. Saül envoya des émissaires pour s’emparer de David. Mikal dit : “Il est malade” » (19,13-14). David est protégé par l’amour qu’il suscite chez les personnes qui lui sont proches.

En effet, l’autre récit de sa fuite devant Saül rapporte que David, en accord avec Jonathan, ne se présente pas au banquet célébrant la nouvelle lune. Lorsque Saül remarque l’absence de David et que Jonathan donne une fausse explication (le voyage à Bethléem), le roi « se mit en colère contre Jonathan et il lui dit : “Fils d’une dévoyée ! Je sais bien que tu prends parti pour le fils de Jessé, à ta honte et à la honte du sexe de ta mère ! […] Jonathan répondit à son père Saül et lui dit : “Pourquoi serait-il mis à mort ? Qu’a-t-il fait ?” Saül jeta la lance contre lui pour le frapper » (20,30-33). Jonathan affronte ouvertement son père et défend David, mettant ainsi sa propre vie en danger. Alors qu’il aurait très bien pu s’en abstenir, il se montre loyal. Or, la loyauté est une composante essentielle de toute amitié authentique. Jonathan prend sur lui les lourdes conséquences d’une relation alors qu’il pourrait les éviter. Souvent, la loyauté se manifeste à travers la parole, parfois à travers le silence ; d’autres fois, elle consiste à ne pas rapporter à un ami les mauvaises paroles que les autres ont prononcées dans le seul but de le blesser. Elle consiste à agir comme si l’autre était constamment présent.

David et Jonathan se quittent en renouvelant leur pacte d’amitié et d’unité : « Quant à la parole que nous avons échangée, toi et moi, le SEIGNEUR est entre toi et moi à jamais » (20,23). Dans l’Alliance avec Abraham, Dieu passa entre les animaux découpés ; dans ces pactes d’amitié, Dieu passe « au milieu » des amis (Matthieu 18,20). Il s’agit donc d’un pacte qui va au-delà de l’espace et du temps. Elle implique notre descendance, les enfants que nous avons et ceux que nous aurons, mais aussi nos parents et grands-parents. Contrairement aux pactes de mariage, la plupart du temps les pactes d’amitié ne sont pas scellés par la parole : il s’agit presque toujours de pactes tacites. Cependant, dans une relation d’amitié qui évolue, il peut parfois y avoir un pacte explicite, scellé également par la parole. C’est par exemple le cas des pactes d’amitié à l’origine de nouvelles communautés et de nouveaux mouvements, civils ou religieux, engendrés par deux amis ou plus, qui échangent des paroles spéciales lors d’un moment spécial. Le contexte du récit de l’amitié entre David et Jonathan est celui d’un pacte sacré, d’une alliance solennelle, d’une fraternité spirituelle. On pense alors à François et Claire d’Assise et fra Elia, à Kico Arguello et Carmen Hernández, à François de Sales et Jeanne de Chantal, à Chiara Lubich et Igino Giordani, à saints Basile et Grégoire, à Don Zeno et mamma Irene, à Gandhi et ses premiers compagnons de la « marche du sel », ainsi qu’aux nombreux pactes d’amitié, implicites et explicites, qui ont donné naissance à des syndicats, des coopératives, des entreprises, des partis politiques, ou encore à des mouvements de résistance et de libération. Des pactes fondés sur l’affection et la chasteté, tous intimes et inclusifs, à la fois contraignants et libres, jamais jaloux, toujours généreux et extrêmement génératifs.

Avant de saluer David, Jonathan lui avait dit : « Viens, sortons dans la campagne ! » (20,11). La Bible connaît déjà cette phrase, prononcée par Caïn (Genèse 4,8). L’ami est l’anti-Caïn, celui qui nous invite à aller dans la campagne pour nous sauver. Sur terre, les invitations de Caïn, le fratricide, et celles de Jonathan, l’ami, coexistent et s’entrecroisent. Parfois, nous découvrons que l’autre est non pas Jonathan, mais Caïn, seulement au moment où, arrivés dans la campagne, nous voyons sa main se transformer. Nous vivons alors nos jours les plus tristes. D’autres fois, en revanche, celui que nous prenions pour Caïn se révèle être en réalité Jonathan. L’humanité poursuit sa marche car les « invitations de Jonathan » sont plus fréquentes que les « invitations de Caïn », parce que les amis sont plus nombreux que les assassins.

Un autre jour, un autre ami, le plus grand d’entre tous, fut mis à mort sur une croix par une autre main fratricide. Au pied de la croix se trouvaient des femmes ainsi que l’un de ses amis. Cette fois-là, les femmes et son ami ne parvinrent pas à le sauver. Pourtant, ces amis-là le revirent vivant, et nous, ses amis, nous continuons de l’attendre, en compagnie d’Abel et de toutes les victimes de l’histoire. Nous l’attendons car il nous a promis de revenir, et nous savons que la promesse d’un ami est vraie.

Joyeuses Pâques !

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de Luigino Bruni

publié dans Avvenire le 01/04/2018

Piu grandi della colpa 11 B rid« Pierre, m’aimes-tu ? [agapè] – Oui, Seigneur, tu sais que je t’aime [philia]. 
Pierre, m’aimes-tu ? [agapè] – Oui, Seigneur, tu sais que je t’aime [philia].
Pierre, m’aimes-tu ? [philia] »

Évangile de Jean 21,15-17

Si l’amour est unique, les amours sont nombreux. Nous aimons beaucoup de personnes et beaucoup de choses, et nous sommes aimés de nombreuses personnes, de différentes façons. Nous aimons nos parents, nos enfants, nos fiancé(e)s, nos maris ou femmes, nos frères et nos sœurs, nos instituteurs et institutrices, nos grands-parents et cousins, les poètes et les artistes. Et nous aimons nos amis et amies, beaucoup. L’amour humain ne se limite pas aux êtres humains : il englobe les animaux et la nature tout entière pour aller jusqu’à Dieu. Les Grecs disposaient de deux mots principaux pour dire amour : éros et philia, qui n’épuisaient certes pas ses nombreuses formes, mais qui offraient un registre sémantique plus riche que le nôtre pour décliner ce mot fondamental de la vie. Un lexique capable à la fois de faire la distinction entre le « je t’aime » adressé à la femme que l’on aime et le « je t’aime bien » adressé à un ami, et de reconnaître que le second n’était ni inférieur au premier, ni moins authentique.

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La promesse d’un ami est vraie

Plus grands que nos fautes / 11 – Si l’amour est unique, les amours sont multiples : éros, philia, agapè… de Luigino Bruni publié dans Avvenire le 01/04/2018 « Pierre, m’aimes-tu ? [agapè] – Oui, Seigneur, tu sais que je...
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Plus grands que nos fautes / 10 – Les modestes instruments qui complètent le livre de l’histoire des hommes

de Luigino Bruni

publié dans Avvenire le 25/03/2018

Piu grandi della colpa 10 rid« Martelant leurs épées, ils en feront des socs, de leurs lances ils feront des serpes. On ne brandira plus l’épée nation contre nation, on n’apprendra plus à se battre. »

Isaia 2,4

Dans le livre de l’histoire des hommes, qui nous parle de vainqueurs puissants et despotiques, de personnes faibles et de pauvres qui succombent, on trouve aussi certaines pages différentes : celles où l’ordre naturel se trouve renversé, où les humbles sont élevés et les orgueilleux vaincus. Si ces pages sont peu nombreuses, leur lumière fulgurante éclaire tout le livre et le transforme ; elles changent son sens et font toute la différence. Des récits différents, qui nous révèlent une seconde loi de la marche de l’humanité : la loi du Magnificat d’Anne et de Marie, de la prophétie de l’Emmanuel, de la pierre rejetée par les bâtisseurs, du serviteur souffrant et glorifié, du crucifié ressuscité, de Rosa Park, de ces coopératives, organisations et syndicats qui ont libéré et libèrent encore les victimes des empires et des pharaons. Ces pages nous enseignent que l’ordre hiérarchique naturel n’est qu’une possibilité parmi d’autres, que tout peut arriver, que nous avons une dernière chance lorsque tout et tout le monde laisse croire que c’est impossible. C’est cette loi à la fois fragile et tenace qui explique pourquoi, au milieu du vacarme des voix fortes et puissantes, nous réussissons parfois à écouter une petite voix différente et que nous la suivons ; pourquoi, cette fois-là, nous avons su croire à une seule petite raison de continuer à avancer plutôt qu’aux cent meilleures raisons d’abandonner ; ou encore, pourquoi, face à un choix crucial, nous n’avons pas emprunté le chemin de la réussite et du pouvoir, mais celui dont nous savions bien qu’il nous rendrait plus petits et vulnérables. D’autres pages, donc, une autre histoire et une loi différente. Une autre route, que nous prenons peut-être parce que nous y voyons la seule possibilité d’un salut plus authentique car plus modeste, ou bien parce que, n’écoutant que notre cœur, nous la suivons docilement.

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« L’esprit du SEIGNEUR s’était retiré de Saül et un esprit mauvais, venu du SEIGNEUR, le tourmentait » (1 Samuel 16,14). Après la superbe scène du choix et de l’onction de David par Samuel, le récit nous transporte dans le palais de Saül, le premier roi d’Israël rejeté par le Seigneur. Nous le trouvons sous l’emprise d’un esprit mauvais qui, comme le dit le texte, était « venu du Seigneur ». Il s’agit là d’une autre constante biblique. Un esprit s’était substitué à l’autre au-dedans de Saül : le bon esprit était parti, chassé par un esprit mauvais qui le tourmentait. Les bénédictions et malédictions des acteurs de l’histoire du salut ne sont jamais des événements exclusivement naturels (maladies, dépressions…), mais contiennent toujours un message plus élevé. Dans la Bible, le Seigneur est à l’origine des esprits bons comme des esprits mauvais. On n’y assiste pas au combat entre le dieu du Bien et le dieu du Mal ou entre l’ombre et la lumière, comme c’était souvent le cas dans les théodicées dualistes du Moyen-Orient. Si le Seigneur est le seul vrai Dieu, alors il est forcément responsable y compris de la présence des esprits mauvais sur terre. Cependant, attribuer à ce même Dieu les esprits mauvais équivaut à rendre le Seigneur responsable des méchancetés et de la souffrance de ce monde. Il n’est pas coupable, mais responsable, oui, parce qu’il lui faut bien tenter d’apporter une réponse aux questions les plus difficiles et gênantes qui s’élèvent de la bouche de ses créatures blessées, soit dans les Écritures, soit à travers les prophètes.

Une telle responsabilité effraie généralement la Bible (et nous effraie nous aussi) ; pourtant, parfois ses pages les plus courageuses défient et viennent à bout de cette peur pour nous livrer de vrais chefs-d’œuvre spirituels et anthropologiques. Car un Dieu qui serait à l’origine uniquement des choses belles et bonnes existant en ce monde ne serait pas à la hauteur des pages les plus authentiques de la Bible, qui nous laissent percevoir une idée très élevée de Dieu, à tel point qu’il nous est impossible de le confiner aux aspects agréables de la vie. Le Dieu de la Bible n’est pas un dieu banal, car il se doit de nous expliquer d’où viennent les « esprits mauvais » qui tourmentent nos enfants. C’est cela aussi, le message du grand cantique de Job, où le Satan est l’un des anges qui vivent à la cour de Dieu-Élohim (après Job et grâce à Job, le Dieu de la Bible est devenu davantage responsable du mal présent dans le monde).

Les serviteurs de Saül lui disent : « Voici qu’un esprit mauvais, venu de Dieu, te tourmente. […] Tes serviteurs chercheront un homme qui sache jouer de la cithare ; ainsi, quand un esprit mauvais, venu de Dieu, t’assaillira, il en jouera et cela te soulagera » (16,15-16). L’un de ses domestiques répond : « J’ai vu, justement, un fils de Jessé le Bethléémite. Il sait jouer » (16,18). Saul envoie dire à Jessé de lui envoyer son fils, « celui qui s’occupe du troupeau » (16,19). Le jeune homme arrive à la cour, et c’est à ce moment du récit que son nom est mentionné. « Saül envoya dire à Jessé : “Que David reste donc à mon service, car il me plaît” » (16,22). Ainsi, « lorsque l’esprit de Dieu assaillait Saül, David prenait la cithare et il en jouait. Alors Saül se calmait, se sentait mieux et l’esprit mauvais se retirait de lui » (16,23). On est bouleversé en voyant David, que la tradition nous laissera apparaître comme le grand créateur et chantre de psaumes merveilleux, entrer en scène pour la première fois avec sa cithare pour entonner un chant destiné à apaiser le tourment de Saül. La première note qu’il joue dans la Bible s’adresse à un roi rejeté et abandonné par l’esprit de Dieu, et le premier chant qu’il entonne est celui de la gratuité. Un extrait qui nous laisse entrevoir, entre autres choses, l’importance de la musique dans le monde de la Bible et de l’Antiquité. Elle égayait les fêtes, accompagnait les liturgies et les danses de louange et éloignait les esprits mauvais. Un pouvoir extraordinaire et surnaturel qui, dans la Bible, permet aux artistes de « commander » même à l’esprit de Dieu. La musique, et l’art en général, incarne aussi ce dialogue avec les esprits du monde, en mystérieuse accoucheuse du daimon.  

