L’aube de minuit

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L’aube de minuit / 15 – La hauteur de Dieu nous évite d’exprimer seulement nos rêves

de Luigino Bruni

Publié dans Avvenire le 30/07/2017

170730 Geremia 15 rid« Depuis l’image tendue / je surveille l’instant / dans l’imminence de l’attente – / et je n’attends personne ; dans l’ombre claire / je guette la cloche / qui, imperceptiblement, répand / une poussière de son – / et je n’attends personne ; entre quatre murs / écrasés d’espace / plus qu’un désert / je n’attends personne ; pourtant, il doit venir, / son chuchotement ; il viendra, si je résiste / s’épanouir en secret, / il viendra à l’improviste, / quand je l’attendrai le moins ; il viendra comme pour pardonner / ce qui fait mourir, / il viendra me donner la certitude / de son trésor et de mon trésor, il viendra réconforter / mes peines et les siennes, / il viendra, et peut-être vient-il déjà. »

Clemente Rebora, Dall’immagine tesa

La fausse prophétie pratiquée en toute bonne foi est peut-être la plus répandue sous le soleil et l’une des plus dangereuses. Il y a toujours eu et il existe encore de faux prophètes de mauvaise foi, qui ne font résonner aucune voix et le savent bien. Cependant, il existe aussi de faux prophètes qui le sont en toute bonne foi, qui ne font résonner aucune voix et ne le savent pas, qui confondent la « voix de Dieu » avec leurs propres fantaisies, émotions et pensées. Les faux prophètes ne sont pas tous des vauriens et des escrocs : parmi eux, on trouve des personnes convaincues d’être des prophètes alors qu’elles ne le sont pas.

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Les communautés, les mouvements et les organisations à mouvante idéale regorgent de faux prophètes de bonne foi, que l’on retrouve à tous les niveaux et dans toutes les fonctions de gouvernement, même parmi les fondateurs. Plus grave, leur bonne foi subjective rend encore plus difficile le discernement chez les personnes qui les côtoient, parce que la sincérité de leurs sentiments crée souvent un « effet rideau » qui empêche de percevoir la vanité de leurs paroles. Elle rend impopulaire et difficile le rôle des vrais prophètes, que leur vocation pousse à identifier cette sorte de fausse prophétie ; en effet, le plus souvent le peuple croit aux défenses des faux prophètes, désorienté qu’il est par leurs émotions sincères. Les tromperies résultant d’une tromperie envers soi-même sont très courantes ; des pièges parfaits dont il est très difficile de sortir parce que la bonne foi de ceux qui nous trompent et celle des personnes trompées se renforcent l’une l’autre. Comment s’en libérer ?

À peine Jérémie a-t-il fini de prophétiser la fin d’Israël et la chute de ses rois corrompus, intensifiant et durcissant de plus en plus le ton – « Ainsi parle le SEIGNEUR le tout-puissant à Yoyaqim, fils de Josias, roi de Juda : “On n’entonne pas pour lui l’élégie.[…] On l’enterre comme on enterre un âne” » (Jérémie 22,18-19) –, qu’il nous surprend en annonçant une grande espérance : « Moi, je rassemble ceux qui restent de mon troupeau, de tous les pays où je les ai dispersés, et je les ramène dans leurs enclos où ils proliféreront abondamment. […] Plus aucun d’eux ne manquera à l’appel » (23, 3-4). Les prophètes véritables sont ainsi : aujourd’hui ils annoncent la mort, demain la vie, parce qu’ils expriment les mots sortis d’une autre bouche qu’ils ne commandent pas et ne contrôlent pas.

Dans le chapitre 23 de son livre, Jérémie atteint le sommet de son enseignement sur la fausse prophétie. Il l’a certes déjà évoquée plusieurs fois mais, à présent, avec les années, le prophète parvient à une synthèse grandiose, nous offrant un authentique chef-d’œuvre spirituel et anthropologique qui est peut-être resté inégalé. Seul un vrai prophète est capable de reconnaître et de démasquer les faux prophètes : « Chez les prophètes de Samarie, j’ai vu des choses dégoûtantes : ils prophétisaient par le Baal et ils égaraient mon peuple, Israël. Mais chez les prophètes de Jérusalem, je vois des monstruosités : ils s’adonnent à l’adultère et ils vivent dans la fausseté, ils prêtent main forte aux malfaiteurs, si bien que personne ne peut revenir de sa méchanceté » (23, 13-14). Ici, nous remarquons immédiatement un premier détail intéressant : la prophétie au nom d’autres dieux (Baal), plus répandue dans le royaume du Nord (Samarie), où l’on se laissait plus fréquemment contaminer par les cultes, semble moins grave que celle des prophètes du temple de Jérusalem qui, bien qu’ils prophétisent (souvent) au nom du Dieu de l’Alliance (le Seigneur), se sont complètement corrompus et pervertis. La première stratégie adoptée ici pour les démasquer, la stratégie la plus utilisée en tout temps, consiste à incriminer leur conduite moralement perverse : ils ne sauraient être de vrais prophètes puisque leur vie concrète reflète exactement l’inverse des paroles qui sortent de leur bouche.

Cependant, la stratégie morale ne suffit pas à elle seule à identifier la fausse prophétie, parce qu’il y a toujours eu et qu’il y a encore des prophètes aux conduites morales douteuses qui prononçaient et prononcent des paroles vraies. La moralité de l’instrument qu’est la voix peut certes constituer un indice, mais elle n’est jamais l’experimentum crucis prouvant la fausseté d’une parole prophétique. Le prophète n’est pas choisi parce qu’il est meilleur et plus honnête que les autres : la plupart du temps, son degré de moralité se situe dans la moyenne de son peuple ; parfois il est plus élevé, parfois plus bas. Ce n’est pas la cohérence morale de sa conduite qui prouve en premier, et de la façon la plus convaincante, la véracité de ses propos ; bien souvent, au contraire, vouloir présenter aux autres la moralité de sa propre personne comme preuve de la véracité de ses propos constitue un indice certain de fausse prophétie. La plus grande difficulté pour celui qui entend des paroles prophétiques prononcées par une personne qui s’est révélée moralement corrompue, consiste à comprendre si cette conduite morale indigne est un symptôme de fausse prophétie ou d’une simple fragilité et/ou de péché de l’instrument qu’est la voix. Une grande difficulté qui, en général, appelle la condamnation, celle-ci découlant cependant parfois d’un discernement hâtif et faussé par le trouble des sentiments et du cœur. Les prophètes, comme tous les hommes et les femmes, ont des faiblesses, des maladies, parfois des névroses, qu’ils vivent en même temps que leur vocation ; elles l’influencent, parfois fortement, mais ne s’assimilent pas à elle, même si nous finissons par réduire la vocation à une simple affaire d’éthique.

En effet, ayant prononcé son accusation morale, Jérémie passe sur un autre plan, plus complexe, mais plus profond, qui touche directement au cœur de la question, à savoir la nature de la vocation de prophète : « Ne faites pas attention aux paroles des prophètes qui vous prophétisent ; ils vous leurrent ; ce qu’ils prêchent n’est que vision de leur imagination, cela ne vient pas de la bouche du SEIGNEUR » (23,16). Nous rencontrons ici un autre élément décisif de la phénoménologie de la prophétie : ces faux prophètes n’annoncent qu’une « vision de leur imagination » et non pas « ce qui sort de la bouche du Seigneur ». Jérémie nous présente là quelque chose de nouveau : de faux prophètes, en toute bonne foi, n’annoncent que leurs idées personnelles, même s’ils sont sincèrement convaincus de prononcer des paroles inspirées par Dieu. Quelques vers plus loin, Jérémie nous montre également une variante de cette forme de fausse prophétie, la prophétie onirique : « J’entends ce que disent les prophètes qui prophétisent faussement en mon nom en disant : “J’ai eu un songe ! J’ai eu un songe !” Jusques à quand ! Y a-t-il quelque chose dans la tête de ces prophètes qui prophétisent faussement ? Ce ne sont que prophètes aux trouvailles fantaisistes ! » (23,25-26). Pour comprendre ce jugement de Jérémie, nous devons le replacer dans ce Moyen-Orient alors habité par un grand nombre d’interprètes de rêves, de devins, d’aruspices et de mages, que le peuple considérait souvent comme des prophètes ; à ce propos, la souffrance de se voir assimilés aux nombreux imposteurs, que le peuple considérait comme leurs collègues, est caractéristique des vrais prophètes : « Que le prophète qui a un songe raconte son songe, mais que celui qui a ma parole proclame exactement ma parole ! » (23,28). Là encore, nous avons affaire à des personnes qui confondent leurs « trouvailles fantaisistes » et la voix du Seigneur, alors qu’il s’agit de deux choses différentes à ne pas mélanger.

Il apparaît de plus en plus clairement que le plus important, pour Jérémie, n’est pas seulement la bonne ou la mauvaise foi, ni la moralité ou l’immoralité des personnes qui se déclarent ou se sont déclarées prophètes. Alors, qu’est-ce qui compte vraiment, qu’est-ce qui passe avant tout le reste ? Tout au long de son livre, Jérémie nous a déjà fourni quelques critères permettant de discerner la prophétie, mais à présent il s’apprête à nous amener au cœur de la question. Jérémie nous enseigne qu’en réalité, un seul critère vaut ; or, celui-ci est tellement simple qu’il pourrait bien ne pas nous satisfaire : les faux prophètes, de n’importe quel type, le sont parce qu’ils n’ont pas la vocation prophétique : « Je n’envoie pas ces prophètes, et pourtant ils courent ; je ne leur parle pas et pourtant ils prophétisent » (23,21). Tout est à la fois très simple et très complexe. Cependant, la seule question vraiment importante est la vocation du prophète lorsqu’il s’agit de distinguer la vraie prophétie de la fausse (et il faut toujours le faire), sous ses multiples formes, dans la vie spirituelle, mais également dans l’art, dans la science, au sein des professions et des familles. Avant d’être un franciscain plus ou moins créatif et bon, il faut d’abord être franciscain, c’est-à-dire avoir reçu la vocation de saint François. Un artiste peut être grand, petit ou immense ; or, il doit être avant tout un artiste, autrement dit, avoir reçu une vocation artistique. Aucune forme de moralité ou de bonne foi ne saurait compenser l’absence ni remplacer l’essence de la vocation. Nous ne savons pas vraiment définir cette vocation, et nous devons accepter de vivre avec cette ignorance, sur les autres et sur nous-mêmes, qui est à l’origine des plus grandes surprises et des plus grandes souffrances.

Pourtant, Jérémie nous révèle quelque chose d’important : l’élément essentiel pour reconnaître une vocation authentique est la conscience de l’altérité ; autrement dit, il s’agit de prendre conscience qu’avant les autres voix qui habitent l’âme, il y en a une autre, différente ou, du moins, son murmure. Être conscient du fait que cette voix a beau être présente dans l’intimité de notre être depuis que nous avons quitté le sein maternel, ce n’est pas notre voix, et qu’une autre personne parle. Jérémie l’appelle le Seigneur, d’autres prophètes lui donnent des noms différents, d’autres encore ne lui en donnent pas, tout en sachant que cette voix est présente et qu’elle parle : « Je ne serais que le Dieu de tout près – oracle du SEIGNEUR – et je ne serais pas le Dieu des lointains ? » (23,23). Une voix qui va et vient, qui disparaît puis revient, qui est toujours un cadeau et une surprise, jusqu’à la fin. Une altérité vécue en même temps que l’expérience de la plus grande intimité de nos entrailles. Ce sont à la fois le proche et le lointain qui font le prophète. Le prophète qui perd l’intimité de la parole (le « Dieu de tout près ») n’a aucune profondeur, ni poésie, ni pathos ; or, si le prophète perd l’altérité et la transcendance de la voix (le « Dieu des lointains »), il ne peut que raconter ses propres fantaisies et rêves et devenir lui-même la source des paroles qu’il profère. Certains prophètes qui étaient vrais à l’origine se transforment en faux prophètes parce qu’ils annulent l’« écart » entre leur propre voix et l’autre voix, jusqu’à ce qu’un jour, le dialogue à plusieurs voix se transforme en chant à une seule voix.

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de Luigino Bruni

Publié dans Avvenire le 30/07/2017

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Le chant des voix différentes

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L’aube de minuit / 14 – Seul un Père qui n’est jamais indifférent offre sa miséricorde

Par Luigino Bruni

publié dans Avvenire le 23/07/2017

170723 Geremia 14 rid« Frère athée, noblement pensif, à la recherche d’un Dieu que je ne peux te donner, traversons ensemble le désert. De désert en désert, allons au-delà de la forêt des religions, libres et nus vers l’Être nu, et là, où la parole meurt, que notre chemin s’arrête. »

Davide Maria Turoldo, Canti Ultimi

La vie pourrait être racontée comme l’histoire de ses crises. Bien que la Bible regorge de ces histoires, nous ne le percevons pas et nous recherchons dans les textes bibliques des vérités, des paroles religieuses, des consolations. C’est ainsi que nous passons à côté des pages les plus grandes de la Bible, qu’elles s’ouvrent seulement lorsque nous parvenons jusqu’aux hommes et femmes qui se cachent derrière les paroles du Seigneur, à ces êtres humains entiers qui les ont prononcées. La parole biblique ne nous change pas tant que nous ne nous laissons pas toucher dans notre chair par ses hommes et ses femmes, tant que nous ne leur permettons pas d’entrer dans les recoins les plus intimes de notre âme, et d’y entrer en tant que personnes concrètes possédant un nom et une histoire, avec leurs blessures, leurs doutes et leurs malédictions. Trop souvent, la Bible ne sauve rien, ou presque, parce que nous nous laissons à peine toucher par elle. Dans de rares cas, un personnage de la Bible parvient à franchir le seuil de notre âme, à s’introduire par un trou de serrure resté ouvert par erreur. Ce personnage devient alors une personne plus réelle et concrète que nos amis et nos enfants ; il bouleverse l’aménagement de nos intérieurs et de nos chambres à coucher. Si c’est Jérémie qui entre, la maison se retrouve sens dessus dessous ; alors, dans ce désordre général, peut-être pouvons-nous redevenir pauvres de choses et de Dieu, et sentir enfin planer l’esprit qui, dans les maisons aux portes fermées et dans les temples gardés et protégés, ne réussit pas à souffler. Trop de personnes restent en-dehors de l’horizon spirituel du monde car, quand il vient nous visiter, il entre dans une maison aux fenêtres fermées et trop pleine de choses bien rangées, qui ne contient pas assez d’oxygène pour nous permettre de respirer.

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« La parole qui s’adressa à Jérémie de la part du SEIGNEUR, quand le roi Sédécias lui envoya Pashehour fils de Malkiya et le prêtre Cefanya fils de Maaséya, pour lui dire : “Consulte donc le SEIGNEUR à notre sujet, car Nabuchodonosor, roi de Babylone, nous fait la guerre ; peut-être le SEIGNEUR refera-t-il en notre faveur l’un de ses miracles pour le faire décamper ?” » (Jérémie 21,1-2).

Dès le début, Jérémie n’a cessé d’annoncer l’invasion de l’ennemi, l’occupation du pays et l’arrivée d’un grand malheur. Or, les chefs et les prêtres ont refusé de l’écouter ; séduits par les faux prophètes, ils ont cru le temple indestructible et Jérusalem invincible. Et voilà que, des années plus tard, Nabuchodonosor arrive aux portes de la ville et commence le siège. Et pourtant, les chefs du peuple, prisonniers de l’idéologie nationaliste, continuent encore à penser qu’ils parviendront à se sauver, que le Seigneur finira par accomplir « l’un de ses nombreux prodiges ». Jérémie continue de répéter exactement le contraire de ce que le peuple a envie d’entendre. Il ne peut faire autrement, n’étant pas maître des paroles qu’il prononce.

Il ne laisse aucune place aux sentiments, prophétisant impitoyablement le grand malheur imminent du peuple qu’il aime. C’est cette force fragile qui le rend entièrement fidèle à sa parole, même lorsque la tragédie de ce moment historique aurait pu engendrer chez lui cette pietas humaine, adoucir ses paroles et éclaircir les couleurs de ces sombres scénarios. C’est ce que nous aurions fait et faisons, mais pas les vrais prophètes. Jérémie prophétise le seul choix possible, le bon : nous rendre, accepter la défaite, l’échec, nous réveiller et admettre la fin de nos illusions : « Celui qui restera dans cette ville mourra par l’épée, la famine et la peste ; celui qui en sortira, pour passer aux Chaldéens qui vous assiègent, vivra et il s’estimera heureux d’avoir au moins la vie sauve » (21,9). Pourtant, l’ennemi a beau encercler déjà les murs de la ville, les chefs remplis d’illusions persistent à ne pas croire Jérémie : « Vous qui dites : “Qui descendra nous attaquer, qui pénétrera dans nos repaires ?” » (21,13).

Ici, nous saisissons la valeur immense de cet ami, à la fois prophète et non prophète, qui a le courage de nous annoncer notre reddition quand nous nous laissons aveugler par les faux prophètes et les illusions. La valeur de celui qui nous demande simplement de porter nos livres au tribunal, de laisser partir ceux que nous avons tant aimés, de vendre l’école de la communauté qui renferme l’héritage du temps de notre premier amour, de nous rendre à l’ange de la mort afin de pouvoir l’étreindre comme un bon ami, avant de sentir résonner ces paroles en nous : « Bienheureux les doux ». Mais les personnes et les communautés offrent une résistance invincible aux paroles qui demandent de se rendre, parce que nous aimons trop les illusions et les fausses consolations. Ainsi, même lorsque la défaite apparaît à tous de façon évidente, nous, souvent conseillés par de faux prophètes, continuons à nous mentir, à investir une immense quantité d’énergie dans de faux combats, alors qu’un simple « amen » pourrait vraiment nous sauver.

Or, l’oracle sincère de Jérémie à son roi ne s’arrête pas là. Jérémie prophétise et annonce non seulement que cette fois, contrairement à ce qui s’était produit avec les Assyriens par l’intercession d’Isaïe, le Seigneur n’interviendra pas pour sauver son peuple, mais qu’il agira aussi « contre » Jérusalem. « Jérémie leur dit : “Voici ce que vous direz à Sédécias : Ainsi parle le SEIGNEUR […] : En étendant la main, en déployant la force de mon bras, c’est moi-même qui vous ferai la guerre avec colère, fureur et grande irritation” » (21,3-5).

Le Dieu de l’Alliance, de la promesse, du Sinaï et de la Loi, se garde d’intervenir et se range du côté de l’ennemi. Comment cela se fait-il ? Le Seigneur ne s’était-il pas souvent révélé à son peuple comme le Dieu fidèle ?

Ces événements nous laissent entrevoir un aspect très important de la grammaire biblique des pactes et de la fidélité. La première interprétation qui s’offre au lecteur de l’histoire de trahisons et d’idolâtrie racontée par Jérémie est celle d’un Dieu se plaçant dans un registre de réciprocité, très voisine de la réciprocité des contrats : le peuple a violé le pacte en se prostituant avec d’autres dieux ; Dieu résilie le contrat et applique les sanctions prévues en cas de non-exécution. La lecture de Jérémie suggère elle aussi cette interprétation, et nous la prenons au sérieux, car il est toujours important et juste de prendre au sérieux le message qui ressort à la lecture première et immédiate d’un texte biblique (comme de n’importe quel texte, d’ailleurs).

Cette première lecture, simple et immédiate, contient elle aussi un grand message. L’expérience qu’Israël fait du Seigneur est celle d’un Dieu fidèle parce qu’il est un Dieu de parole. Les idoles ne concluent pas d’alliances, ne les résilient pas et n’appliquent pas les sanctions prévues par le pacte, tout simplement parce que ce sont des morceaux de bois, muets et morts. Le Dieu de la Bible, lui, est un Dieu vivant, il est fidèle parce qu’il est vivant ; par conséquent, s’il est vivant, il respecte lui aussi les pactes qu’il scelle avec le peuple. Israël et, à sa suite, le christianisme et l’Occident tout entier, a appris à connaître le sérieux des pactes humains mais aussi des contrats, parce qu’elle a fait l’expérience d’un Dieu qui est le premier à les respecter. L’Alliance est un engagement bilatéral, et elle demeure une vraie alliance tant que la fidélité de l’un est la pré condition de la fidélité de l’autre. Ainsi, à travers la voix des prophètes, le Dieu de la Bible nous a enseigné que le premier à prendre les pactes au sérieux est Dieu lui-même, et que toutes les infidélités ont des conséquences très graves. Seul un Dieu sérieux et fiable pouvait constituer le fondement d’une civilisation de personnes capables de respecter leurs pactes et de tenir leurs promesses, d’assumer les conséquences des pactes brisés, des promesses non tenues et des mensonges au sujet de leurs relations primaires.

Le Dieu de la Bible, nous le savons, ne connaît pas seulement la réciprocité conditionnelle des pactes : il est aussi capable d’autres formes d’amour, qui vont jusqu’à l’inconditionnalité de l’agapè. Or, si Dieu nous avait révélé uniquement un amour-agapè qui fait l’impasse sur l’amour des pactes et des promesses, sa parole n’aurait pas pu devenir la base spirituelle et morale de la vie des hommes et des femmes, qui fait passer l’amour avant tout le reste à travers la fidélité subordonnée aux pactes et aux promesses réciproques. Les paroles des mariages, des sociétés, des entreprises et des communautés se nourrissent de nombreuses relations mais vivent avant tout de cet amour laïc et très sérieux qui se manifeste sous forme de paroles de pactes et d’alliance ; des paroles vraies précisément parce qu’elles sont faites de réciprocité, des paroles qui nourrissent la vie parce qu’elles sont conditionnelles tant que nous les respectons ensemble, et qui s’évanouissent quand finit la réciprocité. Nous savons également que beaucoup de mariages, d’entreprises et de communautés ne meurent pas parce qu’une de leurs personnes décide d’aller de l’avant au lieu d’abandonner, malgré les infidélités des autres. Cependant, il y a d’abord la réciprocité fériale des alliances, qui constitue le ciment de notre société, sans laquelle nos fidélités-sans-réciprocité seraient impossibles à comprendre et se disperseraient dans le vide de nos paroles-néant. C’est la vérité des pactes et des contrats qui rend immense la non-réciprocité de l’agapè.

La Bible, aussi bien dans l’Ancien que dans le Nouveau Testament, nous a révélé un Dieu capable de dépasser le registre de la réciprocité. Elle nous a enseigné à pardonner soixante-dix fois sept fois, nous a révélé le visage d’un Dieu qui donne sa vie pour ses ennemis et pour les ingrats. Or, elle a encore désigné tout cela sous le nom d’alliance, bien qu’il s’agisse de la nouvelle alliance ; encore sous le nom de pacte, de réciprocité, toute nouvelle, mais encore et toujours réciprocité. Le dieu-sans-réciprocité est le pharaon qui, totalement séparé de ses sujets, indifférent à leur sort et détaché d’eux, décide de leur vie et de leur mort.

Le Dieu de la Bible, lui, n’est pas un Dieu indifférent à notre réciprocité : il est capable de dépasser le pacte tout en restant un Dieu de pacte. Nous n’aurions jamais pu comprendre le Père miséricordieux si, hier et aujourd’hui, nous n’avions pas fait l’expérience de la souffrance, de la colère et de l’abandon, causés par les enfants prodigues qui brisent les pactes avant de nous abandonner. C’est cette souffrance de la non-réciprocité qui peut nous révéler la valeur d’un Dieu différent qui nous attend devant sa porte, oublieux de la réciprocité ; à partir de là, nous pouvons trouver des raisons et la force de continuer à attendre nos enfants, époux et compagnons de communauté infidèles.

