stdClass Object ( [id] => 18118 [title] => Le Royaume est à tous les pauvres [alias] => le-royaume-est-a-tous-les-pauvres [introtext] =>Régénérations / 13 – François et Job y habitent ensemble. Comme les enfants.
par Luigino Bruni
Paru dans Avvenire le 25/10/2015
"Tu n’aimes pas – elle t’effraie - la pauvreté,
tu ne veux pas
aller avec des souliers usés au marché
ni en revenir dans ta vieille robe.
Amour, nous n’aimons pas,
comme les riches le voudraient,
la misère.
Et nous l’arracherons comme une dent mauvaise
qui a mordu jusqu’à présent le cœur de l’homme".Pablo Neruda, La pauvreté
Cela fait deux mille ans que le "discours sur la montagne" résiste aux attaques de qui veut le réduire à autre chose, le ridiculiser et le faire passer pour un inutile discours consolateur. Ce combat contre la radicale simplicité des béatitudes est particulièrement évident et fort à l’égard de la béatitude des pauvres.
[fulltext] =>Le redimensionnement de sa portée a commencé très tôt, avec l’accent sur le "… de cœur", qu’on trouve dans l’évangile de Matthieu, laissant toujours plus derrière les "pauvres", grâce à de nouvelles exégèses de cette béatitude. Ainsi avons-nous écrit et dit que ce ne sont pas les véritables pauvres qui sont heureux, mais ceux qui sont spirituellement détachés de la richesse, qui partagent leurs biens ou les emploient pour le bien commun. Tout cela se trouve effectivement dans la Bible, mais nous a éloignés du simple et terrible "heureux les pauvres".
Il n’est pas facile de comprendre et aimer cette première béatitude. Le premier obstacle, quasi insurmontable, est la condition réelle et concrète des véritables pauvres : comment pouvons-nous les appeler heureux alors que nous les voyons défigurés par la misère, abusés par les puissants, mourir naufragés, s’éteindre dans nos périphéries ? Quel bonheur connaissent-ils ? Toujours est-il que les plus grands critiques de cette première béatitude sont ceux qui passent leur vie à libérer les pauvres de leur misère. Les plus grands amis des pauvres finissent par devenir les plus grands ennemis de "heureux les pauvres".
Si nous voulons au contraire nous laisser rejoindre, aimer et changer par cette première béatitude, il nous faut traverser son aspect paradoxal, scandaleux, manipulateur même – que de riches en effet ont trouvé dans cette béatitude des pauvres un alibi spirituel pour les laisser heureux dans leurs misérables conditions, en s’auto-définissant "pauvres de cœur" ! – Ne commettons pas l’erreur, très fréquente, de réduire la portée de ce bonheur fou en le faisant entrer dans nos catégories, en l’amputant, comme dans le mythe, pour qu’il tienne dans nos lits trop courts. Les paradoxes de l’évangile et de la vie ne se résolvent pas en les réduisant, mais en "allongeant le lit", en adoptant des catégories qui soient à leur "hauteur".
Un premier critère pour entrer dans la première béatitude se trouve dans le texte même : c’est le Royaume des cieux. C’est aujourd’hui que le royaume est à eux, pas demain. La béatitude des pauvres n’a pas besoin du "pas encore". Les pauvres sont heureux parce qu’ils habitent le Royaume des cieux. Il suffirait de cette phrase pour comprendre, au moins par intuition, le sens de cette béatitude qui, non par hasard, est la première.
Parmi les pauvres appelés heureux, il y avait les marginaux, les SDF, les indigents, mais aussi les lépreux, les veuves (et la plupart des femmes), les orphelins (et presque tous les enfants), qui tous, pas par hasard, étaient les principaux amis et compagnons de Jésus pendant sa vie publique. La plupart de ses disciples étaient pauvres, des gens ordinaires, comme nous. Ils l’avaient rencontré sur les routes de Palestine et s’étaient mis à marcher à sa suite, à l’accompagner. Ils étaient déjà pauvres ou le devinrent en rencontrant un autre royaume, sur la route d’un autre bonheur. "Heureux les pauvres" : c’est ainsi que Jésus parlait aux siens, et qu’il leur parle encore.
Seuls les pauvres habitent le Royaume des cieux, où vivent les hommes et femmes des béatitudes, doux, purs, persécutés, miséricordieux, affamés de justice, affligés, pauvres. Un royaume différent de ceux qui régissent nos sociétés, mais qui n’a jamais cessé d’être parmi nous. On y connaît la providence, dont seuls les pauvres font l’expérience : la providence est pour Lucia, pas pour Don Rodrigo (*). Les plus belles fêtes sont celles des pauvres : peut-être n’y a-t-il pas sur terre de choses plus joyeuses que les mariages et naissances célébrées entre pauvres. Les enfants aiment les fêtes et les cadeaux parce que et tant qu’ils sont pauvres.
Les riches n’entrent pas dans ce royaume, non par punition, mais simplement parce qu’ils ne le comprennent pas, ne le voient pas, ne le désirent pas. Ils s’intéressent aux royaumes de la terre, pas à celui des cieux. Si le royaume des cieux est aux pauvres, il n’est pas aux riches, à moins qu’ils ne deviennent pauvres en quittant leurs idoles. Dans ce royaume il n’y a pas de rapports prédateurs avec les choses et les personnes, et sa règle d’or est la gratuité.
Au cours de l’histoire, quelques uns ont tenté de prendre au sérieux cette béatitude. L’un d’eux est François d’Assise, qui mieux que tout autre nous a révélé ce que signifie "heureux les pauvres". François est cette béatitude personnifiée, faite chair. Sa voie n’est pas la seule pour entrer en pauvre dans le royaume, mais après le "poverello" il n’est plus possible de se passer de sa pauvreté pour comprendre vraiment celle des béatitudes. Sinon, les charismes ne seraient que des expériences privées, inutiles à l’humanité. François est l’éternel grand maître de la béatitude de la pauvreté, de la joie d’un autre royaume. Quiconque choisit de devenir pauvre rencontre François, même sans le reconnaître (François rencontra Jésus dans le lépreux sans le reconnaître, tout pauvre par choix rencontre aussi François, même sans le savoir).
Tous les chrétiens, a fortiori tous les hommes, ne choisissent pas ‘dame pauvreté’, et la joie typique de la vraie pauvreté n’est connue que de François et de ses semblables. Cette fraternité cosmique, ce chant des créatures, cette liberté absolue, ces baisers sur la bouche et les mains des lépreux, la joie parfaite, ne peuvent naître qu’en celui qui habite cette béatitude et vit dans un autre royaume. Il n’est pas obligatoire d’être pauvre, pas même dans l’Église : les riches ne sont pas exclus des sacrements, et sont même souvent loués et remerciés par les pauvres eux-mêmes. Ils ont toujours constitué une part légitime et importante des communautés chrétiennes. Ils vivent plus longtemps, sont mieux instruits et en meilleure santé, ils réussissent et sont applaudis. Mais ils n’habitent pas ce royaume, ne connaissent pas ces cieux, ne voient pas ces magnifiques étoiles. C’est, dans notre monde, une grande justice.
Mais il y a plus. La félicité de François naît d’une pauvreté choisie, et sa béatitude est évidente à qui la choisit et la regarde. Les pauvres qui suivaient Jésus n’étaient pas que des pauvres par choix. Il y avait beaucoup de pauvres tout-court, qui n’avaient pas choisi la pauvreté, mais étaient nés dedans, ou étaient devenus pauvres pour cause de maladie ou de malheur. Parmi ces pauvres appelés "heureux", il y avait des "François", mais aussi beaucoup de "Job", des pauvres non par choix, mais par l’effet du destin ou du malheur. La force stupéfiante de la première béatitude réside dans le fait qu’elle s’adresse aux pauvres-François et aux pauvres-Job. Ils sont appelés, ensemble, habitants de cet autre royaume. Et si le royaume est à eux, ils n’y sont sujets mais souverains.
Mais s’il est relativement simple de saisir la béatitude de François, appeler "heureux" les nombreux Job de la terre et de l’histoire est plus difficile, douloureux : cela frise l’absurde et relève du paradoxe. Mais si nous n’incluons pas Job dans cet "heureux les pauvres", nous en réduisons la portée et en faisons une idéologie. Il nous faut la comprendre et la répéter dans la félicité d’Assise comme sur les innombrables ‘tas de fumier’ où vivent les pauvres-Job. La béatitude est vraie aussi pour qui n’a pas choisi la pauvreté, mais l’a subie. Le royaume des cieux est, doit être, le royaume de François et celui de Job, être ensemble aux pauvres-par-choix et aux pauvres-tout-court, tous frères, tous heureux.
Ce n’est pas le sentiment d’être heureux qui fait de nous des bienheureux : la béatitude vaut du fait que l’on est objectivement pauvre. Ce n’est pas un sentiment : c’est le fait d’être, d’habiter.
Il n’y a pas d’amitié plus vraie et plus grande que celle des pauvres entre eux, pauvres-François et pauvres-Job. On peut la rencontrer en Afrique, mais aussi à Roma Termini ou dans le quartier d’Ostiense, où toutes sortes de pauvres vivent, s’embrassent et ‘dansent’ ensemble, différents et pareils, citoyens du même royaume.
Le livre de Job nous avait dit, cher payé, que le pauvre aussi peut être juste et innocent ; n’oublions pas que dans ce monde-là, comme dans le nôtre, la richesse était signe de bénédiction et la pauvreté de malédiction. L’évangile touche Job et tous les pauvres et leur annonce une chose nouvelle et grandiose : "Vous n’êtes pas seulement innocents : vous êtes aussi heureux". Les tas de fumier restent, mais depuis ce jour est aussi arrivée la béatitude, qui a racheté une histoire infinie de pauvres condamnés par les religions des riches de toujours.