Alors que nous sommes encore sous le charme de la cithare de David, le texte évolue vers l’une des scènes les plus appréciées de la littérature ancienne : nous voici transportés sur le champ de bataille, où les Israélites se battent contre les Philistins. Du campement philistin sort un guerrier, Goliath, un champion de haute stature, armé et imposant au point de terroriser ses ennemis. Durant quarante jours, Goliath vocifère contre le peuple et le Dieu d’Israël, disant : « Donnez-moi un homme, pour que nous combattions ensemble ! » (17,10). Au milieu de cette scène de guerre arrive David, et il se présente comme si nous ne le connaissions pas encore – différentes traditions s’entremêlent dans la rédaction finale. Son père Jessé l’avait envoyé auprès de ses trois frères qui avaient intégré l’armée de Saül : « Prends donc pour tes frères cette mesure de blé grillé et ces dix pains et cours les porter au camp à tes frères. […] Tu prendras des nouvelles de la santé de tes frères et tu recevras d’eux un gage » (17,17-18). David, le plus jeune, est donc envoyé auprès de ses frères pour les ravitailler, pour rapporter chez lui leur solde et pour s’enquérir de leur « santé », de leur shalom. Un autre jeune homme, l’avant-dernier fils, avait lui aussi été invité à prendre des nouvelles du shalom de ses frères (Genèse 37,14). Il s’agissait de Joseph, un autre « petit », exclu et vendu avant d’incarner plus tard le salut de ses frères et de son peuple. David essuie lui aussi les reproches et les accusations de ses frères : « Éliav, son frère aîné, entendit David parler aux hommes. Il se mit en colère contre lui et lui dit : “Pourquoi donc es-tu descendu ? À qui as-tu laissé ton petit troupeau dans le désert ? Je connais, moi, ta turbulence et tes mauvaises intentions” » (17,28).

David aperçoit Goliath, écoute ses paroles et ses menaces. Saül l’appelle et David lui déclare : « Que personne ne se décourage à cause de ce Philistin, ton serviteur ira le combattre » (17,32). Saül hésite à cause du jeune âge et de l’inexpérience de David. Celui-ci essaie de le convaincre en faisant valoir son habileté de berger : « S’il venait un lion, et même un ours, pour enlever une brebis du troupeau, je partais à sa poursuite, je le frappais et la lui arrachais de la gueule. Quand il m’attaquait, je le saisissais par les poils et je le frappais à mort » (17,34-35). Saül croit en David et lui donne sa bénédiction : « Va, et que le SEIGNEUR soit avec toi » (17,37). Le texte porte ainsi un autre regard bienveillant sur Saül. Même un homme que l’esprit de Dieu a quitté peut tout à fait reconnaître la présence de l’esprit bon sur un autre homme et le bénir. Même lorsque nous savons que le « Seigneur » n’est plus avec nous, nous avons toujours la possibilité de dire à un autre : « Que le Seigneur soit avec toi. » Le monde avance entre autres parce qu’il se trouve des personnes capables d’en bénir d’autres au nom d’un Dieu ou d’un idéal qu’elles ont elles-mêmes perdu.

Le légendaire duel entre David et Goliath représente bien plus que le compte rendu d’une action militaire : il s’agit d’un combat théologique, d’une autre narration de l’appel de David, d’une autre théophanie. Goliath incarne l’idole, un nouveau Dagôn qui, là encore, tombe à terre au contact de l’arche du vrai Dieu (5,3). Saül propose à David de lui prêter sa lourde armature pour mieux affronter le combat, mais David lui répond : « Je ne pourrai pas marcher avec tout cela, car je ne suis pas entraîné » (17,39). Il se dirige donc tout nu vers Goliath, n’emportant avec lui que son bâton de berger et une fronde, puis ramasse cinq pierres polies par le torrent et les met dans son sac. Goliath lui hurle : « Suis-je un chien pour que tu viennes à moi armé de bâtons ? » (17,43). Et il « maudit David par ses dieux ». Or, à peine Goliath s’ébranle-t-il contre David que celui-ci « mit prestement la main dans son sac, y prit une pierre, la lança avec la fronde et frappa le Philistin au front. La pierre s’enfonça dans son front et il tomba la face contre terre » (17,49). Le bâton et la fronde peuvent vaincre la lance et l’épée, et la nudité se révèle plus forte que la puissante armature. David remporta une immense victoire, la plus grande de toutes, car ce fut la victoire du berger nu et non celle du guerrier ; Michel-Ange, Donatello et Cellini en eurent l’intuition géniale.

Davide se battit contre Goliath non pas en guerrier, mais en berger, et infligea une défaite au puissant Goliath avec les instruments ordinaires du berger, utiles à son travail. Le métier des armes ne l’emporta pas sur le métier de berger. David obtint de Saül la permission de défier Goliath au nom de son habileté dans l’art du travail et non dans l’art de la guerre.

Aujourd’hui encore, alors que les puissants et les despotes continuent de s’exercer à l’art de la guerre et à semer la terreur dans le monde avec leurs épées et leurs hurlements, d’autres s’exercent uniquement dans les arts et métiers. Parfois, ils triomphent de la guerre et de la mort par leur travail, avec leurs humbles instruments, écrivant ainsi une nouvelle page, différente, du livre de l’histoire des hommes. David, le bon berger, renaît et revit, lui le vainqueur nu, muni de son bâton et de son anneau.

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Plus grands que nos fautes / 10 – Les modestes instruments qui complètent le livre de l’histoire des hommes

de Luigino Bruni

publié dans Avvenire le 25/03/2018

Piu grandi della colpa 10 rid« Martelant leurs épées, ils en feront des socs, de leurs lances ils feront des serpes. On ne brandira plus l’épée nation contre nation, on n’apprendra plus à se battre. »

Isaia 2,4

Dans le livre de l’histoire des hommes, qui nous parle de vainqueurs puissants et despotiques, de personnes faibles et de pauvres qui succombent, on trouve aussi certaines pages différentes : celles où l’ordre naturel se trouve renversé, où les humbles sont élevés et les orgueilleux vaincus. Si ces pages sont peu nombreuses, leur lumière fulgurante éclaire tout le livre et le transforme ; elles changent son sens et font toute la différence. Des récits différents, qui nous révèlent une seconde loi de la marche de l’humanité : la loi du Magnificat d’Anne et de Marie, de la prophétie de l’Emmanuel, de la pierre rejetée par les bâtisseurs, du serviteur souffrant et glorifié, du crucifié ressuscité, de Rosa Park, de ces coopératives, organisations et syndicats qui ont libéré et libèrent encore les victimes des empires et des pharaons. Ces pages nous enseignent que l’ordre hiérarchique naturel n’est qu’une possibilité parmi d’autres, que tout peut arriver, que nous avons une dernière chance lorsque tout et tout le monde laisse croire que c’est impossible. C’est cette loi à la fois fragile et tenace qui explique pourquoi, au milieu du vacarme des voix fortes et puissantes, nous réussissons parfois à écouter une petite voix différente et que nous la suivons ; pourquoi, cette fois-là, nous avons su croire à une seule petite raison de continuer à avancer plutôt qu’aux cent meilleures raisons d’abandonner ; ou encore, pourquoi, face à un choix crucial, nous n’avons pas emprunté le chemin de la réussite et du pouvoir, mais celui dont nous savions bien qu’il nous rendrait plus petits et vulnérables. D’autres pages, donc, une autre histoire et une loi différente. Une autre route, que nous prenons peut-être parce que nous y voyons la seule possibilité d’un salut plus authentique car plus modeste, ou bien parce que, n’écoutant que notre cœur, nous la suivons docilement.

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Le travail parvient à triompher de la guerre

Plus grands que nos fautes / 10 – Les modestes instruments qui complètent le livre de l’histoire des hommes de Luigino Bruni publié dans Avvenire le 25/03/2018 « Martelant leurs épées, ils en feront des socs, de leurs lances ils feront des serpes. On ne ...
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Plus grands que nos fautes / 9 – Le travail n’est jamais un obstacle à nos vocations

Par Luigino Bruni

publié dans Avvenire le 18/03/2018

Piu grandi della colpa 09 rid« Un jour, Rabbi Bounam pria dans une auberge. Plus tard, il dit à ses disciples : “Parfois, on croit ne pas pouvoir prier dans un lieu et l’on en cherche alors un autre. Or, ce n’est pas cela, la voie juste, car le lieu que l’on a quitté se plaint : “Pourquoi as-tu refusé de réciter tes prières entre mes murs ? Si quelque chose te gênait, c’était justement le signe que tu avais l’obligation de me racheter.” »

Martin Buber, Les récits hassidiques

Le déclin de Saül se produit au même moment que l’ascension de David, étoile si lumineuse de la Bible, peut-être même la plus brillante de l’Ancien Testament. C’est le personnage biblique dont nous connaissons le mieux le cœur ; ce n’est d’ailleurs pas un hasard si ce mot apparaît dès le premier récit de sa vocation (« Les hommes voient ce qui leur saute aux yeux, mais le SEIGNEUR voit le cœur » : 1 Samuel 16,7).

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Abraham et Moïse sont d’immenses figures de la Bible, plus importantes encore que David dans l’histoire du salut. Nous connaissons leurs actions, leurs paroles et surtout leur foi, et ces éléments suffisent à faire d’eux les piliers du peuple et de l’Alliance. Cependant, nous ne connaissons pas le cœur d’Abraham et de Moïse, ou si peu. Le Sinaï et le mont Moriah sont des lieux de grands dialogues, peut-être les plus grands de tous, et pourtant, le texte de la Bible ne nous dit rien de ce qui se passe vraiment dans l’âme de Moïse et d’Abraham. Elle nous le laisse imaginer, et c’est entre autres pour cette raison qu’au cours des siècles, les écrivains et les artistes ont pu « compléter » les histoires intimes de ces hommes de Dieu qui étaient simplement suggérées ou chuchotées dans le texte de la Bible.

La Bible nous ouvre le cœur de David, nous faisant pénétrer son monde intérieur, ses émotions, ses sentiments et ses tragédies. Le récit de son histoire nous livre ainsi des pages figurant parmi les plus émouvantes et sublimes de la littérature ancienne, et David devient un roi très aimé, bien qu’il soit plus pécheur et plus « petit » que d’autres personnages bibliques. David ressemble à Jérémie : tous deux ont été appelés jeunes, l’un comme l’autre ont été séduits dans leur cœur, sont grands par leurs actions et par leurs gestes, mais on les aime surtout pour les pages du journal de leur âme, pour les chants et les psaumes venant du plus profond de leur cœur. Avec David, le son, le chant et l’amitié se font parole de Dieu, les valeurs et les sentiments humains acquièrent droit de cité dans le cœur de la Bible, qui est le plus grand code de notre civilisation. Non seulement et non pas tant parce qu’elle nous tient un autre langage sur Dieu, mais parce qu’elle nous tient un autre langage sur les hommes et les femmes, parce qu’il nous tient un autre langage sur nous, afin de nous révéler qui nous sommes.

« Le SEIGNEUR dit à Samuel : “Vas-tu longtemps pleurer Saül, alors que je l’ai moi-même rejeté et qu’il n’est plus roi d’Israël ? Emplis ta corne d’huile et pars. Je t’envoie chez Jessé le Bethléémite, car j’ai vu parmi ses fils le roi qu’il me faut” » (1 Samuel 16,1). La nouvelle parole que Dieu adresse à Samuel commence par une référence à Saül. Samuel pleure sur Saül qui a été répudié. Le texte ne nous dit pas pourquoi Samuel pleure. Nous pouvons cependant penser que Samuel a souffert en voyant Saül se faire répudier par le Seigneur. Il était allé le chercher, l’avait consacré et embrassé, puis il avait participé dans la joie à la fête de son intronisation. L’échec de Saül était également l’échec de Samuel, comme cela nous arrive quand l’insuccès de la personne que nous choisissons pour accomplir une mission devient aussi le nôtre. Ceux qui se trouvent à la tête de communautés et d’organisations savent qu’ils ne peuvent se mettre à l’abri des échecs des personnes à qui ils s’en sont remis. Même si, objectivement, nous ne sommes pas responsables de cet insuccès, le pacte à l’origine de cette charge et de cette mission constitue une réciprocité incarnée. Et, comme dans le cas de n’importe quel pacte, l’échec de l’autre est aussi le mien. Certes, Samuel, juge et prophète, agissait et parlait à la demande du Seigneur. Or, au moment où le prophète honnête prononce la parole reçue, il devient personnellement solidaire de cette parole. Toujours, mais plus particulièrement lorsque les choses vont mal.