Merci, Jérémie, de nous avoir montré à n’importe quel prix le visage d’un Dieu digne de confiance car fidèle à ses promesses. Si nous n’avions pas totalement consommé cette première alliance, si nous n’avions pas découvert la valeur que Dieu attribue à la réciprocité, nous n’aurions pu comprendre la nouvelle alliance ; nos pactes et nos contrats se seraient avilis et vidés. Nous n’aurions pas compris cette réciprocité extraordinaire que nous avons un jour appelée Trinité. Nous n’aurions pas davantage compris la gratuité véritable, l’agapè, qui peut resplendir dans toute sa beauté de paradis uniquement dans la mesure où nous avons appris la valeur de la fidélité à nos pactes et à nos alliances.

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L’aube de minuit / 14 – Seul un Père qui n’est jamais indifférent offre sa miséricorde

Par Luigino Bruni

publié dans Avvenire le 23/07/2017

170723 Geremia 14 rid« Frère athée, noblement pensif, à la recherche d’un Dieu que je ne peux te donner, traversons ensemble le désert. De désert en désert, allons au-delà de la forêt des religions, libres et nus vers l’Être nu, et là, où la parole meurt, que notre chemin s’arrête. »

Davide Maria Turoldo, Canti Ultimi

La vie pourrait être racontée comme l’histoire de ses crises. Bien que la Bible regorge de ces histoires, nous ne le percevons pas et nous recherchons dans les textes bibliques des vérités, des paroles religieuses, des consolations. C’est ainsi que nous passons à côté des pages les plus grandes de la Bible, qu’elles s’ouvrent seulement lorsque nous parvenons jusqu’aux hommes et femmes qui se cachent derrière les paroles du Seigneur, à ces êtres humains entiers qui les ont prononcées. La parole biblique ne nous change pas tant que nous ne nous laissons pas toucher dans notre chair par ses hommes et ses femmes, tant que nous ne leur permettons pas d’entrer dans les recoins les plus intimes de notre âme, et d’y entrer en tant que personnes concrètes possédant un nom et une histoire, avec leurs blessures, leurs doutes et leurs malédictions. Trop souvent, la Bible ne sauve rien, ou presque, parce que nous nous laissons à peine toucher par elle. Dans de rares cas, un personnage de la Bible parvient à franchir le seuil de notre âme, à s’introduire par un trou de serrure resté ouvert par erreur. Ce personnage devient alors une personne plus réelle et concrète que nos amis et nos enfants ; il bouleverse l’aménagement de nos intérieurs et de nos chambres à coucher. Si c’est Jérémie qui entre, la maison se retrouve sens dessus dessous ; alors, dans ce désordre général, peut-être pouvons-nous redevenir pauvres de choses et de Dieu, et sentir enfin planer l’esprit qui, dans les maisons aux portes fermées et dans les temples gardés et protégés, ne réussit pas à souffler. Trop de personnes restent en-dehors de l’horizon spirituel du monde car, quand il vient nous visiter, il entre dans une maison aux fenêtres fermées et trop pleine de choses bien rangées, qui ne contient pas assez d’oxygène pour nous permettre de respirer.

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Le don nouveau du Dieu fidèle

L’aube de minuit / 14 – Seul un Père qui n’est jamais indifférent offre sa miséricorde Par Luigino Bruni publié dans Avvenire le 23/07/2017 « Frère athée, noblement pensif, à la recherche d’un Dieu que je ne peux te donne...
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L’aube de minuit / 13 - Comment Dieu nourrit notre existence et la change à tout jamais

Par Luigino Bruni

publié dans Avvenire le 16/07/2017

170716 Geremia13 rid« Mon âme se réfugie constamment dans l’Ancien Testament et dans Shakespeare. Là, au moins, on sent quelque chose : là, ce sont des hommes qui parlent. Là, on aime, on déteste, on tue son ennemi, on maudit toutes les générations de ses descendants ; là, on pèche. »

Soren Kierkegaard, cité d’après Scipio Slataper, Ibsen

Le livre de Jérémie marque un nouveau stade de la conscience humaine, un bond en avant dans le processus d’humanisation, une vraie innovation anthropologique et spirituelle. Cela vaut pour son livre tout entier, notamment ses confessions. Si nous permettons à cette innovation ancienne de pénétrer dans l’intimité de notre conscience et si nous sommes prêts à en payer le prix élevé, elle peut encore s’accomplir, ici et maintenant.

Dès le premier chapitre de son livre, Jérémie a alterné le contenu de sa mission de prophète et ses confessions intimes, nous dévoilant ainsi son âme, ses espérances et ses angoisses. Or, au point culminant de son journal intérieur, nous arrivons aux chapitres 19 et 20, au moment où les faits qu’il raconte et sa poésie atteignent des sommets inégalés.

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Ici, le prophète et l’homme d’Anatoth se mêlent intimement, la parole du Seigneur et celle de Jérémie se fondent l’une dans l’autre, formant un entrelacement de vie et de poésie qui constitue un authentique patrimoine de l’humanité. Il nous faut donc retirer nos sandales pour aborder ces chapitres avant d’écouter la voix provenant de ce buisson ardent différent, où brûle non pas un arbuste, mais les os de Jérémie.

Cet admirable diptyque relate un autre geste, l’un des plus célèbres et puissants de la Bible. Nous sommes encore dans la scène très laïque de l’atelier du potier lorsqu’apparaît un nouveau commandement : Jérémie reçoit l’ordre de Dieu d’acheter une gargoulette et de se rendre dans la « vallée des vases », une décharge de la ville (Jérémie 19,1-2). Nous sommes ainsi conduits hors de la ville, dans un environnement qui, pour le lecteur habitué à lire la Bible, rappelle directement Job, celui-ci ayant également été amené par Dieu et par la vie sur la montagne d’ordures la plus célèbre de la Bible. Jérémie achète la gargoulette au potier, amène les témoins qui font autorité au sein du peuple et explique, par ses propres mots, pourquoi il vient au milieu des déchets de la ville : Dieu enverra sur Israël un grand malheur, parce qu’elle s’est prostituée avec les cultes cananéens et a pratiqué des sacrifices d’enfants (10,3-9). Puis le Seigneur ajoute : « Tu briseras la gargoulette sous les yeux des hommes qui t’accompagnent et tu leur diras : […] “Je brise ce peuple et cette ville comme on brise l’œuvre du potier” » (19,10-11).

Tout est clair et puissant, comme le furent les conséquences racontées par Baruch, le secrétaire et ami de Jérémie, qui fait là son entrée dans le livre pour ne plus en ressortir : « Le prêtre Pashehour fils de Immer, recteur de la Maison du SEIGNEUR, entendit Jérémie prophétisant tout cela. Alors Pashehour s’en prit au prophète Jérémie et le fit attacher au pilori de la porte supérieure de Benjamin, celle de la Maison du SEIGNEUR » (20,1-2). Ce vase cassé précipite les choses : après avoir subi calomnies et conjurations, à présent Jérémie est flagellé et torturé. En obéissant au commandement de briser le vase en mille morceaux, Jérémie amorce un tournant dans sa vie et dans sa chair. Il nous est impossible de comprendre son chant du chapitre 20, peut-être le plus célèbre – et le plus équivoque – de tout son livre si, en le lisant, nous ne l’imaginons pas le vase à la main puis en prison. C’est à partir là qu’il entonne son de profundis le plus beau, que nous devrions chanter uniquement avec les nombreux prophètes qui continuent d’être torturés, emprisonnés et tués juste parce qu’ils sont restés fidèles à la voix de leur conscience. Jérémie chante pour eux également : « SEIGNEUR, tu as abusé de ma naïveté, oui, j’ai été bien naïf ; avec moi, tu as eu recours à la force et tu es arrivé à tes fins. À longueur de journée, on me tourne en ridicule, tous se moquent de moi » (20,7).

Nous ne devons pas davantage céder en quoi que ce soit au sentimentalisme et au romantisme qui se sont trop souvent accrochés à ces vers poignants. Ici, la « séduction » évoquée par Jérémie est celle de l’adulte qui appâte un mineur, d’un homme fort qui attire un enfant à lui et le trompe pour mieux abuser de lui. Le contexte dramatique et le verbe hébreu choisi n’autorisent pas la moindre équivoque : du fond de sa prison, Jérémie accuse Dieu de l’avoir dupé au temps de l’enthousiasme de sa jeunesse et d’avoir purement et simplement ruiné son existence. Des paroles puissantes ne pouvant être comprises que par celui qui, afin de suivre un appel, a goûté à la même nuit que Jérémie. Il s’agit de paroles adultes, et c’est seulement ainsi qu’elles sont merveilleuses, parce qu’elles nous ouvrent au tremendum des vraies vocations.

Sans la décharge de vases, les bûches et les tortures infligées par les chefs de la communauté, on ne peut comprendre les vocations : on se montre à peine dans l’antichambre, on ne cherche pas à creuser, on reste bloqué au stade de l’enchantement dans les premières minutes de l’aube de sa vie spirituelle. Une personne désireuse de comprendre les vraies vocations de prophètes est toujours allée au milieu des vases brisés, dans les prisons, en exil, et c’est là qu’il nous faut retourner aujourd’hui encore si nous voulons rencontrer les prophètes. Or, comme ceux qui fréquentent ces lieux ne font pas de discours spirituels ni de prêches, n’accomplissent ni miracles ni visions, qu’ils restent muets et, lorsqu’ils prononcent quelques rares paroles, le font la plupart du temps pour maudire Dieu et la vie – c’est seulement par ces paroles incompréhensibles pour nous qu’ils parviennent parfois à prier –, les vraies vocations restent cachées et étranges, ou bien nous confondons ces personnes avec celles qui parlent abondamment de Dieu et de religion, éventuellement sur fond de musique et d’images de couchers de soleil rougeâtres. On reste alors en-dehors de la prophétie véritable et désespérée, la seule qui puisse sauver : « Maudit, le jour où je fus enfanté ! Le jour où ma mère m’enfanta, qu’il ne devienne pas béni ! […] Pourquoi donc suis-je sorti du sein, pour connaître peine et affliction, pour être, chaque jour, miné par la honte ? » (20,14-18). Il n’existe pas, sous le soleil, de paroles vocationnelles plus grandes que celles-ci. On peut les rapprocher uniquement de certains psaumes, de Qohélet, de la passion selon saint Marc et des paroles similaires de Job.  

Cependant, ce vingtième chapitre nous livre quelque chose d’encore plus intime sur la nature et le mystère d’une vocation. En effet, au cœur de la confession de Jérémie, nous lisons ces paroles : « Quand je dis : “Je n’en ferai plus mention, je ne dirai plus la parole en son nom”, alors elle devient au-dedans de moi comme un feu dévorant, prisonnier de mon corps » (20,9).

« Quand je dis » : Jérémie nous confie avoir songé à étouffer cette voix, à cesser de lui prêter son corps et sa bouche, à se retirer, à abandonner sa mission de prophète et à jeter son manteau aux orties. D’après ce qu’il affirme, il y a pensé sérieusement, il a vraiment essayé de changer de vie ; cette tentation n’en est pas restée au stade d’idée. Mais, tandis qu’il essayait de s’enfuir et s’enfuyait peut-être bel et bien, il s’est aperçu qu’il n’y parvenait pas : sa vocation était inscrite dans ses os et dans sa chair, qui continuaient de brûler. C’est à ce moment-là que le prophète ressent une nouvelle fatigue, différente de l’épuisement physique ou moral : « Je m’épuise à le contenir, mais n’y arrive pas » (20,9). Il fait l’expérience de l’encerclement, de l’étau qui se resserre sans laisser aucune issue. S’il est exact que rien n’exprime mieux la liberté qu’une vocation car, en suivant la voix, on découvre que l’on suit une voie plus intime que ses propres os, Jérémie nous enseigne encore autre chose : rien n’est moins libre qu’une vraie vocation, parce que l’on n’a aucune voie de sortie, parce que l’on ne peut échapper à sa propre moelle.

C’est là tout le drame de celui qui, au cours de sa vie, rencontre une vraie voix. Vient le jour où il prend conscience que la vie qu’il mène ne correspond pas à celle qu’il envisageait dans sa jeunesse. Tout lui évoque uniquement cette tromperie qui l’a amené à faire des choix qu’il perçoit comme de la violence et une contrainte imposée par Dieu, par les personnes qui l’ont séduit en son nom et par les idéaux idéalisés auxquels il a cru à l’âge de l’innocence. Il commence alors à rêver et à penser à des paroles différentes de celles que lui suggère la voix, des paroles nouvelles auxquelles il croit davantage, des paroles à lui qui semblent plus sincères que celles qu’il se retrouve à dire et à répéter par vocation.

L’épreuve que traverse Jérémie n’est donc pas simplement due aux persécutions, à ses chaînes et aux tortures : elle est bien plus profonde et terrible. Un prophète ne hurle pas contre Dieu et contre la vie tant qu’il croit à la véracité de sa propre histoire et de sa propre mission ; ce n’est pas le martyre qui met une vocation en crise, puisqu’il va parfois jusqu’à l’exalter et à l’accomplir. Ici, Jérémie vit une autre sorte d’épreuve : il ne croit plus à la vérité des débuts, se sentant prisonnier d’une histoire de tromperie et d’une machination. Il a l’impression d’avoir été un jeune plagié par une idéologie ou une secte et qui, au moment où il se réveille, n’a plus qu’une envie : fuir pour retrouver la vraie vie qu’il a abandonnée après avoir cru à des mensonges, à des illusions et à de fausses promesses.

Nous perdons en route toute la force de cette immense confession de Jérémie si nous ne la saisissons pas dans toute sa nudité et son caractère scandaleux. Jérémie ne met pas en doute l’authenticité de la voix qui lui parle et lui avait parlé le premier jour ; d’autres prophètes l’ont fait et continuent de le faire. Cependant, il remet en question le sens de sa propre mission et de sa propre vie, qu’il perçoit comme totalement inutile et erronée. Il cherche donc à s’échapper, à reprendre en main ce qui lui reste de sa vie. Or, c’est là que s’ouvre un des plus splendides paradoxes de la vie et de son mystère. Alors qu’il fuit l’illusion, il fait l’expérience la plus intime que l’on puisse faire sur cette terre : il découvre une autre vérité cachée à l’intérieur de ses os. Cette voix lui apparaît comme vraie alors qu’il cherche justement à la faire taire, et elle est tellement vraie qu’il ne peut la fuir. En sentant brûler dans nos os la voix du premier jour, nous comprenons, en cet autre jour de notre vie adulte, que nos expériences étaient vraies au point qu’aujourd’hui, il est impossible de les fuir, de même qu’il est impossible de fuir la vérité de nos os et de notre moelle. Mais cela, nous ne pouvions pas le savoir avant de fuir.

Nous ignorons comment Jérémie a surmonté cette crise, puisqu’il ne nous le dit pas. Peut-être parce que les crises ne se surmontent pas, mais entrent dans la moelle de la vie, la nourrissent et la changent à tout jamais.

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L’aube de minuit / 13 - Comment Dieu nourrit notre existence et la change à tout jamais

Par Luigino Bruni

publié dans Avvenire le 16/07/2017

170716 Geremia13 rid« Mon âme se réfugie constamment dans l’Ancien Testament et dans Shakespeare. Là, au moins, on sent quelque chose : là, ce sont des hommes qui parlent. Là, on aime, on déteste, on tue son ennemi, on maudit toutes les générations de ses descendants ; là, on pèche. »

Soren Kierkegaard, cité d’après Scipio Slataper, Ibsen

Le livre de Jérémie marque un nouveau stade de la conscience humaine, un bond en avant dans le processus d’humanisation, une vraie innovation anthropologique et spirituelle. Cela vaut pour son livre tout entier, notamment ses confessions. Si nous permettons à cette innovation ancienne de pénétrer dans l’intimité de notre conscience et si nous sommes prêts à en payer le prix élevé, elle peut encore s’accomplir, ici et maintenant.

Dès le premier chapitre de son livre, Jérémie a alterné le contenu de sa mission de prophète et ses confessions intimes, nous dévoilant ainsi son âme, ses espérances et ses angoisses. Or, au point culminant de son journal intérieur, nous arrivons aux chapitres 19 et 20, au moment où les faits qu’il raconte et sa poésie atteignent des sommets inégalés.

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La vérité jusqu’à la moelle de la vie

L’aube de minuit / 13 - Comment Dieu nourrit notre existence et la change à tout jamais Par Luigino Bruni publié dans Avvenire le 16/07/2017 « Mon âme se réfugie constamment dans l’Ancien Testament et dans Shakespeare. Là, au moins, on sent qu...
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L’aube de minuit / 12 - L’insuffisance de la prudence et la théologie des mains

Par Luigino Bruni

publié dans Avvenire le 09/07/2017

Lavorazione ceramica 01 rid« Le travail physique constitue un contact spécifique avec la beauté du monde et un contact d’une plénitude telle que l’on ne peut rien trouver d’équivalent ailleurs. »

Simone Weil, Attente de Dieu

Pour comprendre la prophétie et les prophètes de la Bible, nous aurions besoin d’une laïcité que nous avons perdue. En effet, il n’y a pas plus laïc qu’un prophète, entre autres parce que, lorsqu’il parle de Dieu, il ne fait qu’exprimer encore et toujours la vie, l’histoire, les larmes, les espoirs, le quotidien et le travail. Les discours des prophètes portaient sur les hommes et sur les femmes, et tout le monde pouvait et devait les comprendre, même sans être expert en théologie. C’est cela, leur laïcité, si nous tenons vraiment à utiliser un terme qui leur aurait été totalement incompréhensible, car ce que nous percevons comme laïc n’était pour eux rien d’autre que la vie, toute la vie. La première difficulté, souvent décisive, pour comprendre la Bible et les prophètes, réside dans le mot « Dieu » même. Lorsque nous rencontrons ce mot, inévitablement nous nous trouvons face à un concept recouvert de plusieurs millénaires de culture, de christianisme, de théologie, de philosophie puis, plus tard, par la modernité, ses athéismes, la science et la psychanalyse ; c’est ainsi que nous ne comprenons plus le Dieu des prophètes et leur parole, eux qui auraient besoin de la pauvreté du Sinaï, des briques d’Égypte, de l’indispensable liberté offerte par la tente de l’Araméen errant. Voilà pourquoi, aujourd’hui comme hier, ceux qui écoutent le mieux la Bible ont toujours été les enfants : sans leur liberté et leur pauvreté, on ne peut entrer dans ce Royaume.

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« On me dit : “Où est donc la parole du SEIGNEUR ? Qu’elle se réalise !” Moi, je n’ai pas abondé dans ton sens en hâtant le malheur, le jour fatal, je ne l’ai pas souhaité, toi, tu le sais : ce qui est sorti de ma bouche a été exprimé en ta présence » (Jérémie 17,15-16). En suivant l’évolution du livre de Jérémie et de sa vocation, nous abordons une nouvelle étape et nous pénétrons une autre dimension de son immense prophétie. Ses ennemis continuent à contester ses propos et à lui tendre des pièges, et commencent à présent à se servir des faits pour nier la véracité de ses sombres prophéties. Le temps passe et la destruction annoncée par Jérémie ne vient pas. L’histoire semble donner raison aux idéologies illusoires des faux prophètes vendeurs de consolations. Pire, ils accusent Jérémie d’envisager de funestes scénarios, d’être un ennemi du peuple, de jeter sur lui des malédictions qu’il a inventées de toutes pièces afin de l’induire en erreur. Un sort que Jérémie partage avec les nombreux hommes et femmes qui, parce qu’ils suivent leur conscience, en viennent à annoncer la fin du temps des réussites, le coucher de soleil en plein midi. Dans un premier temps, ils sont taxés de défaitisme et accusés d’être de faux prophètes, des prophètes de malheur. Puis, lorsque le funeste scénario se confirme, ils finissent par être accusés d’être eux-mêmes la cause de la tragédie, devenant ainsi les boucs émissaires du mal qu’ils n’avaient fait qu’annoncer honnêtement. Il s’agit d’un mécanisme aussi stupide que fréquent dans les communautés malades d’idéologie, comme l’était Jérusalem du temps de Jérémie. L’idéologie étant par nature infalsifiable, les faits qui ne vont pas dans le sens de ses prédictions sont systématiquement réinterprétés et manipulés, mais jamais ils ne sont mis au service de l’auto-subversion des certitudes qui se sont révélées inexactes.

Jérémie sait qu’il a prophétisé en toute vérité ; cependant, sa confession nous fait entrevoir un doute chez lui et une parcelle de son intériorité. Car le prophète n’est pas un homme de certitudes : le doute est son lot quotidien. L’absence de doutes est le premier signe d’une fausse prophétie.

Dans le chapitre suivant, nous découvrons que les attaques dirigées contre Jérémie prennent de nouvelles formes. « Ils disent : “Allons mettre au point nos projets contre Jérémie ; on trouvera toujours des directives divines chez les prêtres, des conseils chez les sages, la parole chez les prophètes. Allons donc le démolir en le diffamant, ne prêtons aucune attention à ses paroles” » (18,18). Les prêtres, les sages et les prophètes adoptent à présent une nouvelle stratégie pour désamorcer l’action de Jérémie : ils cherchent à utiliser contre lui les paroles mêmes de sa prophétie. La figure de Jérémie est en train de prendre de plus en plus d’importance à Jérusalem. Son élimination physique, comme celle que sa famille a tentée plusieurs années auparavant à Anatoth, serait imprudente, voire contre productive. Il faut donc une action plus sophistiquée, ce qui amène les persécuteurs de Jérémie à changer leurs plans. Ils commencent à le suivre et à l’observer très attentivement, afin de déceler dans ses paroles une contradiction, un vulnus, une erreur, une phrase proférée contre le temple, une critique des sacrifices voulus par Moïse ou d’un précepte de la Torah, qu’ils pourraient ensuite réutiliser lors d’un procès contre sa personne et son œuvre. Jérémie est conscient d’être vulnérable sur ce front. Les prophètes sont imprudents, mais non politiquement corrects, pas plus qu’ils ne connaissent tous les secrets et astuces de la Loi. Jusqu’ici, nous avons trouvé dans les paroles de Jérémie des attaques dirigées contre la religion du temple et qui, si elles avaient été recueillies par un docteur de la loi puis portées devant un tribunal, auraient produit les mêmes chefs d’accusation qui, quelques siècles plus tard, conduiront à l’accusation et à la condamnation de Jésus de Nazareth. Jérémie prend peu à peu conscience que, parmi ceux qui se rassemblent au temple et sur les places pour l’écouter, il se trouve des « infiltrés » qui le suivent dans le seul but de le piéger. Nombreux sont ceux qui, à ce moment-là, commencent à s’autocensurer, à supprimer de leurs discours toute référence dangereuse, à éliminer les paroles susceptibles de les condamner. Pourtant, Jérémie ne l’a pas fait ; il a poursuivi son chant imprudent et libre, qui a pu ainsi parvenir jusqu’à nous. Si la vertu de la prudence avait prévalu, s’il avait voulu sauver sa vie, nous serions passés à côté d’un patrimoine de paroles d’une valeur immense. La prudence n’est pas toujours une vertu. Pour les prophètes, elle ne l’est même jamais, parce qu’ils font passer la liberté imprudente de la parole avant la prudence de leurs paroles. En se conduisant prudemment, beaucoup de martyrs n’auraient certes pas été tués, beaucoup de prophètes auraient évité les persécutions et les souffrances, mais leur vie aurait été moins authentique et notre monde serait aujourd’hui pire. L’éthique de la Bible n’est donc pas l’éthique des vertus.