La béatitude de la pauvreté peut arriver tard, très tard dans la vie des justes : elle est parfois la dernière béatitude. Pour entrevoir un autre royaume, il faut beaucoup marcher, et si la vie nous fait naître et vivre dans la richesse et l’abondance des biens et des talents, il faut beaucoup d’efforts, d’épreuves, de souffrance-amour pour rejoindre la béatitude de la pauvreté. Il faut souvent toute une vie - parfois même davantage - pour enfin redevenir pauvres, enfants et ‘nus’ comme en naissant, et réciter à la fin la plus grande prière : "Nu je suis sorti du sein maternel, nu j’y retournerai. Le Seigneur a donné, Le Seigneur a repris, que le nom du Seigneur soit béni ! " (Job, 1, 20-21). On peut redevenir pauvres, retourner dans la pauvreté. Les portes du Royaume sont toujours ouvertes et nous attendent.
Croire et espérer que la première béatitude est aussi pour ces pauvres qui n’ont pas eu la grâce de comprendre le bonheur de la pauvreté choisie, est un message de grande espérance. Peu de gens peuvent devenir pauvres-François. Mais tous peuvent devenir pauvres-Job. Alors nous pouvons tous habiter le royaume, ne serait-ce que dans les derniers ans, mois et jours de notre vie. Et quand à la dernière heure nous redeviendrons enfin pauvres, la récompense du royaume sera aussi nôtre. "Heureux vous les pauvres, le Royaume des cieux est à vous".
(*) roman italien "Les fiancés"
‘Régénérations’ a été pour moi un parcours imprévu, surprenant, magnifique. Des vertus et des non-vertus des entreprises nous sommes arrivés aux béatitudes, à travers des paroles oubliées et humiliées. Dès dimanche prochain, je reprends avec un nouveau courage (du Directeur et mien) le commentaire d’un autre grand livre : le Qohélet, prêt à de nouvelles surprises et nouveaux cieux. Je compte cette fois-ci encore sur la compagnie et l’aide des lecteurs, qui continuent avec moi ces rendez-vous dominicaux. Comme et plus que jamais, merci à qui m’a suivi jusqu’à présent.
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ni en revenir dans ta vieille robe.
Amour, nous n’aimons pas,
comme les riches le voudraient,
la misère.
Et nous l’arracherons comme une dent mauvaise
qui a mordu jusqu’à présent le cœur de l’homme".Pablo Neruda, La pauvreté
Cela fait deux mille ans que le "discours sur la montagne" résiste aux attaques de qui veut le réduire à autre chose, le ridiculiser et le faire passer pour un inutile discours consolateur. Ce combat contre la radicale simplicité des béatitudes est particulièrement évident et fort à l’égard de la béatitude des pauvres.
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par Luigino Bruni
Paru dans Avvenire le 18/10/2015
« J’estime en effet que les souffrances du temps présent ne sont pas à comparer à la gloire qui doit se révéler en nous. Car la création en attente aspire à la révélation des fils de Dieu ».
Saint Paul, lettre aux Romains, 8, 18-19.
Que de guerres sur la terre, dans nos villes, nos quartiers ! Quelles que soient les armes – elles sont de toutes sortes – elles ne font que causer des morts, des blessés, des destructions. Passent les millénaires, mais le frère continue de dire à son frère, comme Caïn à Abel, "allons dehors".
[fulltext] =>Mais chaque fois que nous rétablissons la paix après les conflits, Abel revit, Adam déambule de nouveau avec Elohim dans le jardin terrestre, et nous nous regardons vraiment "les yeux dans les yeux", gratuitement. Chaque fois, notre construction et reconstruction de la paix s’étend aussi à la création, à la nature, à la terre. Pourtant, quand nous cessons de veiller sur la paix et que nous la refusons, la terre, les animaux, les plantes sont meurtries, tuées, innocemment entraînées dans la spirale de notre violence. On le constate chaque jour plus clairement.
La paix, le shalom, est une grande parole biblique, une des plus fréquentes, fortes, exigeantes. La première alliance d’Elohim avec les hommes vise à rétablir une paix-bonheur originelle refusée, à restaurer le shalom primordial trahi par le péché de Caïn et celui tout aussi atroces de ses fils. Il a fallu un premier artisan de paix, Noé, pour faire de nouveau resplendir sur la terre l’arc-en-ciel, pour que soit encore possible une recréation du monde et des hommes.
Les artisans de paix sont des constructeurs d’arches pour le salut d’une humanité brisée. Des justes se sentent appelés à quitter leur terre pour sauver celle de tous. Si le monde vit encore malgré tout le mal qu’on génère, c’est grâce à Noé qui ne cesse de construire des arches. Les prophètes et les nombreux "bienheureux" de l’histoire continuent de tendre l’arc-en-ciel en construisant la paix sur une terre toujours plus maculée du sang des frères. La main de Noé et des constructeurs d’arches de paix a été jusqu’à présent plus forte et plus créatrice que les mains de Caïn et des armateurs de navires de guerre.
La terre n’est pas promise aux artisans de paix, ni la vision de Dieu, ni la miséricorde. Seul un nom leur est promis : "Ils seront appelés fils de Dieu". Mais c’est un nom immense, le plus grand de tous, à eux seuls réservé. Les artisans de paix sont les pacificateurs, les raccommodeurs de rapports brisés, ceux qui passent leur vie à résoudre les conflits que d’autres provoquent. Ils renoncent à la tranquillité pour pacifier la vie d’autrui.
C’est par vocation qu’on devient artisan de paix, bâtisseur de ce shalom biblique. Ce n’est pas seulement par générosité et altruisme. On ne peut mettre en jeu sa propre vie pour le shalom d’autrui que si une voix forte et profonde nous appelle du dedans. Être artisan de paix n’est jamais seulement un métier, même s’il s’agit bien de construire et reconstruire la paix. Cette voix, cet appel intérieur, est efficace : on n’y résiste pas, même si on ignore d’où et de qui vient cette voix : il suffit de l’entendre et d’y répondre pour être artisan de paix.
Notre époque est théâtre de multiples formes de guerre, et connaît donc de nombreuses constructions de paix. De fait, si l’on ne voit pas revenir le déluge universel et si la vie continue, on le doit à l’artisan de paix qui, dans la guerre, sème des cellules-souches qui régénèrent la vie, ou du moins la maintiennent. On le doit à celui qui, tandis que les lobbys des jeux de hasard s’attaquent aux pauvres sans défense, s’efforce de saboter une de leurs opérations, de dresser un hôpital de campagne pour soigner les blessés, de rencontrer leurs généraux pour implorer une paix qui ne vient jamais.
Sont aussi artisans de paix ceux qui, sans baisser les bras, souffrent de ne pas réussir à construire une paix impossible. Même un artisan de paix qui échoue reste un artisan de paix. Dans le royaume des artisans de paix, ceux qui voient la paix comme fruit de leurs actions sont-ils plus nombreux que ceux qui passent leur vie à construire des paix qu’ils ne voient pas ? Toujours est-il qu’aujourd’hui Noé continue d’obéir à la voix qui l’appelle et de construire son arche, tandis que se multiplient les constructions de mort, les investissements en armements et machines à sous, et les morts d’enfants sur les routes du Brésil et d’ailleurs.
Mais l’Évangile promet que le jour des béatitudes les artisans de paix s’entendront appeler "fils de Dieu". Leur béatitude est dans ce nom différent. Leur bonheur est dans la rencontre de la voix qui donne un nom nouveau. Toutes les béatitudes consistent à s’entendre appeler bienheureux, mais pour les artisans de paix la béatitude consiste dans le fait même d’être appelé par un nom. Ils sont appelés bienheureux alors même qu’ils sont appelés par un autre nom.
Dans le monde biblique, le nom de "fils de Dieu" était le plus haut, le plus beau, le plus grand nom qu’un être humain pouvait recevoir. Mais il y a aujourd’hui d’authentiques artisans de paix et de shalom qui ne seraient pas du tout heureux qu’on les appelle "fils de Dieu", parce qu’ils ont perdu contact avec l’humanisme biblique, ou qu’ils ne l’ont jamais connu. La bénédiction-béatitude est pourtant pour eux aussi, parce qu’elle vaut pour tous les artisans de paix. Les béatitudes sont vraies pour un si elles sont vraies pour tous, pour tous ceux qui se trouvent objectivement dans la même condition.
C’est leur dimension universelle qui fait d’eux des prophètes fortement révolutionnaires. Ils dépassent les confins et les clôtures des religions, des confessions de foi, des idéologies. Le royaume des bienheureux est bien plus peuplé que ne le sont les églises, synagogues, mosquées et temples. Tous les cœurs purs voient certainement un Dieu qui ne se voit pas, tous les affamés de justice sont sûrement rassasiés, et la terre promise appartient à tous les doux. Tous les artisans de paix doivent expérimenter la béatitude-bonheur de s’entendre appelés "fils de Dieu", même ceux qui ne connaissent plus le sens de ces paroles.
Les béatitudes vivent au cœur même des personnes, dans leur chair. Nous pouvons, pour mille raisons, ne pas vouloir être appelés "fils de Dieu" (peut-être le Dieu que nous avions connu était-il trop peu intéressant pour que nous désirions être ses fils) ; mais si les béatitudes sont vraies et que nous les croyons humanistes, tous les artisans de paix doivent se sentir heureux d’être appelés ainsi, et pouvoir le comprendre.
Parce que nous croyons à la promesse, nous sommes sûrs que les artisans de paix s’entendent un jour appelés par ce nom, et se découvrent fils de façon nouvelle, différente. Au cœur de la belle lutte pacifique pour construire la paix, recomposer les familles, guérir les blessures, ils se sentent fils de cette voix qui les a appelés à cette mission. En répondant à cet appel, ils découvrent en eux-mêmes un autre nom à côté de celui que leur ont donné leurs parents. Ils se sentent régénérés par la voix qui les a appelés, et comprennent qu’elle est en eux comme une autre mère, un autre père. Ils ne se sentent plus orphelins dans leurs solitudes. Si nous ne sommes pas convaincus de l’existence de cette autre manière d’être fils et filles, adressons-nous aux artisans de paix. Et comme nous avons appris notre premier nom en l’entendant prononcer par quelqu’un qui nous aimait (c’est ainsi que nous l’apprenons étant enfants), de même apprenons-nous le nouveau nom de la paix en l’entendant prononcer par quelqu’un qui nous appelle.