Les pleurs de Samuel pour la répudiation de Saül, qui fait suite à ses cris (« L’émotion gagna Samuel et il cria vers le SEIGNEUR toute la nuit » : 15,11), nous répète ainsi la mystérieuse et merveilleuse dynamique de la parole et de la prophétie de la Bible. La prophétie repose sur un double pacte de fidélité : le pacte entre Dieu et le prophète, d’une part, et entre le prophète et la parole d’autre part. Au moment où Samuel agit et parle en se fondant sur la parole reçue, il s’établit un lien de solidarité et de fidélité entre le prophète et les paroles qu’il prononce, un lien allant jusqu’au devoir éthique de sentir dans sa chair la souffrance causée par une parole qui ne s’accomplit pas ou par des facteurs hors de son contrôle. Le prophète n’est pas une machine, ni un médiateur indifférent entre Dieu et le monde. Il est, au contraire, un canal vivant et incarné ; ainsi, lorsque la parole le traverse pour rejoindre la terre et déployer son efficacité, il prend une part active aux histoires et aux actions que cette parole engendre, et il suit leur destinée. Un Samuel qui ne pleurerait pas à cause d’une parole du Seigneur ayant tourné au tragique, ne serait pas un prophète responsable, mais rien d’autre qu’un faux prophète, insensible à l’échec des paroles qu’il a prononcées car ces paroles n’étaient que vanitas, de la fumée, des fake news. L’onction de Saül découlait d’une parole authentique et, en tant que telle, elle avait agi et changé la réalité à jamais. « Tu seras changé en un autre homme » (10,6), avait déclaré Samuel à Saül le jour de son onction. Si cette parole était vraie, elle s’est révélée efficace. Dieu change d’idée et/ou Saül pèche ; or, ce sont les pleurs de Samuel qui nous enseignent que les paroles ne sont pas que du vent, et que Samuel était un prophète honnête. Ce sont eux encore qui expriment l’immense valeur de la parole et des paroles de la Bible, mais aussi celles de la vie.

Samuel part et se rend chez Jessé, à Bethléem : « Quand ils arrivèrent, Samuel aperçut Éliav et se dit : “Certainement, le messie du SEIGNEUR est là, devant lui.” Mais le SEIGNEUR dit à Samuel : “Ne considère pas son apparence, ni sa haute taille” » (16,6-7). Samuel nous apparaît encore confus, lors d’une scène qui ne rappelle que trop l’appel reçu par Saül alors qu’il cherchait les ânesses égarées. Il est en effet frappé par l’aspect et la stature de l’aîné de Jessé (Éliav), un jeune homme au physique semblable à celui de Saül (beau et grand). Jessé présente ses sept fils, mais « Samuel dit à Jessé : “Le SEIGNEUR n’a choisi aucun de ceux-là” » (16,10). Arrive alors le tournant du récit : « Samuel dit à Jessé : “Les jeunes gens sont-ils là au complet ?” Jessé répondit : “Il reste encore le plus jeune : il fait paître le troupeau.” Samuel dit à Jessé : “Envoie-le chercher” » (16,11). Le huitième fils, le plus jeune, l’absent, le berger, rejoint Samuel et le reste de sa famille. « Il avait le teint clair, une jolie figure et une mine agréable. Le SEIGNEUR dit : “Lève-toi, donne-lui l’onction, c’est lui.” Samuel prit la corne d’huile et il lui donna l’onction au milieu de ses frères et l’esprit du SEIGNEUR fondit sur David à partir de ce jour » (16,12-13).

Une scène splendide, qui était sûrement encore plus riche en détails dans les premiers récits anciens, aujourd’hui perdus. Dans la Bible, le mérite est une notion extrêmement éloignée de notre méritocratie. On est frappé par certains détails qui acquièrent une très grande valeur théologique et anthropologique. La structure narrative du texte nous présente un dialogue entre le Seigneur et Samuel, où Dieu lui-même a besoin de voir le visage de David avant de déclarer à Samuel : « Donne-lui l’onction, c’est lui. » La Bible est certes un humanisme de la parole, mais elle est aussi un humanisme du regard et des yeux. Et ce dès le premier regard d’Élohim sur Adam, lorsqu’il vit que « cela était bon », lors du second regard entre deux humains, « les yeux dans les yeux », enfin, jusqu’à ce regard échangé entre Jésus et un homme riche : « l’ayant regardé, il l’aima ». David est le plus jeune des huit frères. Son père, Jessé, ne l’avait même pas invité au banquet sacrificiel, en raison de son jeune âge qui ne lui permettait pas de participer aux sacrifices. Nous assistons là à un autre grand épisode, peut-être le plus grand de tous, de cette économie du petit qui traverse toute la Bible et représente une part de son essence profonde.

L’Alliance, la libération, la conquête et la protection de la terre, et la prophétie, se nourrissent d’un dialogue vital et extrêmement fécond entre force et faiblesse, grandeur et petitesse, loi et liberté, institution et charisme, temple et prophétie. Ils constituent la trame de l’histoire du salut, qui permettent, uniquement lorsqu’ils sont réunis, de voir les formes, les couleurs et la beauté du dessein de l’humanité. Pourtant, dans les moments décisifs de cette histoire, la Bible nous enseigne que le caractère coessentiel de ces deux principes ne parvient pas à nier l’existence de la primauté qui revient à l’oikonomia du petit : l’économie d’Abel, des femmes stériles et des mères, de Joseph, d’Amos et de Jérémie, de David, de Bethléem, des béatitudes ou du Golgotha. La logique de l’économie du petit est directement issue de l’idée de Dieu, de la personne et des relations contenue dans la Bible. Elle nous enseigne que le Seigneur est une « voix fine et silencieuse » et que son temple est un temple vide. C’est une voix, que l’on ne peut ni voir ni toucher, qui choisit pour allié le plus petit d’entre les peuples, qui se fait petit enfant pour laisser ensuite son fils et nos enfants cloués sur une croix. Or, elle nous dit aussi que la vie spirituelle de la personne s’épanouit vraiment le jour où celle-ci commence à comprendre que le salut réside dans tout ce qui est petit au point de ne pas avoir été « invité au banquet », dans nos échecs d’hier, dans les blessures de notre âme, dans ces questions que nous avons laissées de côté, dans nos péchés et nos limites que nous refusons de regarder en face. Lorsque nous prenons au sérieux cette économie du petit, cela nous amène à changer notre regard sur le monde, à chercher les rois de demain parmi les exclus et les pauvres d’aujourd’hui, à prendre très au sérieux les jeunes et les enfants, à reconnaître les mérites là où l’oikonomia du grand ne sait rien voir d’autre que des démérites.

Il reste un dernier petit détail, si modeste qu’il demeure souvent en toile de fond du récit. Tandis que Samuel passe en revue les frères de David, celui-ci « fait paître le troupeau ». Il était le seul garçon de sa famille qui travaillait à ce moment-là (nous pouvons supposer que ses sœurs et sa mère étaient elles aussi au travail). Il faisait paître le troupeau, à l’instar de Moïse sur le mont Oreb. Ce n’est pas le travail qui constitue un obstacle à nos plus grands appels, tout simplement parce que les vocations et les théophanies les plus importantes et authentiques se révèlent alors que nous « faisons paître le troupeau ». Un magnifique cantique qui célèbre la laïcité et le travail. Si nous voulons découvrir notre vocation et, par là même, comprendre quelle est notre place dans le monde, la meilleure chose que nous puissions faire, c’est de travailler.

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Plus grands que nos fautes / 9 – Le travail n’est jamais un obstacle à nos vocations

Par Luigino Bruni

publié dans Avvenire le 18/03/2018

Piu grandi della colpa 09 rid« Un jour, Rabbi Bounam pria dans une auberge. Plus tard, il dit à ses disciples : “Parfois, on croit ne pas pouvoir prier dans un lieu et l’on en cherche alors un autre. Or, ce n’est pas cela, la voie juste, car le lieu que l’on a quitté se plaint : “Pourquoi as-tu refusé de réciter tes prières entre mes murs ? Si quelque chose te gênait, c’était justement le signe que tu avais l’obligation de me racheter.” »

Martin Buber, Les récits hassidiques

Le déclin de Saül se produit au même moment que l’ascension de David, étoile si lumineuse de la Bible, peut-être même la plus brillante de l’Ancien Testament. C’est le personnage biblique dont nous connaissons le mieux le cœur ; ce n’est d’ailleurs pas un hasard si ce mot apparaît dès le premier récit de sa vocation (« Les hommes voient ce qui leur saute aux yeux, mais le SEIGNEUR voit le cœur » : 1 Samuel 16,7).

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L’économie du petit

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Plus grands que nos fautes / 8 – Nous sommes les citoyens d’un monde partiel et inachevé

Par Luigino Bruni

publié dans Avvenire le 11/03/2018

Piu grandi della colpa 08 rid« En parcourant la Bible, il est bien difficile de trouver un seul personnage, juste ou injuste, qui n’ait pas été renié par Dieu, à part peut-être Abraham et Jésus. Or, c’est justement grâce à ces reniements que l’homme de foi apprend à douter de toute institution qui n’accepte pas d’être contredite. »

Paolo De Benedetti I profeti del re

Après sa consécration par Samuel, Saül commence à accomplir sa mission de roi guerrier ; des débuts qui scellent son sort tragique, raconté dans les pages figurant parmi les plus captivantes et splendides de toute la Bible : « Les Philistins s’étaient mobilisés contre Israël. Ils avaient trente mille chars, six mille cavaliers […]. Saül était encore à Guilgal et, derrière lui, tout le peuple tremblait. Saül attendit sept jours le rendez-vous de Samuel, mais Samuel ne vint pas à Guilgal, et le peuple abandonna Saül et se dispersa. Saül dit : “Amenez-moi l’holocauste et les sacrifices de paix.” Et il offrit l’holocauste » (1 Samuel 13, 5-9).

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Le jour où Saül avait reçu l’onction de roi, Samuel lui avait déclaré : « Tu descendras avant moi à Guilgal. Quant à moi, je descendrai te rejoindre, pour offrir des holocaustes et des sacrifices de paix. Tu m’attendras sept jours » (10, 8). Sept jours s’écoulent, Samuel ne vient pas, le peuple prend peur et se disperse. Saül décide alors d’offrir lui-même au Seigneur le parfait sacrifice de communion (l’holocauste). Aussitôt après, « Samuel arriva. Saül sortit à sa rencontre pour le saluer. Samuel dit : “Qu’as-tu fait ?” » (13,10-11). Saül répond : « Je me suis dit : “Maintenant, les Philistins vont descendre me rattraper à Guilgal, sans que j’aie apaisé le SEIGNEUR.” Alors, j’ai pris sur moi et j’ai offert l’holocauste » (13, 12). Saül a attendu autant de jours que Samuel le lui avait demandé ; par conséquent, il n’a pas contrevenu aux indications reçues. Et pourtant, Samuel le blâme avec une dureté qui surprend : « Tu as agi comme un fou ! Tu n’as pas gardé le commandement du SEIGNEUR, ton Dieu, celui qu’il t’avait prescrit. » Avant de conclure : « Mais maintenant, ta royauté ne tiendra pas » (13, 13-14).

Le funeste destin du premier roi d’Israël commence ici à se dessiner. Dans son histoire s’entremêlent de nombreuses traditions et théologies. Parmi elles, et non des moindres, la critique acerbe que l’auteur des Livres de Samuel adresse à la monarchie naissante, une critique qui se porte aussitôt sur la souche de la monarchie. Car toute critique totale est une critique archéologique qui remet en question la racine, les origines (arché). Cependant, on trouve dans cette histoire d’autres raisons profondes revêtant une grande importance éthique, et celles-ci apparaissent plus clairement lorsqu’on lit ce premier récit de la crise entre Saül et Samuel à la lumière du second récit sur les Amalékites, qui est encore plus puissant et dramatique.

Avant toute chose, il convient de parler de « crise » plutôt que de conflit entre ces deux grands personnages. En effet, Saül ne « se bat » pas avec Samuel, pas plus qu’il ne remet en question l’autorité de ce dernier tout au long de cette terrible crise. Au contraire, il fait preuve d’une grande douceur envers lui, il invoque la miséricorde pour ses erreurs et apporte des explications à ses comportements, des actes et des sentiments qui ne peuvent pas ne pas lui valoir la sympathie des lecteurs que nous sommes. En effet, il est très intéressant, sur un plan rhétorique, qu’à la lecture de ces récits, avec l’ignorance censée accompagner toute lecture féconde de la Bible (et des autres grands textes) – c’est-à-dire en lisant chaque passage comme si c’était la première fois –, nous soyons spontanément transportés par le récit que fait Saül, qui se trouve dans une opposition émotionnelle avec Samuel. La beauté de ces chapitres qui révèlent entre autres l’immense talent littéraire de l’auteur, réside en grande partie dans cette opposition narrative entre Samuel et Saül, qui est condamné par le Seigneur et sauvé par le lecteur.

Après les actes belliqueux de Jonathan, le fils de Saül (chap. 14), nous trouvons un nouveau commandement adressé par Samuel à Saül : « Ainsi parle le SEIGNEUR, le tout-puissant : “Je vais demander compte à Amaleq de ce qu’il a fait à Israël, en lui barrant la route quand il montait d’Égypte. Maintenant donc, va frapper Amaleq. Vous devrez vouer à l’interdit tout ce qui lui appartient. Tu ne l’épargneras point. Tu mettras tout à mort, hommes et femmes, enfants et nourrissons, bœufs et moutons, chameaux et ânes” » (15, 2-3).