Cependant, ces persécutions de plus en plus sophistiquées nous laissent percevoir autre chose. Jérémie nous enseigne avant tout que ses ennemis, ce sont les prêtres, les théologiens et les intellectuels, c’est-à-dire les élites du pays. Jérémie n’est pas attaqué seulement par ses « collègues » prophètes, mais par la classe dirigeante tout entière. Ce fait nous révèle en contreplan tout le poids de la prophétie en Israël : un prophète est capable à lui seul de miner tout l’édifice politique et religieux. Seul un peuple éventuellement corrompu, mais qui puise à origine dans la parole, peut prendre un prophètetrès au sérieux. Aujourd’hui, de nombreux « frères de Jérémie » continuent à prophétiser au sein de nos empires, sans que personne ne s’en aperçoive plus. Paradoxalement, la force et la gravité des persécutions à l’encontre de Jérémie en disent long sur la valeur que peuple d’Israël accordait à la prophétie. Une civilisation qui ne comprend pas les prophètes ne les persécute pas, pour la bonne et simple raison qu’elle les ignore. L’histoire de la prophétie en Israël peut alors nous apprendre quelque chose d’important. Tant qu’il y a conflit entre l’élite dominante et les prophètes, entre l’institution et le charisme, c’est que nous sommes encore dans des communautés qui donnent naissance à des prophètes et savent les reconnaître, et c’est pour cela qu’elles peuvent toujours se sauver. La présence de Jérémie et des autres prophètes de l’exil babylonien ont également apporté l’immense signe que le Seigneur n’avait pas abandonné Israël : c’est Jérémie, combattu et rejeté par le peuple, qui incarne le sacrement de l’Alliance au temps de la corruption et de l’apostasie. Tant qu’au sein d’une communauté pervertie, un prophète s’exprime, on peut encore entrevoir un avenir.

Enfin, nous trouvons, glissée entre ces deux conjurations, la magnifique scène du potier : « La parole qui s’adressa à Jérémie de la part du SEIGNEUR : “Descends tout de suite chez le potier ; c’est là que je te ferai entendre mes paroles.” Je descendis chez le potier ; il était en train de travailler au tour. Quand, par un geste malheureux, le potier ratait l’objet qu’il confectionnait avec de l’argile, il en refaisait un autre selon la technique d’un bon potier » (18,1-4).

Dieu parle à Jérémie depuis la boutique d’un artisan. Jérémie avait proclamé la parole du Seigneur dans le temple ; c’est là qu’il s’est heurté aux objections des habitants de sa ville et qu’il lui est venu des doutes parce que ses paroles tardaient à se vérifier. Or, la lumière qui dissipe ces doutes lui arrive de l’extérieur du temple, au moment où il passe devant un atelier artisanal tout simple et laïc. Alors qu’il traverse une phase délicate de sa vie, que la polémique très dure lancée par ses détracteurs met en crise ses prophéties et sa vocation, Dieu lui parle à travers les mains laborieuses et sales d’un artisan. C’est ainsi que la Bible nous donne l’un de ses plus beaux chants sur le travail humain et sur la théologie des mains. Cet artisan a prêté ses mains à Dieu pour le faire parler. C’est là, au milieu de la poussière et du bruit du tour, que Jérémie comprend pourquoi sa prophétie ne s’est toujours pas réalisée : « Ne puis-je pas agir avec vous, gens d’Israël, à la manière de ce potier ? – oracle du SEIGNEUR. Vous êtes dans ma main, gens d’Israël, comme l’argile dans la main du potier. Tantôt je décrète de déraciner, de renverser et de ruiner une nation ou un royaume. Mais si cette nation se convertit du mal qui avait provoqué mon décret, je renonce au mal que je pensais lui faire » (18,5-8). L’aspect le plus important de cet épisode ne réside pas dans l’interprétation que Jérémie fait de l’action du potier, mais dans le simple fait que Dieu lui a parlé en utilisant le travail muet d’un artisan.

Aujourd’hui, alors que nous vivons une crise et que le travail subit de profondes mutations, nous ne pouvons pas ne pas accueillir cette parole de bénédiction du travail qui nous vient de Jérémie. Le travail humain est aussi un lieu de théophanies, pour celui qui travaille comme pour celui qui observe les autres travailler. Pendant que nous continuons à chercher la réponse à nos doutes dans le temple ou bien quand nous avons cessé de chercher, Dieu nous attend dans les ateliers, occupé à manier le tour sur son banc de travail.

 

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L’aube de minuit / 12 - L’insuffisance de la prudence et la théologie des mains

Par Luigino Bruni

publié dans Avvenire le 09/07/2017

Lavorazione ceramica 01 rid« Le travail physique constitue un contact spécifique avec la beauté du monde et un contact d’une plénitude telle que l’on ne peut rien trouver d’équivalent ailleurs. »

Simone Weil, Attente de Dieu

Pour comprendre la prophétie et les prophètes de la Bible, nous aurions besoin d’une laïcité que nous avons perdue. En effet, il n’y a pas plus laïc qu’un prophète, entre autres parce que, lorsqu’il parle de Dieu, il ne fait qu’exprimer encore et toujours la vie, l’histoire, les larmes, les espoirs, le quotidien et le travail. Les discours des prophètes portaient sur les hommes et sur les femmes, et tout le monde pouvait et devait les comprendre, même sans être expert en théologie. C’est cela, leur laïcité, si nous tenons vraiment à utiliser un terme qui leur aurait été totalement incompréhensible, car ce que nous percevons comme laïc n’était pour eux rien d’autre que la vie, toute la vie. La première difficulté, souvent décisive, pour comprendre la Bible et les prophètes, réside dans le mot « Dieu » même. Lorsque nous rencontrons ce mot, inévitablement nous nous trouvons face à un concept recouvert de plusieurs millénaires de culture, de christianisme, de théologie, de philosophie puis, plus tard, par la modernité, ses athéismes, la science et la psychanalyse ; c’est ainsi que nous ne comprenons plus le Dieu des prophètes et leur parole, eux qui auraient besoin de la pauvreté du Sinaï, des briques d’Égypte, de l’indispensable liberté offerte par la tente de l’Araméen errant. Voilà pourquoi, aujourd’hui comme hier, ceux qui écoutent le mieux la Bible ont toujours été les enfants : sans leur liberté et leur pauvreté, on ne peut entrer dans ce Royaume.

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Pourtant, Dieu nous attend près du tour

L’aube de minuit / 12 - L’insuffisance de la prudence et la théologie des mains Par Luigino Bruni publié dans Avvenire le 09/07/2017 « Le travail physique constitue un contact spécifique avec la beauté du monde et un contact d’une pléni...
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L’aube de minuit / 11- Le paysage de la terre trouvée n’est pas celui de la terre promise

Par Luigino Bruni

publié dans Avvenire le 02/07/2017

170702 Geremia 11 rid« Quiconque lit la Bible ne peut pas ne pas éprouver l’impression qu’à l’arrivée de Jérémie, c’est comme si une digue avait cédé à un moment décisif. On ressent alors quelque chose de nouveau, la dimension d’une souffrance jusqu’alors inconnue. »

Gerhard Von Rad, Théologie de l’Ancien Testament

« La parole du SEIGNEUR s’adressa à moi : Tu ne prendras pas femme, tu n’auras ici ni fils ni fille » (Jérémie 16, 1). Voilà un autre tournant narratif et spirituel du chant et de la vie de Jérémie, un tournant à la fois magnifique et terrible. Sa vocation fera que Jérémie n’aura ni femme, ni enfants. Ce double commandement rythme et renforce les deux solitudes extrêmes de Jérémie : il devra vivre sans femme, mais aussi sans fils et sans filles (la joie, la splendeur et les souffrances que les filles nous causent ne peuvent se substituer à celles des garçons et des fils, et vice-versa). À travers ce défilé – femme, fils, filles –, nous pouvons peut-être percevoir un regard concret, non générique, sur les joies diverses et tout aussi concrètes qu’il ne connaîtra pas, en raison de sa vocation spéciale.

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D’autres prophètes de la Bible ont vécu des expériences en partie semblables à celles de Jérémie. Les vies d’Isaïe et d’Osée ont été en tout point des signes globaux, des paroles faites symbole et chair. Leurs vocations avaient impliqué dans une large mesure leur famille. Isaïe appelle son fils « un reste reviendra », et le cœur de sa prophétie devient le nom de son fils. Osée reçoit de Dieu le commandement d’épouser une prostituée, là encore pour adresser et incarner un message face au peuple : vous vous êtes prostitués avec d’autres dieux. Des faits et des actes poignants, lorsque la souffrance et le déchirement pèsent trop lourd et que les seules paroles, fussent-elles les paroles immenses des prophètes, ne suffisent plus.

À Jérémie, en revanche, la même voix demande quelque chose d’encore plus radical : être un signe et un présage en renonçant complètement aux choses les plus bénies et sacrées. Dans le monde où il vivait, le choix de ne pas se marier et de ne pas avoir d’enfants était un acte scandaleux et surtout insensé. En hébreu, il n’existe même pas de mot pour dire « célibat ». C’était tout simplement une folie, une chose stupide, ridicule, à tel point que cette demande à Jérémie n’a pas d’équivalent dans l’Ancien Testament.

Pour saisir quelque peu le paradoxe de ce commandement, il faut parcourir toute la Bible et posséder l’expérience de toute une vie. Nous devons revenir à Abraham, à la promesse d’enfants aussi nombreux que les étoiles du ciel ; à la stérilité de Sarah, à Agar et à Ismaël, puis à Isaac, à Rachel et à Léa, à Job, à l’Alliance, au Cantique des cantiques et au langage nuptial de la Bible, que Jérémie affectionne et auquel il recourt abondamment. Dans ce monde-là, la première bénédiction est la bénédiction des fils et des filles ; aucune terre ne peut être la terre promise si elle ne trouve pas au moins un de nos enfants pour l’habiter et se nourrir de son lait et de son miel. Dans l’humanisme biblique, le seul paradis auquel on aspire, c’est de pouvoir continuer à vivre à travers ses enfants et dans leur souvenir sur de nombreuses générations. L’autre vie meilleure que l’on espère, ce n’est pas la nôtre au ciel, mais celle de nos enfants sur terre. Puis il nous faut revenir aux premiers chapitres de la Genèse, à cet adam créé « homme et femme » qui, ensemble, reflètent vraiment l’image de Dieu, la seule image autorisée sur terre, tellement belle que toutes les autres déforment l’image d’Élohim parce qu’elles déforment l’image de l’adam. Revenir au temps où, en se réveillant de sa torpeur, ce premier homme a croisé pour la première fois des yeux semblables aux siens, avant peut-être d’entonner la première chanson ayant existé sur terre : « À présent, oui, … », j’ai enfin trouvé un ezerkenegdò : les yeux dans les yeux, des yeux semblables aux miens et pourtant très différents. La femme vient comme un cadeau et comme une réponse à l’une des toutes premières phrases de l’anthropologie biblique : « Il n’est pas bon pour l’homme d’être seul. »

Alors, dans ce grand chapitre du livre et de l’histoire de Jérémie, Dieu lui demande de retourner dans la solitude triste du commencement du monde, avant le « deux ou trois ». À cause d’une parole du Seigneur, Jérémie doit démentir et renier l’une de ses paroles les plus belles et éternelles. Ce « il n’est pas bon » vaut certes pour tout être humain, mais non pour Jérémie.

Nous ne sommes pas au bout de notre stupeur : « Oui, ainsi parle le SEIGNEUR : N’entre pas dans la maison où l’on se réunit pour un deuil, ne va pas aux funérailles et n’aie pour ces gens aucun geste de sympathie » (16, 5). Participer aux enterrements, pleurer ou rendre visite à la famille du défunt durant la période de deuil, étaient des pratiques primaires, qui créaient et renforçaient les liens sociaux, accroissaient la solidarité et la fraternité. Ne pas observer ces pratiques revenait à s’isoler et à être considéré par les autres comme une personne bizarre et un ennemi. Pourtant, la liste des interdictions valant pour Jérémie s’allonge encore : « Tu n’entreras pas non plus dans une maison où l’on festoie, pour t’attabler avec eux, pour manger et boire » (16, 8). Dieu souhaite donc qu’il mène une vie très solitaire : sans famille ni enfants, sans amis, sans faire la fête, sans communauté et sans aucune consolation. Pourquoi ? Le texte nous livre sa propre interprétation : Jérémie doit anticiper par son corps, ses relations sociales et sa chair, la condition qui, bientôt, sera celle de son peuple tout entier : celui-ci va en effet être déporté là où les banquets n’existeront plus, là où l’on ne pourra plus enterrer les morts comme il se doit, ni célébrer les rites du deuil. Jérémie doit ainsi devenir un symbole incarné.

Pourtant, nous ne saurions nous contenter de cette explication. À quoi cela sert-il d’incarner une ruine totale, en anticipant par sa propre vie le malheur qui sera celui du peuple tout entier ? À quoi bon être un signe si personne ne le comprend, s’il est tourné en dérision et ridiculisé ? Ne l’oublions pas : le sens global du livre de Jérémie ne sous-entend en aucun cas que les signes forts ont pour but de convertir le peuple. Nous ne pouvons davantage nous satisfaire de l’idée que le livre de Jérémie nous invite peut-être à une lecture théologique ex-post des événements désastreux survenus lors de la déportation à Babylone et que, pour faire triompher la justice de Dieu, il impute tout ce malheur à la corruption et à l’idolâtrie du peuple. Tout cela est trop peu, bien trop simple, et n’est pas à la hauteur de son livre.

Il nous faut donc laisser parler ce chapitre XVI, le faire entrer dans notre vie aujourd’hui, et engager un dialogue avec Jérémie, nous transformer en ses contemporains. Si nous nous mettons à nu, libres face à ce chapitre, alors nous pourrons peut-être entrevoir, au milieu du brouillard, certaines dimensions paradoxales mais vraies et essentielles, qui se retrouvent dans de nombreuses vies vécues comme des vocations.

Le jour où Jérémie sentit son premier appel, il ne savait pas que viendrait le moment de ce deuxième appel (dans le récit de sa vocation au premier chapitre de son livre, il ne mentionne jamais le fait qu’il n’est pas marié). Il en va autrement de nos jours : lorsque quelqu’un obéit à sa vocation religieuse, parfois il sait dès le début qu’il ne se mariera pas et n’aura ni fils, ni filles. Pourtant, aujourd’hui encore, le jour où nous entendons l’appel, lorsque nous sommes enveloppés de la lumière aveuglante de cette voix, nous avons beau savoir, dans l’abstrait, que nous renonçons à prendre femme ou mari et à avoir des enfants, en réalité nous ne renonçons encore à rien de réel, même si l’élan de nombreuses vocations se brise parce que, par peur, elles s’arrêtent à ce premier renoncement abstrait et ignorent la générativité que seul le renoncement concret fait expérimenter. En revanche, lorsque la vie fonctionne, on a de fortes chances de vivre le jour du chapitre XVI de Jérémie, le moment où cette idée abstraite se concrétise et s’incarne. Ce jour arrive quand on rencontre un homme concret qui peut vraiment devenir notre mari, lorsqu’un jour, face à un enfant, on éprouve dans sa chair le regret d’être passé à côté de la paternité, quand on est entouré de nombreux fils et filles que nous n’avons jamais eus. C’est là, et non pas le premier jour lumineux dix ou trente ans auparavant, que cette parole nous atteint avec toute sa clarté et toute sa force : « Tu ne prendras pas femme, tu n’auras ici ni fils ni fille. » Et l’on peut encore donner une réponse différente : oui.

Lorsque l’on obéit vraiment à sa vocation, sans renoncer à vivre sa vie sous l’emprise d’une déception ou d’une illusion, inévitablement il nous faut franchir tôt ou tard l’étape du chapitre XVI. Nous devenons alors comme Jérémie, sans pourtant nous en rendre compte, parce qu’il s’agit d’un processus lent et long. Nous en venons à incarner des messages que nous ne maîtrisons pas. Nous pouvons choisir de nous rebeller ou bien de dire notre oui, en prêtant notre corps et notre vie pour écrire un chapitre d’un livre dont nous ne connaissons pas la trame et encore moins la fin. Dans le monde et à l’époque où il vivait, Jérémie n’était pas en mesure de comprendre le sens de ces choses terribles que la voix lui demandait. Le livre de Jérémie nous offre certes quelques interprétations, mais Jérémie l’homme d’Anatoth disposait probablement de bien moins d’interprétations que les rédacteurs finaux de son livre, voire d’aucune interprétation. Il a seulement entendu très clairement une voix lui demander quelque chose de paradoxal, et il a accepté. Les symboles ne remplissent pas leur fonction parce qu’ils connaissent leur propre sens : parfois, ils ont vaguement un sens, pourtant le symbole n’est que rarement un bon herméneute de lui-même. Les grands symboles de la Bible et de la vie de chacun ne s’expliquent et ne se révèlent jamais une fois pour toutes, et c’est pour cela qu’ils continuent de parler et de se déployer au fil du temps, à n’importe quelle époque. Dans le monde et à l’époque où nous vivons, ce n’est pas nous qui savons le mieux interpréter les symboles que nous sommes appelés à devenir.

La Bible est révélation entre autres parce que, dans certains cas, elle lève le voile qui nous cache le sens de ses paroles et celui de nos expériences les plus importantes. Elle le lève en partie avant de le remettre, nous révélant ses paroles, afin de préserver l’intimité de ses grands récits d’amour et de souffrance et d’entretenir le mystère de notre cœur. Il n’est pas nécessaire de connaître et d’expliquer tout le sens et tous les sens des commandements paradoxaux du chapitre XVI, parce que les paroles qu’il contient continueront de chanter tant que leurs sens seront plus nombreux et plus grands que nos questions et nos réponses. La Bible régénère tant que ses sens sont plus nombreux que nos interprétations.

Le paysage de la terre trouvée n’est pas celui de la terre promise. Beaucoup de choses que nous pensions y voir n’existent pas : il n’y a pas la communauté dont nous rêvions, mais seulement celle que nous avons ; il n’y a pas le bonheur que nous cherchions car, au fil de notre vie, nous avons compris qu’il représente trop peu. Pourtant, nous y avons trouvé de nombreuses surprises, telles que le don de découvrir la beauté là où tous les autres voient des choses et des personnes mauvaises, une fraternité profonde et sobre avec la terre, les animaux et les plantes, qui s’épanouit comme une fleur sur une solitude que nous n’avons pas choisie mais docilement accueillie. Une vocation est vivante tant qu’elle demeure suffisamment libre d’actualiser constamment la première terre promise. Lorsqu’elle prend conscience que le dernier vestige du paysage rêvé est sur le point de disparaître, elle parvient à entonner le chant de la grande bénédiction.

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L’aube de minuit / 11- Le paysage de la terre trouvée n’est pas celui de la terre promise

Par Luigino Bruni

publié dans Avvenire le 02/07/2017

170702 Geremia 11 rid« Quiconque lit la Bible ne peut pas ne pas éprouver l’impression qu’à l’arrivée de Jérémie, c’est comme si une digue avait cédé à un moment décisif. On ressent alors quelque chose de nouveau, la dimension d’une souffrance jusqu’alors inconnue. »

Gerhard Von Rad, Théologie de l’Ancien Testament

« La parole du SEIGNEUR s’adressa à moi : Tu ne prendras pas femme, tu n’auras ici ni fils ni fille » (Jérémie 16, 1). Voilà un autre tournant narratif et spirituel du chant et de la vie de Jérémie, un tournant à la fois magnifique et terrible. Sa vocation fera que Jérémie n’aura ni femme, ni enfants. Ce double commandement rythme et renforce les deux solitudes extrêmes de Jérémie : il devra vivre sans femme, mais aussi sans fils et sans filles (la joie, la splendeur et les souffrances que les filles nous causent ne peuvent se substituer à celles des garçons et des fils, et vice-versa). À travers ce défilé – femme, fils, filles –, nous pouvons peut-être percevoir un regard concret, non générique, sur les joies diverses et tout aussi concrètes qu’il ne connaîtra pas, en raison de sa vocation spéciale.

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Le chant de la grande bénédiction

L’aube de minuit / 11- Le paysage de la terre trouvée n’est pas celui de la terre promise Par Luigino Bruni publié dans Avvenire le 02/07/2017 « Quiconque lit la Bible ne peut pas ne pas éprouver l’impression qu’à l’arrivée de J&...
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L’aube de minuit / 10– Nous reconnaissons les prophètes lorsqu’ils se révèlent être des mendiants de lumière

Par Luigino Bruni

publié dans Avvenire le 25/06/2017

170625 Geremia 10 rid« Rabbi Mendel se vanta un jour devant son maître de ce que le soir, il voyait l’ange qui enroulait la lumière quand la nuit tombait et, le matin, l’ange qui enroulait l’obscurité quand le jour se levait. “Oui, déclara Rabbi Elimelech, moi aussi, je l’ai vu quand j’étais jeune. Plus tard, on ne voit plus ces choses-là.” »

Martin BuberLes récits hassidiques

Les expériences les plus profondes et intimes sont précieuses en ce qu’elles ont été engendrées et vécues dans le secret indicible du cœur. Elles nous donnent une nouvelle profondeur, nous font entrevoir une nouvelle intériorité que nous ne pensions pas posséder au moment de commencer notre traversée du désert, avant le combat nocturne, alors que nous nous étions levés de bon matin pour nous diriger avec notre bois et notre enfant vers cette montagne effrayante. Or, nous avons traversé le désert, nous nous sommes battus avec un ange, nous avons gravi le mont Moriah et, parfois, nous nous sommes retrouvés avec un enfant donné, qui portait un nouveau nom, sur une terre promise, ou bien, nous l’avons vue de loin tandis que nos enfants y entraient. Lors de nos expériences décisives, nous entendons des sons et des voix indistincts, qui nous réchauffent et nous brûlent comme le soleil, nous désaltèrent et nous mouillent comme l’eau, qui nous touchent, nous caressent et nous blessent. Mais jamais ils ne nous parlent.

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Les prophètes nous chantent leur intériorité et leurs expériences les plus intimes afin de faire parler aussi les nôtres. Ils nous livrent les dialogues venus de leurs entrailles, les paroles de leurs solitudes, de leurs combats et de leurs questions qui restent presque toujours sans réponse. Ils sont les grands experts des paroles venues des profondeurs de l’homme et des profondeurs de Dieu, des silences de l’homme et des silences de Dieu. Beaucoup ne croient pas qu’il existe un Dieu quelque part « au-dessus du soleil » et qu’il nous attend au terme de notre course ; pourtant, nous ne pouvons nier que « sous le soleil », il s’est trouvé et il se trouve encore des personnes, les prophètes, qui ont fait parler Dieu dans le cœur de l’homme. Nous ne pouvons pas nier l’existence de ce messager de Dieu qu’est le prophète, parce qu’il est entièrement humain, fait de chair et de sang. Nous pouvons débattre de la question de savoir ce qu’est ce « Dieu » dont ils nous parlent et qu’ils font parler, mais c’est incontestablement une réalité concrète, vitale, tout sauf abstraite. Lorsque les religions perdent contact avec le Dieu des prophètes, elles se transforment en pratiques célébrant un Dieu abstrait qui a cessé de parler, muet comme les idoles.

« Quel malheur, ma mère, que tu m’aies enfanté, moi qui suis, pour tout le pays, l’homme contesté et contredit. Je n’ai ni prêté ni emprunté, et tous me maudissent » (Jérémie 15, 10).