Les artisans de paix accèdent donc à une profonde dimension de la vie en recevant un second nom. Dans leurs luttes pacifiques pour la paix, ils sortent blessés mais avec un nouveau nom. Meurtris et bénis. Comme pour Jacob, la bénédiction est le don d’un autre nom. Sans doute font-ils ainsi l’expérience la plus grande qui puisse se vivre en ce monde : découvrir que notre esprit est habité d’un esprit plus profond, qui parle et nous appelle ; que vit en nous un souffle qui ne vient pas de nous, présent depuis toujours en nous, et qui nous attend ; que notre premier nom en cachait un autre, plus profond, tout donné.
Si, au moins une fois dans la vie, nous ne ressentons pas ce souffle, si nous n’arrivons jamais à connaître notre second nom, nous ne saurons jamais qui nous sommes vraiment. Alors notre vie spirituelle échoue, et toute la vie nous continuons à converser avec notre moi, même si nous l’appelons Dieu. La construction de la paix autour de nous est donc fondamentale, chemin par excellence où nous recevons ce second nom, pour nous re-connaître.
Il existe enfin un rapport profond entre la fraternité et la construction de la paix. C’est dans la fraternité que nous nous découvrons fils. Un jour Jacob envoya son fils Joseph chez ses frères qui étaient loin, pour voir comment ils allaient, comment se portait leur shalom (Gen 37, 14). En chemin un homme lui demanda : "que cherches-tu ? ". Il répondit : "je cherche mes frères". Il trouva ses frères, mais ni le shalom, ni la fraternité. Les fils de Jacob, nous le savons, renièrent le shalom et profanèrent la fraternité. Il n’y a pas de fraternité sans shalom (il faut se le rappeler au moment où la tombe de Joseph est en feu sous la guerre des cœurs, des esprits et des couteaux).
Mais il existe une fraternité spirituelle entre tous les artisans de paix : ils sont fils du même appel au shalom, et donc frères et sœurs entre eux. C’est ce réseau universel de fraternité qui régénère chaque jour la terre maculée du sang des fratricides, acompte pour la nouvelle terre qui doit advenir, et qui gémit encore dans l’attente de la pleine révélation des artisans de paix. "Bienheureux les artisans de paix, ils seront appelés fils de Dieu".
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par Luigino Bruni
Paru dans Avvenire le 18/10/2015
« J’estime en effet que les souffrances du temps présent ne sont pas à comparer à la gloire qui doit se révéler en nous. Car la création en attente aspire à la révélation des fils de Dieu ».
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Que de guerres sur la terre, dans nos villes, nos quartiers ! Quelles que soient les armes – elles sont de toutes sortes – elles ne font que causer des morts, des blessés, des destructions. Passent les millénaires, mais le frère continue de dire à son frère, comme Caïn à Abel, "allons dehors".
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Par Luigino Bruni
Paru dans Avvenire le 11/10/2015
« Alors la vierge prendra joie à la danse, et, ensemble, les jeunes et les vieux ; je changerai leur deuil en allégresse, je les consolerai, je les réjouirai après leurs peines ».
Jérémie, 31,13
Le bonheur promis par les béatitudes n’est pas celui que promet et promeut notre culture. Il n’a pas grand-chose à voir avec le plaisir ; il n’est pas le bon démon ; il fleurit sur la souffrance. On ne peut trouver du plaisir dans les choses de la vie que si la recherche du plaisir n’est pas le tout de la vie. Si nous confondons plaisir et bonheur, nous finissons par n’avoir ni l’un ni l’autre.
[fulltext] =>Les béatitudes sont une ‘forme de vie’, un autre déjà. Elles sont une proposition concrète et un jugement sur notre justice et notre injustice, sur les embrassades et les rejets, nos indifférences et nos consolations. Qui croit en la vérité des béatitudes entre dans le monde très concret du regard qui appelle bienheureux les pauvres, les doux, les purs, et qui désire habiter leur Royaume.
La béatitude des affligés, qui déclare heureux ceux qui pleurent, semble la plus paradoxale. C’est celle du dernier jour, pas des avant-derniers. Quel bonheur y a-t-il dans les pleurs ? Les pleurs bibliques ne sont pas les larmes de joie, ni les larmes artificielles et lucratives des talk show télévisés. Ce sont les larmes des affligés, les pleurs désespérés des deuils, des séparations, des échecs, de l’attente des fils dévoyés qui ne reviennent pas, de notre incapacité d’empêcher un frère, un ami, d’en finir avec la vie. Ce sont les pleurs des guerres, des trop nombreux pauvres opprimés, des licenciements, des trahisons. Mais ce sont aussi les larmes du repentir, du pardon, de la souffrance de notre conversion et de celle des autres.
Les larmes des béatitudes sont toutes très sérieuses. La Bible livre souvent l’expérience des pleurs : ceux des patriarches, des rois, de Job. Jésus pleure la mort de son ami, pleure sur Jérusalem, et son ultime cri d’abandon fut sans doute aussi un sanglot. Et que de larmes fécondes dans les psaumes !
Les larmes sont le premier langage des hommes. Aussi diverses que soient nos langues, les Dieux en qui nous croyons, aussi distantes entre elles nos coutumes et cultures, tous nous comprenons et déchiffrons immédiatement le langage des pleurs. Les hommes, les femmes, les peuples, ont appris à se connaître en pleurant dans les chantiers des migrants, où John, sans comprendre la langue de Serguei, pouvait consoler ses pleurs sur la photo froissée de sa femme et de ses enfants loin de lui. Lapo ne comprenait quasiment rien aux paroles de Carmelo, mais leurs larmes à tous deux, dans la tranchée, se parlaient et se comprenaient parfaitement.
Nous ne sommes pas tous persécutés pour la justice, pas tous doux, mais tous nous pleurons. "Heureux les affligés" est une béatitude universelle, qui touche tout être humain dans son essence même, dans sa vie quotidienne, dans sa nudité. Et elle vaut pour tous, femmes, hommes, vieillards, enfants. En appelant bienheureux les affligés, Jésus a rendu heureux tous les hommes et toutes les femmes de l’histoire et de la terre. On vient au monde en pleurant, et des larmes sans voix sont souvent l’ultime parole en le quittant.
Comme nous l’enseigne Job, les animaux, les arbres, la terre, les vers aussi pleurent. Il y a dans le monde plus de larmes que les larmes humaines. Il existe une souffrance de la nature, une attente douloureuse de consolation, un cri de la création. Quand nous parvenons à en percevoir l’écho, nous accédons à une dimension plus profonde de la vie, nous découvrons une fraternité cosmique, et avec François, aujourd’hui comme hier, nous chantons un autre Laudato Si’. Et renaît en nous le besoin qu’arrive la consolation pour les êtres humains, mais aussi pour la terre humiliée, offensée, pour les animaux maltraités et les espèces vivantes qui meurent chaque jour. Nous le sentons : il faut une consolation aux larmes du monde, l’arrivée d’un consolateur, d’un sauveur. On devient vraiment homme quand on commence à souffrir du non avènement de ces consolations, une souffrance qui ne nous quitte plus et grandit avec nous.
La béatitude de l’affliction s’appelle consolation. "Ils seront consolés". La parole grecque pour ‘consolation’ est paraklesis, figure de celui qui se tient près de la victime, tel un avocat, pour la défendre contre son accusateur. La béatitude consiste donc à faire l’expérience de l’arrivée d’une consolation, d’une réelle présence consolatrice alors que nous pleurons. Ainsi consolés, nous cessons de pleurer, ou nous pleurons autrement. Dans cette béatitude, à la différence des autres, le bonheur est dans le changement de la condition qui la génère. Les doux, les miséricordieux, les artisans de paix, les pauvres, les persécutés et assoiffés de justice restent ce qu’ils sont quand la promesse s’accomplit. On ne cesse pas d’être pauvre du fait qu’on est dans le Royaume des cieux, d’être miséricordieux dans l’expérience de la miséricorde, de construire la paix quand un jour on s’entend appeler "fils de Dieu".
Au contraire, quand la consolation vient embrasser nos pleurs et nos désespoirs, nos pleurs se calment et s’atténuent, nos larmes sèchent peu à peu.
Tous, nous connaissons les béatitudes au cœur des pleurs. Elles sont inscrites dans l’ADN moral des êtres humains. Le joug de la vie serait insupportable si rien ne consolait nos larmes.
Une première consolation s’éprouve dans le fait de pouvoir pleurer. Inconsolable est la souffrance incapable de pleurer. Bien des repentirs, par exemple, commencent avec de profonds et incontrôlables sanglots. Des sanglots particuliers, dont nous ne connaissons la douleur et le bonheur qu’à leur éclatement. Quand vient le moment du repentir et du ‘retour à la maison’, on commence presque toujours par fondre en larmes, chacun à sa manière, pleurs tous semblables et différents. Bienheureux pleurs, début d’une nouvelle vie. Et tandis que l’on pleure, on s’entend appeler bienheureux : "C’était des larmes de bonheur, nées du réveil en lui, après tant d’années, de son être moral assoupi" (L. Tolstoï, Résurrection).
Avant de se lever et de retourner chez son père, le fils prodigue aura commencé son retour en pleurant amèrement. Dans l’enfer s’ouvre une brèche du paradis ; or la possibilité de pouvoir enfin l’atteindre est déjà paradis. Le chemin vers la maison est déjà la maison.