Une page tragique, qui nous oblige à chercher des clés de lecture plus profondes afin de ne pas associer la Bible à notre violence. Dieu le premier a besoin de l’exégèse de la Bible et des textes sacrés des religions, si nous ne voulons pas continuer à « tuer des enfants » en Son nom ; à travers ces pages de la Bible, le Seigneur nous demande d’étudier afin de pouvoir dire « pas en mon nom ». Le lecteur de la Bible connaît Amaleq et son peuple (les Amalékites), en premier lieu parce qu’ils ont combattu Israël dans le désert pour l’empêcher de rejoindre Canaan. Il était leur pire ennemi, celui qui s’était opposé à la réalisation de la promesse. Celui-ci incarne donc le mal absolu, l’icône biblique de toute forme d’idolâtrie, tout comme le pharaon et l’Égypte. Nous avons là une première herméneutique qui diffère de la requête bouleversante de Samuel. Les enfants des Amalékites sont l’image des « enfants » des idoles, comme l’étaient les enfants des Égyptiens, qui ne pouvaient être les enfants « en chair et en os » venus au monde grâce aux sages-femmes que leur Dieu lui-même bénit pour avoir sauvé les enfants des Hébreux en leur donnant une nombreuse descendance (Exode 1, 19-20). À la fin du récit, Samuel mentionne explicitement l’idolâtrie : « Mais la révolte vaut le péché de divination, et l’opiniâtreté, la sorcellerie » (15, 23).

Cependant, Saül n’exécute pas à la lettre l’ordre de Samuel et du Seigneur, puisqu’il épargne Agag, le roi des Amalékites, ainsi que « le meilleur du petit et du gros bétail » (15, 9). Le récit attribue à cette désobéissance de Saül une valeur considérable : « Je me repens d’avoir fait de Saül un roi, car il s’est détourné de moi et il n’a pas mis à exécution mes paroles » (15, 10-11). Samuel entre en colère – le texte ne précise pas s’il est en colère contre Dieu ou contre Saül, voire les deux– et se rend aussitôt auprès de Saül, qui l’accueille et lui déclare : « Sois béni du SEIGNEUR ! J’ai mis à exécution la parole du SEIGNEUR » (15, 13). La phrase de bienvenue de Saül révèle sa bonne foi (15, 20-21) ; pourtant, Samuel répète le verdict : « Puisque tu as rejeté la parole du SEIGNEUR, il t’a rejeté, tu n’es plus roi » (15,23). La tension tragique atteint ici son paroxysme. Saül, l’élu, est rejeté par celui qui l’avait choisi (15, 26). Il ajoute encore : « Le SEIGNEUR aime-t-il les holocaustes et les sacrifices autant que l’obéissance à la parole du SEIGNEUR ? » (15,22). Le rejet de Saül et la « partie qu’il sauve » recèle peut-être quelque chose de plus, qui diffère de la polémique anti-idolâtrique et anti-sacrificielle des prophètes, pourtant bel et bien présente.

Lorsque l’on reçoit une mission d’une voix, que ce soit celle de Dieu ou de notre conscience, qui nous parle clairement, ce n’est pas à nous de décider quelle part effectuer. Chaque mission éthique comporte des éléments qui nous plaisent et d’autres qui nous plaisent moins, voire que nous détestons. Si nous refusons la part désagréable, nous devenons les maîtres de cette voix et nous nous égarons. En effet, cette part que nous avons décidé d’exclure recèle quelque chose d’essentiel qui infirme tout le reste dès lors que nous renonçons à l’effectuer. Le destin s’accomplit ou ne s’accomplit pas ; il est donc impossible de l’accomplir en partie seulement. Ceci explique pourquoi la plupart des vocations ne parviennent pas à s’épanouir pleinement : lorsqu’arrive le moment d’effectuer la part désagréable ou même détestable, nous faisons la plupart du temps le choix de Saül. La vocation de Saül était une vocation réelle et non une erreur de Dieu ni de Samuel, et les trois différents récits de son onction le confirment. Cependant, la vocation n’est que l’aube d’un destin, et ce qui se produit tout au long de la vie dépend de notre capacité à rester fidèles aux missions morales qui nous déplaisent et que nous avons de bonnes raisons de ne pas aimer. Nombre de ces choix partiels sont faits par pietas et en toute bonne foi, comme cela semble être le cas pour Saül. Or, la bonne foi ne suffit pas à sauver une vocation : comme nous le rappelle Jérémie, nombreux sont les faux prophètes à être de bonne foi.

Nous pourrions très bien nous en tenir là, satisfaits d’avoir fait une lecture différente de ces pages terribles. Pourtant, il vaut la peine de s’aventurer sur des sommets encore plus hauts et glissants, car ce sont souvent ceux-là qui nous ouvrent les horizons les plus larges.

Le texte nous présente Saül comme un homme qui écoute le prophète, un homme intègre et juste ; lorsqu’il se trompe, il le fait en toute bonne foi et pour des raisons imputables à sa pietas, voire, peut-être, à sa faiblesse. Or, Dieu le rejette. Cela ouvre la voie à un discours anthropologique d’une grande importance pour toutes les vocations. Celles-ci renferment en leur cœur un mystère, qui comporte une part d’ombre. À travers le récit de Saül, la Bible nous livre, en plus des vocations d’Abraham, de Jérémie, d’Isaïe, de Samuel et de Noé, un autre « paradigme » de vocation qui, comme les autres, est incomplète et partielle (c’est là que réside la plénitude de sa beauté accomplie). Il s’agit de la beauté de celui qui a reçu une vocation authentique, qui a essayé de la vivre en toute bonne foi mais n’a pas su aller jusqu’au bout. Une vraie vocation peut très bien « mal tourner » sans que nous l’ayons voulu ni mérité. Toute vocation porte en elle la possibilité de tourner au tragique, car il s’agit d’un pacte de réciprocité.

En scellant des pactes, nous dépendons énormément des autres, de leur cœur, de leur repentance et de la façon dont ils regardent notre cœur. La réussite de notre mariage ne dépend pas uniquement de notre bonne foi, de même que la réussite de notre entreprise ne dépend pas seulement de nos efforts investis. La réussite de notre pacte avec Dieu dépend également de ce à quoi ressemblera demain cette voix que nous avons écoutée aujourd’hui et à laquelle nous avons cru de tout notre cœur ; si je ne peux affirmer que Dieu change, certainement change-t-il de voix à mesure qu’il se développe. Saül, un homme bon, probablement de bonne foi, mais rejeté et renié par ce Dieu et par ce prophète qui l’avaient appelé alors qu’il cherchait les « ânesses égarées », qui devint roi par vocation sans l’avoir voulu ni cherché, représente donc tous ceux qui écoutent une voix en toute honnêteté et qui n’atteignent jamais la terre promise, même s’ils ont toujours restés bons.

Même les vraies vocations et les bonnes personnes peuvent très bien s’égarer, comme les ânesses que Saül ne retrouva pas. Mille ans plus tard, un autre Saül eut le courage d’écrire que « les dons et l’appel de Dieu sont irrévocables » (Rm 11, 29), peut-être parce que son nom même portait en lui l’auto-subversion de cette thèse.

Saül tenta de toutes ses forces de se réconcilier avec sa vocation et avec son propre destin. Il saisit Samuel afin de lui faire changer de direction et de convertir son cœur, sans toutefois y parvenir : « Quand Samuel se retourna pour partir, Saül attrapa le pan de son manteau, qui fut arraché » (15, 27). Les vraies vocations, en chair et en os, sont des variantes de la vocation inachevée de Saül. Après avoir passé notre vie à lutter pour ne pas perdre de vue notre destin, à la fin il ne nous reste plus qu’un « pan du manteau » arraché à celui du prophète, qui nous abandonne une fois devenus adultes alors qu’il nous avait appelés dans notre jeunesse.

Il en va de même de Moïse qui, même après avoir échangé directement avec Dieu, se vit refuser par ce même Dieu l’accès à la terre promise à la fin de sa vie. Or, si Saül, Moïse et les autres prophètes habitent une terre qui n’est pas la terre promise, alors notre terre partielle et imparfaite est le lieu tout indiqué pour planter notre tente de nomades. 

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Plus grands que nos fautes / 8 – Nous sommes les citoyens d’un monde partiel et inachevé

Par Luigino Bruni

publié dans Avvenire le 11/03/2018

Piu grandi della colpa 08 rid« En parcourant la Bible, il est bien difficile de trouver un seul personnage, juste ou injuste, qui n’ait pas été renié par Dieu, à part peut-être Abraham et Jésus. Or, c’est justement grâce à ces reniements que l’homme de foi apprend à douter de toute institution qui n’accepte pas d’être contredite. »

Paolo De Benedetti I profeti del re

Après sa consécration par Samuel, Saül commence à accomplir sa mission de roi guerrier ; des débuts qui scellent son sort tragique, raconté dans les pages figurant parmi les plus captivantes et splendides de toute la Bible : « Les Philistins s’étaient mobilisés contre Israël. Ils avaient trente mille chars, six mille cavaliers […]. Saül était encore à Guilgal et, derrière lui, tout le peuple tremblait. Saül attendit sept jours le rendez-vous de Samuel, mais Samuel ne vint pas à Guilgal, et le peuple abandonna Saül et se dispersa. Saül dit : “Amenez-moi l’holocauste et les sacrifices de paix.” Et il offrit l’holocauste » (1 Samuel 13, 5-9).

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Héritiers des pans du manteau

Plus grands que nos fautes / 8 – Nous sommes les citoyens d’un monde partiel et inachevé Par Luigino Bruni publié dans Avvenire le 11/03/2018 « En parcourant la Bible, il est bien difficile de trouver un seul personnage, juste ou injuste, qui n’ait pas &eac...
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Plus grands que nos fautes / 7 - L’Alliance biblique instaure engagement et pardon réciproques

Par Luigino Bruni

Publié dans Avvenire le 04/03/2018

Piu grandi della colpa 07 rid«Je vais t’aider, mon Dieu, à ne pas t’éteindre en moi. […] Une chose, cependant, m’apparaît de plus en plus clairement : ce n’est pas toi qui peux nous aider, mais nous qui devons t’aider. […] Je peux même désormais pardonner à Dieu le fait que la situation soit ce qu’elle doit être. Que l’on puisse avoir assez d’amour pour pardonner à Dieu !»

Etty Hillesum Journal, 1942

Il y a bien des épisodes-clé d’une vie pour lesquels un unique récit ne suffit pas. Pour dire ce qui s’est passé le jour où nous nous sommes connus, ou le jour où nous nous sommes entendu appeler par notre nom, une seule voix ne suffit pas. Ces moments décisifs, nous devons les raconter mille fois, des personnes différentes doivent les raconter, chacune à sa manière. Les répétitions ont du bon, que ce soit pour celui qui raconte ou pour celui qui fait l’objet du récit. Quand cette biodiversité manque, lorsqu’elle est niée ou combattue, nos récits s’appauvrissent, le mystère de la vie nous échappe. La multiplicité des histoires protège de l’idéologie, qui se développe lorsque le caractère de la vérité est attribué à un unique récit, et celui d’hérésie à tous les autres. Cette multiplicité et cette variété des récits en général dérangent l’homme moderne, en quête d’une concordance des données historiques ; en revanche, pour l’auteur biblique, un tel langage exprime la grandeur et l’importance des épisodes qu’il rapporte. La prodigalité et la générosité de la Bible se révèlent aussi dans l’abondance dont elle accompagne les plus beaux récits, à l’instar des lettres d’amour où les adjectifs s’accumulent pour dire un peu tout ce que nous n’arrivons pas à exprimer. La Bible est une longue et unique lettre d’amour qui nous est adressée et qui reste souvent enfermée dans son enveloppe. La vérité est symphonique, toujours.

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On trouve au moins trois récits de la vocation de Saül dans les livres de Samuel, chacun différant des deux autres, parce qu’ils sont les expressions des diverses tribus et des villes liées au personnage de Saül (et de Samuel). C’est ainsi qu’après les deux récits que nous avons déjà rencontrés, le texte nous rapporte à présent une autre tradition à propos du couronnement de Saül : « Nahash l’Ammonite monta contre Yavesh-de-Galaad et l’assiégea. Tous les gens de Yavesh dirent à Nahash : “Accorde-nous ton alliance et nous te servirons.” Nahash l’Ammonite leur dit : “Voici comment je vous l’accorderai : en vous crevant à chacun l’œil droit. J’infligerai cette honte à tout Israël”. » (1 Samuel 11, 1-2)

Nous sommes au cœur d’un récit très dense, riche, terrible. La menace vient maintenant des Ammonites. Les Hébreux demandent un pacte de vassalité, mais Nahash (c’est-à-dire « le serpent ») les humilie en proposant un pacte terrible et outrageant, au prix exorbitant : crever l’œil droit de tous les Hébreux. Dans le manuscrit des livres de Samuel retrouvé à Qumran, qui est plus ancien et probablement l’original, on découvre que ce pacte scélérat et fou fut appliqué : « Nahash avait opprimé lourdement les Gadites et les Rubénites, en leur crevant à chacun d’eux l’œil droit. Mais sept mille hommes avaient fui les Ammonites et étaient arrivés à Iabes Galaad. »

Pour pénétrer plus avant ces pages très dures, des paroles d’une autre époque qui contiennent pourtant une grande sagesse, une clé de lecture féconde nous est offerte par la grande catégorie biblique de l’Alliance (berit). Le pacte entre YHWH et Israël, l’acte originel et fondateur de cette expérience religieuse et sociale, différente et unique, est décrit dans la Bible en prenant précisément comme paradigme l’un des pactes méditerranéens de vassalité que les Hébreux avaient demandé aux Ammonites. Le récit de ce pacte absurde peut alors nous faire entrevoir, comme à contre-jour, quelque chose de la signification que l’Alliance revêt dans l’humanisme biblique. Chez ce petit peuple, face aux échecs des pactes politiques, mûrit progressivement la conscience de l’existence d’une autre possibilité inattendue : celle de faire un pacte avec Dieu. Trouver l’allié juste et fiable dans une réalité qui ne se voit pas et que l’on ne peut représenter. Un allié qui ne crève pas l’œil droit mais en donne un autre, pour voir l’invisible.