Ma mère : on n’invoque pas sa mère pour rien. Si et lorsque nous le faisons, nous violons le premier commandement des relations primitives. Durant l’enfance, « maman » est le mot qui exprime la vie, celui qui fait vivre. À l’âge adulte, et lorsque notre mère n’est plus, nous disons « mamma mia ». Même quand cela nous vient spontanément en réaction à une émotion, si nous prenons un instant pour nous pencher sur ce « mamma mia », nous nous rendons compte qu’il exprime un sentiment viscéral, comme celui que nous avons éprouvé à l’intérieur et à l’extérieur du sein maternel. Parfois, pourtant, « mamma mia » est la dernière parole que nous puisons parmi celles qui expriment la souffrance et l’angoisse. Dans les prisons, au milieu des autres condamnés à mort, sur le lit de notre dernier voyage, lorsque notre énième entretien d’embauche s’est mal passé, ou encore quand nous lisons le rapport médical que nous aurions préféré ne pas lire, nous nous écrions : « Mamma mia ! »

Jérémie commence ce chant-prière en invoquant le nom de sa mère, peut-être pour revenir aux origines de son nom et de sa vocation. Il ne commence pas sa confession par : « Mon Dieu », mais en invoquant sa mère. Il redevient un être « né d’une femme », comme tous les hommes. Lors des grandes crises, on se tourne tout naturellement vers sa mère, afin de retrouver les origines les plus profondes et authentiques de son histoire. Parfois, on va jusqu’à retourner dans la maison maternelle, là où l’on a vécu avant que cette voix ne nous emporte vers un destin que l’on ne comprend plus. Lorsque notre deuxième maison semble mourir et s’évaporer dans le rêve et dans la vanitas, on revient chez sa mère pour reconstruire sa vie sur des fondations plus authentiques, à la recherche d’origines plus tranchées et vraies que celle de sa vocation. Le jour où il a entendu l’appel, Jérémie a senti que ses deux origines – son origine naturelle et son origine de prophète – n’en formaient qu’une : « Avant de te façonner dans le sein de ta mère, je te connaissais ; avant que tu ne sortes de son ventre, je t’ai consacré ; je fais de toi un prophète pour les nations » :1, 5. À l’heure de l’épreuve, les deux origines se séparent et l’origine prophétique se perd. Le cordon ombilical peut alors devenir le premier fil pour recoudre ceux de sa vie.

Les prophètes sont des hommes et des femmes comme nous ; ils le sont en permanence, mais ils le sont encore plus lorsque leur soleil différent du nôtre s’assombrit et qu’ils restent des enfants terrestres, des frères et des sœurs de l’adam. Si nous ne parvenons pas tous et pas toujours à suivre et à comprendre les prophètes lorsqu’ils prêtent leur bouche au Seigneur, nous pouvons tous les comprendre quand, nus et pauvres, ils deviennent des mendiants de lumière en quête de vie, de leur mère et de leurs origines, comme nous. Dans ces moments-là, ils nous prennent par la main et nous enseignent le métier de la vie sous le ciel de tous.

Au moment où il écrit et lit ces versets en public, Jérémie est un homme adulte. Durant ses meilleures années, il s’est efforcé de rester fidèle à sa vocation, il a accompli sa mission avec zèle et générosité : « Je le jure, ce qui reste de toi est pour le bonheur ; je le jure, je ferai que l’ennemi te sollicite au moment du malheur et de l’angoisse » : 15, 11. Il a suivi honnêtement son appel, ce qui lui a valu de vivre dans la solitude (« Je ne vais pas chercher ma joie en fréquentant ceux qui s’amusent. Contraint par ta main je reste à l’écart » : 15, 17), d’être tourné en dérision et haï des habitants de sa ville et des membres de sa famille, maudit autant, voire davantage, qu’un usurier ou un débiteur insolvable. Il lui a fallu annoncer à son peuple un sombre destin, combattre les faux prophètes consolateurs et vendeurs d’illusions. À présent, il ne comprend plus ce sort qui lui paraît triste et profondément injuste, et il combat contre le Seigneur jusqu’à l’accuser de trahison : « Vraiment, tu es devenu pour moi comme une source trompeuse au débit capricieux » (15, 18). Des paroles qui pourraient nous déranger ou nous sembler invraisemblables et hors de propos dans la Bible, si nous ne connaissions pas Job ou le passage du Yabboq la nuit, si nous ne connaissions pas les prophètes, la vie, la foi, qui chantent leurs versets les plus inspirés au plus fort de leur combat, lorsqu’ils luttent contre les plus grands idéaux qui se sont transformés en ennemi. Ainsi, dans cette confession de Jérémie également, lors du point culminant de son combat, nous lisons l’un de ses plus beaux versets : « Pourquoi ma douleur est-elle devenue permanente, ma blessure incurable, rebelle aux soins ? » (15, 18).

Nous sommes face à l’un des sommets de l’autorévélation de la vocation prophétique et, par conséquent, de toute vocation humaine authentique. Les livres des prophètes sont extraordinaires parce qu’ils nous montrent un visage différent de Dieu, mais aussi parce qu’ils nous dévoilent un visage splendide de l’homme : sa capacité à répondre à un appel.

Ici, Jérémie nous enseigne que la vocation est une blessure, une plaie toujours ouverte qui ne cicatrise pas. Il affirme que la voix bonne qui nous révèle un jour ce que nous avons toujours été, est aussi un bistouri et que, pour nous ouvrir à notre nature la plus authentique, pour nous révéler à nous-mêmes, elle entaille en profondeur notre âme et notre chair. Il s’agit d’une circoncision du cœur, qui s’accomplit cependant sous l’effet d’un anesthésiant, la lumière amoureuse qui appelle et séduit. S’ensuivent des années lors desquelles le travail de la voix-chirurgien se poursuit et s’enlise, même si tout n’est qu’un immense bonheur : « Ta parole m’a réjoui, m’a rendu profondément heureux » (15, 16). Mais l’effet de l’anesthésie s’estompe progressivement, jusqu’au jour où il ne nous reste plus qu’une blessure sanguinolente, sans que l’on comprenne le sens de la douleur que l’on ressent, ni de cette blessure. On découvre tout simplement une blessure inutile, un signifiant sans signifié, un signe muet. Cette ouverture de l’âme qui, durant tant d’années, avait été le lieu de la rencontre et du dialogue avec la voix, apparaît seulement comme une entaille douloureuse qui ne guérit pas.

C’est cette transformation de la première ouverture en blessure qui marque le début dela phase la plus féconde de toute vocation, de cette générativité mystérieuse et caractéristique, précieuse et très rare. Le prophète est une blessure qui parle, une épine enfoncée à jamais dans sa propre chair, et chaque prophète porte cette marque qui lui permet d’enseigner la parole. Quant aux faux prophètes, soit ils n’ont jamais connu le temps de l’anesthésie, soit ils ont continué à recourir aux opiacées afin de ne jamais parvenir au vrai temps de la blessure.

Au plus fort de son combat avec le Seigneur, Jérémie vit une nouvelle rencontre avec la voix originelle : « Face à ces gens, je fais de toi un mur de bronze inébranlable. Ils te combattront, mais ils ne pourront rien contre toi : je suis avec toi pour te sauver et te libérer » (15, 20). Si nous revenons au début de son livre, nous constatons que Jérémie réécoute les mêmes paroles qu’au premier jour (1, 18-19). Parfois, lors des nombreux moments d’angoisse de sa vie adulte, il arrive au prophète de réécouter les paroles de l’appel qu’il a entendu dans sa jeunesse. Or, ces paroles qu’il réécoute n’agissent plus comme un anesthésiant, pas plus qu’elles n’aident sa blessure à cicatriser ; et ce même si de nombreuses personnes ayant une vraie vocation de prophète se bloquent car, une fois que l’anesthésie a cessé de faire de l’effet, elles passent leur vie à attendre le baume qui guérira leurs blessures, oubliant de soigner les blessures des autres, alors que celles-ci contiennent l’unique baume capable de rendre supportables et fécondes les leurs, qui restent toujours ouvertes.

Malgré cette nouvelle épiphanie intérieure, la blessure de Jérémie continuera de saigner, jusqu’à la fin, et donnera naissance à certains des chants les plus sublimes de la Bible. La blessure de Jérémie ne pouvait pas cicatriser, tout simplement parce qu’il était cette blessure. Si elle avait cicatrisé, s’il avait utilisé ses dialogues avec le Seigneur pour se consoler et guérir, aujourd’hui nous ne disposerions pas de paroles différentes pour crier et prier lors de nos combats féconds, nous n’aurions pas ses pages les plus grandes ni son livre. Nous n’aurions pas davantage compris une loi fondamentale des vocations les plus belles : les lumières éblouissantes de l’enfance de l’esprit ont l’effet d’une anesthésie amoureuse pendant que s’accomplit l’opération la plus importante de la vie. La blessure n’est rien d’autre que la forme prise par la lumière originelle à l’âge adulte, et cette blessure qui parle fait jaillir nos paroles les plus belles et les plus vraies.

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L’aube de minuit / 10– Nous reconnaissons les prophètes lorsqu’ils se révèlent être des mendiants de lumière

Par Luigino Bruni

publié dans Avvenire le 25/06/2017

170625 Geremia 10 rid« Rabbi Mendel se vanta un jour devant son maître de ce que le soir, il voyait l’ange qui enroulait la lumière quand la nuit tombait et, le matin, l’ange qui enroulait l’obscurité quand le jour se levait. “Oui, déclara Rabbi Elimelech, moi aussi, je l’ai vu quand j’étais jeune. Plus tard, on ne voit plus ces choses-là.” »

Martin BuberLes récits hassidiques

Les expériences les plus profondes et intimes sont précieuses en ce qu’elles ont été engendrées et vécues dans le secret indicible du cœur. Elles nous donnent une nouvelle profondeur, nous font entrevoir une nouvelle intériorité que nous ne pensions pas posséder au moment de commencer notre traversée du désert, avant le combat nocturne, alors que nous nous étions levés de bon matin pour nous diriger avec notre bois et notre enfant vers cette montagne effrayante. Or, nous avons traversé le désert, nous nous sommes battus avec un ange, nous avons gravi le mont Moriah et, parfois, nous nous sommes retrouvés avec un enfant donné, qui portait un nouveau nom, sur une terre promise, ou bien, nous l’avons vue de loin tandis que nos enfants y entraient. Lors de nos expériences décisives, nous entendons des sons et des voix indistincts, qui nous réchauffent et nous brûlent comme le soleil, nous désaltèrent et nous mouillent comme l’eau, qui nous touchent, nous caressent et nous blessent. Mais jamais ils ne nous parlent.

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La blessure vivante capable de parler

L’aube de minuit / 10– Nous reconnaissons les prophètes lorsqu’ils se révèlent être des mendiants de lumière Par Luigino Bruni publié dans Avvenire le 25/06/2017 « Rabbi Mendel se vanta un jour devant son maître de ce que le...
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L’aube de minuit / 9 - La semence brise la croûte de terre et les pétales colorent l’ornement de fleurs

Par Luigino Bruni

Publié dans Avvenire le 18/06/2017

170618 Geremia 9 rid« Presque toutes les idées lancées par Jérémie à cette époque se rattachent à la loi ; presque toutes les images auxquelles il recourt puisent dans le patrimoine, aujourd’hui séculaire, de la prophétie biblique. Tout cela n’est rien d’autre qu’un exercice, un apprentissage. »

André Neher, Geremia

« Voici ce que me dit le SEIGNEUR : ‟Va t’acheter une ceinture de lin et mets-la sur tes hanches, mais ne la passe pas à l’eau.” J’achetai une ceinture, selon la parole du SEIGNEUR, et je la mis sur mes hanches. De nouveau, la parole du SEIGNEUR s’adressa à moi : ‟Avec la ceinture que tu as achetée […], mets-toi en marche vers le Perath, et là, cache cette ceinture dans la fente d’un rocher” » (Jérémie 13, 1-4).

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Va. Les prophètes reçoivent des ordres de Dieu, des ordres précis, détaillés, méticuleux. Des paroles qui appellent les objets, les fleuves et les pierres par leur nom. Il s’agit d’instructions destinées à accomplir une mission spéciale, d’une pour un voyage dans un territoire inexploré, de l’exécution d’un testament. Une invitation à agir et pas seulement à dire : la bouche des prophètes, c’est leur corps. Ils parlent en disant et en agissant. Ils parlent avec leur bouche, leurs mains, leurs pieds, leurs jambes et leur dos.

Cependant, l’expérience d’un prophète lui permettant de reconnaître la véracité de la parole qui lui est adressée, et la capacité à la distinguer de la non-vérité des faux prophètes, est un processus lent et souvent très long, qui peut durer des années ou des décennies, voire toute sa vie. L’épanouissement de ces vocations suit un chemin jalonné de phases bien précises, que l’étude de la Bible et de la vie peut nous apprendre à connaître et à reconnaître.

Au début, il y a une communauté où le jeune prophète voit le jour, où vivent de bonnes et de mauvaises personnes, de vrais et de faux prophètes. Les communautés vraies sont toujours métissées et composites. Une vocation prophétique ne peut grandir et se développer qu’au sein d’une ou plusieurs communautés, à partir de la première communauté familiale. Bien que la prophétie exprime mieux que toute autre chose l’individualité et le dialogue personnel entre deux « tu », la prophétie est elle aussi une pratique et, par conséquent, une affaire sociale et communautaire. Les prophètes sont envoyés dans des communautés concrètes, ils s’incarnent sur la terre et dans l’histoire d’un lieu et d’une époque ; leurs critiques, leurs attentions et leurs questions s’inscrivent dans le vécu quotidien de leur propre peuple.

C’est au sein de cette première communauté qu’a lieu le premier appel, la vocation, qui constitue l’événement fondamental et tout à fait individuel. Cependant, passée l’étape de la vocation, nous retrouvons la communauté : parfois, ce sera la communauté d’origine, dans d’autres cas, une nouvelle communauté prophétique où le jeune se forme, cherche un ou plusieurs maîtres et des compagnons de vocation. L’idée selon laquelle les prophètes sont des hommes solitaires, qui sont déjà formés lors de leur venue au monde et parfaits pour effectuer leur mission, ou bien éduqués seulement par Dieu au plus profond de leur être, appartient aux représentations artistiques ou aux romans, et non pas à la réalité historique. Lors de la vraie formation des prophètes, les voix et les paroles des Baptiste et des Ananie sont les alliées nécessaires de la voix du Seigneur. On naît prophète et l’on devient prophète, en apprenant au fil du temps à être ce que l’on était déjà dans le sein maternel.

Cette dimension temporelle et diachronique de la vocation prophétique explique pourquoi les premiers chapitres du livre de Jérémie ne sont pas très originaux, malgré quelques brillants éclairs de génie. Van Gogh, par exemple, a appris à un moment donné à dessiner. Si, dès le début, il était déjà Van Gogh par vocation, il ne connaissait pas encore les techniques de peinture. Lors de ses premiers coups de pinceau, on entrevoyait déjà le grand génie qu’il était ; pourtant, il a fallu attendre des années avant qu’il ne réalise ses chefs-d’œuvre. Jérémie a lui aussi appris à être prophète, parce que la prophétie est faite de chair et de sang, et elle se nourrit de leurs lois et de leurs temps. C’est ainsi qu’au cours de la première phase de son activité de jeune prophète, Jérémie apprend à connaître les grands prophètes de la Bible qui l’ont précédé, qu’il étudie la Torah, la tradition de l’Alliance et les histoires des patriarches. Le jeune prophète, en quête de sa propre identité, découvre peu à peu son profil spécifique de prophète, qu’il trouvera à un âge mûr. Alors, si nous voulons comprendre et toucher en profondeur les livres prophétiques dont les paroles s’accomplissent et s’écrivent au fil du temps, il nous faut apprendre à attendre et accompagner le prophète au fil de son évolution. La parole évolue en même temps que ceux qui l’écrivent, et nous évoluons en même temps que les prophètes à condition que nous sachions les attendre. L’écriture est mère et l’écriture est épouse ; mais l’écriture est aussi fille de celui qui sait l’attendre pendant qu’elle se développe, qui lui pose des questions au bon moment, ni avant, ni après. Trop souvent, nous ne trouvons pas les réponses que nous cherchons dans la Bible parce que nous le faisons au mauvais moment (kairos), hors du temps.

La charnière entre la jeunesse et l’âge mûr de Jérémie (et des prophètes en général) se situe au moment du conflit avec sa première communauté et de son émancipation vis-à-vis d’elle. En effet, tandis que sa vocation prend forme, Jérémie commence à douter non seulement de sa famille (chapitres 11 et 12), mais aussi de sa communauté de prophètes. Alors que le peuple est opprimé par la sécheresse et la famine, Jérémie s’adresse à Dieu : « Ah ! Seigneur DIEU, mais les prophètes leur disent : ‟Vous ne verrez pas l’épée, et la famine ne vous surprendra pas ; je vous donnerai en ce lieu une prospérité assurée” » (14, 13). Nous n’en sommes pas encore au véritable combat que Jérémie livrera contre les faux prophètes dans les chapitres suivants de sa vie et de son livre. Ses paroles nous laissent plutôt voir un jeune prophète qui se cherche encore, qui fréquente la communauté qui l’a élevé et formé et dans laquelle il a confiance ; cependant, il demande à Dieu de l’amener à une nouvelle opposition intérieure qu’il commence à ressentir : l’opposition entre les paroles qui naissent au-dedans de lui et celles qu’il entend prononcer par les autres prophètes.

Il s’agit d’une étape cruciale dans les vocations prophétiques, notamment les plus grandes, comme l’est celle de Jérémie. Nous pouvons la comprendre en ayant présent à l’esprit qu’en Israël, la prophétie était aussi une sorte de métier. Ils étaient des centaines, voire des milliers de nabi (prophètes) à sillonner le pays pour raconter des visions, effectuer des gestes bizarres et prophétiser de sombres scénarios apocalyptiques. Ils portaient un habit typique (p. ex. un manteau) qui les rendait facilement reconnaissables au milieu du peuple et autour du temple. Tous n’étaient pas de « faux » prophètes ou des imposteurs. La plupart d’entre eux étaient simplement des prophètes de métier, qui se bornaient à répéter les quelques vers d’Isaïe ou d’Amos et qui, à partir de leur connaissance de la sagesse de la tradition prophétique, parvenaient à prodiguer quelque bon conseil ou bien à trouver quelques auditeurs et disciples. Dans la première partie de sa vie, Jérémie aura été l’un de ces nabi, mêlé à tant d’autres dont nous avons perdu jusqu’à la trace. Pourtant, un jour, ce prophète déjà différent commence à comprendre que ses paroles ne ressemblent pas à celles de ses « collègues », parce que la voix qui lui parle dit des choses éloignées de celles qu’il entend dans la bouche des autres : « Le SEIGNEUR me répondit : ‟C’est faux ce que les prophètes prophétisent en mon nom ; je ne les ai pas envoyés, je ne leur ai rien demandé, je ne leur ai pas parlé. Fausses visions, vaticinations, mirages, trouvailles fantaisistes, tel est leur message prophétique !” » (14, 14). Jérémie prend conscience qu’il est prophète d’une autre façon. Une différence qui, afin de faire éclater toute sa force, recourt à cet ensemble de paroles résumé par l’expression fausse prophétie. D’un point de vue historique, il est difficile d’imaginer que tous les nabi du temps de Jérémie aient été de faux prophètes, des affabulateurs et des chantres du mensonge, même si c’est ce que Jérémie écrit. Comme dans n’importe quel métier, les bons et les mauvais prophètes auront vécu côte à côte, y compris à son époque.

Pourtant, ici, la question est différente et revêt une grande importance. La Loi n’est pas la seule à jouer le rôle de pédagogue (saint Paul) qui doit laisser la place à l’Esprit Saint une fois que le prophète a atteint l’âge adulte. La communauté de prophètes est elle aussi pédagogue et, si elle ne sait pas s’effacer au moment où l’enfant se montre devant l’adulte, elle empêche les jeunes de s’épanouir. En même temps, la communauté ne peut que contrarier cet épanouissement, comme la semence qui se trouve étouffée par la terre qui l’avait abritée et qui, si on n’y pratique pas des trous, ne donnera jamais ni épi, ni fruit. Il arrive un jour où celui qui a reçu une vocation prophétique peut sentir l’urgence de quitter la communauté des prophètes de métier pour embrasser un autre destin, que lui-même ne connaît pas encore. Il franchit alors une nouvelle étape, complètement différente, et presque toujours seul. Cet « envol » prend souvent la forme d’un jugement sévère envers la communauté et peut être formulé par les mêmes paroles que celles de Jérémie : fausseté et mensonge. Si, au cours de l’histoire, la fausseté et le mensonge de la première communauté ne sont pas toujours réels, dans l’expérience subjective de celui qui doit prendre cet envol insensé, ils le sont.

C’est ainsi qu’apparaissent les grandes innovations, y compris les innovations spirituelles. Une destruction créatrice qui, dans l’expérience prophétique, s’exprime à travers la « destruction » de la prophétie des autres, ce qui permet de « créer » la sienne.

Tous les autres prophètes « collègues » de Jérémie n’auront éprouvé aucun besoin de détruire les paroles des autres, pour la bonne et simple raison qu’ils n’avaient rien à créer. La grande innovation prophétique a besoin des débris de la tradition pour construire sa propre cathédrale. Il y a là une autre analogie entre prophétie et charisme : l’un comme l’autre innovent en « détruisant » leurs institutions et leurs paroles. Mais, et c’est un problème de taille, pour un vrai prophète qui détruit afin de créer, il y a mille faux prophètes ou vauriens qui se contentent de détruire.

Lorsqu’au sein d’une communauté de prophètes, un jeune entre en conflit avec les paroles des autres jusqu’à les percevoir comme « fausses » et « mensongères » et à les qualifier ainsi, il se peut que nous assistions à l’épanouissement d’une vocation prophétique authentique qui, pour pouvoir effectuer sa propre mission de salut, ne peut faire autrement que de détruire et créer ensuite, de blesser la terre pour parvenir à fleurir selon la loi inscrite dans son code génétique spirituel.

Beaucoup de vocations n’aboutissent pas et tournent mal uniquement parce que l’on ne laisse au conflit ni le temps, ni les moyens de porter du fruit. La communauté originelle ne parvient pas à voir la bénédiction dans la blessure de sa terre, elle n’est pas en mesure de la voir. Cependant, le prophète peut s’épanouir malgré tout s’il réussit à rester à l’intérieur de ce pénible conflit jusqu’à l’habiter, s’il ne cède pas à la tentation de retourner dans la communauté des nabi ordinaires et inoffensifs. Trop de prophètes ne s’épanouissent pas parce que résister dans la destruction créatrice est très douloureux : « Mes yeux fondent en larmes, nuit et jour, sans trêve » (14, 17). Or, chaque fois qu’une vocation meurt enterrée, des pétales multicolores disparaissent de l’ornement de la terre.

 

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L’aube de minuit / 9 - La semence brise la croûte de terre et les pétales colorent l’ornement de fleurs

Par Luigino Bruni

Publié dans Avvenire le 18/06/2017

170618 Geremia 9 rid« Presque toutes les idées lancées par Jérémie à cette époque se rattachent à la loi ; presque toutes les images auxquelles il recourt puisent dans le patrimoine, aujourd’hui séculaire, de la prophétie biblique. Tout cela n’est rien d’autre qu’un exercice, un apprentissage. »

André Neher, Geremia

« Voici ce que me dit le SEIGNEUR : ‟Va t’acheter une ceinture de lin et mets-la sur tes hanches, mais ne la passe pas à l’eau.” J’achetai une ceinture, selon la parole du SEIGNEUR, et je la mis sur mes hanches. De nouveau, la parole du SEIGNEUR s’adressa à moi : ‟Avec la ceinture que tu as achetée […], mets-toi en marche vers le Perath, et là, cache cette ceinture dans la fente d’un rocher” » (Jérémie 13, 1-4).