Toutes ces larmes ne sont que béatitude, régénération. À la fois très douloureuses et salvatrices, terribles et merveilleuses. Larmes d’affligés et de bienheureux. Et c’est par ces pleurs qu’on découvre les plus profondes dimensions de la vie. Si tu veux vraiment connaître quelqu’un, rencontre-le et écoute-le dans ses pleurs de repentir, de pardon, de conversion. Les grands pardons, surtout entre frères et amis, s’accomplissent dans les pleurs des embrassades sans fin, hors du temps. « Alors Joseph dit à ses frères : "Approchez-vous de moi" et ils s’approchèrent. Il dit "Je suis Joseph, votre frère, que vous avez vendu en Égypte"… Alors il se jeta au cou de son frère Benjamin et pleura. Benjamin aussi pleura à son cou. Puis il couvrit tous ses frères de baisers et pleura en les embrassant » (Genèse 45, 4.14-15).
Il y a toutefois une autre forme de consolation-béatitude : celle des pleurs que l’on peut partager avec un compagnon de souffrance. Pleurer ensemble, compatir, est une forme spéciale de bonheur. Partager la douleur et mêler nos larmes à celles d’un ami est pour beaucoup le seul bonheur dans une vie où la souffrance et les larmes sont le ‘pain quotidien’. Dans de telles afflictions, la consolation vient avec le visage réel d’un ami qui se penche sur notre souffrance. Si trop d’afflictions ne sont pas bienheureuses, c’est parce que manquent les consolateurs, les amis qui savent pleurer avec nous. Trop de consolateurs se dérobent à des pleurs non consolés. Tant de larmes pourraient être essuyées, tant de dépressions accompagnées, de solitudes assistées, si nous cherchions davantage à consoler qu’à être consolés. C’est moi l’absent dans la trop grande souffrance inconsolée du monde. Chaque béatitude est une invitation qui nous est adressée directement, à nous, à toi, à moi. La première terre promise est la maison que je partage avec les sans logis ; la première consolation des pleurs de l’autre, ce sont mes pleurs solidaires.
Vraiment spéciale et pleine de mystère est la consolation de la poésie, de la littérature, de l’art. Le poète, l’écrivain, le peintre : chacun d’eux peut toucher par son oeuvre les désespérés de la terre, et les consoler en créant. Il se fait proche d’eux, compagnon de route, et les rend ainsi bienheureux. Il n’est pas besoin de happy end, d’heureux dénouement, dans les plus grandes histoires, parce que la désespérance entrevue et ‘touchée’ par l’artiste est déjà bonheur. L’art aussi nous donne ces béatitudes.
Mais il existe une autre consolation des affligés : celle qui arrive comme un ‘ange’. Ici, pas d’ami qui nous console. Celui qui vient, c’est le paraclet, le ‘père des pauvres’. Elle est magnifique dans la Bible la venue du premier ange sur terre pour consoler Agar, une esclave chassée au désert par sa maîtresse. La première théophanie et la première annonciation sont pour elle (Genèse 16). Les annonciations, les théophanies, le salut d’un enfant, surviennent au comble des grandes afflictions, lorsqu’un ange nous rejoint quand personne ne le pouvait plus, et nous console. C’est la consolation de l’esprit, le paraclet consolateur, qui nous ressuscite alors que nous mourons sur nos croix. C’est le parfait consolateur, qui réchauffe, redresse, baigne.
Si nous réussissons à nous relever chaque matin alors que nous pensions la veille ne jamais y parvenir, c’est parce que le paraclet est à l’œuvre, adoucit la blessure de nos âmes tandis qu’encore nous dormons et rêvons, et la soigne. Tous, nous ne savons ou ne voulons pas faire l’expérience de Dieu. Mais nous sommes nombreux, tous peut-être, à avoir rencontré une fois au moins dans nos vies cet esprit consolateur, ou nous le rencontrerons dans nos prochains pleurs. C’est une promesse : « Bienheureux ceux qui pleurent, ils seront consolés ».
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Par Luigino Bruni
Paru dans Avvenire le 11/10/2015
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par Luigino Bruni
Paru dans Avvenire le 04/10/2015
« Suis-je coupable, malheur à moi ! Suis-je dans mon droit, je n’ose lever la tête, moi, saturé d’outrages, ivre de peines ! »
Livre de Job, 10, 15.La faim et la soif prennent de multiples formes : faim et soif de nourriture et d’eau, mais aussi de beauté, de vérité, de prière. On souffre et on meurt de famine et de sécheresse, mais aussi parfois de la laideur des hôpitaux et des écoles, du mensonge dans nos lieux de vie, du fait que nous n’aimons pas et ne sommes pas aimés, du fait que dans les durs moments de la vie, nous cherchons en nous des ressources spirituelles sans rien y trouver, incapables d’écouter et de dialoguer avec l’esprit qui nous habite et nous nourrit.
[fulltext] =>Disettes et sécheresses diverses, toutes décisives. Nous sommes des animaux symboliques et métaphysiques, qui avons besoin pour vivre de multiples nourritures et d’eaux variées. C’est peut-être cette pluralité de nourriture qui fait de l’homo sapiens un habitant spécial de la planète, qui peut mourir de faim dans l’abondance d’aliments et de plats, et se nourrir et s’abreuver de substances invisibles.
Si les seuls aliments étaient ceux qui rassasient et désaltèrent le corps, que de millénaires on aurait gaspillé dans l’histoire de l’évolution, après qu’on ait commencé à désirer d’autres étoiles que celles de la nuit, à écouter les voix et les sons des montagnes et des nuages, à décorer les grottes de fresques ‘inutiles’ à la chasse et à la pêche, à chanter et même à composer des vers, à nous regarder dans les yeux et à nous aimer autrement que pour nous reproduire. Et quand les humains sont privés du désir de ces autres nourritures, réduits à n’être que des consommateurs en quête de marchandises plutôt que d’étoiles, ils redeviennent trop semblables à nos ancêtres communs, et ne chantent plus le psaume "À peine le fis-tu moindre qu’un dieu" (Ps 8).
Nous avons trop de faims et de soifs qu’aucun hypermarché ne peut rassasier, et quand les marchandises et l’argent nous rassasient, notre dignité d’homme sombre jusqu’à se perdre, échangeant un pauvre contre une paire de sandales (Amos), vendant un frère comme esclave à des marchands en chemin pour l’Égypte (Genèse). L’épanouissement de l’existence humaine consiste, paradoxalement, à diversifier les formes de faim et de soif. On vient au monde avec le seul désir du sein maternel, on peut le quitter en désirant un lait que seule l’éternité peut donner.
Mais il y a une faim et une soif qui ne font ni souffrir ni mourir : celles que l’Évangile assimile à une sorte de bonheur, à une béatitude. Il existe des "affamés et assoiffés" bienheureux : "ceux qui ont faim et soif de la justice". La justice peut être nourriture et eau. Elle peut nourrir comme le pain à peine sorti du four, désaltérer comme la source fraîche des monts.
Les affamés et assoiffés de justice aussi connaissent la famine. Ils sont eux aussi pauvres, indigents. Les désirs naissent de ‘l’absence des étoiles’ (de-sideris), chaque ‘éros’ naît de la pénurie. Comme pour toute faim et toute soif, ici aussi le corps est le ‘lieu’ où s’éprouvent cette faim et cette soif, car elles sont des expériences, pas des idées. Elles sont des paroles incarnées qui prennent forme dans notre chair – comme toutes celles qui s’incarnent, la parole "faim" nous est inconnue tant qu’on n’a pas eu faim concrètement et consciemment.
Il y a deux types de faim et de soif. Celles qui sont quotidiennes, saines et bonnes, liées au rythme des repas, ne nous font pas souffrir : elles attendent seulement d’être satisfaites. Mais il y a aussi la faim et la soif des famines et des sécheresses, qu’éprouvent des millions de gens, pour qui qu’arrivent jamais à suffisance le repas qui rassasie et l’eau qui désaltère, et pour qui la faim et la soif sont le pain quotidien. Cette seconde ‘faim et soif’ jamais n’est satisfaite et ne passe jamais.
Il existe une faim et soif de justice que beaucoup, tous peut-être, nous ressentons quotidiennement, en vivant et cultivant tout simplement notre sens de la justice. Or c’est dans les disettes et sécheresses quotidiennes que fleurit la béatitude. Sous les dictatures, dans les camps de concentration, goulags et prisons, aux travaux forcés où les mène leur vulnérable pauvreté, il est des personnes qui survivent en se nourrissant de leur faim et soif de justice.
Le cœur de cette splendide béatitude est la transformation d’un manque en nourriture. La justice, bien primordial à la base de tout Bien commun, est un bien très spécial : la souffrance de son absence devient pain et eau. Il en va comme dans le combat entre Hercule et Antée : plus le très fort Hercule terrasse son adversaire, plus fort celui-ci se relève, parce qu’il est fils de la terre (déesse Gaïa). Hercule ne sait rien de cette filiation qui rend Antée invincible.
Plus on combat un fils de cette justice en la lui refusant, plus on nourrit en lui son désir, et l’énergie et la force de lutter. Qui combat pour une cause juste devient d’autant plus fort que l’injustice croît : plus il a faim et soif de la justice refusée et plus son énergie s’accroit. Par contre on meurt durant de telles famines quand se perdent en nous le désir de justice, sa faim et sa soif ; comme Antée qui mourut étouffé dans les bras d’Hercule quand celui-ci, en le soulevant de terre, le détacha de la source de son invincibilité. On sort vaincu des batailles contre les injustices, étranglé par qui nie la justice, quand on cesse de la désirer et d’être affamé de ce pain de vie et assoiffé de ces fleuves d’eau vive.
Mais quelle satiété promet donc l’Évangile ("… car ils seront rassasiés") si le pain de celui qui cherche la justice réside dans son manque ? Comment peut-on se désaltérer à une eau qui désaltère parce qu’encore elle manque ?
Si nous restons à l’intérieur de notre vie et de notre histoire (les béatitudes se prononcent ici et maintenant, et nous perdrions beaucoup de leur valeur prophétique en les renvoyant à la fin des temps) nous comprenons que c’est justement en souffrant de son indigence que nous sommes rassasiés de justice. Elle est déjà béatitude la satiété que nous ressentons en luttant pour libérer quelqu’un de structures d’injustice – sauver une victime des jeux de hasard, de la mafia ; s’efforcer de faire sortir de prison un innocent ; sortir un ami d’une spirale de dettes où il est tombé malgré lui.