Vivre la relation avec Dieu comme un pacte avec l’invisible, au milieu de peuples qui n’adoraient que des objets visibles et palpables (mais muets), a permis à ce peuple petit et querelleur d’être à l’origine d’innovations théologiques et spirituelles extraordinaires. Ce qui étonne, en effet, dans l’Alliance biblique, ce n’est pas qu’elle soit différente, mais qu’elle ressemble aux pactes politico-commerciaux de l’époque, et à leur structure de réciprocité. Dans les pactes, les deux parties s’engagent à se respecter. Le trait de génie fut d’appliquer à Dieu le statut d’allié, d’établir un contrat social et pérenne avec une voix à laquelle on reconnaît la possibilité de se tenir au sein d’un pacte de réciprocité, d’engagement mutuel. Quelque chose de surprenant, même si, aujourd’hui, sa portée nous échappe presque entièrement. Un pacte parvenu aux Hébreux comme un don. Or, ce don était un pacte, donc réciprocité et avantage mutuel, où les deux parties tirent un bénéfice.

Alors, une hypothèse bouleversante, derrière l’idée même d’Alliance, c’est l’idée que Dieu tire un bénéfice de sa relation avec les hommes, un bénéfice différent, asymétrique, mais que la catégorie de l’Alliance nous autorise à appeler bénéfice. La catégorie de l’Alliance nous enseigne que, si le Seigneur trouve un bénéfice à s’allier avec nous, notre fidélité à cette alliance et à ce pacte enrichit Dieu lui-même et le change en bien. Le Dieu biblique, celui de l’Ancien et du Nouveau Testament (il s’agit du même), n’est pas l’être absolument parfait, parce que notre fidélité au pacte le rend « plus parfait » (et nos infidélités « moins parfait »). C’est, du moins, la pensée biblique, une théologie qui se transforme immédiatement en un merveilleux humanisme. Si nous avons été créés à l’image et à la ressemblance d’un Dieu qui peut conclure des pactes, nous aussi nous nous réjouissons des fidélités de Dieu et nous souffrons de ses « infidélités » : quand il « s’endort » et que nous nous retrouvons esclaves ; quand, innocents, il nous laisse sur un tas de fumier avec Job, ou quand il abandonne son fils et les nôtres sur les innombrables croix de l’histoire. La logique de l’Alliance nous permet d’imaginer l’impensable. Comme nous l’a révélé Etty Hillesum, dans son camp de concentration, nous laissant en héritage une des pages les plus sublimes du XXe siècle, même au cœur de l’abandon le plus noir, nous pouvons sauver la foi dans l’Alliance si nous apprenons à pardonner à Dieu. Quelque chose qui nous fait frissonner intérieurement, qui donne substance et sérieux à notre fidélité aux pactes « sous le soleil ». Et, lorsque nous sommes trahis et trompés dans nos pactes, lorsque nous nous pardonnons et que nous savons repartir ensemble, nous pouvons espérer que quelqu’un « au-dessus du soleil » pourra nous comprendre, parce que nos joies et nos douleurs sont peut-être semblables aux siennes. Alors, nous ne devons pas nous étonner de découvrir qu’au terme du discours de Samuel, après ces évènements, l’on retrouve précisément cette référence à l’Alliance : « En effet, le Seigneur ne délaissera pas son peuple, à cause de son grand Nom, puisque le Seigneur a voulu faire de vous son peuple » (12,22).

Après cette demande de pacte absurde, Saül est rejoint par les messagers de Iabes qui lui rapportèrent les évènements : « Le peuple éclata en sanglots (…) L’Esprit de Dieu fondit sur Saül quand il entendit ces paroles, et il entra dans une violente colère. Il prit une paire de bœufs, les dépeça et, par l’entremise des messagers, en envoya les morceaux dans tout le territoire d’Israël. » (11,4-7).

Nous sommes là au cœur d’une tradition de la tribu de Benjamin, dans la ville de Gaaba. Face à Saül qui transforme ses bœufs en « messages de chair », le lecteur familier de la Bible ne peut pas ne pas penser immédiatement à l’histoire effrayante du lévite qui nous est rapportée par le livre des Juges. Cette nuit-là, une des nuits les plus sombres de la Bible, un lévite de passage dans la ville de Gabaa en compagnie de sa concubine, est hébergé par un vieillard pour la nuit. Le lendemain matin, « arrivé chez lui, le lévite prit un couteau et, saisissant sa concubine, la découpa membre après membre, en douze morceaux qu’il envoya dans tout le territoire d’Israël. [...] Le lévite avait donné cet ordre aux hommes qu’il avait envoyés : “Ainsi parlerez-vous à tous les hommes d’Israël : Pareille chose est-elle arrivée depuis le jour où les fils d’Israël sont montés du pays d’Égypte jusqu’à ce jour ? Réfléchissez-y, consultez-vous et prononcez-vous !” » (Juges 19,29-30)

Avant de poursuivre ce commentaire, nous devons nous arrêter un instant, et essayer de surmonter la douleur et le désarroi qui nous saisissent à la lecture d’un tel récit, et de « toutes choses semblables » qui, malheureusement, continuent de se produire. Et ce n’est pas chose aisée... Puis, nous découvrons une forte affinité entre ces deux épisodes. L’Ammonite a outragé la demande de pacte présentée par les Hébreux. Les hommes de la tribu de Benjamin ont profané le pacte d’hospitalité, l’un des plus sacrés qui soient. Toute offre de pacte est une offre d’hospitalité, et tout refus de l’hospitalité est un refus du pacte. Les pactes et les alliances, chez ces peuples anciens, se célébraient en dépeçant des animaux, en utilisant le langage de la chair et du sang. Dieu a établi son Alliance avec Abraham en passant comme un feu entre les morceaux d’animaux découpés.

Ce sont là des langages très forts, archaïques, primitifs, que nous ne comprenons pas. Cependant, si nous les regardons « dans les yeux », ils nous parlent encore. Nous pouvons lire le sang et la chair que comportent les pactes de la Bible, pour nous construire une image d’un Dieu assoiffé de notre sang, et même de celui de son fils crucifié dont il s’abreuve pour apaiser son courroux contre le monde. Ce faisant, nous n’allons pas bien loin : nous restons prisonniers des mythes méditerranéens, dont on trouve trace jusque dans la Bible et qui continuent d’influencer certaines lectures chrétiennes du sacrifice et la théologie de l’expiation.

Or, à partir de cette chair et de ce sang une autre histoire peut commencer. Une histoire bien différente, qui nous dit que les pactes sont des actes extrêmement sérieux, comme le sont la chair et le sang, car ils sont la chair et le sang de la vie vécue ensemble. Pour exprimer le sérieux et la valeur de la vie, ces hommes utilisaient les mots les plus forts dont ils disposaient. Pour nous dire que les promesses et les pactes sont importants et graves, comme le sont la chair et le sang des enfants, des époux, des épouses, des parents, des frères. Si nous pouvons signer et résilier des milliers de contrats, sans que ceux-ci laissent la moindre trace, nous ne pouvons pas faire de même avec les pactes. Ils sont faits de chair et de sang et, lorsque nous décidons de nous dédire, leurs traces restent gravées pour toujours dans notre chair. Toute alliance est une blessure ; de même, la foi est une blessure, une fissure tournée vers le ciel et que, durant toute notre vie, nous nous efforçons d’empêcher de se refermer, en espérant qu’elle restera ouverte lorsque nous-mêmes fermerons les yeux et que, peut-être, nous verrons Dieu.

Un autre jour, une autre nuit, la Bible nous a envoyé un autre message de chair. Cette fois, c’était un magnifique enfant ; la parole s’était faite chair et sang. Un autre jour, cet enfant magnifique, devenu un homme, fut suspendu à une croix ; autre sang et autre chair véritables. Et tant d’autres messages incarnés que la Bible, dans sa clémence, continue de conserver pour nous.

Après que Saül eut vaincu les Ammonites, « tout le peuple alla donc à Guilgal. Là, en présence du Seigneur, à Guilgal, on y offrit des sacrifices, et Saül et tous les gens d’Israël s’y livrèrent à de grandes réjouissances » (11,15).

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Par Luigino Bruni

Publié dans Avvenire le 04/03/2018

Piu grandi della colpa 07 rid«Je vais t’aider, mon Dieu, à ne pas t’éteindre en moi. […] Une chose, cependant, m’apparaît de plus en plus clairement : ce n’est pas toi qui peux nous aider, mais nous qui devons t’aider. […] Je peux même désormais pardonner à Dieu le fait que la situation soit ce qu’elle doit être. Que l’on puisse avoir assez d’amour pour pardonner à Dieu !»

Etty Hillesum Journal, 1942

Il y a bien des épisodes-clé d’une vie pour lesquels un unique récit ne suffit pas. Pour dire ce qui s’est passé le jour où nous nous sommes connus, ou le jour où nous nous sommes entendu appeler par notre nom, une seule voix ne suffit pas. Ces moments décisifs, nous devons les raconter mille fois, des personnes différentes doivent les raconter, chacune à sa manière. Les répétitions ont du bon, que ce soit pour celui qui raconte ou pour celui qui fait l’objet du récit. Quand cette biodiversité manque, lorsqu’elle est niée ou combattue, nos récits s’appauvrissent, le mystère de la vie nous échappe. La multiplicité des histoires protège de l’idéologie, qui se développe lorsque le caractère de la vérité est attribué à un unique récit, et celui d’hérésie à tous les autres. Cette multiplicité et cette variété des récits en général dérangent l’homme moderne, en quête d’une concordance des données historiques ; en revanche, pour l’auteur biblique, un tel langage exprime la grandeur et l’importance des épisodes qu’il rapporte. La prodigalité et la générosité de la Bible se révèlent aussi dans l’abondance dont elle accompagne les plus beaux récits, à l’instar des lettres d’amour où les adjectifs s’accumulent pour dire un peu tout ce que nous n’arrivons pas à exprimer. La Bible est une longue et unique lettre d’amour qui nous est adressée et qui reste souvent enfermée dans son enveloppe. La vérité est symphonique, toujours.

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Les pactes sont faits de chair et de sang

Plus grands que nos fautes / 7 - L’Alliance biblique instaure engagement et pardon réciproques Par Luigino Bruni Publié dans Avvenire le 04/03/2018 «Je vais t’aider, mon Dieu, à ne pas t’éteindre en moi. […] Une chose, cependant, m’app...
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Plus grands que nos fautes / 6 – L’enthousiasme prophétique s’allume dans la vie ordinaire

Par Luigino Bruni

publié dans Avvenire le 25/02/2018

Piu grandi della colpa 06 c rid« Vos fils et vos filles prophétiseront,
vos vieillards auront des songes,
vos jeunes gens auront des visions. »

Livre du prophète Joël

Le couronnement de Saül, premier roi d’Israël, a lieu, encore une fois, au milieu d’événements ordinaires de la vie. Saül s’est éloigné de chez lui pour chercher des ânesses égarées, des animaux très précieux pour l’économie de l’époque. C’est lors de cette mission ordinaire que l’extraordinaire fait irruption dans sa vie. Alors que Saül était sorti de chez lui pour aller travailler, il revient en « oint du Seigneur ». Il était parti à la recherche d’ânesses qu’il n’a pas trouvées ; il a trouvé à la place une vocation, une mission, un destin qu’il ne cherchait pas. Il s’agit là d’un des plus magnifiques épisodes de sérendipité, qui ne se contente pas d’expliquer pourquoi. Si nous n’allons pas en chair et en os dans les librairies, nous ne découvrirons jamais les livres les plus importants que nous ne cherchions pas, qui nous attendaient à côté des livres moins importants que nous cherchions : il nous fait également percevoir une part de la logique profonde de la vie spirituelle. Les plus grands biens de la vie sont ceux que nous n’achetons pas parce qu’ils ne sont pas en vente, ceux que nous ne cherchons même pas car nous ignorons encore leur existence, ceux que nous recevons parce que nous sommes tout simplement aimés.

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« Il y avait en Benjamin un homme appelé Qish, fils d’Aviel, fils de Ceror, fils de Bekorath, fils d’Afiah, fils d’un Benjaminite. C’était un vaillant homme. Il avait un fils appelé Saül, un beau garçon. Aucun des fils d’Israël ne le valait. Il dépassait tout le peuple de la tête et des épaules. Les ânesses de Qish, le père de Saül, s’étant égarées, Qish dit à son fils Saül : “Prends donc avec toi l’un des domestiques et pars à la recherche des ânesses.” Il parcourut la montagne […], sans trouver. […] Saül dit au domestique qui l’accompagnait : “Allons, rentrons. […]” Le serviteur lui dit : “Mais il y a dans cette ville un homme de Dieu ! […] Allons-y donc. Peut-être nous renseignera-t-il sur le voyage que nous avons entrepris” » (1 Samuel 9, 1-6). Saul est l’élu y compris en raison de son physique : il est fort, le plus beau et le plus grand entre tous. Cependant, il appartient à la tribu des Benjaminites, la plus petite, celle qui, à Guivéa, s’était salie en commettant un des crimes les plus atroces de toute la Bible (Juges 19), une ambivalence qui marquera le destin de Saül jusqu’à la fin.  