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Seule la terre blessée porte du frui

L’aube de minuit / 9 - La semence brise la croûte de terre et les pétales colorent l’ornement de fleurs Par Luigino Bruni Publié dans Avvenire le 18/06/2017 « Presque toutes les idées lancées par Jérémie à cette épo...
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L’aube de minuit / 8 – Les communautés qui tuent leurs prophètes encore naïfs meurent

Par Luigino Bruni

publié dans Avvenire le 11/06/2017

170611 Geremia 8 rid« Au prophète, Dieu ne se révèle pas sous forme d’un abstrait absolu, mais d’une relation intime et personnelle. »

Abraham Heschel, Les Prophètes

Les seules bonnes nostalgies, capables de nous parler aujourd’hui, ce sont les nostalgies d’avenir, celles qui savent tendre leur regard vers le présent et le futur. On ne régénère pas une relation d’amour en revenant aux paroles qu’elle nous adressait en des temps heureux, mais en rêvant et en prononçant des paroles d’amour que nous n’avions encore jamais dites. Il existe une réciprocité vitale et essentielle entre le passé et le présent. La promesse originelle donne tout son sens aux espérances et les confirme quand viennent les moments d’exil et de désert, et l’accomplissement des promesses d’hier nous prouve que nous n’avons pas poursuivi une illusion.

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« La parole qui s’adressa à Jérémie de la part du SEIGNEUR : Écoutez les termes de cette alliance ! – Tu parleras aux hommes de Juda et aux habitants de Jérusalem et tu leur diras : […] ‟Écoutez ma voix et mettez bien en pratique ce que je vous propose : ainsi vous deviendrez un peuple pour moi et moi je deviendrai Dieu pour vous, et alors je pourrai tenir l’engagement solennel que j’ai passé avec vos pères de leur donner un pays ruisselant de lait et de miel.” Et c’est bien le vôtre maintenant. Et je répondis : ‟Oui, SEIGNEUR !” » (Jérémie 11,1-5). Jérémie est le gardien de la mémoire de l’Alliance. Une mémoire qui, pourtant, a pour point de départ le présent : « C’est bien le vôtre maintenant. » La qualité de la vie de demain est inscrite dans la qualité de la vie présente, dans ses fidélités et infidélités, dans ses vérités et ses illusions. Les prophètes n’inventent pas l’avenir, mais le voient tout simplement dans le présent, grâce à leur regard différent. Et le présent de Jérusalem est la rupture de l’Alliance : « Mais ils n’ont pas écouté, ils n’ont pas tendu l’oreille, chacun a persisté dans son entêtement exécrable » (11,8).

La grande prophétie renferme en son cœur une perle d’une valeur inestimable. Si nous concevons notre vie comme une vocation – religieuse, civile ou artistique–, nous ne sommes pas toujours libres dans notre rapport à nos paroles. Cette liberté, que nous expérimentons pour 90% voire 99% d’entre elles, et qui nous permet d’atténuer, d’amortir, d’adoucir et de tempérer nos paroles sans trahir leur (et notre) vérité, s’évanouit dès lors que nous nous trouvons face à certaines paroles rarissimes, différentes et spéciales. Celles qu’il nous faut prononcer de la seule façon possible, sans modifier ne serait-ce qu’une voyelle, parce qu’elles sont déjà parfaites lorsqu’elles sortent de notre âme ; nous pouvons et devons alors simplement les dire comme elles nous parviennent – notre premier oui ou le dernier, cette phrase extrêmement précise dont dépend la dignité d’une personne, l’authenticité d’une relation, la fidélité à notre histoire ou l’absence de honte de notre cœur. Des phrases et des paroles où les virgules comptent autant que les verbes et les adjectifs. Il n’y a qu’une seule façon de prononcer ces paroles différentes et spéciales, à tel point que, si nous le faisons mal, nous ratons tout, les paroles meurent et se transforment en bavardages. Il s’agit de paroles qui acquièrent une grande valeur uniquement si nous parvenons à ne pas les modifier alors que la pietas humaine envers la personne en face de nous ou envers nous-mêmes nous y inciterait, et qui ne valent plus rien dès lors que nous les modifions pour une raison ou pour une autre, fût-ce la raison la plus noble et humaine.

Dans la vie des prophètes, où nous retrouvons l’archétype de toute vocation authentique, ces paroles ne sont pas aussi rares que dans la nôtre, car ils sont amenés plus souvent que nous à vivre des moments où ils ne peuvent faire autrement qu’obéir à la parole, aux paroles, avant de les dire. Beaucoup de ces paroles ont été conservées dans la Bible, ce qui leur a permis d’arriver jusqu’à nous ; elles nous aident à prononcer nos quelques paroles spéciales et différentes, fidèles et ponctuelles, qui nous attendent aux tournants décisifs de notre vie.

À partir de cette relation mystérieuse entre les prophètes et la parole, on peut deviner quelque chose d’une phrase puissante et terrible comme celle-ci : « Le Seigneur me dit : ‟Toi, n’intercède pas pour ce peuple, ne profère en leur faveur ni plainte ni supplication ; je n’écouterai pas quand ils m’appelleront au temps de leur malheur” » (11,14).

Jérémie n’est pas Abraham qui dialogue avec Dieu et intercède auprès de lui afin d’empêcher la destruction de Sodome (Genèse 18). Abraham, le premier patriarche, apporte à Élohim la voix du peuple ; il est le sommet d’une pyramide qui s’élève de la terre jusqu’à Dieu. Le prophète, quant à lui, n’a pas la vocation de parler du peuple à Dieu, mais de parler de Dieu au peuple. Sa voix représente le sommet d’une autre pyramide dont la base est au ciel et que l’on voit sur terre. Il se doit d’intercéder auprès du peuple afin que celui-ci sauve Dieu : c’est là que réside le sens profond de sa polémique contre les idoles. Tout prophète est ceci : une voix qui, du « ciel », se montre sur terre. Son corps est bel et bien sur terre, comme n’importe quel homme et femme, mais sa voix ne lui appartient pas. Son corps, sa chair, est le lieu où ciel et terre se rencontrent, où se déploient et se consument sa vocation, ses souffrances, ses persécutions : « Ainsi parle le SEIGNEUR contre les hommes d’Anatoth qui en veulent à ta vie en disant : ‟Ne prophétise pas au nom du SEIGNEUR, sinon tu mourras de notre main !” » (11,21).

C’est la première fois que nous rencontrons Jérémie en danger de mort, à la suite d’une conjuration contre sa personne, orchestrée par ses concitoyens, y compris sa famille : « Le Seigneur m’a dit : ‟Même tes frères, les membres de ta famille, oui, eux-mêmes te trahissent, oui, eux-mêmes convoquent dans ton dos un tas de gens. Ne te fie pas à eux quand ils te parlent gentiment” » (12,6). Un prophète est méprisé dans sa propre patrie, dans sa maison, par ses frères, au sein de sa communauté. C’est de là que viennent presque toutes les conjurations destinées à l’éliminer. Jérémie sent que Dieu l’invite à se méfier même de ses plus proches, à ne pas écouter leurs paroles (à première vue) bonnes.

Il y a une explication spécifique, contingente, à cet épisode de la vie du prophète, qui remonte probablement au début de son activité. Le principal crime dont il s’était rendu coupable aux yeux de son peuple, c’était de prêcher contre le temple, de critiquer sans ménagement les sacrifices qui s’y pratiquaient, mais aussi et surtout l’idéologie royale du temple et de ses illusions de salut (« Est-ce que les vœux et la viande sacrée peuvent éloigner de toi ton malheur ? Serait-ce ainsi que tu pourrais lui échapper ? » : (11,15). La famille de Jérémie était de souche sacerdotale, et les critiques qu’il formulait touchaient à l’identité profonde et au rôle social de sa famille.

Cependant, cette conjuration contient un message de portée universelle. La conjuration peut être une réaction naturelle face à celui qui démasque une idéologie bien implantée au sein du peuple et le fait au nom d’une autorité et d’une investiture différentes de celles conférées par les institutions. Nous ne devons jamais oublier que les prophètes reçoivent leur autorité directement, qu’elle n’est ni transmise, ni ratifiée par aucune institution hiérarchique. Par conséquent, leur légitimité morale et spirituelle est toujours controversée, partielle et imparfaite, et les autorités leur contestent leurs droits sur les terrains où se trouve leur maison, pour pouvoir ensuite la démolir.

Jérémie est né et a grandi dans une famille de prêtres ; alors qu’il est de souche sacerdotale, sa vocation l’amène à critiquer durement l’idéologie émanant précisément de sa famille. Tel est le destin de ces prophètes appelés à prophétiser au sein de la communauté et de la religion où ils ont grandi et vivent : leur mission leur commande de critiquer publiquement et sévèrement l’idéologie engendrée jour après jour par les idéaux et la religion de leur propre communauté. Dieu envoya Jonas prophétiser à Ninive, une ville étrangère, alors que Jérémie, originaire d’Anatoth, y resta pour prophétiser.

La Bible connaît bien les homicides entre frères (celui de Caïn, mais aussi celui des frères de Joseph), tout comme elle sait que les idéologies-idolâtries sont plus fortes que les liens du sang. Lorsque nous sommes happés par une idéologie, même en toute bonne foi, elle se transforme en maître impitoyable qui va jusqu’à nous commander de tuer nos frères, nos enfants ou nos parents. L’idéologie-idole est constamment en quête de nouvelles victimes sacrificielles.

Au début, Jérémie n’avait pas conscience de cette conjuration, à tel point qu’il avait cru aux paroles de ses amis et frères : « Moi, j’étais comme un agneau docile, mené à la boucherie ; j’ignorais que leurs sinistres propos me concernaient : ‟Détruisons l’arbre en pleine sève, supprimons-le du pays des vivants ; que son nom ne soit plus mentionné !” » (11,19). Cette mansuétude n’était pas une vertu, mais seulement un manque d’expérience et de l’ignorance. Puis, un jour, Dieu révèle à Jérémie l’intrigue homicide, ce qui marque une nouvelle étape dans sa mission prophétique. Jérémie comprend qu’il doit changer radicalement d’attitude envers sa famille et sa communauté s’il veut continuer à effectuer le mandat qu’il a reçu, donc rester en vie.

Ce jour-là, une nouvelle douceur s’épanouit chez Jérémie, remplaçant celle de l’agneau qui était doux car ignorant des intentions de ses bourreaux. C’est cela, la douceur spéciale des prophètes qui dépassent la phase de la première douceur naïve : une nouvelle douceur qui apparaît souvent comme son exact opposé à ceux qui les observent. Leur douceur est la douceur envers la parole, incompréhensible pour qui ne connaît pas la Bible, ni les prophètes, ni le Christ. C’est la douceur de celui qui crie sur une croix où il n’a pas choisi de se faire clouer, et qui s’adoucit seulement lorsqu’une parole en son for intérieur le lui demande.

Trop de vrais prophètes se bloquent avant d’avoir achevé leur mission dans le monde, parce que leur douceur naïve de la première phase de leur vocation les incite à se laisser conduire docilement à l’abattoir, où ils se font tuer. Parce qu’ils ne se sont pas rendu compte des intrigues contre eux, ils sont assassinés par leur propre famille et leurs amis. Si nous avons eu le livre de Jérémie, c’est parce que ce prophète a réussi à comprendre que dans son dos se tramait une conjuration ; il a donc fui, poursuivi son œuvre et écrit son livre. Il n’est pas facile de repérer ces pièges mortels, justement parce qu’ils nous sont tendus dans notre propre maison. Un jour, une voix intérieure nous avertit du danger, et pourtant, même les meilleurs prophètes ne parviennent pas toujours à la reconnaître, parce qu’elle est couverte par la voix puissante du sang et des liens spirituels, par la voix de nos propres responsables, ou bien par la voix bonne du fondateur qui encourage et loue cette douceur première. C’est ainsi que la parole du prophète est étouffée, et il cesse alors de parler. Nombreuses sont les communautés qui meurent parce qu’elles tuent ces prophètes naïfs et doux qui auraient pu les sauver s’ils étaient parvenus à acquérir une douceur différente.

 

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L’aube de minuit / 8 – Les communautés qui tuent leurs prophètes encore naïfs meurent

Par Luigino Bruni

publié dans Avvenire le 11/06/2017

170611 Geremia 8 rid« Au prophète, Dieu ne se révèle pas sous forme d’un abstrait absolu, mais d’une relation intime et personnelle. »

Abraham Heschel, Les Prophètes

Les seules bonnes nostalgies, capables de nous parler aujourd’hui, ce sont les nostalgies d’avenir, celles qui savent tendre leur regard vers le présent et le futur. On ne régénère pas une relation d’amour en revenant aux paroles qu’elle nous adressait en des temps heureux, mais en rêvant et en prononçant des paroles d’amour que nous n’avions encore jamais dites. Il existe une réciprocité vitale et essentielle entre le passé et le présent. La promesse originelle donne tout son sens aux espérances et les confirme quand viennent les moments d’exil et de désert, et l’accomplissement des promesses d’hier nous prouve que nous n’avons pas poursuivi une illusion.

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C’est la douceur différente qui sauve

L’aube de minuit / 8 – Les communautés qui tuent leurs prophètes encore naïfs meurent Par Luigino Bruni publié dans Avvenire le 11/06/2017 « Au prophète, Dieu ne se révèle pas sous forme d’un abstrait absolu, mais d’un...
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L’aube de minuit / 7 - Les idoles ne doivent ni nous faire peur, ni nous fournir des alibis de présomption

Par Luigino Bruni

publié dans Avvenire le 04/06/2017

170604 Geremia 7« Comment, dès lors, pouvais-je partager les dévotions que ce sauvage idolâtre rendait à son morceau de bois ? Mais qu’est-ce que rendre un culte ? me demandai-je. Vas-tu te figurer, Ismaël, que le Dieu magnanime du ciel et de la terre – et de tous les hommes, païens y compris – puisse éprouver l’ombre d’une jalousie envers un insignifiant morceau de bois noir ? Impensable. Mais qu’est-ce qu’adorer Dieu sinon faire sa volonté ? »

Herman Melville, Moby Dick

La prophétie est une critique sévère des religions et des cultes ; une critique de toute religion et de tout culte qui ont une tendance intrinsèque à se transformer en pratiques idolâtres. Elle est aussi et surtout une critique systématique et terrible de la révélation biblique, qui cherche à éviter à la parole biblique de devenir une simple religion, car une foi qui se transforme en simple religion est déjà un culte idolâtrique. La Bible est bien plus que le livre sacré d’une religion, entre autres parce qu’elle a accueilli et gardé en son sein les livres des prophètes qui, avec Job et Qohélet, l’ont empêchée de devenir un objet d’idolâtrie. Ainsi, en vidant le monde religieux de nos idoles, les prophètes essaient de débarrasser notre environnement de nos artefacts religieux afin d’en créer un nouveau, où nous pourrons peut-être n’écouter qu’une voix nue. Ils sont les grands libérateurs chassant les dieux qui remplissent la terre et nos âmes.

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La première étape nécessaire pour qui commence un cheminement de foi est alors l’athéisme, qui permet de se libérer des nombreux totems et fétiches encombrant notre existence. Les prophètes savent que la condition naturelle de l’homme n’est pas l’athéisme, mais l’idolâtrie, la production systématique et de plus en plus sophistiquée d’artefacts matériels et idéaux à adorer, auxquels il s’asservit ensuite dans sa quête d’un salut faux et facile. Car, si le Dieu de la Bible devient simplement une idole de plus à ajouter à notre panthéon, il ne peut faire autrement que nous rendre encore plus esclaves. Le Dieu de la Bible parvient à se distinguer des idoles uniquement dans un temple vide, car il arrive un moment où il s’est vidé de sa substance.

Ainsi, afin de nous faire comprendre la différence entre l’idolâtrie et sa foi, le prophète doit procéder à un nettoyage spirituel et nous ramener sur les pentes du mont Oreb, là où « il n’y avait qu’une voix ». Tant que nous nous divertissons avec les jouets religieux que notre famille nous a offerts ou que nous avons appris à construire de nos mains, nous ne pouvons pas commencer une vie authentiquement spirituelle ; à ce propos, la jeunesse est le meilleur moment pour s’engager sur un vrai chemin de foi, entre autres parce que l’on est alors moins influencé par les faux dieux. C’est là que la prophétie révèle toute sa nécessité, à n’importe quelle époque et en tout lieu car, si nous ne sommes pas saisis intérieurement par sa force capable de démasquer et de dévorer le « bois » qui nous entoure, nous passons notre vie à dialoguer avec des artefacts, même lorsque nous les appelons Dieu ou Jésus.

Donc, paradoxalement (la Bible est un grand et unique paradoxe essentiel, et c’est seulement à travers ce paradoxe qu’elle se comprend), l’athée honnête se trouve dans une condition existentielle plus favorable que celle de l’homme religieux pour commencer une expérience authentique de foi biblique : en effet, sur sa terre désolée et vide, il lui est plus facile d’entendre une voix subtile de silence. Or, malheureusement, nombre de ceux qui semblent et croient être des athées sont de fidèles dévots de quelque idéologie ou des adorateurs perpétuels de leur plus grande idole : leur propre moi.

C’est à ce niveau qu’il faut saisir la portée universelle de la parole prophétique, qui aime tous les hommes à l’intérieur comme à l’extérieur des religions, parce que l’univers idolâtrique est bien plus vaste que l’univers explicitement religieux. À tous, les vrais prophètes répètent, ici et maintenant, avec leur grande tendresse : « N’ayez pas peur ! » « Ne vous conformez pas aux mœurs des nations ! Devant les signes du ciel, ne vous laissez pas accabler ! Ce sont les nations qui se laissent accabler par eux : mais les principes des peuples sont absurdes. Le bois coupé dans la forêt, travaillé au ciseau par l’artiste […], on le fixe pour qu’il ne soit pas branlant » (Jérémie 10,2-3). Rien mieux que les luttes contre les idoles ne nous révèle la nature libératrice des prophètes. Libération vis-à-vis des idoles et libération de la peur des idoles que nous avons créées. Les idoles, nous répète Jérémie, sont un néant ; elles deviennent quelque chose dès lors que nous leur attribuons quelque existence et consistance, et c’est ce quelque chose qui nous fait peur. Aujourd’hui comme hier, l’homme idolâtre est toujours un homme peureux. Il a surtout peur de la mort, parce qu’il sent bien que ces objets fabriqués ne sont pas vivants, qu’ils ne peuvent vaincre la mort ; c’est ainsi qu’ils nous y font penser à chaque instant, et qu’elle nous fait de plus en plus peur à mesure qu’elle se rapproche.

Dans le chapitre 10, un texte complexe si l’on considère que sa rédaction a pris beaucoup de temps, et cependant fondamental dans l’économie du livre entier de Jérémie, le prophète nous livre une véritable théorie de la nature et de l’apparition de l’idolâtrie au sein de communautés composées de personnes animées d’une foi non idolâtrique. À l’origine de leur conversion aux idoles, il y a leur fascination pour les « mœurs » des autres nations, pour leur « chemin » et leurs styles de vie. Les cultes des autres peuples deviennent chaque jour plus intéressants, attrayants et séduisants que les nôtres. Un intérêt et une attraction-séduction qui ne sont jamais des affaires exclusivement religieuses, car ils agissent à un niveau plus général et profond. Les processions des grands, imposants et splendides dieux babyloniens, assyriens ou égyptiens fascinaient les juifs parce qu’ils étaient l’expression d’une culture « victorieuse » et les signes de ces grandes puissances politiques et culturelles. Les puissances politiques et militaires se transforment en empires lorsque les peuples vaincus commencent à désirer et à imiter leur culture et leur religion. Elles deviennent des empires parfaits et invincibles lorsque leurs symboles et leurs valeurs sont intériorisés par leurs nouveaux sujets. C’est bien cette séduction de l’âme qui donne aux prophètes matière à exercer une critique impitoyable des divinités des autres peuples. De par leur vocation, les prophètes savent qu’aucune occupation politique ni aucune déportation ne nous réduit entièrement en esclavage, jusqu’au moment où nous commençons à adorer les nouveaux dieux, où leurs symboles influencent notre âme.

Et, une fois séduits, les nouveaux adorateurs deviennent des artisans producteurs de leurs nouvelles idoles. Le Dieu biblique est unique, donc non reproductible, contrairement aux idoles. Elles peuvent et doivent être reproduites, multipliées, construites en série, devenir des produits de consommation de masse. En effet, les adorateurs, après avoir coupé les arbres dans la forêt, après avoir tué l’arbre vivant pour en faire un objet mort (à l’origine du totem, il y a cette violence, que l’homme ancien ressentait et comprenait beaucoup mieux que nous), « enjolivé d’argent et d’or, avec clous et marteaux, on le fixe pour qu’il ne soit pas branlant » (10,4). Et les commerces prolifèrent, car il n’est pas de marchandise que les hommes aiment davantage que les idoles.

Jérémie a fait l’expérience d’une voix véritable, il s’est entendu appeler par son nom par quelque chose de vivant. Le contraste est immense entre son Dieu, différent, et ces morceaux de bois taillés au ciseau, peints et ornés, qui remplissaient son pays : « Comme toi il n’y a personne, SEIGNEUR ! » (10,6). Les « idoles ne parlent pas ; il faut bien les porter, car elles ne peuvent marcher. N’en ayez aucune crainte : elles ne sont pas nuisibles, mais elles ne peuvent pas davantage vous être utiles » (10,5). Elles sont tout simplement inoffensives, vides, un souffle, un néant, hevel : « Tous, sans exception, s’abrutissent et perdent le sens. Ce sont des absurdités, objets de quolibets. Vaine est leur doctrine, elles ne sont qu’un bout de bois… » (10 : 8, 15). Dans ce contexte, sa célèbre et géniale définition de l’idole résonne avec force : elles sont « comme un épouvantail dans un champ de concombres » (10, 5).

Cependant, c’est ici que nous devons entamer un nouveau discours. Jérémie proclame, chante et répète que le Seigneur est tout autre. La rencontre qu’Israël faisait avec des peuples anciens et nouveaux, qui avaient de nombreux dieux de bois, aura peut-être en effet insinué chez le prophète lui-même cette question : et si, en réalité, notre Dieu n’était que souffle et vide, comme toutes ces autres idoles ? Démasquer le néant de l’idolâtrie met en crise même la foi non idolâtrique, car le dégoût à l’égard des adorateurs qui adorent le néant fait aussi vaciller une foi que l’on croit différente.

Quand, par vocation ou par un don du ciel, on a un jour la grâce de comprendre que la plupart des cultes que nous voyons autour de nous sont des formes plus ou moins sophistiquées d’idolâtrie et d’illusion, un banal néant consolateur, habillé et orné de différentes manières, la première expérience que l’on fait est celle d’une question intérieure tenace : pourquoi ma foi devrait-elle être différente des autres illusions ? Est-il vrai que « le SEIGNEUR Dieu est vérité, il est le Dieu vivant » (10,10) ? Ou bien la voix, que j’ai entendue, n’était-elle que le son d’un bout de bois mort ? Une question honnête, qui grandit et devient inévitable. C’est ainsi que beaucoup de gens perdent leur foi, qui était bonne, face à la découverte de la tromperie que représente la foi-idolâtrie des autres et qui entraîne aussi la leur, devenue à leurs yeux trop semblable à cette foi erronée et trompeuse. Cette question, chez les prophètes, devient très forte et, pour l’exorciser, ils en viennent à prononcer des paroles très dures contre les dieux des autres, et à nier que les cultes rendus à ces morceaux de bois ou aux astres puissent contenir quoi que ce soit d’authentique, le moindre souffle de cet esprit véritable qui souffle où il veut. Les prophètes aussi ont peur des idoles, quoique de manière différente.