Si nous ne faisons pas l’expérience des béatitudes pendant que nous nous battons pour la bonne cause, nous ne les connaîtrons jamais, parce que c’est la vie qui génère "en direct" cette forme sublime de bonheur. Si je n’entends pas la voix qui me dit :"bienheureux" tandis que j’ai très faim et soif de justice, je n’ai plus la force de lutter encore, je meurs de faim et de soif. Le premier moteur de l’histoire des justes est le bonheur ressenti au cœur des souffrances. C’est le fossé entre la justice telle que nous la voudrions et celle que nous avons en réalité qui alimente les justes. J’ai vu un garçon ramasser dans une décharge un bidon de lait, en faire le caisson d’un violoncelle et jouer du Bach.
Quand nous entendons résonner en notre âme l’écho de la parole "bienheureux", nous ne pensons pas tous que c’est un Dieu qui nous parle. Or beaucoup de croyants de toute foi se nourrissent aux mêmes luttes pour la justice, et elles sont donc multiples les voix qui nous disent "bienheureux". Tout un chœur de voix nous dit sur terre : "bienheureux êtes-vous". L’eau qui désaltère les justes est celle de la fontaine publique du village, où tous on se désaltère, sans demander à connaître la source de cette eau-là.
La terre des justes est chaque jour arrosée, nourrie de ces multiples voix qui susurrent en nous : "heureux", "bienheureux", "courage", "tu as bien fait", "c’est un bon combat que tu mènes". C’est une béatitude qui rassasie, désaltère, parfois même enivre d’une joie diverse mais très forte, et qu’on ressent clairement en croisant les yeux d’autres justes qui luttent à nos côtés. Ce n’est que par mille voix diverses que les justes peuvent s’entendre appelés "bienheureux". Une seule langue a suffi aux constructeurs de Babel, mais les justes de la Pentecôte parlent de multiples langues, toutes pareilles.
De là naît une grande espérance. Il y a dans le monde beaucoup plus de béatitudes que celles que les justes peuvent appeler ainsi. Nous sommes tous accompagnés dans nos bons combats pour la justice, jamais seuls dans les traversées de ces déserts ; et dans nos cœurs mille voix nous nourrissent de leurs multiples "bienheureux". Telle la rosée, le ciel nous donne une manne qui nous nourrit dans tous les matins du monde. Beaucoup nous demandent, étonnés : "Qu’est-ce que c’est ? ", et restent sans réponse, sans l’explication des prophètes.
Mais l’important, vraiment, est que les justes soient nourris du dedans, qu’ils se sentent rassasiés dans leur indigence, qu’ils puissent vivre dans des disettes de justice sans fin – les pauvres, et donc les affamés et assoiffés de justice, nous les aurons toujours avec nous, et avec eux nous accompagneront toujours leurs béatitudes.
Des multitudes de justes s’entendent appelés dans l’âme "bienheureux", même sans avoir jamais lu l’Évangile, ou après l’avoir oublié. Un "royaume des cieux" serait un lieu bien trop petit si n’y habitaient que des résidents munis de leurs passeports, sans les émigrés, les réfugiés, les migrants. Les cieux de ce royaume seraient trop bas, ses horizons trop exigus. Le Royaume des cieux doit être le règne de tous les goûts, chacun avec sa propre langue, tous nourris du même aliment, désaltérés par la même eau : "Bienheureux les affamés et assoiffés de justice, car ils seront rassasiés".
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par Luigino Bruni
Paru dans Avvenire le 04/10/2015
« Suis-je coupable, malheur à moi ! Suis-je dans mon droit, je n’ose lever la tête, moi, saturé d’outrages, ivre de peines ! »
Livre de Job, 10, 15.La faim et la soif prennent de multiples formes : faim et soif de nourriture et d’eau, mais aussi de beauté, de vérité, de prière. On souffre et on meurt de famine et de sécheresse, mais aussi parfois de la laideur des hôpitaux et des écoles, du mensonge dans nos lieux de vie, du fait que nous n’aimons pas et ne sommes pas aimés, du fait que dans les durs moments de la vie, nous cherchons en nous des ressources spirituelles sans rien y trouver, incapables d’écouter et de dialoguer avec l’esprit qui nous habite et nous nourrit.
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par Luigino Bruni
Paru dans Avvenire le 27/09/2015
« Tout ce qui ne se régénère pas, dégénère »
Edgar Morin, Les savoirs nécessaires à l’éducation du futur
Il y a une justice du ‘déjà’ et une justice du ‘pas encore’. La justice se développe et évolue dans le temps, selon le sens moral des personnes, des civilisations et des générations. Le "ce n’est pas juste" répété par les individus et les communautés, est le premier moteur de l’élargissement des horizons de la justice et donc de l’humanité.
[fulltext] =>La plupart des gens jugent de ce qui est juste ou injuste en fonction de l’écart entre ce qu’ils observent et les nomes de justice des lois et des coutumes d’un peuple. C’est en approuvant la justice et en blâmant l’injustice qu’on fonde la construction de la justice dans notre vie.
Qui pratique la justice est d’abord persécuté par ceux qui n’aiment pas la justice et veulent l’injustice – celle en particulier qui consiste à déclarer "juste" ou "injuste" ce qui ne l’est pas. Le marché regorge de ces persécutions : on y voit des entrepreneurs honnêtes et droits beaucoup souffrir, à tout point de vue, du fait qu’ils travaillent dans des secteurs où la justice est soumise à la seule logique du profit.
Les entreprises honnêtes vivent de l’honnêteté des travailleurs, des clients, des fournisseurs, des concurrents. La malhonnêteté et les injustices de leurs interlocuteurs polluent leur domaine et leur territoire, empêchant qu’ils fructifient. La plus grande vertu nécessaire aux entrepreneurs justes, hier, aujourd’hui et toujours, est la capacité de résistance aux côtés de personnes et d’institutions injustes. Ils subissent de véritables persécutions, et, en tenant bon, ils méritent de s’entendre appeler "bienheureux".
L’expérience de la justice et de l’injustice peut non seulement guider notre comportement, mais aussi nous inciter à lutter pour réduire ou éliminer l’injustice environnante. On expérimente là une autre forme de persécution. L’histoire de l’humanité nous montre une foule de persécutés à cause des injustices qu’ils voient perpétrer envers des personnes ou envers la société.
Comme pour la miséricorde, ce qui pousse à réagir contre les injustices constatées n’est pas d’abord l’altruisme ou la philanthropie. C’est quelque chose de beaucoup plus radical qui nous remue de l’intérieur, et qui au début tient davantage de l’éros que du don. Ensuite, seulement après ce premier sentiment, entrent en action l’intelligence et la rationalité, en servantes du cœur indigné. Dans les persécutions pour la justice, c’est l’indignation qui fait réagir, l’obéissance à une logique bien différente de celle du calcul coût-profit.
Le premier ressort de notre réaction contre une injustice est une véritable et profonde souffrance. Nous nous sentons mal, moralement, parfois même physiquement, et quelquefois nous réagissons. Sans éprouver aucune souffrance pour un monde qui nous paraît injuste, on ne peut ressentir aucun sentiment de justice. Cette souffrance dépasse la pure souffrance humaine, car, au-delà de ce qui touche l’homme, elle est souffrance pour l’injustice du monde et peut naître des injustices commises envers les animaux, la terre, l’eau, la nature.
Tant qu’on aura le sens de la justice, et assez d’âme et de cœur pour éprouver ce type de souffrance morale, on ne se résignera pas aux injustices, on luttera pour les réduire, même si l’on est persécuté par ceux qui tirent profit de ces comportements injustes.
Mais il existe au moins un troisième type de persécution : celle qui naît de la justice du ‘pas-encore’.
Certaines personnes ont le don de voir, de souffrir et de lutter pour une justice qui n’est pas encore reconnue comme telle dans la société où ils vivent. Ils ne se contentent pas de dénoncer les violations de la justice que leur génération reconnaît. Ils sont dotés d’autres "yeux du cœur" qui leur font voir et chercher une justice que les lois et la conscience collective tardent à reconnaître. Ils la voient, ils en souffrent, ils agissent. Ils souffrent d’injustices dont d’autres n’ont pas conscience, parce que la tradition, la vie, la nature des choses font qu’on les considère normales.
Ils ressentent dans la chair qu’il y a dans le monde une injustice cachée derrière ce que la loi n’interdit pas ou même qu’elle encourage ; ils engagent des actions de dénonciation, de libération, et voilà qu’arrive, ponctuelle, la persécution. Ils affrontent les lois, non seulement celles qui défendent d’iniques intérêts, mais aussi celles qui sont faites au nom de la justice. Les lois, comme les chaussures et les vêtements, s’usent et nous tiennent à l’étroit, et elles doivent être changées, sans quoi elles nous font mal et ne nous protègent plus.
Les chercheurs de la justice du pas-encore continuent dans l’histoire la fonction prophétique. Les prophètes sont dotés de regards capables de voir des injustices là où les autres ne voient que justice ; ils qualifient d’injuste ce que les autres nomment juste ; ils ressentent une souffrance que la société ne comprend pas, luttent pour des choses inutiles voire nocives aux yeux des autres, reconnaissent des droits et des devoirs avant que les autres ne les reconnaissent.
Les persécutions pour la justice du déjà parviennent à susciter l’empathie et la compassion chez beaucoup de concitoyens humains et justes. Les persécutions pour la justice du pas-encore arrivent au contraire dans une solitude caractéristique de ce type différent de justice. Personne ne fait une marche nocturne, une marche aux flambeaux, une grève de la faim, comme première bataille dans sa lutte pour des justices encore invisibles. Les prophètes sont toujours seuls.