Saül écoute le conseil de son assistant ; cependant il lui demande : “Mais qu’apporterons-nous à cet homme ? Il n’y a plus de pain dans nos sacs et il ne convient pas d’offrir à l’homme de Dieu des provisions de route. Qu’avons-nous ?” Le domestique reprit la parole pour répondre à Saül : “J’ai justement sur moi un quart de sicle d’argent. Je le donnerai à l’homme de Dieu, et il nous renseignera sur notre voyage” » (9,7-8). On voit revenir ici le grand thème du don, qui marque ces premiers chapitres du livre de Samuel. Le contexte permet de comprendre que le don qui préoccupe Saül n’a rien de gratuit et ressemble bien davantage à un prix à payer en échange d’un service. Le domaine du don et celui de l’échange se sont souvent recoupés, parfois jusqu’à se superposer. Le don gratuit et totalement désintéressé est une invention récente qui existe presque exclusivement dans les livres des chercheurs ou dans quelque recoin de notre âme, où nous conservons les souvenirs précieux et éternels de notre petite enfance. En réalité, le don est le langage originel de la réciprocité, une marque d’intérêt envers une personne ou une chose. Le désintérêt (l’absence d’intérêt) n’appartient pas à la sémantique du don.

La suite du récit nous révèle la nature spécifique de ce don : « Autrefois, en Israël, on avait coutume de dire quand on allait consulter Dieu : “Venez, allons trouver le voyant.” Car le “prophète” d’aujourd’hui, on l’appelait autrefois le “voyant” » (9,9). La naissance de la prophétie en Israël a été un processus long, donc complexe et ambivalent. Voyants, chamans et devins étaient très répandus dans le monde antique, et ils exerçaient des fonctions diverses et importantes (traitements contre les maladies, interprétation des rêves, lecture de signes, libération de l’emprise d’esprits mauvais, prédiction d’événements, conseils au roi…). Leur métier était (presque) semblable aux autres ; par conséquent, pour bénéficier de leurs prestations, il fallait payer un prix. Or, comme les voyants habitaient le territoire du sacré, afin d’interagir avec eux on recourait au registre de l’offre ou du don. Un langage bien plus adapté que le langage commercial car, lorsque l’homme de l’Antiquité entrait en relation avec le sacré, il ne considérait pas ce do ut des (je donne pour que tu puisses donner) très spécial comme un échange de valeurs équivalentes : selon lui, ce que l’on recevait (ou avait reçu) en échange valait bien plus que la part que l’on avait « payée » (de la même façon, il n’est jamais venu à l’esprit de personne qu’une messe pour un défunt ne « valait » pas plus que les dix euros « payés » au prêtre). L’excédent de don est aujourd’hui encore très présent. À bien y réfléchir, nous savons tous que la valeur de ce que nous donnons à notre entreprise en l’espace d’un mois représente bien plus que notre salaire.

La prophétie en Israël est partie des figures anciennes des voyants et des devins pour se distinguer progressivement comme un phénomène unique et extraordinaire. Si Samuel conserve encore des traits de l’ancienne figure du voyant, il porte déjà en lui la semence de cette nouvelle prophétie qui, des siècles plus tard, engendrera Isaïe et Jérémie. Il est en effet révélateur qu’au moment où Saül va voir Samuel, le récit abandonne toute référence au prix à payer au « voyant », comme pour nous signifier que la relation avec ce voyant-prophète renferme un élément nouveau et différent par rapport au don-échange avec les devins.

Arrive enfin l’heure de la rencontre : « Ils entraient dans la ville et voici que Samuel sortait au-devant d’eux pour monter au haut lieu. Or, le SEIGNEUR avait averti Samuel un jour avant l’arrivée de Saül. Il lui avait dit : “Demain, à la même heure, je t’enverrai un homme du pays de Benjamin et tu l’oindras comme chef de mon peuple Israël” » (9,14-16). Ici, un détail nous révèle une différence essentielle entre Samuel et les voyants : le Seigneur avait parlé « à l’oreille » de Samuel. Le passage à l’ère nouvelle de la prophétie est marqué par un changement de sens : de la vue, on passe à l’ouïe. Le voyant « voit » et le prophète « écoute » un Dieu différent et invisible. Grâce à la prophétie, le Dieu des patriarches et de Moïse devient une voix. Les vieilles théophanies (le nuage, le feu…), qui ressemblaient encore beaucoup à celles des autres peuples, laissent progressivement la place à une voix. Une chose merveilleuse, que nous ne parvenons plus à comprendre aujourd’hui tant nous croulons sous les innombrables voix et visions, mais qui continue de nous fasciner et de nous émouvoir, jusqu’à se transformer parfois en prière : quand réapprendrons-nous à écouter cette voix différente ? Et qui nous apprendra à la reconnaître ?  

Samuel a une deuxième « audition prophétique » (« Samuel aperçut Saül. Aussitôt le SEIGNEUR lui souffla : “Voici l’homme dont je t’ai dit : C’est lui qui tiendra mon peuple en main” » : 9,17), puis il invite Saül à sa table où il lui réserve un traitement spécial en lui remettant la part la plus riche et la plus grosse de l’animal offert en sacrifice (9,24). Nous pénétrons ainsi au cœur du récit : « Dès que monta l’aurore […], tous les deux, lui et Samuel, sortirent. Ils descendaient à la limite de la ville quand Samuel dit à Saül : “Dis au serviteur de passer devant nous.” Il passa devant. “Et toi, arrête-toi maintenant, que je te fasse entendre la parole de Dieu” » (9,26-27). À la périphérie de la ville, « Samuel prit la fiole d’huile, la versa sur la tête de Saül et l’embrassa. Il dit : “Est-ce que ce n’est pas le SEIGNEUR qui t’a oint comme chef de son patrimoine ?” » (10,1). Dans les quartiers périphériques se produisent des événements extraordinaires. Cette banalité qui entoure le couronnement de Saül est magnifique ; c’est comme si la Bible avait voulu exaucer le souhait d’avoir un roi consacré, en désacralisant et en normalisant l’environnement dans lequel se déroule la scène : les ânesses, un domestique, un repas, une route à la périphérie de la ville. Comme Moïse, Gédéon, Amos ou les pêcheurs de Galilée, comme Marie de Nazareth que l’ange Gabriel vient trouver chez elle, au moment où elle est peut-être occupée aux tâches domestiques quotidiennes. Pour les théophanies, aucun lieu n’est plus approprié qu’une barque, une cuisine, un buisson ardent ou un voyage ayant pour but de ramener les ânesses au bercail, ou encore le gué d’un fleuve en pleine nuit, le désert, la route vers Damas ou une petite église en ruine non loin d’Assise.

Saül reprend le chemin de sa maison mais, « quand ils arrivèrent à Guivéa, une bande de prophètes venait à sa rencontre. Alors l’esprit de Dieu fondit sur lui, et il entra en transe avec eux. Toutes ses anciennes connaissances le virent : il faisait le prophète, avec des prophètes ! On se dit dans le peuple : “Qu’est-il donc arrivé au fils de Qish ? Saül est-il aussi parmi les prophètes ?” » (10,10-11). Saül vit une expérience d’exaltation prophétique, semblable à celle qu’évoquent les Actes des apôtres le jour de la Pentecôte (2,13) ; à Guivéa, les gens qui observaient la scène pensaient que Saül n’était pas dans son état normal, et la même chose se reproduira mille ans plus tard à Jérusalem (« ils se sont enivrés de vin doux »).

Le texte venait de nous apprendre un élément important : « Dès que Saül se fut retourné en quittant Samuel, Dieu lui changea le cœur et tous ces signes arrivèrent ce jour-là » (10,9). La rencontre avec Samuel et son onction avaient provoqué un changement au plus profond de Saül : ils lui avaient changé le cœur. Il s’était donc produit quelque chose qui avait transformé toute sa personne, et pas seulement ses émotions et ses sentiments. Lorsque la Bible cherche à exprimer les effets d’un changement dans le cœur, elle fait « prophétiser » ses personnages, elle les plonge dans un enthousiasme prophétique. Elle les associe temporairement à la vocation prophétique qui, dans cette forme d’humanisme, est la condition humaine la plus proche de Dieu, et cela en dit long sur l’estime que la Bible voue aux prophètes.

Certes, nous ne sommes pas tous prophètes et nous n’avons pas tous vocation à entendre des paroles divines dans l’oreille de notre âme. Pourtant, beaucoup d’entre nous, et peut-être même tous, peuvent vivre au moins une expérience d’enthousiasme prophétique, à condition d’être ouverts à la voix des prophètes et de la vie. Peut-être le jour de nos noces, ou bien lorsque nous comprenons enfin qui nous sommes vraiment ; ou encore, une fois que la voix est partie, nous avons compris que tout n’était qu’amour, et nous entonnons alors le plus beau des chants, animés de l’enthousiasme de l’esprit. Des moments rares, mais infinis.

Cette expérience de Saül fut elle aussi de courte durée : « Sorti de transe, Saül arriva au haut lieu » (10,13). Pourtant, la Bible a conservé ce bref moment extraordinaire, entre autres pour nous rappeler que cette prophétie, que même Saül a expérimentée, peut arriver à tout le monde. Nous aussi, nous pouvons caresser l’espoir de faire un bout de chemin avec la merveilleuse « bande de prophètes ». Nous aussi, nous pouvons sortir de chez nous pour nous rendre tout simplement au travail et trouver, à la périphérie de la ville, une vocation, une mission et un destin. 

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Plus grands que nos fautes / 6 – L’enthousiasme prophétique s’allume dans la vie ordinaire

Par Luigino Bruni

publié dans Avvenire le 25/02/2018

Piu grandi della colpa 06 c rid« Vos fils et vos filles prophétiseront,
vos vieillards auront des songes,
vos jeunes gens auront des visions. »

Livre du prophète Joël

Le couronnement de Saül, premier roi d’Israël, a lieu, encore une fois, au milieu d’événements ordinaires de la vie. Saül s’est éloigné de chez lui pour chercher des ânesses égarées, des animaux très précieux pour l’économie de l’époque. C’est lors de cette mission ordinaire que l’extraordinaire fait irruption dans sa vie. Alors que Saül était sorti de chez lui pour aller travailler, il revient en « oint du Seigneur ». Il était parti à la recherche d’ânesses qu’il n’a pas trouvées ; il a trouvé à la place une vocation, une mission, un destin qu’il ne cherchait pas. Il s’agit là d’un des plus magnifiques épisodes de sérendipité, qui ne se contente pas d’expliquer pourquoi. Si nous n’allons pas en chair et en os dans les librairies, nous ne découvrirons jamais les livres les plus importants que nous ne cherchions pas, qui nous attendaient à côté des livres moins importants que nous cherchions : il nous fait également percevoir une part de la logique profonde de la vie spirituelle. Les plus grands biens de la vie sont ceux que nous n’achetons pas parce qu’ils ne sont pas en vente, ceux que nous ne cherchons même pas car nous ignorons encore leur existence, ceux que nous recevons parce que nous sommes tout simplement aimés.

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L’onction des périphéries

Plus grands que nos fautes / 6 – L’enthousiasme prophétique s’allume dans la vie ordinaire Par Luigino Bruni publié dans Avvenire le 25/02/2018 « Vos fils et vos filles prophétiseront, vos vieillards auront des songes, vos jeunes gens auront des visi...
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Plus grands que nos fautes / 5 – Reconnaître les mauvaises décisions de notre vie et nous réconcilier

de Luigino Bruni

publié dans Avvenire le 18/02/2018

Piu grandi della colpa 05 rid« Je voudrais passer comme une toile
où le regard crucifié
éteint les idoles. »

Heleno Oliveira, Se fosse vera la notte

Très souvent, la Bible recourt au langage de l’économie pour décrire le plus haut degré de corruption morale et spirituelle. Si elle le fait, c’est parce qu’il n’y a rien de plus spirituel et théologique que l’économie, la politique et le droit. La foi ne parle qu’à travers les paroles de la vie. Dès lors, il n’existe pas de mots plus vrais que salaire, profit, impôts, pots-de-vin, finance, contrat, travail ou entreprise pour exprimer la nature et la qualité de notre vie spirituelle. Il s’agit des mots les plus théologiques et spirituels dont nous disposions « sous le soleil », qui confèrent une certaine vérité y compris aux paroles ayant trait à la foi. Car, si nous ne savons pas exprimer la spiritualité avec le vocabulaire de l’économie, du droit ou de la politique, il se peut fort que ces paroles spirituelles soient, de fait, des prières à nos idoles, même lorsque nous les prononçons en toute dévotion dans nos temples, nos synagogues ou nos églises. Cela, la Bible et sa vraie laïcité l’avaient très bien compris ; or, aujourd’hui nous le comprenons beaucoup moins bien, car nous avons oublié la Bible et la laïcité.