Nous ne devons donc pas lire aujourd’hui la critique que Jérémie et les prophètes adressent sans ménagement aux idoles, comme la négation de toute vérité contenue dans toutes les croyances autres que la foi biblique. Si nous faisions ainsi, nous passerions à côté de la nature du phénomène religieux et de l’esprit profond des paroles de Jérémie. Deux millénaires et demi d’histoire des religions et de christianisme ont renforcé et confirmé la valeur spirituelle et humaine de la polémique anti-idolâtrique de Jérémie. Nos cités capitalistes, où seul domine le consumérisme, ressemblent de plus en plus à Babylone et à Ninive, et la transmutation idolâtrique des croyances anciennes devient de plus en plus évidente chaque jour. Dans le même temps, nous avons appris que tous les dieux différents du nôtre ne sont pas des idoles ou des épouvantails, et que les bûches de bois coloré peuvent renfermer moins de néant et de stupidité que n’en contiennent nos marchandises hypertechnologiques et toujours plus idolâtrées. Il se peut aussi que l’esprit de Dieu, qui habite mystérieusement mais réellement le cœur de tout homme et de toute femme, reconnaisse son propre souffle, même dans un tronc d’arbre. Les prophètes, et la Bible, grandissent avec notre vie, et ils apprennent des choses nouvelles grâce à une lecture honnête et généreuse de leurs paroles splendides venues du fond des âges.

 

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L’aube de minuit / 7 - Les idoles ne doivent ni nous faire peur, ni nous fournir des alibis de présomption

Par Luigino Bruni

publié dans Avvenire le 04/06/2017

170604 Geremia 7« Comment, dès lors, pouvais-je partager les dévotions que ce sauvage idolâtre rendait à son morceau de bois ? Mais qu’est-ce que rendre un culte ? me demandai-je. Vas-tu te figurer, Ismaël, que le Dieu magnanime du ciel et de la terre – et de tous les hommes, païens y compris – puisse éprouver l’ombre d’une jalousie envers un insignifiant morceau de bois noir ? Impensable. Mais qu’est-ce qu’adorer Dieu sinon faire sa volonté ? »

Herman Melville, Moby Dick

La prophétie est une critique sévère des religions et des cultes ; une critique de toute religion et de tout culte qui ont une tendance intrinsèque à se transformer en pratiques idolâtres. Elle est aussi et surtout une critique systématique et terrible de la révélation biblique, qui cherche à éviter à la parole biblique de devenir une simple religion, car une foi qui se transforme en simple religion est déjà un culte idolâtrique. La Bible est bien plus que le livre sacré d’une religion, entre autres parce qu’elle a accueilli et gardé en son sein les livres des prophètes qui, avec Job et Qohélet, l’ont empêchée de devenir un objet d’idolâtrie. Ainsi, en vidant le monde religieux de nos idoles, les prophètes essaient de débarrasser notre environnement de nos artefacts religieux afin d’en créer un nouveau, où nous pourrons peut-être n’écouter qu’une voix nue. Ils sont les grands libérateurs chassant les dieux qui remplissent la terre et nos âmes.

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Non à la banalité du néant

L’aube de minuit / 7 - Les idoles ne doivent ni nous faire peur, ni nous fournir des alibis de présomption Par Luigino Bruni publié dans Avvenire le 04/06/2017 « Comment, dès lors, pouvais-je partager les dévotions que ce sauvage idolâtre rendait &a...
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L’aube de minuit / 6 - Les mensonges des scribes mettent même la bonne foi en cage

Par Luigino Bruni

Publié dans Avvenire le 28/05/2017

170528 geremia 6 rid« Jérémie perçoit que le précieux pouvoir de dialogue qui lui a été donné, c’est en réalité la puissance de la prière. »

André Neher, Jérémie

Toute histoire d’amour commence par une merveilleuse rencontre entre l’« intérieur » et l’« extérieur », et ceci vaut aussi bien pour les histoires personnelles que pour les histoires collectives. Un jour, nous rencontrons une personne et nous sentons qu’elle était déjà présente dans notre âme sans même que nous le sachions. Au moment de faire sa connaissance, nous la reconnaissons. S’il n’en était pas ainsi, nous ne conclurions avec personne un pacte où est inscrit le « pour toujours ». Il se produit un phénomène semblable dans les histoires d’amour, quand cet autre que nous rencontrons n’est ni un homme ni une femme, mais une réalité spirituelle ou idéale. La voix qui nous appelle est à la fois très intime et extérieure à nous ; nous la reconnaissons parce qu’elle était déjà au-dedans de nous.

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Dans certains cas, ces rencontres spirituelles se transforment en expériences collectives, et c’est ainsi que ce premier événement engendre des familles, mais aussi des communautés, des mouvements, des organisations, des fois et des religions. Même la foi biblique est née ainsi : il y a d’abord eu une voix, une personne qui a répondu, puis une famille, puis d’autres personnes, d’autres familles, une communauté et, enfin, un peuple. Une religion. Le passage de la première voix-dialogue personnel à la religion est toujours délicat et extrêmement risqué, car l’expérience spirituelle fondatrice a tôt fait de se traduire en cultes, en théologies, en dogmes, en pratiques religieuses, en catéchismes et en traités à l’usage des confesseurs. Un processus naturel qui s’enclenche dans le but louable de conserver, de transmettre et d’universaliser l’expérience spirituelle des premiers temps. Cependant, en dépit de la bonne foi de ceux qui l’engagent, ce processus finit par emprisonner la voix originelle dans la cage en fer préparée pour elle. En nous faisant une certaine idée de Dieu, nous l’empêchons d’être différent de l’image que nous avons de lui. On voit ainsi apparaître des classes sociales et des métiers qui cherchent de nombreuses façons de se rassurer en s’assurant que Dieu entre exactement dans le vêtement qu’ils lui ont taillé sur mesure jour après jour. Une mesure qui, par la suite, devient inévitablement la référence pour attester de notre orthodoxie et de l’hérésie des autres. Les paroles prononcées deviennent parole écrite, et les maîtres de la plume tendent à se transformer en maîtres de la parole, puis en maîtres de ceux qui ont prononcé ces paroles. La voix cesse alors de parler. Or, une communauté, une église, un idéal ou une foi ne vit vraiment que si les fidèles laissent la voix originelle libre de continuer à s’exprimer tous les jours, de les appeler par leur nom, de les étonner en prononçant des paroles qu’elle n’avait pas encore dites, auxquelles personne ne s’attendait. Mais cette liberté coûte et dérange, et c’est pourquoi on ne la rencontre presque jamais dans les églises et dans les temples.

On constate des processus analogues, sous diverses formes et à des degrés divers, au sein des communautés spirituelles et des mouvements nés d’une expérience charismatique originelle. Là encore, au fil du temps, la communauté produit inévitablement des « scribes » et des « docteurs de la loi » afin de conserver et de transmettre son charisme. Ces derniers deviennent les herméneutes de la voix originelle, jusqu’à l’empêcher de continuer à parler et de dire des choses nouvelles parallèlement aux anciennes. Or, dès lors que la voix n’annonce pas de choses nouvelles et que les anciennes ne s’expriment plus, tout se tait. Les vocations disparaissent parce qu’il ne se trouve plus aucune voix vivante pour les appeler aujourd’hui : les souvenirs et les écrits d’hier sont incapables d’appeler qui que ce soit par son nom.

Les prophètes sont alors le seul remède efficace à cette grave maladie des expériences spirituelles collectives, religieuses et laïques. Car le prophète, de par sa vocation spécifique, cultive un dialogue, mystérieux mais tout à fait réel, avec cette voix qui était à l’origine de l’expérience fondatrice. Ainsi peut-il crier de toutes ses forces : « Comment pouvez-vous dire : ‘Nous avons la sagesse, car la loi du SEIGNEUR est à notre disposition.’ Oui, mais elle est devenue une loi fausse sous le burin menteur des juristes. Les sages sont confondus, ils s’effondrent, ils sont capturés » (Jérémie 8, 8-9). Les prophètes sont l’éternel présent du premier jour. La prophétie défie la voix devenue parole écrite afin de l’« essayer » face à la voix orale originelle.

Cependant, il reste un problème crucial, qui touche au cœur de l’expérience prophétique : même les faux prophètes s’arrogent cette fonction d’herméneutes et d’essayeurs de la parole. Ceci explique pourquoi les principaux ennemis des prophètes sont les faux prophètes, et vice-versa. Les faux prophètes « confondent » et « capturent » parce que les chefs du peuple ont une tendance irrépressible à croire à leur exégèse flatteuse qui les rassure et consolide leur pouvoir : « Ils ont bien vite fait de remédier au désastre de mon peuple en disant : ‘Tout va bien ! tout va bien !’ Et rien ne va. Ils sont confondus parce qu’ils commettent des horreurs, mais ils ne veulent pas en rougir » (Jérémie 8,11-12). Ne plus ressentir de honte, ne plus savoir rougir, est une grande pauvreté car, tant que nous parvenons à éprouver de la honte, nous pouvons encore espérer revenir.

Jérémie continue de souffrir pour son peuple éloigné des prêtres, des scribes et des docteurs capturés par les idéologies consolatrices des faux prophètes ; une souffrance qui lui inspira certains de ses plus beaux versets : « À cause du désastre de mon peuple, je suis brisé. Je suis dans le noir : la désolation me saisit ! N’y a-t-il pas de baume en Galaad, pas de médecin là-bas ? Pourquoi ne voit-on pas poindre la convalescence de mon peuple ? Qui changera ma tête en fontaine, mes yeux en source de larmes pour pleurer jour et nuit les victimes de mon peuple ? » (8,21-23). La blessure de la fille de mon peuple : une expression merveilleuse, qui joue sur le registre féminin puissant et délicat, et que seuls les grands prophètes peuvent nous donner. « N’y a-t-il pas dans quelque endroit lointain un remède pour la guérir » : une prière sous forme de lamentation, que nous aussi, nous avons parfois formulée, face à la maladie incurable de notre fille ou de notre mère. Pourtant, Jérémie sait que ce baume miraculeux n’existe pas et que la blessure ne cicatrisera pas. La corruption du peuple, désormais « trop fatigué pour revenir en arrière » (9,4), est trop répandue et trop profonde. Lorsque la corruption se prolonge durant longtemps, elle engendre une grande fatigue morale, et l’on reste dans l’erreur car il nous manque l’énergie spirituelle pour nous lever et rentrer chez nous.

Voici alors que cette blessure nous offre un autre décor à couper le souffle, une fenêtre qui ouvre sur un nouveau et grand panorama : « Que n’ai-je au désert un gîte de caravaniers ? J’abandonnerais mon peuple, je le planterais là : tous sont des adultères, un ramassis de traîtres » (9,1). La méfiance et le mensonge règnent en maîtres (« Soyez sur vos gardes, chacun envers son compagnon : ne vous fiez à aucun frère, car tout frère s’y entend en mauvais tours et tout compagnon répand la calomnie » : 9,3). Une perversion poussée à l’extrême, qui conduit Jérémie à se résigner et lui donne envie de fuir dans le désert, parce qu’il ne supporte plus d’être au milieu de son peuple.

Il s’agit d’une nouvelle forme de mal-être chez le prophète, différente de la souffrance causée par la « blessure de la fille de son peuple ». Il éprouve une sorte de nausée et de dégoût à force de rester au milieu d’un peuple qui a renié l’Alliance et s’est perverti. Jérémie ne s’enfuira pas ; cependant, dans ce verset il nous confie avoir été fortement tenté de le faire – et il ressentira encore cette tentation aiguë ; ainsi nous révèle-t-il une autre dimension intime de la prophétie.

Lorsqu’un prophète se trouve à l’intérieur d’une communauté qui a perdu le sens de la voix originelle, c’est là qu’arrive le moment où il ressent le désir irrépressible de fuir au désert, loin de son peuple. La simple proximité physique avec ces personnes, leurs paroles fausses, les cultes, les prières, mais aussi et surtout leur idéologie, lui donnent la nausée et lui inspirent du dégoût, un mal-être physique. Dans ces moments-là, à la souffrance de voir la « fille de son peuple » blessée courir vers la mort, s’ajoute la douleur de se sentir totalement étranger, de ne pas se trouver dans la bonne maison et d’en vouloir désespérément une autre. Quand le peuple tout entier est drogué d’une idéologie, quand les paroles vraies du prophète ne donnent aucun résultat, l’âme et le corps se rebellent ; ils n’ont plus qu’une envie, partir, fuir loin de chez eux, et ils sont prêts à vivre dans n’importe quel « abri », dans une baraque ou même sous un pont, pourvu qu’il puisse quitter ce lieu de mensonge, qui ressemble de plus en plus à l’esclavage en Égypte.

Nombreux sont les prophètes qui, lorsqu’ils traversent ces moments, mettent un terme à leur mission, parce que l’appel du désert se fait insistant au point qu’ils y cèdent. Leur nausée devient insupportable, elle les saisit dans leur âme et dans leur chair, et la communauté se transforme en prison dont ils parviennent un jour à s’évader pour ne plus jamais revenir. Pour trop de vrais prophètes, cette souffrance morale caractéristique marque la fin de leur expérience prophétique.

Jérémie, quant à lui, choisit de rester au lieu de fuir au désert ; il continua de parler à son peuple, même si cela ne servait à rien, transformant sa douleur en lamentations et en larmes offertes : « Faites venir les pleureuses ! Appelez les expertes ![…] Que nos yeux fondent en larmes ! Que nos paupières ruissellent ! De Sion on entend une voix plaintive : ‘Comme nous sommes dévastés, accablés de honte ! Nous devons abandonner le pays : on a jeté bas nos habitations’ » (9,16-18).

La voix du prophète devient ainsi la voix du peuple qui ne pleure pas sa propre perte alors qu’il le devrait. Son peuple est incapable de pleurer car, trompé par les idéologies consolatrices, il est inconscient du malheur qui s’apprête à le frapper. Le prophète choisit de pleurer à sa place, il prête ses larmes à son peuple qui, s’il savait pleurer, serait déjà sur la voie du salut. Les lamentations pour son peuple deviennent le chant d’amour du prophète, l’unique baume pour soulager la blessure de sa fille. Il reste au lieu de fuir et, pour ne pas mourir, pleure à la place de son peuple qui en est incapable. C’est là que la prière trouve son origine la plus authentique et la plus belle : pleurer à la place de ceux qui ne savent pas pleurer, crier à la place de ceux qui n’y parviennent pas, vivre à la place de ceux qui ont cessé de vivre.

Nombreux sont les peuples et les communautés qui se sont sauvés, et qui continuent de se sauver, grâce aux lamentations exprimées à leur place par les prophètes qui n’ont pas pris la fuite en dépit de leur nausée, et sont restés fidèles à leur poste d’observation. Si ces larmes n’ont pas sauvé Jérusalem de la destruction et de l’exil, elles peuvent toujours nous sauver de nos destructions et de nos exils. Elles peuvent nous fournir une bonne raison de rester chez nous et de distiller un baume sur la blessure de la fille du peuple.

 

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L’aube de minuit / 6 - Les mensonges des scribes mettent même la bonne foi en cage

Par Luigino Bruni

Publié dans Avvenire le 28/05/2017

170528 geremia 6 rid« Jérémie perçoit que le précieux pouvoir de dialogue qui lui a été donné, c’est en réalité la puissance de la prière. »

André Neher, Jérémie

Toute histoire d’amour commence par une merveilleuse rencontre entre l’« intérieur » et l’« extérieur », et ceci vaut aussi bien pour les histoires personnelles que pour les histoires collectives. Un jour, nous rencontrons une personne et nous sentons qu’elle était déjà présente dans notre âme sans même que nous le sachions. Au moment de faire sa connaissance, nous la reconnaissons. S’il n’en était pas ainsi, nous ne conclurions avec personne un pacte où est inscrit le « pour toujours ». Il se produit un phénomène semblable dans les histoires d’amour, quand cet autre que nous rencontrons n’est ni un homme ni une femme, mais une réalité spirituelle ou idéale. La voix qui nous appelle est à la fois très intime et extérieure à nous ; nous la reconnaissons parce qu’elle était déjà au-dedans de nous.

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La tentation d’habiller Dieu

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L’aube de minuit / 5 - Rester forts pour ne pas travestir la réalité ni instrumentaliser Dieu

Par Luigino Bruni

publié dans Avvenire le 21/05/2017

170521 Geremia 05 rid« Et tout le peuple exultait et faisait entendre des claquements de langue. Mais Zarathoustra en fut affligé et se dit en son cœur : ‘Ils ne me comprennent point, je ne suis pas la bouche qui convient à ces oreilles. […] Et maintenant ils me regardent en ricanant ; non contents de ricaner, ils me haïssent par surcroît. Il y a de la glace dans ces rires.’ »

Friedrich Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra

Sur terre, le Dieu de la Bible ne s’exprime pas à la première personne : ses paroles nous parviennent seulement à travers des hommes et des femmes. Celui qui descend du Sinaï en portant les Tables de la loi est Moïse, un homme. À lui, le Seigneur parle sous la tente de la rencontre ; en tête à tête avec lui, il dialogue de « bouche à oreille », et il lui adresse des paroles qui peuvent être ensuite portées à la connaissance du peuple. Si nous voulons écouter la parole de Dieu dans le monde, nous devons tout simplement nous contenter d’apprendre à écouter des hommes et des femmes comme nous. Ces paroles se transmettent si nous savons placer nos yeux à la même hauteur que ceux de l’autre. Nous les trouvons ni plus haut ni plus bas, mais tout simplement en face de nous. C’est à travers l’homme que Dieu sait parler aux hommes. Seuls les hommes et les femmes peuvent faire ressusciter chaque jour la Bible et les évangiles, en commandant à ces paroles de sortir. Sans des personnes qui les appellent par leur nom, ici et maintenant, même les paroles de la Bible restent enterrées dans leurs sépulcres.

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Les prophètes sont des hommes et des femmes qui continuent à faire parler Dieu dans le monde, et ce même lorsqu’ils ne le savent pas ou ne l’appellent pas Dieu. Or, nous ne parvenons pas à les rencontrer, parce que nous ne les cherchons pas aux bons endroits. Nous pensons, par exemple, qu’ils habitent uniquement dans les temples et les sanctuaires, qu’ils nous parlent de Dieu dans un langage que, selon nous, un dieu qui se respecte se doit d’employer ; qu’ils sont instruits, théologiens, experts en liturgie ou, du moins, en catéchisme. Comme nous les cherchons parmi les prophètes de métier, nous tombons presque exclusivement sur de faux prophètes constamment à la recherche de clients pour alimenter leur commerce. Les vrais prophètes, quant à eux, ne sont presque jamais là où nous voudrions les trouver, n’exercent pas le métier de prophète et n’en ont ni les traits, ni les gestes caractéristiques. Comme ils habitent presque tous aux périphéries de l’empire, ils ne fréquentent pas les temples, parlent rarement un langage religieux (parfois ils ne le connaissent même pas et cela ne les attire pas), et sont pauvres et exclus pour la plupart : des bergers de troupeaux, un frère jeune et rêveur ou un enfant dans une mangeoire. La voix des prophètes étant une voix humaine, elle est toujours métissée, impure, imparfaite, raison pour laquelle nous ne la reconnaissons pas comme la voix de Dieu ; car, à nos yeux, cette voix devrait être pure, parfaite et intacte, exactement comme celle des faux prophètes.

Tout ceci fait de la religion authentique quelque chose d’infiniment laïc, quotidien et humble, donc quelque chose de merveilleux, même si c’est très difficile à comprendre et à vivre parce que nous aimons les religions spectaculaires, visionnaires et extraordinaires. Nous n’aimons pas que l’esprit de Dieu nous touche l’âme pendant que nous sommes occupés à laver la vaisselle ou à ranger notre chambre, lorsque nous donnons un cours d’arithmétique ou lorsque nous expédions les affaires courantes au bureau. Non, la vraie vie ne nous suffit pas : nous nous plaisons à nous bercer d’illusions avec les vies sensationnelles que l’on nous vend aux banquets des faux prophètes. C’est ainsi qu’à la fin de nos pèlerinages, Baal nous attend dans les temples et les églises pour nous réduire encore en esclavage.

« Chez mon peuple, je te nomme essayeur de métaux, tu apprécieras et examineras leur conduite. […] Le soufflet ronfle, le feu fait disparaître le plomb. Mais c’est en vain que le fondeur fond : les mauvais éléments ne se détachent pas. On les appelle ‘argent méprisable’ » (Jérémie 6, 27-30). À la fin de sa première période d’activité prophétique (en -609), Jérémie dépeint son échec total en recourant au langage de la métallurgie de l’argent, un art très ancien et répandu dans tout le Proche Orient. Lors du processus connu sous le nom de coupellation, le plomb, qui contenait une grande quantité d’argent, était chauffé à des températures très élevées ; grâce à l’air que l’on insufflait à travers un soufflet, l’argent se détachait des impuretés qui étaient ensuite jetées. L’essayeur devait veiller au bon déroulement de ce processus, éprouvant la pureté du métal noble qui sortait du creuset ; en effet, l’opération de séparation pouvait échouer, lorsque l’argent avait conservé trop d’impuretés.

Jérémie emploie une métaphore très puissante : le plomb est resté intact dans le creuset, il est sorti du feu et du soufflet sous la forme où il y était entré. Pas un gramme d’argent, rien que du plomb. Sa mission est un échec cuisant : sa parole a eu beau souffler fort, le plomb n’a rien donné de noble ; il est resté plomb, et l’action de l’artisan s’est révélée totalement vaine.

Les prophètes ne craignent pas d’annoncer l’échec de leur action, contrairement aux faux prophètes qui, eux, ne parlent que de réussites. Le prophète est l’humble actionneur du soufflet et l’honnête essayeur de la pureté du métal. Il utilise toutes ses forces afin que le soufflet brasse le plus d’air possible. Son action est tout sauf passive car le prophète n’a rien d’un médium : il peut actionner le soufflet avec plus ou moins d’énergie et renoncer à remuer les bras, une tentation toujours présente et très forte. Lorsqu’ensuite, cet artisan de l’argent, épuisé, repose son soufflet et éprouve le métal, il ne peut que constater que celui-ci ne s’est pas purifié. C’est cela, la double et difficile mission du prophète : il manie inlassablement le soufflet et éprouve honnêtement le métal. Il ne peut pas changer l’histoire, mais seulement en prendre acte, même si elle ne lui plaît pas et le fait souffrir. C’est au milieu de ce double effort, celui des bras, qui remuent le soufflet, et celui de l’âme, qui doit résister à la tentation de fausser les résultats pour faire plaisir aux gens, que la prophétie véritable vit et mûrit. Brasser de l’air jusqu’à l’épuisement et rester fort à en mourir afin de ne pas travestir la réalité qui sort du creuset. Les vrais prophètes deviennent de faux prophètes soit parce qu’ils ne se fatiguent pas assez en maniant le soufflet, soit parce qu’ils faussent les résultats et cachent la triste vérité que personne n’a envie d’entendre. Les pires d’entre eux sont ceux qui ne soufflent pas l’air pour mieux pouvoir dire ensuite que l’argent ne s’est pas séparé du plomb, et le maudire. Quant aux vrais prophètes, face au plomb resté intact, ils ne cessent de se dire que l’argent n’est pas sorti parce qu’ils n’ont pas manié le soufflet assez énergiquement ; car, pendant qu’ils éprouvent le métal, ils sentent un autre Essayeur éprouver leur cœur, et ils ont toujours la sensation (ou la certitude) que leur creuset ne donne que du plomb ; pourtant, ils actionnent inlassablement leur soufflet, jusqu’au bout.