La justice du pas-encore est fondamentale pour la croissance morale des peuples, comme sont fondamentaux les prophètes eux-mêmes. Tout droit aujourd’hui reconnu et défendu cache celui qui hier a souffert de son manque, s’est indigné et senti mal pour l’injustice non encore perçue. De cette souffrance de l’âme est née une action collective, et les persécutions sont arrivées. Sur la terre des justes, quelqu’un, comme les anciens ‘pères mercédaires’, se sent appelé à "un vœu de rachat" pour délivrer les esclaves de la justice du déjà, en prenant leur place.
C’est ainsi que croît le sens moral commun, que progresse le front de la justice. On devrait rappeler de temps en temps à nos fils, comme à nous-mêmes, les sommes d’histoires et de souffrances cachées derrière certains articles de loi. La mémoire collective aiguise et garde notre sens moral, mais quand elle faiblit, les communautés régressent, la souffrance des martyrs pour la justice devient vaine, leur sang versé est offensé.
Chaque fois que l’histoire recule en matière de justice – on l’a vu et on le voit souvent – on élimine "l’écart" entre les faits observés et notre sens moral. On trouve normal de licencier quelqu’un du fait de sa "race", de falsifier les comptes de bilan des entreprises, d’ériger des murs que nos parents avaient abattus au prix de leur vie (murs de ciment, de barbelés, de regards… tous pareils).
Qui aime la justice doit donc d’abord cultiver le sens moral des enfants et des jeunes. Et cela, dès l’école, où l’on réduit l’histoire, la littérature, la poésie au profit des techniques ‘utiles’, amenuisant ainsi le sens de la justice de la future génération et sa capacité de résistance à l’injustice. Développons donc la part des sciences humaines dans l’enseignement technologique, pour un espoir de justice en économie et dans les technologies de fabrication des ‘voitures’.
Mais il y a plus. Les persécutions des prophètes ne proviennent pas seulement des injustes et des méchants. Ils proviennent aussi des "justes du déjà". Il arrive souvent que les chercheurs de la justice du déjà se mettent à persécuter les "justes du pas-encore". Les scribes et les pharisiens, les amis de Job, le Sanhédrin, étaient en général des personnes et des institutions qui défendaient la justice de leur temps : « Si votre justice ne dépasse pas celle des scribes et des pharisiens, .. ». Justices diverses, et la seconde persécute la première.
L’incompréhension de membres justes et bons de notre propre communauté est typique de toute expérience prophétique. Des fractures se produisent, parfois de véritables persécutions, au sein même du "peuples des justes", parce que la justice du pas-encore apparaît injuste, ingénue, imprudente et nocive à qui cherche la justice du déjà. Cette persécution particulière, ce "feu ami", est parmi les plus grandes souffrances des chercheurs de la justice du pas-encore, souffrance inévitable au progrès de la justice sur la terre.
Quelquefois les justes du déjà, dans une rencontre décisive avec la justice du pas-encore, parviennent à comprendre que leur justice doit s’ouvrir à un "au-delà" pour ne pas devenir injuste. C’est ainsi que Saul, persécuteur au nom de sa justice selon la loi, devient Paul persécuté pour une nouvelle justice. Nous comprenons que notre justice doit mourir pour renaître, doit renaître. Donner son manteau, pardonner sept fois, marcher un mille avec un frère ne nous suffit plus. Nous ne nous sentons justes qu’en donnant aussi la tunique, en parcourant un second mille, en pardonnant à l’infini, tous, toujours. Nos justices vieillissent, elles meurent souvent, et doivent renaître pour réapprendre à mourir.
L’Évangile rapproche la béatitude des persécutés à celle des pauvres : dans les deux cas, "le Royaume des cieux est à eux". Une amitié, une fraternité relie les pauvres et les persécutés pour la justice. Ils sont tous pauvres, tous persécutés pour la justice. Qui cherche la justice sans être déjà pauvre, le devient suite aux persécutions. Et les pauvretés sont des persécutions nées de la négation de la justice, celle du déjà comme celle du pas-encore.
La justice du déjà nous manque, mais plus encore la justice du pas-encore. Les prophètes sont trop peu nombreux. « Bienheureux les persécutés pour la justice, car le Royaume des cieux est à eux ».
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par Luigino Bruni
Paru dans Avvenire le 27/09/2015
« Tout ce qui ne se régénère pas, dégénère »
Edgar Morin, Les savoirs nécessaires à l’éducation du futur
Il y a une justice du ‘déjà’ et une justice du ‘pas encore’. La justice se développe et évolue dans le temps, selon le sens moral des personnes, des civilisations et des générations. Le "ce n’est pas juste" répété par les individus et les communautés, est le premier moteur de l’élargissement des horizons de la justice et donc de l’humanité.
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par Luigino Bruni
Paru dans Avvenire le 20/09/2015
Parmi ces boucles au vent,
et ces petites chevelures blondes,
sa tête d’argent semblait dire
en tremblant : oui, mes bébés… oui, mes petits…
Et les petits cherchaient en fête,
en criant gaiement,
les mains tremblotantes et la tête
qui n’avaient de vivant que ce pauvre "oui"Giovanni Pascoli, La grand-mère
Les béatitudes ne sont pas des vertus, ni un discours éthique sur les actions humaines. Elles sont au contraire la reconnaissance que dans le monde existent déjà les pauvres, les doux, les cœurs purs, ceux qui pleurent, les persécutés pour la justice, les miséricordieux. Tous appelés "bienheureux".
[fulltext] =>Les béatitudes sont surtout une révélation, le dévoilement d’une réalité plus profonde et vraie que ce qui apparaît. L’évangile ne nous présente pas une ‘éthique des vertus’ (elle existait déjà), mais nous donne et nous révèle l’humanisme des béatitudes (qui n’existe pas encore et peut donc toujours advenir). Si nous comprenions et vivions la logique des béatitudes, nous irions sur les routes, les places, dans les entreprises, les centres d’accueil, nous regarderions les gens autour de nous et répéterions avec et comme Jésus de Nazareth : "Bienheureux, bienheureux…".
Il y a trop de cœurs purs, de persécutés pour la justice, de pauvres, doux, qui attendent encore d’être appelés "bienheureux". Nous ne savons pas que nous sommes bienheureux tant que personne ne nous regarde, nous reconnaisse et nous appelle par ce nom magnifique. Quand Moïse descendit du Sinaï avec les nouvelles tables de la Loi, il n’avait pas conscience du rayonnement de son visage (Exode 34, 29). C’est son peuple qui le lui révéla. C’est dans une relation qu’apparaissent la lumière sur le visage et la félicité. On découvre qu’on est heureux dans la pauvreté, les persécutions, nos pleurs et ceux des autres, parce qu’une personne qui nous aime nous le dit, nous le rappelle. Les plus importantes béatitudes sont celles des autres. Les nôtres ne se réveillent qu’à l’appel de leur nom.
La douceur existe, on la rencontre chaque jour, elle nous fait vivre, et grâce à elle nous faisons vivre ceux qui nous entourent. Les doux se reconnaissent d’abord à leur tendresse. Mansuétude, douceur, tendresse proviennent d’une même racine. Mansuétude : douceur amie des mains ; l’étymologie latine évoque la docilité des agneaux à la main du berger qui caresse leur dos. Tendresse contraire à la doucereuse tendresse romantique des talk show et spots publicitaires. Les doux connaissent le sublime chant spirituel des mains.
Ils sont avant tout dociles à la main qui les travaille, ils savent se laisser travailler. C’est le premier aspect de la douceur : supporter et être conciliant, surtout quand la main de la vie se fait sentir plus intensément. On reconnaît les doux à leur attitude dans la maladie, dans les épreuves, dans leur rencontre avec la mort. La douceur est un soutien fondamental pendant les abandons, les deuils, les déserts intérieurs et extérieurs, quand nous devons, comme l’agneau, laisser docilement la main du berger faire son travail. Et nous le nôtre, car la douceur est le contraire de la passivité. C’est un travail continu, tenace et persévérant. La douceur est aussi la béatitude des pauvres, qui parviennent à vivre dans des situations insupportables pour qui n’est pas doté de mansuétude.
On rencontre souvent la douceur chez les personnes âgées. La douceur du cœur ressemble au moelleux du fruit mûr, qui accomplit son dessein : devenir nourriture, ou tomber et nourrir la terre. Les yeux les plus doux que j’aie jamais rencontrés sont des yeux de vieux, plus encore de vieilles. Ces yeux là seuls ont les splendides couleurs du dernier automne.
Il n’est pas rare qu’une personne révèle toute sa douceur cachée (et inconnue d’elle-même) dans la dernière étape de sa vie, ses derniers jours, sa dernière heure. Quand elle supporte docilement les mains des infirmières et médecins, tournée et retournée dans son lit, docile au passage de la main dans les interminables dernières nuits. Ou quand nous parvenons, imprévisible don, à entrevoir la main de l’ange de la mort, à reconnaître en elle la bonne main amie du berger, et à nous laisser par elle embrasser et caresser dans l’ultime danse-étreinte de la vie. La première terre dont hérite le doux est alors ce petit foulard qu’on agite pour l’accueillir, en bienveillante sœur, pour son retour à la maison. Comme Abraham, qui suivit docilement l’appel de la voix vers une terre promise, et mourut exilé, étranger, avec pour seule propriété le terrain acheté aux hittites pour ensevelir sa femme Sarah.
Mais le doux, habitué à l’action des mains des autres, sait aussi de ses propres mains embrasser, soigner, accueillir un ami, faire place au repentir. Les doux embrassent, compatissent, savent qu’on ne connaît personne sans l’avoir serré contre soi et lui avoir donné sur la joue le baiser de la paix. Ils connaissent et emploient le langage humble et fort du corps, la langue des caresses, et sont maîtres en tendresse et intelligence des mains.