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« Devenu vieux, Samuel donna ses fils pour juges à Israël. […] Mais ses fils ne marchèrent pas sur ses traces. Dévoyés par le lucre, acceptant des cadeaux, ils firent dévier le droit » (8,1-3). À l’instar d’Eli dans le temple de Silo, Samuel a engendré à son tour des fils corrompus. Afin d’achever une histoire collective, la Bible doit briser la chaîne des générations à travers laquelle s’égrène l’Alliance. Pour ce faire, elle utilise généralement la stérilité des femmes, parfois aussi l’injustice des fils. Leur fonction reste la même, étant donné que les traditions (familiales, spirituelles, entrepreneuriales, politiques etc.) s’éteignent suite à la stérilité des pères ou à la trahison des fils, aujourd’hui comme hier.

La corruption des fils de Samuel sert de prétexte pour amorcer un tournant dans l’histoire d’Israël, la naissance de la monarchie : « Tous les anciens d’Israël se rassemblèrent et vinrent trouver Samuel à Rama. Ils lui dirent : “Te voilà devenu vieux et tes fils ne marchent pas sur tes traces. Maintenant donc, donne-nous un roi pour nous juger comme toutes les nations” » (8,4-5). Dans cette demande adressée par les vieillards du peuple à Samuel, les paroles qui expliquent le mieux la réaction du prophète sont : « comme toutes les nations ». Or, l’identité d’Israël résidait dans son Dieu différent de ceux de « toutes les autres nations ». Un roi comme les autres, comme ceux des autres peuples idolâtres. Samuel perçoit que ce fait de réclamer un roi comme toutes les autres nations recèle un élément décisif, notamment sur le plan théologique et spirituel et, par conséquent, le danger réel de perdre son identité civile et religieuse. Voilà pourquoi ces chapitres cruciaux sur le début de la période monarchique sont introduits par une énième conversion, un retour du peuple au Seigneur après avoir renoncé aux idoles : « Samuel dit alors à toute la maison d’Israël : “Si c’est de tout votre cœur que vous revenez au SEIGNEUR, écartez de chez vous les dieux de l’étranger et les Astartés ; dirigez votre cœur vers le SEIGNEUR, ne servez que lui seul […].” Les fils d’Israël écartèrent les Baals et les Astartés et ils ne servirent plus que le SEIGNEUR » (1 Samuel 7,3-4).

La Bible entretient un rapport difficile, ambivalent et généralement négatif avec la monarchie, car rien ni personne plus qu’un roi ne risque de se transformer ou d’être transformé en idole. Le pharaon d’Égypte, bien connu dans la tradition biblique, était lui aussi un dieu, et les rois et souverains des autres peuples étaient souvent considérés comme divins. Même si le texte apporte une explication éthique, donc politique, à la fin de la période des Juges et, par conséquent, au début de la monarchie, derrière se cache la vraie nature théologique de la puissante polémique antimonarchique présente dans les livres de Samuel. Demander un roi est une autre expression de la tentation des nombreux « veaux d’or » qui avaient séduit Israël après la libération d’Égypte.

Samuel fut attristé par cette demande (cela « déplut à Samuel » : 8,6). Le dialogue entre Samuel et le Seigneur fait clairement ressortir sa nature foncièrement idolâtrique : « Le SEIGNEUR dit à Samuel : “Écoute la voix du peuple en tout ce qu’ils te diront. Ce n’est pas toi qu’ils rejettent, c’est moi. Ils ne veulent plus que je règne sur eux. Comme ils ont agi depuis le jour où je les ai fait monter d’Égypte jusqu’aujourd’hui, m’abandonnant pour servir d’autres dieux, ainsi agissent-ils aussi envers toi” » (8,7-8). Il ne s’agit donc pas de définir une forme de gouvernement, ni de choisir un chef politique : le prophète entrevoit dans le souhait d’avoir un roi une trahison idolâtrique. Ces pages, extrêmement importantes dans l’économie et l’histoire de la Bible, contiennent quelque chose qui va au-delà du jugement historique porté par leur auteur sur la monarchie en Israël : elles renferment également un enseignement sur la nature intrinsèquement idolâtrique du pouvoir. En effet, la corruption et les penchants idolâtriques ne sont pas caractéristiques de la seule monarchie. Aaron se fit le complice du peuple rebelle en l’aidant à fabriquer le veau d’or au pied du mont Sinaï, certains juges et leurs fils s’étaient laissé corrompre, et la corruption se poursuivra même après l’exil à Babylone. Or, plus le pouvoir est absolu, plus la corruption l’est, car l’idolâtrie risque alors de le devenir encore davantage. Un absolu qui l’est d’autant plus lorsque le roi est l’oint du Seigneur, lorsqu’il reçoit un chrisme sacré qui le place à la frontière entre la condition humaine et celle des Élohim. Un roi oint se rapproche trop du roi-idole des autres peuples, de même que l’arche ressemblait trop aux baldaquins sur lesquels le dieu philistin Dagon était porté en procession.

Le texte nous enseigne que Samuel reçoit l’ordre du Seigneur d’accueillir le souhait du peuple, avoir une monarchie : « Maintenant donc, écoute leur voix. Mais ne manque pas de les avertir : apprends-leur comment gouvernera le roi qui régnera sur eux » (8,9). Au moment d’écrire ces faits, des siècles plus tard, l’auteur des livres de Samuel savait que la période des Juges serait suivie de la monarchie ; il savait également que le royaume d’Israël ne tarderait pas à se diviser, et que les rois qui se succéderaient seraient presque tous corrompus. Mais, surtout, il savait qu’en dépit des nombreux rois corrompus, à commencer par Saul, David et Salomon, le peuple fut capable, pendant des siècles, de poursuivre son histoire différente de foi, et que ce salut fut rendu possible par la présence, les paroles et les actes des prophètes. Samuel, puis Nathan, Isaïe et Jérémie firent en sorte que le pouvoir des rois ne consiste pas uniquement et constamment en abus et en idolâtrie : « écoute leur voix », mais « ne manque pas de les avertir ». Car, sans les mises en garde des prophètes, invariablement le pouvoir n’est que corruption et idolâtrie, à l’intérieur comme à l’extérieur des religions. Et, lorsque le pouvoir n’est plus que corruption, il n’y a plus de prophètes : ils se sont enfuis, ont été tués, sont devenus de faux prophètes de cour ou bien ont été inscrits dans le livre de paie des rois. Ce sont la prophétie et son avertissement caractéristique qui rendent supportable le joug de tout pouvoir.

Samuel obéit et adresse aussitôt son avertissement : « Voici comment gouvernera le roi qui régnera sur vous : il prendra vos fils pour les affecter à ses chars et à sa cavalerie […]. Il les prendra pour labourer son labour […]. Il prendra vos filles comme parfumeuses, cuisinières et boulangères. Il prendra vos champs, vos vignes et vos oliviers les meilleurs. Il les prendra et les donnera à ses serviteurs. […] Il lèvera la dîme sur vos troupeaux. Vous-mêmes enfin, vous deviendrez ses esclaves. Ce jour-là, vous crierez à cause de ce roi que vous vous serez choisi, mais, ce jour-là, le SEIGNEUR ne vous répondra point » (8,11-18). Ici, Samuel ne force ni n’exagère la relation entre les souverains et leurs sujets : il se contente de décrire les événements dans les royaumes voisins d’Israël (et chez nos voisins). Si, en Israël et dans nos « royaumes » politiques et économiques, les « souverains » ne consument pas entièrement nos fils et filles, c’est parce qu’il se trouve au moins un prophète qui l’en empêche ou, du moins, l’en a empêché par le passé.

Malgré l’avertissement de Samuel-Seigneur, « le peuple refusa d’écouter la voix de Samuel. “Non, dirent-ils. C’est un roi que nous aurons. Et nous serons, nous aussi, comme toutes les nations” » (8,19-20). Alors qu’ils voulaient vraiment être comme les autres peuples, en réalité, grâce aux prophètes, ils sont devenus presque comme les autres. Lorsque les prophètes sont présents et ne restent pas silencieux, ils se font les gardiens du presque, des sentinelles qui empêchent le pouvoir de se transformer en parfaite idolâtrie corrompue et qui empêchent notre âme de s’égarer complètement dans les épreuves de la vie.

Enfin, dans ces dialogues autour du souhait d’avoir une monarchie, un message, qui figure parmi les plus beaux et les plus profonds de la Bible, revient régulièrement. L’auteur de ce texte a bien conscience que le chemin suivi par son peuple après la libération de Moïse s’est révélé moins lumineux, moins fidèle et moins beau qu’il n’aurait pu l’être. La souffrance de tous aurait pu être moins forte, les pauvres auraient pu subir moins d’humiliations et la foi aurait pu être plus authentique. Toute la Bible est traversée par cette zone d’ombre qui, malgré tout, nous suggère là encore une vérité anthropologique et spirituelle. Lorsque nous nous lançons dans l’écriture de notre histoire, ce qui nous demande d’interpréter les événements et nos choix d’hier, nous faisons cette expérience intense : nous apercevons un sentier plus élevé et lumineux, celui que nous aurions pu suivre si, aux carrefours et lors des moments décisifs (qui sont toujours très rares), nous avions fait d’autres choix. Parallèlement à notre histoire, nous distinguons une piste sur l’arête d’une montagne et nous observons le spectacle de ses horizons plus vastes, que nous aurions pu parcourir si seulement nous avions eu un prophète près de nous ou si nous avions cru à ses paroles. Voir ou entrevoir rétrospectivement ces routes plus élevées et lumineuses que nous avons renoncé à suivre peut représenter le moment le plus douloureux de la vie, qui l’est d’ailleurs souvent et réellement pour beaucoup.

Cependant, ce regard que nous portons sur nos routes manquées peut changer et devenir positif dès lors que nos yeux regardent avec ceux de la Bible et de ses prophètes. Grâce à eux, nous parvenons à accepter avec indulgence nos mauvaises décisions et nos rendez-vous manqués, à les envisager comme si nous les avions vraiment vécus et à nous préparer à la dernière ligne droite, enfin réconciliés avec nos regrets. Alors, nous assisterons, à notre grand étonnement, à un miracle : ces arêtes manquées et ces horizons que nous n’avions jamais vus deviendront soudain réels et vrais, comme ceux, plus bas et plus petits, que la vie nous a fait traverser. Et nous rendrons grâce, car tout est grâce. 

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Plus grands que nos fautes / 5 – Reconnaître les mauvaises décisions de notre vie et nous réconcilier

de Luigino Bruni

publié dans Avvenire le 18/02/2018

Piu grandi della colpa 05 rid« Je voudrais passer comme une toile
où le regard crucifié
éteint les idoles. »

Heleno Oliveira, Se fosse vera la notte

Très souvent, la Bible recourt au langage de l’économie pour décrire le plus haut degré de corruption morale et spirituelle. Si elle le fait, c’est parce qu’il n’y a rien de plus spirituel et théologique que l’économie, la politique et le droit. La foi ne parle qu’à travers les paroles de la vie. Dès lors, il n’existe pas de mots plus vrais que salaire, profit, impôts, pots-de-vin, finance, contrat, travail ou entreprise pour exprimer la nature et la qualité de notre vie spirituelle. Il s’agit des mots les plus théologiques et spirituels dont nous disposions « sous le soleil », qui confèrent une certaine vérité y compris aux paroles ayant trait à la foi. Car, si nous ne savons pas exprimer la spiritualité avec le vocabulaire de l’économie, du droit ou de la politique, il se peut fort que ces paroles spirituelles soient, de fait, des prières à nos idoles, même lorsque nous les prononçons en toute dévotion dans nos temples, nos synagogues ou nos églises. Cela, la Bible et sa vraie laïcité l’avaient très bien compris ; or, aujourd’hui nous le comprenons beaucoup moins bien, car nous avons oublié la Bible et la laïcité.

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Les nécessaires gardiens du « presque »

Plus grands que nos fautes / 5 – Reconnaître les mauvaises décisions de notre vie et nous réconcilier de Luigino Bruni publié dans Avvenire le 18/02/2018 « Je voudrais passer comme une toile où le regard crucifié éteint les idoles.&nbs...
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Plus grands que nos fautes / 4 Dieu tout-puissant et vaincu nous enseigne la foi qui change tout

Par Luigino Bruni

publié dans Avvenire le 11/02/2018

Piu grandi della colpa 04 rid« Les plus belles poésies
s’écrivent sur les pierres,
les genoux pliés
et les esprits aiguisés par le mystère.
Les plus belles poésies s’écrivent
face à un autel vide,
tandis que des agents
de la divine folie nous encerclent.
Ainsi, fou criminel que tu es,
tu récites des vers à l’humanité,
les vers de la révolte
et les prophéties bibliques,
et tu es le frère de Jonas
. »

Alda Merini, La Terra Santa

« En ces jours-là, les Philistins se rassemblèrent pour combattre Israël. Israël partit en guerre contre les Philistins » (4,1b). Après la nuit grandiose et splendide où Samuel découvre sa vocation, le décor change : un vent de guerre souffle sur Israël. Apparaît alors un peuple qu’Israël connaît déjà, qui l’accompagnera et le combattra pendant des siècles : les Philistins, un peuple ancien de marins, qui exerça sa domination politique et culturelle sur toute la région et lui donnera même son nom (Palestine, Philistie : la terre des Philistins). Même si le décor change et peut-être aussi le narrateur, il reste quelques éléments de continuité ; parmi eux, Eli et ses fils, mais aussi et surtout l’arche.