De cette expérience d’échec total s’épanouit le grand discours de Jérémie sur le temple, telle une fleur du désert ; des paroles extraordinaires qui ne pouvaient que découler d’un échec cuisant mais accepté : « La parole qui s’adressa à Jérémie de la part du SEIGNEUR : ‘Tiens-toi à la porte de la Maison du SEIGNEUR pour y clamer cette parole’ » (7,1-2). Jérémie crie : « Mais vous vous bercez de paroles illusoires qui ne servent à rien. Pouvez-vous donc commettre le rapt, le meurtre, l’adultère, prêter de faux serments, brûler des offrandes à Baal, courir après d’autres dieux qui ne se sont pas occupés de vous, puis venir vous présenter devant moi dans cette Maison sur laquelle mon nom a été proclamé et dire : ‘Nous sommes sauvés !’ et puis continuer à commettre toutes ces horreurs ? » (7,8-10).

Les prophètes sont critiques vis-à-vis des temples et les ennemis des sacrifices. Ils savent pertinemment que derrière les sacrifices se cache l’ennemi de la foi véritable. Le Dieu d’Abraham qui avait révélé son nom à Moïse s’était présenté comme un Dieu différent parce qu’il avait offert au peuple une autre relation et une autre foi, libérée de la logique économique des sacrifices, la promesse d’un autre bonheur : « Quand j’ai fait sortir vos pères du pays d’Égypte, je ne leur ai rien dit, rien demandé en fait d’holocauste et de sacrifice ; je ne leur ai demandé que ceci : ‘Écoutez ma voix […] et vous serez heureux’ » (7,22-23). Les sacrifices ne sont pas seulement idiots : ils sont extrêmement néfastes, car ils trompent le peuple et le maintiennent dans l’infidélité et le péché. En effet, les sacrifices sont le prix à payer pour pouvoir pécher encore, ils transforment tous les péchés en marchandises que l’on peut acquérir sur le marché religieux. C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre la phrase devenue célèbre grâce aux évangiles : « Cette Maison sur laquelle mon nom a été proclamé, la prenez-vous donc pour une caverne de bandits ? » (7,11). Les personnes qualifiées de bandits ne sont pas les marchands, comme on l’entend pourtant dire parfois, mais le peuple tout entier, qui est fripon parce qu’il continue à commettre les crimes les plus graves, croyant pouvoir ensuite les expier encore et encore en offrant des sacrifices au temple. C’est la religion économique et sacrificielle qui transforme immédiatement le temple en une caverne où les délinquants viennent trouver refuge. C’est aussi cette même polémique contre la religion commerciale et sacrificielle qui, plusieurs siècles après Jérémie, amena Jésus de Nazareth à critiquer le temple et ses commerces religieux.

Sans les prophètes, toutes les religions se transforment en commerces d’offrandes, en vœux, en prières et en pénitences destinées à couvrir nos méchancetés : nous les avons toujours commises et nous continuons à le faire. Plus nos péchés deviennent atroces, plus le prix à payer pour les expier est élevé, allant jusqu’au sacrifice de nos propres enfants pourvu que nous puissions dire « nous sommes sauvés » : « Ils érigent le tumulus du Tafeth dans le ravin de Ben-Hinnôm pour que leurs fils et leurs filles y soient consumés par le feu ; cela, je ne l’ai pas demandé, je n’en ai jamais eu l’idée » (7,31). Hier, aujourd’hui et peut-être demain.

Les prophètes, experts de Dieu et experts en humanité, nous enseignent alors une grande vérité : l’idolâtrie se cache à l’intérieur des temples et des églises car, sans le marteau de la prophétie, les religions deviennent inévitablement les premières ennemies du Dieu qu’elles professent. Les sacrifices idolâtriques ne sont pas seulement des sacrifices offerts à Baal, mais aussi et surtout des sacrifices offerts au Seigneur, que nous transformons en l’un des nombreux et stupides Baal en le précipitant dans la logique économique des sacrifices.

Même la personne la plus honnête et sincère, dès lors qu’elle commence une expérience de foi en écoutant une voix, en vient à fabriquer son propre culte, à figer Dieu et les idéaux véritables en choses mortes qui prennent le nom de pratique religieuse, de métier, de statut, de communauté ou de mouvement. Elle empêche ainsi Dieu ou ses désirs les plus grands de devenir différents de l’idée qu’elle s’en était faite. Elle aime ses rêves les plus beaux au point de ne plus vouloir se réveiller. Sans les prophètes, les promesses spirituelles de notre jeunesse se transforment en cultes idolâtriques d’une grande banalité une fois que nous sommes devenus adultes. Les prophètes ne nous libèrent pas seulement de nos idoles, mais aussi de notre conception de Dieu, de nos cultes et de nos illusions en matière de religion. Ils nous font recommencer à cheminer, pauvres et libérés, aux périphéries de l’empire, où nous cherchons encore une grotte, un enfant, une mère ou un charpentier.

 

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Par Luigino Bruni

publié dans Avvenire le 21/05/2017

170521 Geremia 05 rid« Et tout le peuple exultait et faisait entendre des claquements de langue. Mais Zarathoustra en fut affligé et se dit en son cœur : ‘Ils ne me comprennent point, je ne suis pas la bouche qui convient à ces oreilles. […] Et maintenant ils me regardent en ricanant ; non contents de ricaner, ils me haïssent par surcroît. Il y a de la glace dans ces rires.’ »

Friedrich Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra

Sur terre, le Dieu de la Bible ne s’exprime pas à la première personne : ses paroles nous parviennent seulement à travers des hommes et des femmes. Celui qui descend du Sinaï en portant les Tables de la loi est Moïse, un homme. À lui, le Seigneur parle sous la tente de la rencontre ; en tête à tête avec lui, il dialogue de « bouche à oreille », et il lui adresse des paroles qui peuvent être ensuite portées à la connaissance du peuple. Si nous voulons écouter la parole de Dieu dans le monde, nous devons tout simplement nous contenter d’apprendre à écouter des hommes et des femmes comme nous. Ces paroles se transmettent si nous savons placer nos yeux à la même hauteur que ceux de l’autre. Nous les trouvons ni plus haut ni plus bas, mais tout simplement en face de nous. C’est à travers l’homme que Dieu sait parler aux hommes. Seuls les hommes et les femmes peuvent faire ressusciter chaque jour la Bible et les évangiles, en commandant à ces paroles de sortir. Sans des personnes qui les appellent par leur nom, ici et maintenant, même les paroles de la Bible restent enterrées dans leurs sépulcres.

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L’honnête ténacité du soufflet

L’aube de minuit / 5 - Rester forts pour ne pas travestir la réalité ni instrumentaliser Dieu Par Luigino Bruni publié dans Avvenire le 21/05/2017 « Et tout le peuple exultait et faisait entendre des claquements de langue. Mais Zarathoustra en fut affligé et s...
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L’aube de minuit / 4 - La vérité est douloureuse, mais elle nous fait naître à la vraie liberté

Par Luigino Bruni

publié dans Avvenire le 14/05/2017

170514 Geremia 04 bis rid« J’espère de tout mon cœur que vous me donnerez l’absolution. L’idée d’aller jouer les héros en prison ne me réjouit guère, mais je ne peux pas ne pas vous déclarer explicitement que je continuerai d’enseigner à mes jeunes ce que je leur ai enseigné jusqu’à présent... Si nous ne parvenons pas à sauver l’humanité, du moins sauverons-nous notre âme. »

Don Lorenzo Milani, Lettre aux aumôniers militaires, lettre aux juges

L’idéologie est le premier instrument auquel recourent les classes dominantes en temps de crise. Avant même d’utiliser la force, l’argent ou leur pouvoir politique, les chefs (civils et religieux) gèrent les crises de leurs empires en fabriquant des idéologies, en payant des idéologues, en mettant au point un système minutieux de propagande au service de cette idéologie. Plus la crise est grave, plus l’idéologie devient un instrument essentiel. En temps de crise, l’idéologie prend principalement la forme d’illusions collectives, systématiques et récurrentes. Alors que tous les signes s’orientent clairement et seulement vers un déclin et une fin, les idéologies commencent par produire des signes différents et imaginaires avant d’en faire les signes principaux et, enfin, de les présenter comme les seuls existants. Si les idéologies sont nombreuses et diverses, elles possèdent toutes un point commun : elles créent artificiellement une réalité parallèle qu’elles présentent comme parfaite et qui fait progressivement perdre contact avec la réalité imparfaite et irréfutable.

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Les idéologies illusoires qui se développent et s’amplifient lors des grandes et longues crises sont peut-être les plus dangereuses et dévastatrices, car elles ont pour particularité de nier la crise. On vit le temps présent dans l’attente de quelque événement miraculeux, d’une nouvelle révélation encore secrète qui apportera le salut général, et la communauté est droguée à un opium spirituel qui aggrave cette crise. La manipulation dure jusqu’au moment où l’évidence dépasse le point au-delà duquel il devient impossible de la nier. Hélas, parfois il n’y a plus de « point de non-retour », parce que les idéologies les plus puissantes parviennent à pousser très loin l’élaboration idéologique des crises ; il n’est alors pas rare que même les catastrophes et l’effondrement total continuent, ex-post, à être interprétés en fonction de cette idéologie. Certaines communautés ont beau avoir été anéanties par l’idéologie, les rescapés persistent à nier l’évidence et à chercher au milieu d’un champ de ruines une confirmation de leurs prévisions idéologiques antérieures.

Jérémie a dû lui aussi faire face à ce type d’idéologie et à ses effets dévastateurs : « Ce jour même – oracle du SEIGNEUR, il s’évanouit, le courage du roi et des ministres ; les prêtres sont stupéfaits, les prophètes, atterrés. Je dis : ‘Ah ! Seigneur DIEU, assurément tu as bien abusé ce peuple et Jérusalem en disant : ‘Vous aurez la paix…’ Et l’épée nous enlève la vie » (Jérémie 4, 9-10).

Jérémie nous révèle là une dimension subtile et décisive du phénomène de l’idéologie. Il se trouve qu’à Jérusalem, des prophètes pervertis, alliés des prêtres et de la classe dominante, étaient devenus des fabricants d’illusions en chaîne. Ils avaient d’abord créé puis alimenté ce que l’on nomme la « théologie royale du temple », une sorte de nationalisme religieux qui affirmait l’invincibilité de Jérusalem et l’inviolabilité du temple, niant par là même la réalité du danger venu du nord (Babylone). Les paroles : « Vous aurez la paix » n’émanaient pas du Seigneur, mais des faux prophètes et des chefs, qui défendaient leur pouvoir en trompant le peuple. Dans ce contexte, Jérémie perçoit clairement l’évolution de cette idéologie. L’ennemi arrivera et détruira le royaume, mais l’idéologie continuera d’agir et se sauvera elle-même avec la seule option qui lui reste : renverser totalement la réalité en attribuant cette illusion au Seigneur. Les chefs du peuple condamnent Dieu afin de se sauver eux-mêmes.

Il s’agit d’une opération très courante dans les milieux du pouvoir, à travers les faux prophètes, et c’est aussi le « papier tournesol » destiné à démasquer la fausse prophétie. Voyant que leurs prévisions ne se réalisent pas, les faux prophètes, toujours très nombreux lors des grandes crises, au lieu de reconnaître qu’ils s’étaient trompés, nient la vérité de Celui au nom duquel ils avaient prophétisé. Ils n’hésitent pas à sacrifier Dieu car, en réalité, ils le percevaient seulement comme une idole dont ils espéraient obtenir des avantages. Tous les faux prophètes sont athées et ont conscience de l’être ; les ex-prophètes deviennent athées parce qu’ils se révèlent être de faux prophètes, et non l’inverse. Ils sacrifient Dieu sur l’autel de leurs propres intérêts parce que ce dieu ne représentait rien pour eux : ce n’était qu’un totem, une flûte enchantée pour séduire les autres. Le faux prophète est en cela l’archétype de tous ceux qui, face au choix entre leur intérêt et une relation sincère, choisissent leur propre personne, reniant et détruisant des mariages, des communautés, des amitiés et des entreprises. Après s’être servis de Dieu uniquement pour faire carrière, ils s’en débarrassent dès qu’il devient gênant.

Quant au vrai prophète, la parole qu’il annonce l’engage car cette parole est la chair de sa chair, elle est parole incarnée. Il ne peut préférer la mort de la parole à sa propre mort puisqu’en lui, ces deux paroles ne forment qu’une seule chair, comme lors de noces. Le martyre du prophète n’est ni de l’altruisme, ni de la générosité, mais le seul choix qui s’offre à lui s’il veut rester un prophète.

C’est Jérémie lui-même qui nous explique, et il le fait merveilleusement bien, la relation intime entre la parole et sa chair, dans un magnifique verset qui est un morceau d’anthologie de la littérature prophétique : « Mon ventre ! mon ventre ! je me tords de douleur ! Les parois de mon cœur ! C’est le tumulte en moi, je ne puis me taire » (4,19). Un chef-d’œuvre spirituel, qui déchire le voile de l’âme du prophète, homme d’Anatoth, et qui fait de lui l’un de nos contemporains ; mieux, nous sommes des siens. Mais, surtout, il nous fait pénétrer son mystère et celui de toute vraie vocation humaine.

Jérémie, prophète authentique, a la possibilité et le devoir de communiquer uniquement ce qu’il voit et ressent. Il voit et pressent le malheur et la destruction de Jérusalem, et il le crie. Il ne peut ni l’enjoliver ni le dénaturer, sans quoi il deviendrait tout simplement un faux prophète, comme beaucoup d’autres, voire presque tous. Pourtant, le peuple auquel il annonce un malheur est son peuple, la nation dont il est issu. C’est là que réside la valeur des prophètes : ils se doivent de souffrir, de se tordre de douleur à cause de ce qu’ils annoncent, mais n’ont pas le droit d’omettre de prononcer ces paroles.

Cette souffrance accompagnera Jérémie (nous le verrons plus loin), mais elle est un élément central dans le métier de prophète ; elle devient même particulièrement intense et poignante au moment des grandes crises et des grandes illusions. Alors que le peuple voudrait croire qu’il s’agit d’une crise passagère et que tout redeviendra aussi beau qu’avant, que la baisse du nombre de vocations au sein de la communauté est transitoire, que les églises recommenceront à se remplir, le vrai prophète, lui, affirme ce qu’il voit et sent : la crise va s’aggraver, il y aura de moins en moins de vocations et les églises continueront de se vider. Les prophètes ne sont pas toujours des prophètes de malheur puisqu’ils annoncent aussi des choses splendides telles que la naissance d’enfants, un nouveau germe, le retour du « reste » ou un messie. Néanmoins, c’est la prophétie de malheur qui permet d’éprouver la sincérité et la qualité d’un prophète, qui peut y perdre son âme ou, au contraire, s’épanouir en devenant une anima mundi. Trop de vocations prophétiques se laissent gâcher par l’incapacité à résister lorsqu’il s’agit d’annoncer des choses dures et dérangeantes aussi bien pour le peuple que pour le prophète.

Le vrai prophète ressent dans sa chair toute la souffrance causée par ces vocations manquantes, par le vide des églises et par la destruction de la cité. Le prophète est la mère de la parole qu’il prononce (« mon ventre, mon ventre… »). Il fait l’expérience de celui qui voit son fils irrémédiablement entraîné vers les cochons et les prostituées, l’imaginant déjà en action dans les porcheries et les lupanars (« Ils se bousculent chez la prostituée. Des étalons en rut, bien membrés ! Chacun hennit après la femme de l’autre » 5,7-8).

Les sentiments qui animent Jérémie ne sont pas ceux du « père miséricordieux » qui espère le retour de son « fils prodigue », mais ceux d’un homme qui souffre parce que son fils, son frère ou son ami ne revient pas et n’y est d’ailleurs pas décidé. Sur terre, rares sont ceux qui reviennent des champs où mangent les cochons et nombreux sont ceux qui y restent. Bien des parents et amis ne peuvent que voir, comme Jérémie, « leur ventre se tordre de douleur » à cause de ces non-retours. Nos enfants ne reviennent pas et nous avons beau souffrir, ils persistent à ne pas rentrer.

La première résurrection opérée par la Bible (mais également par la grande littérature et le grand art) consiste à se sentir proche des crucifix, à les aborder et à les regarder emprisonnés dans un éternel samedi saint, avant que l’aube de la résurrection ne se lève. C’est ainsi qu’elle atteint et touche nos blessures les plus profondes, celles qui n’ont jamais guéri, et qu’elle les étreint. Nos blessures ne peuvent certes guérir par des étreintes, mais peut-être notre cœur y parvient-il.

Si la Bible contenait uniquement les récits des fils qui reviennent, des filles qui ressuscitent, des malades guéris qui retournent sur leurs pas pour rendre grâce et des esclaves libérés, elle ne serait qu’un recueil édifiant d’histoires qui finissent bien, ou encore un livre de récits consolateurs. Or, la Bible tire aussi son immense valeur spirituelle et humaine des pages sur le ventre de Jérémie qui se tord de douleur à cause de frères et de fils perdus qu’il ne peut sauver, sur celui d’Abel tué par son frère, de Job innocent qui continue de hurler sur son tas de fumier et d’attendre un Dieu qui n’est pas encore arrivé, qui n’arrivera peut-être même jamais, qu’il attend et désire pourtant inlassablement comme le « Dieu du pas encore » parce qu’il s’est libéré de ses illusions. La plupart des histoires vivantes et vraies n’ont pas une fin heureuse ; pourtant, s’il y a une joie de vivre (et elle existe), nous devrons aller la chercher au-delà de nos illusions, lorsque nous aurons appris à reconnaître les résurrections dans les crucifix. Les lieux sur terre où nous pouvons espérer être surpris par l’Esprit, ressemblent davantage au mont Golgotha qu’au Thabor. Sur la terre et peut-être même au ciel.

L’honnêteté d’un prophète se mesure à sa souffrance causée par les paroles vraies qu’il prononce. Toute honnêteté se mesure seulement à cette aune, lorsque nous pourrions dire des paroles différentes et flatteuses pour nous sauver mais que nous y renonçons et que nous nous sauvons vraiment, même quand, autour de nous, tout nous indique le contraire en nous parlant d’insuccès et d’échec.

Les dons des prophètes dans les périodes de grands malheurs résident dans l’honnêteté de leurs paroles et dans leur ventre qui se tord de douleur, les deux à la fois. Leur ventre est la caisse de résonance des notes de leur chant. Un chant si vrai et honnête qu’il parvient aujourd’hui encore à nous toucher et à nous parler, à nous consoler de notre infortune et à nous protéger des nombreux vendeurs d’illusions.

 

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L’aube de minuit / 4 - La vérité est douloureuse, mais elle nous fait naître à la vraie liberté

Par Luigino Bruni

publié dans Avvenire le 14/05/2017

170514 Geremia 04 bis rid« J’espère de tout mon cœur que vous me donnerez l’absolution. L’idée d’aller jouer les héros en prison ne me réjouit guère, mais je ne peux pas ne pas vous déclarer explicitement que je continuerai d’enseigner à mes jeunes ce que je leur ai enseigné jusqu’à présent... Si nous ne parvenons pas à sauver l’humanité, du moins sauverons-nous notre âme. »

Don Lorenzo Milani, Lettre aux aumôniers militaires, lettre aux juges

L’idéologie est le premier instrument auquel recourent les classes dominantes en temps de crise. Avant même d’utiliser la force, l’argent ou leur pouvoir politique, les chefs (civils et religieux) gèrent les crises de leurs empires en fabriquant des idéologies, en payant des idéologues, en mettant au point un système minutieux de propagande au service de cette idéologie. Plus la crise est grave, plus l’idéologie devient un instrument essentiel. En temps de crise, l’idéologie prend principalement la forme d’illusions collectives, systématiques et récurrentes. Alors que tous les signes s’orientent clairement et seulement vers un déclin et une fin, les idéologies commencent par produire des signes différents et imaginaires avant d’en faire les signes principaux et, enfin, de les présenter comme les seuls existants. Si les idéologies sont nombreuses et diverses, elles possèdent toutes un point commun : elles créent artificiellement une réalité parallèle qu’elles présentent comme parfaite et qui fait progressivement perdre contact avec la réalité imparfaite et irréfutable.

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Comme des mères de la parole

L’aube de minuit / 4 - La vérité est douloureuse, mais elle nous fait naître à la vraie liberté Par Luigino Bruni publié dans Avvenire le 14/05/2017 « J’espère de tout mon cœur que vous me donnerez l’absolution. L’id...
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L’aube de minuit / 3 – Avoir à nos côtés des personnes plus fidèles que nous est un immense cadeau

Par Luigino Bruni

publié dans Avvenire le 07/05/2017

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« Il se rendit à la montagne où Moïse était monté et d’où il avait contemplé le patrimoine de Dieu et, arrivé là, Jérémie trouva une habitation en forme de grotte, y introduisit la tente, l’arche et l’autel des parfums, après quoi il en obstrua l’entrée. Quelques-uns de ses compagnons voulurent s’y rendre pour marquer le chemin par des signes, mais ils ne purent le retrouver. »

Deuxième livre des Machabées

La fidélité est l’un de ces mots qui résument, à eux seuls, tout ce qu’il y a à dire sur la vie. Une existence se compose d’une multitude de choses et de paroles ; pourtant, s’il nous fallait n’en choisir qu’une, la fidélité serait tout à fait indiquée. La fidélité représente presque tout, et peut-être même absolument tout. Fidélité aux pactes fondateurs de notre existence, à notre alliance conjugale, à notre profession, à nos amitiés, à la voix qui, un jour, nous a appelés à entamer le plus grand des voyages. C’est la fidélité qui réchauffe notre cœur lors de nos hivers, qui nous console l’âme quand tout le reste passe, qui nous fait prononcer notre nom sans en avoir honte. Elle est le plus bel héritage que nous laissons à nos enfants.

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Même lorsque nous ne la voyons pas et ne parvenons pas à l’exprimer, la fidélité est partout. Nous ne la percevons pas, ou pas assez, parce que sa part la plus précieuse est invisible. Si l’infidélité se remarque, la fidélité, elle, ne se voit pas, parce que nous la pratiquons là où nous pourrions choisir d’être infidèles : lorsque nous sommes incités à violer un pacte mais décidons d’y rester fidèles, quand nous préférons rentrer fidèlement chez nous alors que nous pourrions très bien ne pas le faire. Nous n’en parlons à personne car, autrement, la fidélité perdrait de son charme.

Pourtant, la Bible, dans son infinie sagesse humaine, nous parle surtout d’infidélité : « Lève les yeux vers les pistes et vois : y a-t-il un endroit où tu ne te sois pas accouplée ? En bordure des chemins, tu t’asseyais pour les attendre […]. Tu as profané la terre par ton inconduite, ton immoralité » (Jérémie 3,2). Si la Bible évoque l’infidélité, alors nous devons apprendre à examiner plus en profondeur l’opposition fidélité-infidélité, parce que cette question est peut-être plus complexe qu’il n’y paraît. La Bible ne craint pas de partir de l’homme tel qu’il est et, à partir de là, de l’appeler par son nom : « Reviens donc, Israël-l’Apostasie […] je ne tiens pas rigueur pour toujours » (3,12).