Nous sommes tous capables de caresser nos enfants et ceux que nous aimons. Ces caresses font partie du répertoire de base des êtres humains – et des autres primates supérieurs. Mais seuls les doux savent et peuvent caresser toute personne : enfants, adultes, proches et inconnus (seuls les doux devraient caresser les enfants des autres). C’est ainsi que de leurs mains ils soignent ces blessures de la solitude et de l’abandon que seule guérit la caresse d’une main amie. Sans la multitude des doux qui vivent et agissent dans les hôpitaux, en pédiatrie, dans les écoles, centres d’accueil, coopératives sociales, parmi les visiteurs de prison, la nuit dans les gares et le long des routes, la vie dans ces lieux serait impossible, ou trop douloureuse. Bienheureux les doux, bienheureux qui les rencontre et qui est par eux caressé et aimé.
La mansuétude est aussi nécessaire pour désamorcer les conflits et reconstruire la concorde et la paix, partout. Quand se développe un conflit (entre frères pour un héritage, entre collègues, associés, en communauté), sans qu’intervienne au moins un doux, la seule issue est celle des tribunaux – solution toujours mauvaise dans les relations primordiales de notre vie. Car s’embrasser, corps et mains, est la seule véritable solution des conflits entre frères et amis. Les doux couvrent tout, supportent tout.
Aux doux la terre est promise : elle est leur héritage. Mais dans l’humanisme biblique la terre appartient à Dieu : "Toute la terre est à moi" (Exode 19, 5). C’est dans cet horizon qu’il faut lire cette béatitude (et toutes les autres). La terre ne nous appartient pas : nous y sommes passagers et ne la possédons que temporairement. La première loi de la terre est la gratuité ; la terre entière et toutes les terres sont en premier lieu des biens communs, en second lieu des biens utilisés et sauvegardés de façon responsable pour notre bien-être (shalom).
Le doux possède donc toute terre sans la posséder : il la partage. Elle est pour lui un héritage gratuitement reçu, pas une marchandise acquise au marché ; et telle il la laissera à ses fils. Il ouvre sa maison parce qu’il sait qu’elle est aussi aux autres, à tous. Et quand elle se remplit de gens autres que ses proches, il ne se sent ni un héros ni un altruiste, seulement le possesseur d’une terre reçue en don et héritage, même s’il l’a achetée avec les salaires de son dur travail d’émigré, les économies de toute une vie. Ce que nous possédons, nous ne l’avons qu’en seconde main, car la terre entière appartient à YHWH ; elle n’est donc à personne, ni à tous. La terre est toujours terre promise, au-delà d’un Jourdain que nous contemplons sans le traverser.
Si la terre est promise aux doux, la terre promise est la terre des doux. Toute terre habitée par les doux devient terre promise. La terre de notre ville, de notre quartier, de ma maison devient terre promise quand un doux au moins y vit.
Mais la mansuétude nous fait vivre notre propre vie aussi comme une terre héritée. Dans la vie survient presque toujours un moment décisif où nous comprenons, chacun à sa manière, que la vie que nous vivons n’est pas telle que nous la voulions. L’arbre issu des jeunes semences n’est pas comme nous le voulions. Le doux trouve sa bienheureuse félicité dans l’accueil docile de la vie telle qu’il la vit, comprenant que pour lui il n’y a pas de meilleur arbre en dehors de sa terre. Aucun arbre ne ressemble à la semence, aucune bonne vie adulte ne correspond aux espérances de la jeunesse – et quand elle coïncide, elle n’est pas bonne.
Cette douceur est le contraire de la résignation : l’adulte déçu et résigné devient triste, aigri, éteint, tandis que le doux est heureux, réconcilié. Ils sont des myriades les doux qui trouvent leur bonheur dans des familles ou communautés religieuses en fin de compte différentes de leurs choix et de leurs rêves, très différentes parfois, trop pour le non-doux. Ils réussissent à s’épanouir dans ce qui n’était pas au programme de leurs noces ou consécration religieuse, mais qu’ils ont su embrasser avec la même tendresse que pour la jeune épouse.
Les doux embrassent tout de la même manière. Nous ne pouvons pas contrôler tous les événements, au-dedans et en-dehors de nous, dont dépend notre bonheur. Nous ne choisissons pas les grandes choses de la vie. Elles sont un héritage que nous n’achetons pas, ni ne méritons. Nous pouvons les refuser et fuir à la recherche d’une terre qui ne soit qu’à nous seuls. Le doux au contraire les accueille chez lui pleinement, sans en faire l’inventaire, avec sur la table la plus belle nappe. Et un jour, à sa surprise, il fête ça en adulte enfin mûr. Il y a peu de joies plus grandes que celles des fêtes célébrées en même temps que nos déceptions. Les doux connaissent cette fête, goûtent cette joie mûre, et sont bienheureux. "Bienheureux les doux, ils possèderont la terre".
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par Luigino Bruni
Paru dans Avvenire le 13/09/2015
“Qu’existe l’eau, qu’existent les choses, le caillou, la fouine, la caresse, le vent ; qu’existent le vide infini, l’attrait de l’espace, l’émiettement des paroles d’amour ; leur crépitement est sans trêve quand l’amour est chemin"
Chandra Livia Candiani, La poupée boxeur
Le manque de joie dont souffrent depuis longtemps l’Europe et l’Occident est conséquence directe de l’oubli de la logique et de la sagesse des béatitudes. Les béatitudes personnifient et expriment toutes ces valeurs que rejette et méprise le capitalisme, notre monde toujours plus construit à image et ressemblance du dieu business.
[fulltext] =>Douceur, engagement pour la paix, pauvreté, miséricorde, pureté : ce n’est pas le langage de l’économie capitaliste et de sa finance. En effet, si nous les prenions au sérieux, il nous faudrait raser nos empires de sable et commencer à construire la maison de l’homme des béatitudes. Ce n’est pas un hasard si, en beaucoup de lieux en Europe, en ces jours tragiques et merveilleux de réveil inattendu et surprenant des béatitudes, les grands absents sont les grandes entreprises et les banques. Dans leur empathie sans compassion et leur nonchalante indifférence, elles poursuivent leurs productions et leurs rites, sans ouvrir leurs "maisons", sans ôter leurs chaussures ni réapprendre à marcher pieds nus. Comme l’Adam, comme les enfants, comme les pauvres.
Pureté est la parole la moins comprise et aimée de notre civilisation de la consommation et de la finance. Pourtant, sans pureté, nous ne comprenons pas le monde, nous ne voyons que sa superficialité et sommes aveugles aux plus belles choses. Notre pauvre et mauvaise vue perd l’énorme beauté cachée dans ce qui semble impur et repoussant.
Dans l’Évangile, la pureté est étroitement liée au cœur et aux yeux. "Bienheureux les cœurs purs, car ils verront Dieu". Le cœur de l’humanisme biblique exprime la nature profonde, spirituelle et concrète de la personne. Cependant, dans la culture hébraïque et donc dans celle de Jésus et des évangélistes, Dieu ne se voit pas. C’est là une des vérités plus profondes et radicales de toute la Bible, le centre de sa lutte contre toute idolâtrie envers des dieux très visibles et donc faux. YHWH est une voix, qu’on peut écouter à travers la parole des prophètes, entendre palpiter dans l’univers. Tous les humains ont ceci en commun : ils peuvent écouter Dieu mais pas le voir. Que voit donc le pur s’il ne peut voir Dieu ? Et quelle est cette pureté nouvelle et différente, la pureté du cœur ?
Pour la comprendre ou en pressentir quelque chose, il faut se rappeler que le monde antique avait sa propre conception du pur et de l’impur, à la base de tout l’ordre social et religieux. Il existait des lieux purs et des lieux impurs, personnes, animaux, métiers, moments, activités, objets purs et impurs, et la société était construite de manière à éviter les contaminations et protéger la pureté de l’impureté. Toute la hiérarchie sacrale était ordonnée à cette fonction de séparation.
Le message chrétien a réellement renversé cette vision du pur et de l’impur (qu’annonçaient déjà quelques prophètes et le livre de Job), en proposant une toute nouvelle idée de la pureté, dépassant la notion même d’impureté. Voilà pourquoi la pureté du cœur n’est pas l’innocence merveilleuse des enfants, ni celle des animaux et de la nature. Ces puretés naturelles étaient la source de la pureté sacrale des communautés antiques, qui, après l’avoir perdue, cherchaient à la récupérer en sacrifiant aux dieux des animaux, des végétaux, des vierges, des enfants.
Mais la séparation du pur de l’impur, des purs des impurs, était trop enracinée dans le monde pour que cette révolution de l’Évangile puisse durer longtemps et générer une nouvelle civilisation. Ainsi, au cœur même de la chrétienté, on a recréé les impurs et les lépreux, et reconstruit pierre après pierre la même culture de l’immunité préchrétienne (décontamination), qui vit en ce moment son apogée, en cette époque irréligieuse et sécularisée, dont les multinationales sont les principaux apôtres.
La pureté de cœur est exactement l’opposé de l’antique (et postmoderne) culture du pur dans son opposition à l’impur. François, dans son testament, nous dit que sa conversion commença réellement quand il se mit à fréquenter les lépreux d’Assise, abattant ainsi le mur de séparation entre pureté et impureté. La pureté du cœur ne fuit pas les lépreux. Elle les rencontre, les cherche, les aime, les embrasse. Sa première caractéristique est la soustraction du terme impur du vocabulaire du mauvais, et l’idée que la vraie vie passe justement par la soi-disant impureté. Alors les yeux nouveaux que reçoit le pur lui donnent de voir un monde différent, où a disparu l’impureté. Là où s’opère une distinction entre purs et impurs, où l’on se met du côté des premiers, on ne trouve certainement pas la pureté des yeux.
Une caractéristique commune des personnes au cœur pur est qu’elles ne se définissent pas pures. Supprimée la barrière entre pur et impur, la pureté devient milieu de vie, et les cœurs purs y vivent sans la voir. Cette élimination du rideau séparant le pur de l’impur advient de diverses manières. Presque toujours il s’agit d’un don, parfois d’un acte de libération survenant à un moment donné dans la vie. Toujours c’est un mouvement de l’âme renonçant à conquérir la pureté, parce que sa recherche volontaire est la voie sûre pour perdre celle que nous avions déjà sans le savoir, et n’avoir plus que la pureté païenne. C’est pourquoi la pureté du cœur, comme toutes les autres béatitudes, ne peut être appelée vertu, parce qu’elle arrive sans qu’on la cherche. Aussi est-elle pure liberté et plus profond bonheur.