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Comme nous l’enseigne le texte (chap. 3,3), Samuel dormait près de l’arche dans le temple de Silo. Difficile pour nous, lecteurs d’aujourd’hui, de comprendre ce qu’était vraiment l’arche de l’Alliance, que Moïse fit construire lors de l’exode, à la demande explicite du Seigneur. Il s’agissait d’un petit coffre recouvert d’or, qui contenait les tables de la Loi. Lors des pérégrinations dans le désert, il était transporté recouvert d’une toile. Quand le peuple dressait un campement, l’Arche était posée sous une tente (la « tente de la rencontre »). Au-dessus de l’arche, le Seigneur s’adressait directement à Moïse : « Là, je te rencontrerai et, du haut du propitiatoire […], je te dirai tous les ordres que j’ai à te donner » (Exode 25,22). Ce petit coffre voyageur représentait le sacrement de la Loi, un témoignage des dialogues uniques et extraordinaires entre Moïse et la voix, le mémorial de l’alliance des douze tribus d’Israël avec leur Dieu différent.

Pour les hommes de ces temps reculés, toutes les choses visibles incarnaient le sacrement de l’invisible. C’était encore plus vrai pour l’arche de l’Alliance, étant donné que les Israélites la considéraient comme la chose la plus sacrée sur terre, conservée dans le Saint des saints du temple de Silo, puis dans celui de Jérusalem. Parallèlement, l’arche était l’objet qui se rapprochait le plus des idoles de bois ou d’or, honnies de la Bible et des prophètes. Elle ressemblait beaucoup aux baldaquins et aux sarcophages que les Égyptiens et les peuples cananéens portaient en procession lors des fêtes sacrées. Le Dieu d’Israël, Yahvé, s’était révélé à leurs patriarches et à Moïse comme un Dieu vraiment différent ; or, le peuple élu de ce Dieu différent était très semblable aux peuples voisins : tout comme eux, il éprouvait le besoin de toucher les dieux, de les voir, de recourir à un usage magique de la divinité pour favoriser les naissances et les récoltes, pour conjurer les maladies et les ennemis. L’Arche se trouvait alors à la frontière entre l’ancien et le nouveau ; comme toutes les frontières et tous les seuils, elle était extrêmement dangereuse, vulnérable et poreuse. La Bible (et aussi la vie) nous apprend que l’on passe facilement d’un terrain à l’autre dès lors que les sentinelles ne sont pas là pour assurer la surveillance à la frontière. Les prophètes sont les sentinelles du seuil qui sépare la religion de l’idolâtrie, les gardiens précieux des hommes et notamment des religieux, qui sont les premiers à risquer de franchir cette frontière. Sans la présence des prophètes, nous finissons inévitablement par transformer les religions en idolâtries, même lorsque nous donnons à nos idoles le nom de Seigneur ou de Jésus. Car, comme dans le cas de l’arche qui fut construite sur indication de Dieu, les réalités les plus sacrées que nous recevons en cadeau sont les premières à se transformer en idoles et, sans les prophètes, il est presque impossible de comprendre leur métamorphose, de dons qu’elles étaient, en idoles. Rien d’étonnant, donc, à ce que le début de la nouvelle ère prophétique en Israël, inaugurée par la vocation de Samuel, se soit accompagnée d’une grande crise de l’arche de l’Alliance.

Lors de la première bataille qui l’oppose aux Philistins, Israël subit une cuisante défaite : « Israël fut battu par les Philistins : sur le front, en rase campagne, ils frappèrent environ quatre mille hommes » (4,2). Cette défaite est interprétée comme un fait théologique (« le Seigneur nous a fait battre » : 4,3), et les anciens d’Israël proposent leur solution : « Allons chercher à Silo l’arche de l’alliance du SEIGNEUR : qu’elle vienne au milieu de nous et qu’elle nous sauve de la main de nos ennemis ! » (4,3). Ils vont donc chercher l’arche au temple pour la porter sur le champ de bataille, en présence des deux fils d’Eli, prêtres (corrompus) du temple de Silo, où elle est conservée. En introduisant l’arche dans la bataille, ils se comportent exactement comme les autres peuples, qui descendaient sur le front avec les statues de leurs dieux guerriers. Ils ont beau annoncer un Dieu différent, ils se comportent de la même façon que leurs ennemis idolâtres. L’arrivée de l’arche sur le champ de bataille fut d’ailleurs accueillie à grands cris de terreur sur les deux fronts ; cette scène n’est pas sans rappeler les nombreuses guerres tribales qui continuent hélas d’exister. Cependant, lorsque « les Philistins engagèrent le combat, Israël fut battu […]. La défaite fut très dure : il tomba parmi les Israélites trente mille fantassins. L’arche de Dieu fut prise et les deux fils d’Eli, Hofni et Pinhas, moururent » (4,10).

La présence de l’arche n’empêcha pas une défaite plus lourde encore : l’arche fut prise par l’ennemi et les fils d’Eli tombèrent sur le front. La nouvelle parvient à Silo, jusqu’au vieil Eli, qui meurt de chagrin en apprenant que ses deux fils sont morts dans la bataille et que l’arche a été prise (« Eli tomba de son siège à la renverse sur le côté de la porte ; il se brisa la nuque et mourut » : 4,18). À l’annonce de cette nouvelle, sa bru meurt elle aussi (« elle s’affaissa et accoucha, car les douleurs l’avaient saisie » : 4,19).

La défaite subie et la prise de l’arche représentent donc un événement militaire, mais annoncent en même temps l’aube d’une nouvelle époque religieuse, donc humaine : la séparation entre Dieu et les choses, entre le saint et le sacré, entre la religion et la magie. Un processus très long qui parcourt toute la Bible, l’histoire de l’Église et celle de chaque croyant, qu’il soit religieux ou laïc. La prise de l’arche ressembla beaucoup, par le sens qu’elle revêt et par sa tragédie, à la conquête babylonienne en 587 av. J.-C., une effroyable tragédie mais aussi le début d’une nouvelle religion, qui apprit au peuple à prier sans temple et à croire en un Dieu à la fois tout-puissant et vaincu.

Les Philistins placent l’arche dans le temple près de la statue de leur dieu principal, Dagôn. Le lendemain, ils trouvent Dagôn à terre. Ils le relèvent mais, le jour suivant, lorsqu’ils retournent au temple, ils voient la statue de Dagôn de nouveau à terre. Cette fois-ci, elle est cassée, et sa tête et ses mains ont même atteint le seuil du temple : « Voilà pourquoi, aujourd’hui encore, à Ashdod, les prêtres de Dagôn et tous ceux qui entrent dans la maison de Dagôn ne foulent pas le seuil de Dagôn » (5,5). Les morceaux de Dagôn ont touché le seuil qu’ils ont ainsi contaminé. Une scène qui nous met en prise directe avec ce monde religieux archaïque, avec la « culture du seuil » qui séparait le sacré du profane, un sacré indéfini qui se mêlait toujours au tremendum. Un monde à la fois sacré et magique qui englobait en grande partie y compris Israël, lors des premiers siècles de son histoire.

Parmi les nombreux éléments de ces chapitres intéressants et riches en détails narratifs, dont certains se révèlent très précieux pour les informations à caractère religieux, anthropologique et historique qu’ils nous apportent, on est frappé par le récit des étranges offrandes dont les Philistins accompagnent la restitution de l’arche.

La prise de l’arche se révéla être un grand malheur pour les Philistins. Les tumeurs (ou la peste bubonique) et les rats (qui, selon eux, véhiculaient la peste) infestèrent les villes où l’arche fut placée au cours de ces mois, tels de nouvelles plaies d’Égypte, et ce jusqu’au moment où le peuple demanda à grands cris à ses chefs de rendre l’arche aux Hébreux : « Renvoyez l’arche du Dieu d’Israël et qu’elle retourne à l’endroit où elle était » (5,11). Cependant, si l’on voulait que ces calamités prennent fin, il ne suffisait pas de rendre le « bien tout nu », l’arche : dans ce monde ancien, il fallait accompagner le retour de l’arche de dons et d’offrandes. Mais lesquels ? Pour le savoir, les Philistins convoquèrent leurs devins et mages, qui répondirent : « Cinq tumeurs d’or et cinq rats en or » (6,4). Ils recourent ainsi au principe de l’homéopathie (soigner le mal par le mal), que l’on retrouve dans le célèbre épisode du livre de l’Exode, lorsque le Seigneur demande à Moïse : « Fais faire un serpent brûlant et fixe-le à une hampe : quiconque aura été mordu et le regardera aura la vie sauve » (21,8). Même dans cet épisode, la frontière entre magie et religion est instable et poreuse, et ce serpent de bronze ressemblait trop à ceux que le peuple avait vus dans les cultes égyptiens.

Ces pratiques anciennes de dons homéopathiques cherchaient à immuniser contre un mal en recourant symboliquement au même mal, tels deux éléments négatifs qui deviennent positifs lorsqu’on les multiplie. Parmi les nombreux vestiges archaïques et idolâtriques qui reviennent aujourd’hui en force dans le capitalisme, le don homéopathique en tant que mécanisme d’immunisation est particulièrement puissant et occupe une place de choix, et pas seulement dans le domaine économique. À l’instar de ces Philistins qui pensaient se protéger du grand mal de la peste en offrant cinq bubons et cinq rats, les grandes institutions capitalistes tentent de s’immuniser contre le grand mal du don véritable (qui possèderait une force subversive capable de les faire imploser, si elles le laissaient libre d’agir au sein des relations) en introduisant dans le système de minuscules doses de don, qui reproduisent le don véritable et ont un aspect plus brillant. Les gadgets, les soldes, les dons à des institutions philanthropiques, mais aussi les incitations et les primes, sont les nouveaux bubons et rats « donnés » dans l’espoir d’éloigner la peste. Et, comme dans le cas des Philistins, pour l’instant cette pratique magique immunisante semble fonctionner à merveille au sein de notre système de dons homéopathiques.

Les chapitres de ce premier cycle de l’arche sont imprégnés d’éléments des religions archaïques et magiques, très répandues en Israël et chez les Philistins. Pourtant, ce qui prévaut, c’est le début d’une nouvelle ère religieuse, donc anthropologique et sociale. Après sept mois d’absence de l’arche, Israël se la réappropriera et la conservera jusqu’à la destruction de Jérusalem par les Babyloniens, poursuivant sa relation ambivalente avec elle. Or, ces sept mois de foi dans le « Dieu de l’arche sans l’arche de Dieu » a eu le temps de changer la nature de cette arche, de cette religion, de ce Dieu et de cet homme. Ce fut un entraînement religieux et éthique à cette foi nouvelle, la foi en un Dieu vraiment différent, un acompte de l’expérience de l’exil babylonien lors duquel, privée de temple, cette foi parviendra à une maturation capable de générer nombre des chefs-d’œuvre littéraires, théologiques et anthropologiques qui composent la Bible. Sans l’expérience concrète d’un Dieu vaincu en même temps que son peuple, d’une foi tenace qui ne meurt pas, même après avoir perdu d’abord l’arche, puis le temple, le chant de l’esclave, le livre de Jérémie et beaucoup de psaumes n’auraient jamais été écrits, pas plus que nous n’aurions le dialogue entre Jésus et la Samaritaine. Tout comme nous, qui écrivons les plus beaux chapitres de notre vie lorsque nous continuons à croire à l’amour de ceux que nous ne parvenons plus à toucher dans leur âme, jusqu’au jour où, en découvrant enfin que notre terre est vraiment une terre dépourvue d’arche et de temple, nous aurons tout simplement appris à aimer la vie « en esprit et en vérité ».

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Cet épisode nous révèle également d’anciennes pratiques de don qui, aujourd’hui encore, ont beaucoup à enseigner à notre capitalisme. 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Plus grands que nos fautes / 4 Dieu tout-puissant et vaincu nous enseigne la foi qui change tout

Par Luigino Bruni

publié dans Avvenire le 11/02/2018

Piu grandi della colpa 04 rid« Les plus belles poésies
s’écrivent sur les pierres,
les genoux pliés
et les esprits aiguisés par le mystère.
Les plus belles poésies s’écrivent
face à un autel vide,
tandis que des agents
de la divine folie nous encerclent.
Ainsi, fou criminel que tu es,
tu récites des vers à l’humanité,
les vers de la révolte
et les prophéties bibliques,
et tu es le frère de Jonas
. »

Alda Merini, La Terra Santa

« En ces jours-là, les Philistins se rassemblèrent pour combattre Israël. Israël partit en guerre contre les Philistins » (4,1b). Après la nuit grandiose et splendide où Samuel découvre sa vocation, le décor change : un vent de guerre souffle sur Israël. Apparaît alors un peuple qu’Israël connaît déjà, qui l’accompagnera et le combattra pendant des siècles : les Philistins, un peuple ancien de marins, qui exerça sa domination politique et culturelle sur toute la région et lui donnera même son nom (Palestine, Philistie : la terre des Philistins). Même si le décor change et peut-être aussi le narrateur, il reste quelques éléments de continuité ; parmi eux, Eli et ses fils, mais aussi et surtout l’arche.

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La civilisation du don homéopathique

Plus grands que nos fautes / 4 Dieu tout-puissant et vaincu nous enseigne la foi qui change tout Par Luigino Bruni publié dans Avvenire le 11/02/2018 « Les plus belles poésies s’écrivent sur les pierres, les genoux pliés et les esprits aiguisés ...