Nombre de nos expériences que nous percevons comme de l’infidélité sont de mystérieux exercices destinés à nous apprendre la vie. Il y a beaucoup d’infidélité dans ce qui nous semble être de la fidélité, de même que les trahisons comportent une part de fidélité. L’une des merveilleuses grâces de la vie consiste à réussir, alors que nous ne nous y attendions pas, à trouver nos propres infidélités tout près de nous, à les accueillir enfin comme d’autres compagnons de voyage pour faire la fête avec elles.

La rencontre entre deux fidélités ou plus s’appelle une alliance ou un pacte. Lorsque la fidélité se pratique dans le cadre d’un pacte-alliance, cela le renforce, parce que cette alliance peut survivre et grandir même dans le cas où l’une des parties devient infidèle. L’alliance est une corde, une fides (autrement dit, une foi-confiance), qui lie les personnes entre elles. Elle est la corde lors des ascensions en cordée. Lorsqu’un membre de la cordée trébuche ou flanche, il ne tombe pas et ne chute pas à pic tant que la corde tient et qu’une personne reste bien accrochée au rocher. 

Des familles, communautés ou entreprises ont pu se sauver parce qu’au moins une personne a tenu bon, parce qu’elle a continué d’y croire alors que les autres ne croyaient plus à cette histoire d’amour, parce qu’elle a résisté quand tous les autres flanchaient. Il n’y a peut-être pas de plus grand cadeau que de pouvoir escalader les sommets de la vie en cordée avec des personnes plus fidèles que nous. On peut parfaitement rester infidèle pendant des années, voire des décennies, sans pour autant se perdre, parce qu’une autre personne aura réussi à ne pas flancher, à ne pas nous abandonner. 

En revanche, lorsque nous nous séparons de la cordée pour poursuivre notre ascension en solitaire, c’est là que notre infidélité nous précipite dans le ravin. Tant que nous continuons de prendre part à une histoire d’alliance, nous ne pouvons pas savoir combien de fois nous nous sauvons parce que nous avons à côté de nous quelqu’un pour nous tenir, même lorsque nous ne nous en rendons pas compte ou quand nous avons l’impression que cette corde nous enchaîne à une prison. Qui traverse et surmonte de graves crises au sein d’une alliance ne saura jamais combien de fois cela lui a évité de s’écraser en tombant dans un précipice, tout simplement parce qu’une personne est restée fidèle y compris pour lui, en priant ou en acceptant docilement cette souffrance. Rares sont les personnes capables de découvrir toutes les fois où elles ont été sauvées au cours de leur vie, même si elles n’en avaient pas conscience sur le moment, car ces sauvetages sont toujours plus nombreux que ceux que nous parvenons à voir et à reconnaître.

Cependant, de par leur nature, l’alliance et les pactes sont des expériences tragiques car, même lorsque nous parvenons à ne pas lâcher la corde, l’autre peut toujours décider de la couper et de se laisser tomber dans le vide. Ou bien, parfois, le poids des infidélités des autres est tellement lourd qu’il nous tire nous aussi vers le bas, si nous n’avons pas la présence d’esprit de comprendre à quel moment couper la corde. Nous souffrons, beaucoup, même, de nos propres infidélités, et nous souffrons tout autant des infidélités des personnes auxquelles nous nous sommes liés. Il faut y voir l’une des raisons profondes du véritable culte que notre civilisation voue aux contrats, qui sont bien moins contraignants que les pactes et les alliances : on les rompt facilement, mais ils ne nous préservent pas des précipices de la vie.

Le grand principe prophétique du reste vaut également pour la fidélité. Nous pouvons être sauvés de l’infidélité tant que demeure en nous un reste, une petite part, un germe, un enfant : « Je vous prends un d’une ville, deux d’un clan pour vous amener à Sion » (3,14). L’histoire de notre alliance peut se prolonger si, durant notre période d’éloignement, nous avons su rester fidèles à quelque chose de vrai, parce que nous aurons fait au moins une chose bien, fidèlement, jusqu’au bout. Certaines personnes se sont sauvées alors qu’elles-mêmes ou ceux à qui elles étaient liées s’étaient montrés infidèles, parce qu’elles ont réussi à sauver un reste encore présent en elles, parce qu’elles ont continué, pendant des décennies, à bien faire une seule chose : un travail, l’entretien d’une relation ou d’un jardin potager, ou encore parce qu’elles ont continué à réciter fidèlement la seule prière apprise en famille qu’elles avaient gardé en mémoire. On peut sauver sa vocation et sa vie entière même en se bornant à prendre soin d’une plante sur le balcon de sa maison, car elle devient alors la corde qui nous retient face au vide.

Après nos infidélités, seul demeure un reste. Chaque trahison laisse derrière elle un peuple de plus en plus réduit, tandis que des pans entiers de notre vie et de celle des autres ne reviendront plus jamais. Pourtant, nous pouvons encore atteindre la terre promise si au moins quelque chose reste vivant et fidèle, si un morceau de pré n’a pas été détruit. Il en va de même des plantes. Toutes les beautés et toutes les espérances de notre jeunesse n’arriveront pas au terme de notre course : beaucoup de belles et de bonnes choses restent au bord du chemin et seront entretenues par autre chose ou d’autres personnes. Dans certains cas, un seul achèvera le voyage, seule une perle que la voix originelle nous a donnée parviendra à destination ; pourtant, ce qui compte vraiment, c’est qu’un reste, une part de nous-mêmes, soit demeuré fidèle au pacte originel. Lorsque nous étions jeunes, nous aspirions à une vie pure, cohérente, empreinte de religiosité et de douceur, une vie pauvre. Or, arrivés à l’âge adulte nous menons une existence impure, incohérente, et nous n’avons plus qu’une foi extrêmement tiède. Pourtant, si nous sommes restés vraiment pauvres ou n’avons pas perdu notre douceur, nous entrons sur la terre de Canaan ou, du moins, nous la voyons de loin ; parfois, même, nous découvrons que cette pauvreté à laquelle nous étions restés fidèles recelait tous les autres idéaux et beautés que nous cherchions dans notre jeunesse et que nous ne voyions plus, parce que nous n’avions pas compris qu’une fois adultes, nous ne pourrions les trouver ailleurs que dans la « laideur ».

Dans la Bible, l’Alliance est liée à l’image de l’arche : il s’agit de l’arche d’alliance. Moïse (Exode, 25) avait reçu de Dieu l’ordre de la construire afin d’y garder les deux tables de la loi, avec un vase d’or contenant la manne et le bâton d’Aaron qui avait fleuri (épître aux Hébreux, 9). L’arche ressemblait à des objets de Babylone et surtout d’Égypte ; ces peuples avaient pour habitude de construire des coffres destinés à conserver leurs dieux et leurs idoles, qu’ils sortaient en procession lors des grandes fêtes. L’arche symbolisait l’Alliance car elle contenait les Tables, le pacte conclu par le Seigneur avec Moïse sur le Sinaï, qui était le plus grand trésor du peuple.

En Jérémie également, on retrouve l’arche d’alliance dans la prophétie sur le retour d’Israël devenu enfin fidèle : « Quand vous aurez abondamment proliféré dans le pays – oracle du SEIGNEUR –, on ne dira plus : ‘Arche de l’alliance du SEIGNEUR !’ Elle ne viendra à la pensée de personne : on ne l’évoquera plus, on ne remarquera pas son absence ; elle ne sera plus refaite » (3,16).

On n’évoquera plus l’arche, elle ne sera ni regrettée, ni reconstruite. Après la destruction du temple de Salomon par les Babyloniens (587), on n’aura plus aucune information sûre au sujet de l’arche. D’après certaines traditions, elle a été détruite ; d’autres affirment qu’elle est ensevelie sous les restes du temple de Jérusalem, d’autres encore la situent en Éthiopie, voire dans de nombreux autres lieux.

Jérémie ne regrette pas la disparition de l’arche, peut-être parce qu’il sait que même l’arche, que Dieu a pourtant voulue, peut devenir une idole. Les prophètes savent bien que l’idolâtrie peut pénétrer jusqu’au cœur de la vraie foi. Car, si les hommes ont la fâcheuse tendance à transformer en idole ce qui n’est pas Dieu, ils mettent encore plus d’ardeur à faire de Dieu une idole consommable. Les idolâtries sans retour ne sont pas celles de Baal, mais celles de Dieu. S’il n’y avait pas les prophètes (ou bien, si nous ne les écoutions pas), les tabernacles de nos églises deviendraient des totems, et Jésus notre plus grande idole.

Après la destruction de Jérusalem, on installa dans le nouveau temple, à la place qu’occupait l’arche, une simple pierre, qui exprimait un vide, une absence. Tant que les temples et les églises savent garder l’absence de Dieu, notre soif de lui reste vivante en nous. Peut-être même le rencontrerons-nous un jour en conduisant un troupeau au pâturage, lorsque nous rassemblerons nos filets ou marcherons, déçus, vers un village. Ou bien lorsque, une fois rentrés chez nous, nous le reconnaîtrons dans le visage de ceux qui étaient fidèlement restés à nous attendre.

Dédié à Marco Tecilla, premier focolarino

 

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L’aube de minuit / 3 – Avoir à nos côtés des personnes plus fidèles que nous est un immense cadeau

Par Luigino Bruni

publié dans Avvenire le 07/05/2017

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« Il se rendit à la montagne où Moïse était monté et d’où il avait contemplé le patrimoine de Dieu et, arrivé là, Jérémie trouva une habitation en forme de grotte, y introduisit la tente, l’arche et l’autel des parfums, après quoi il en obstrua l’entrée. Quelques-uns de ses compagnons voulurent s’y rendre pour marquer le chemin par des signes, mais ils ne purent le retrouver. »

Deuxième livre des Machabées

La fidélité est l’un de ces mots qui résument, à eux seuls, tout ce qu’il y a à dire sur la vie. Une existence se compose d’une multitude de choses et de paroles ; pourtant, s’il nous fallait n’en choisir qu’une, la fidélité serait tout à fait indiquée. La fidélité représente presque tout, et peut-être même absolument tout. Fidélité aux pactes fondateurs de notre existence, à notre alliance conjugale, à notre profession, à nos amitiés, à la voix qui, un jour, nous a appelés à entamer le plus grand des voyages. C’est la fidélité qui réchauffe notre cœur lors de nos hivers, qui nous console l’âme quand tout le reste passe, qui nous fait prononcer notre nom sans en avoir honte. Elle est le plus bel héritage que nous laissons à nos enfants.

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La main qui tient la corde

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L’aube de minuit / 2 –Au-delà de la mer de l’esclavage, là où meurent les idoles

Par Luigino Bruni

publié dans Avvenire le  30/04/2017

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« Lorsqu’elle apporta au chevet de Jérémie la boisson préparée, il respirait paisiblement dans son sommeil. ‘Puisqu’il ne m’est pas permis de le cacher au monde, comment pourrais-je le cacher à toi qui es ma mère ?’[…]‘Qu’aurais-je donc à cacher ?’[…]‘Le Seigneur a été à mes côtés... Et sa voix m’a parlé. Sa voix m’envoie loin d’ici.’Les yeux d’Abi se remplirent de larmes. Elle ne pleurait pas parce que le Seigneur était venu à lui. Ne devait-elle pas être la plus fière de toutes les femmes de Jacob ? Pourtant, le cœur d’Abi était transpercé de douleur parce que son fils avait été choisi. »

Franz Werfel, Écoutez la voix

Il existe un conflit, une forte tension, même, entre les prophètes et le pouvoir. Parmi les nombreuses raisons qui l’expliquent, une se dégage : le prophète sait voir, en raison de sa mission et de sa vocation, que tout pouvoir, notamment celui qui se drape dans le sacré, a une tendance naturelle à se pervertir pour se transformer en tyrannie.

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Le prophète le constate et l’affirme haut et fort. Il n’ignore pas que l’on ne peut convertir les puissants, que la seule action positive à mener contre eux consiste à les dénoncer, à les critiquer, à démasquer leurs véritables intentions au-delà des belles paroles et des discours flagorneurs. La prophétie « aime » le pouvoir tout en le critiquant sévèrement, en proclamant qu’il est corrompu par nature sans pour autant accepter ses raisons, en tenant bon à son poste de garde. Les « bons » rois et les « bons » chefs sont ceux qui résistent à la critique impitoyable des prophètes, qui n’essaient pas de les acheter afin de les convertir à leurs vues. Lorsque les prophètes disparaissent ou deviennent de faux prophètes, la corruption du pouvoir atteint la perfection : les gouvernements se transforment en empires et nous, en esclaves.

« La parole du SEIGNEUR s’adressa à moi : ‘Va clamer aux oreilles de Jérusalem : Ainsi parle le SEIGNEUR : Je te rappelle ton attachement, du temps de ta jeunesse, ton amour de jeune mariée ; tu me suivais au désert, dans une terre inculte’ » (Jérémie 2,1-2).

Jérémie, qui a grandi en écoutant les récits des tribus du nord d’Israël, est profondément lié à la tradition de l’Alliance ; il a gardé un souvenir très vivant du temps de son premier amour : « Israël était chose réservée au SEIGNEUR, prémices qui lui reviennent » (2,3). En raison de cette première Alliance, de ce premier pacte nuptial toujours actuel (Osée), le Seigneur avait offert en dot une terre à son peuple qu’il avait fait sortir d’Égypte : « [Le Seigneur] fut notre guide au désert, au pays des steppes et des pièges, pays de la sécheresse et de l’ombre mortelle, pays où nul ne passe, où personne ne réside » (2,6). Jérémie s’indigne contre les chefs de son peuple parce qu’Israël a unilatéralement brisé le pacte : « En quoi vos pères m’ont-ils trouvé en défaut pour qu’ils se soient éloignés de moi ? » (2,5)

La trahison est totale et l’infidélité générale : « Les prêtres ne disent pas : ‘Où est le SEIGNEUR ?’ Ceux qui détiennent les directives divines ne me connaissent pas. Les pasteurs se révoltent contre moi. Les prophètes prophétisent au nom de Baal et ils courent après ceux qui ne servent à rien » (2,8). La rébellion a touché les trois axes sur lesquels repose la vie du peuple. La référence à la corruption des prophètes, qui sont passés au service du dieu Baal, est importante car cet élément nous dévoile une autre dimension du rôle du prophète. La prophétie n’est pas l’apanage d’Israël : les prophètes savent reconnaître le même souffle au sein d’autres peuples et savent se reconnaître entre eux. Le péché commis par les prophètes que Jérémie dénonce a consisté à se transformer en prophètes de Baal ; il s’agit de prophètes devenus les adorateurs d’un autre dieu.

Peut-être n’y a-t-il pas de plus grande perversion spirituelle que celle du prophète qui se met à prophétiser au nom d’un autre dieu. On peut avoir de nombreuses raisons de renoncer à être prophète ; d’ailleurs, rares sont ceux qui restent de vrais prophètes toute leur vie. En effet, parfois la mission de prophète n’est pas perpétuelle et ne dure que le temps de la mission à accomplir ; il arrive que les prophètes ne parviennent plus à écouter la voix qui les guide et n’aient donc plus rien à dire (dans certains cas, la voix s’éteint vraiment, alors que dans d’autres, c’est le prophète qui perd la capacité à l’entendre) ; ou encore, le prophète ploie sous la souffrance engendrée par sa vocation, ce qui le pousse à se retirer de la vie publique. Ces fins d’histoires de prophètes sont possibles, très fréquentes et même parfois bonnes. En revanche, le prophète qui choisit un autre dieu fait toujours une très mauvaise fin. Car la vocation du prophète, c’est la rencontre entre deux voix personnelles : l’une qui l’appelle par son nom et l’autre qui répond au nom qui l’appelle. Le vrai prophète connaît et reconnaît cette voix unique, il sait la distinguer parmi les nombreuses voix de la vie. Dès lors que, par amour de l’argent, du pouvoir, par pur plaisir ou par perversion, il commence à parler au nom d’un autre dieu, il devient automatiquement un faux prophète, parce qu’il ne parle au nom d’aucune voix. Les vrais prophètes sont impossibles à convertir à d’autres dieux, parce qu’ils sont essentiellement et ontologiquement liés à la voix première, la voix personnelle, à une parole, à une seule langue de l’esprit.

L’impossibilité pour la voix du prophète de changer a une portée universelle et vaut également dans les cas où le prophète n’appelle pas « Dieu » la voix qui l’habite ou lorsque, à l’instar d’Etty Illesum, il la désigne tout simplement par cette magnifique expression : « la part la plus profonde de mon être ». Cela vaut dans l’art, dans la poésie, mais aussi pour toute personne qui décide d’embrasser les grands idéaux humains. Le poète sait que sa vocation a pour origine une seule voix spécifique qui l’a appelé et renouvelle chaque jour son appel intérieur. Il sait bien que, s’il rompt sa relation avec cette voix, il perd de vue sa vocation et s’égare. Malgré cela, parfois il décide de prophétiser au service d’autres « dieux », qui sont presque toujours l’argent et le pouvoir. Il a beau savoir qu’en agissant ainsi, il se transforme en prophète inutile du néant, il le fait quand même : « Je raffole des étrangers et je veux courir après eux » (2,25). On constate les mêmes phénomènes lors des expériences communautaires, quand les différentes vocations se rassemblent autour de charismes collectifs et que, dans les moments de crise, la tentation de se mettre à prophétiser au nom d’autres « dieux » et de remplir ses propres temples avec d’autres divinités proches est forte ; c’est ainsi que l’on s’égare et que l’on perd son âme. Ces égarements sont inévitables dans l’histoire de l’évolution d’une communauté charismatique, qui peut réussir à se sauver si au moins un de ses prophètes lui reste fidèle et continue de crier les paroles que lui suggère la vraie voix. Ils sont inévitables parce que le moment arrive alors où le « dieu » de la communauté, s’il est authentique, apparaît comme trop difficile à suivre, différent et plus dérangeant que celui des peuples voisins. L’idolâtrie en Israël s’est toujours manifestée en guise de réponse au peuple qui demandait à avoir enfin un dieu comme tous les autres, un dieu visible, peu exigeant, dont on puisse prononcer le nom et que l’on puisse toucher : « Ils disent au bois : ‘Tu es mon père !’, à la pierre : ‘C’est toi qui m’as enfanté’ » (2,27).

C’est là la cause de toute conversion idolâtrique : notre incapacité à rester dans une condition spirituelle imparfaite et non pleinement satisfaisante, qui nous amène à transformer Dieu en un bien de consommation correspondant totalement à nos préférences religieuses. Lorsque Dieu ou un idéal finit par coïncider avec notre idée de Dieu ou de l’idéal, nous sommes déjà dans un culte idolâtrique : en effet, la vérité de toute foi réside dans le décalage entre nos goûts et notre expérience, un décalage qui représente l’espace où nous pouvons écouter la voix douce du silence de la vérité.

Le vrai prophète devenu faux après avoir changé de « voix » est bien plus dangereux que le faux prophète qui l’est depuis le début, et il est aussi bien plus malheureux. Sa nostalgie de la première voix, la bonne, ne le quitte jamais et l’accompagne fidèlement, comme une épine plantée dans sa chair, dans ses pérégrinations mercenaires : « Sur toute colline élevée, sous tout arbre vert, tu t’étales en prostituée » (2,20). S’il a toujours la possibilité de revenir à la première voix, ces mouvements de retour restent très rares.

Jérémie est aussi très lucide et très déterminé lorsqu’il identifie la raison de cette infidélité : le peuple a trahi son pacte nuptial pour « courir après des riens, et les voilà réduits à rien »(2,5).

Le prophète donne aux idoles un nom percutant et révélateur : rien, vent, air, fumée. Il utilise le mot rendu célèbre par Qohélet, hevel : vanité. Cependant, le rien des idoles est un rien radicalement différent du rien de Qohélet. La vanitas de Qohélet apparaît sur fond d’un monde vidé de sa substance par les idoles, dans un espace libéré de la vanitas de l’illusion. Un rien libérateur et authentique, qui exprime le caractère caduc et éphémère de la condition humaine. Un rien bien rempli, de la même façon que les chants de Giacomo Leopardi, ou bien certaines pages lumineuses de Nietzsche, sont authentiques, bien remplis et libérateurs ; le rien y apparaît au-delà du « crépuscule des idoles », comme l’épiphanie d’une vérité absente de la vanitas illusoire des totems manufacturés.

Le cheminement spirituel de toute une existence consiste à se libérer d’un rien erroné qui semblait vrai pour aboutir à un autre rien radicalement différent. Parfois, ce deuxième rien annonce un nouveau voyage vers une autre vérité ; d’autres fois, le deuxième rien demeure jusqu’à la fin : il se répand, s’approfondit, grandit avec nous, et nous permet de générer de bons fruits savoureux, qui sont très semblables, sinon identiques, à ceux que nous obtenons au terme du troisième voyage. De nombreux hommes et femmes ont été nourris durant des décennies par ce deuxième vrai rien, qu’ils ont su accepter, accueillir et aimer comme la juste condition humaine en dépassant l’illusion consolatrice du premier rien. On ne commence pas le troisième voyage sans s’être d’abord libéré du premier rien et aboutir à la vérité du deuxième rien : le deuxième rien est un passage obligé. De nombreux cheminements spirituels, donc humains, restent bloqués au premier rien illusoire par peur d’affronter le deuxième rien, avec son paysage désertique et son climat aride, et restent ainsi les esclaves du rien : « Israël est-il un esclave, est-il né dans la servitude ? » (2,14).

On ne compte plus les faux prophètes du premier rien sur terre. On trouve aussi, même s’ils sont très rares, des prophètes du troisième voyage. Mais, à côté d’eux et de leurs grands amis, on peut reconnaître les prophètes du deuxième rien qui, dans leur désert dépeuplé, sont habités et nourris uniquement par la voix, et rien ne leur manque.

Bien que le deuxième rien ne soit pas encore la terre promise, cette terre se trouve au-delà de la mer de l’esclavage qui, parfois, s’étend jusqu’aux flancs du mont Nebo, où nous pouvons nous endormir, aux côtés de Moïse, et apercevoir Canaan sur la ligne d’horizon.

 

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L’aube de minuit / 2 –Au-delà de la mer de l’esclavage, là où meurent les idoles

Par Luigino Bruni

publié dans Avvenire le  30/04/2017

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« Lorsqu’elle apporta au chevet de Jérémie la boisson préparée, il respirait paisiblement dans son sommeil. ‘Puisqu’il ne m’est pas permis de le cacher au monde, comment pourrais-je le cacher à toi qui es ma mère ?’[…]‘Qu’aurais-je donc à cacher ?’[…]‘Le Seigneur a été à mes côtés... Et sa voix m’a parlé. Sa voix m’envoie loin d’ici.’Les yeux d’Abi se remplirent de larmes. Elle ne pleurait pas parce que le Seigneur était venu à lui. Ne devait-elle pas être la plus fière de toutes les femmes de Jacob ? Pourtant, le cœur d’Abi était transpercé de douleur parce que son fils avait été choisi. »

Franz Werfel, Écoutez la voix

Il existe un conflit, une forte tension, même, entre les prophètes et le pouvoir. Parmi les nombreuses raisons qui l’expliquent, une se dégage : le prophète sait voir, en raison de sa mission et de sa vocation, que tout pouvoir, notamment celui qui se drape dans le sacré, a une tendance naturelle à se pervertir pour se transformer en tyrannie.

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Les prophètes du deuxième rien

L’aube de minuit / 2 –Au-delà de la mer de l’esclavage, là où meurent les idoles Par Luigino Bruni publié dans Avvenire le  30/04/2017 « Lorsqu’elle apporta au chevet de Jérémie la boisson préparée, il respirait paisiblement dans son sommeil. ‘Puisqu’il ne m’est pas permis de le cacher au monde, co...