Telle est la première pureté du pur : être pur sans s’en rendre compte, sans donc pouvoir s’approprier la pureté. Elle est pureté à l’état pur. Et puis le cœur pur n’est pas connu comme tel : sa pureté ne se voit pas, à moins qu’elle ne soit l’antique pureté préchrétienne. Le monde est peuplé de cœurs purs, mais nous sommes incapables de les voir, parce que nous cherchons la pureté où elle n’est pas.
On devrait reconnaître le pur à ce qu’il sait voir autour de lui. Il voit Dieu. Mais si Dieu ne se voit pas, que voit donc le pur ? Il voit et ressent la présence de l’infini en lui, que certains ressentent et appellent le divin, que beaucoup d’autres voient et ressentent également mais sans pouvoir le nommer. Le pur la découvre dans la nature, dans le monde, partout. Il la découvre surtout dans les autres, dans tous ceux qu’il rencontre ou qu’il découvre dans les livres, la musique, l’art, la poésie.
Pour lui tout homme, toute femme, est comme le tabernacle d’une présence, même s’il en a perdu la clé ou qu’il reste toujours fermé. Toute personne l’attire ; c’est un amoureux de la vie et plus encore des gens. L’amour du pur est tout agapè, comme il est aussi tout eros et tout phylia. Il voit que la beauté habite vraiment le monde, et que la plus grande est celle des personnes. Par son regard il est capable de dire : « Petite fille, lève-toi ! ».
Le regard pur a la capacité de ressusciter l’image divine apparemment morte, mais qui dort en réalité, tandis que parents et amis pleurent sa mort. Mais le signe sans équivoque de la présence des cœurs purs est de les voir embrasser les pauvres et les lépreux.
Cette pureté donne de grands fruits en qui est responsable de communauté ou chef d’entreprise. On reconnaît le leader au cœur pur à ce qu’il sait voir dans les autres. Un des plus grands dons que peut nous faire la vie, est de nous placer à côté de collègues ou de dirigeants au cœur pur. Le joug de la fatigue devient alors très léger, et le travail un compagnon.
Mais il y a autre chose, encore plus sublime peut-être. S’il est vrai que le cœur pur voit Dieu et que sur terre Dieu ne se voit pas, alors le monde est plein de purs qui voient Dieu sans le voir, qui ne savent pas que ce qu’ils voient est Dieu parce qu’ils ne le reconnaissent pas. Dieu est là où il n’est pas, là où même les cœurs purs ne peuvent le voir. C’est une très bonne nouvelle, qui doit nous combler d’espoir en ce temps qui semble une très obscure nuit de Dieu.
La rencontre avec le cœur pur est souvent décisive dans la vie. Grâce à ces yeux qui nous regardent autrement, nous pouvons, ne serait-ce qu’un instant, nous brancher sur ce que nous avons de plus profond et vrai, et, ainsi regardés, nous ressentons le désir de devenir ce que nous étions déjà sans le savoir encore, ou simplement de revenir à la maison.
Ces regards croisés nous font revivre l’accueil de ce premier bon regard de femme à notre venue au monde, que nous continuons à chercher durant toute la vie. La présence de ces yeux est une forme très précieuse de bien commun : ils gardent en vie le regard d’Élohim sur la terre, ces yeux qui sur les routes de Palestine changèrent le monde en le regardant autrement : « Et, le regardant, il l’aima ».La pureté, comme toutes les réalités de notre terre, peut se perdre. Même le regard du cœur pur peut s’égarer. Et le seul vrai signal de la perte de la pureté est l’incapacité à voir dans les autres, dans le monde et en nous, une présence de l’infini, quand plus rien ne nous attire et ne nous enchante.
Mais comme toutes les réalités spirituelles, la pureté du cœur peut se retrouver : on peut redevenir purs. Trop grande est en effet la nostalgie de ce Dieu que nous avions vu – sans le voir – en nous et autour de nous. Et le premier signe de la pureté recouvrée est qu’on la désire à nouveau, pour embrasser pauvres et lépreux. Long chemin d’une existence fleurie et heureuse jusqu’à retrouver dans la vieillesse la pureté de l’enfance transformée en pureté du cœur. « Bienheureux les cœurs purs, car ils verront Dieu ».
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Paru dans Avvenire le 13/09/2015
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Chandra Livia Candiani, La poupée boxeur
Le manque de joie dont souffrent depuis longtemps l’Europe et l’Occident est conséquence directe de l’oubli de la logique et de la sagesse des béatitudes. Les béatitudes personnifient et expriment toutes ces valeurs que rejette et méprise le capitalisme, notre monde toujours plus construit à image et ressemblance du dieu business.
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Par Luigino Bruni
Paru dans Avvenire le 06/09/2015
"Je vois et je découvre dans les autres ma propre Lumière, ma vraie Réalité, mon vrai moi (enfoui peut-être ou par honte secrètement dissimulé), et, me retrouvant moi-même, je me réunis à moi en me ressuscitant".
Chiara Lubich, La résurrection de Rome
La miséricorde a été le ciment dont nous avons pétri notre civilisation dans les siècles passés. Sans connaître et aimer la miséricorde, nous ne comprenons pas la Bible, l’Alliance, le livre de l’Exode, Isaïe, l’évangile de Luc, François d’Assise, Thérèse d’Avila, Francesca Cabrini, Don Bosco, les œuvres sociales chrétiennes, la Constitution italienne, le rêve européen, la vie en commune et les amours d’après les camps de concentration, les familles qui vivent unies jusqu’au dernier moment.
[fulltext] =>C’est la miséricorde qui fait mûrir et durer nos relations, qui transforme l’attrait amoureux en amour, la sympathie et les émotions communes en grands projets robustes, qui fait s’avérer les "pour toujours" qu’on prononce dans sa jeunesse, qui empêche la maturité et la vieillesse de ne devenir que le récit nostalgique des rêves brisés.
La miséricorde vit de trois mouvements simultanés : celui des yeux, celui des entrailles (le rachàm biblique) et celui des mains, de l’esprit et des jambes. Le miséricordieux est d’abord celui ou celle qui est capable de voir plus en profondeur.
La première miséricorde est un regard qui reconstruit dans la personne miséricordieuse la figure morale et spirituelle de qui suscite en lui la miséricorde. Avant de faire et d’agir pour "prendre soin de lui", le miséricordieux le regarde et le voit autrement. Il distingue le "pas encore" au-delà du "déjà" et du "déjà été" que tous ont sous les yeux. Avant d’être une action éthique, la miséricorde est un mouvement de l’âme, grâce auquel on peut voir l’autre dans son dessein originel, avant l’erreur et la chute, et l’aimer au point de le rétablir dans sa nature plus vraie. Il réussit à reconstruire en son âme l’image brisée, à recomposer la trame interrompue. Il voit une solidarité interhumaine plus profonde et plus vraie que n’importe quel délit ; il croit qu’aucun fratricide ne peut faire disparaître la fraternité. Après Caïn, il voit encore Adam.
Et tandis qu’il voit la pureté dans l’impureté, la beauté dans la laideur, la lumière dans l’obscurité, son corps aussi bouge et la chair est touchée. Les entrailles s’émeuvent. La miséricorde prend tout son corps, dans une expérience totale, comme pour l’accouchement d’une nouvelle créature. Si la miséricorde n’existait pas, l’expérience de l’accouchement resterait totalement inaccessible à l’homme mâle que je suis, mais quand, grâce à elle, je redonne la vie, je peux saisir quelque chose de ce mystère, le plus grand de tous.
La miséricorde se ressent, on en souffre, elle nous travaille. C’est une expérience incarnée, corporelle. C’est pourquoi le miséricordieux en arrive aussi à s’indigner : je ne peux pas être miséricordieux si l’injustice et le mal qui m’entourent ne me font pas viscéralement souffrir. On éprouve viscéralement indignation et colère aujourd’hui face aux enfants morts asphyxiés en Palestine, ou noyés dans un bras de mer, comme on l’éprouvera demain pour la trahison d’un ami en manque de pardon.
La miséricorde est un entrelacement de don et de vertu. Elle n’est pas fruit de nos efforts, mais toute gratuité, cette aptitude à voir la part encore vive et immaculée du cœur de l’autre, même après un crime abominable (part réellement vive en nous et qui le restera jusqu’à notre dernier souffle, sans quoi nous serions des démons). Elle est un don reçu de la vie, de notre famille et de notre éducation d’enfant et de jeune.
Mais la miséricorde a aussi besoin de l’effort vertueux, quand, après le regard de l’âme et le ressenti des entrailles, vient le moment et la libre décision de passer à l’action, de mettre en mouvement les jambes, les mains et l’esprit. La vertu et l’effort, qui viennent toujours après le don du "cœur de chair" et des "yeux de ressuscité", sont ensuite nécessaires pour conserver intact au cours de la vie ce regard, qui tend à s’embuer au fil des ans.On n’est pas miséricordieux envers n’importe qui, mais seulement envers celui qui se trouve en situation d’erreur, de défaut, de péché, au point que j’en suis touché et blessé personnellement. La première douleur qui génère la miséricorde est celle que ressent la personne miséricordieuse à cause du mal reçu. Qu’elle soit due à une trahison, ou à un délit, ou à une injustice qui me touche directement ou indirectement, cette première douleur doit être réelle et concrète. C’est grâce à cette première souffrance que s’activent le regard différent, la compassion pour la souffrance de l’autre, et l’action qui vise à guérir la blessure. C’est pourquoi la miséricorde naît et s’exerce surtout au sein de nos primordiales relations de communion (dans le rapport entre Dieu et son peuple dans la Bible, miséricorde envers les fils, les amis).
Rien de commun entre le champ sémantique de la miséricorde et celui de la méritocratie. Par sa nature même, la miséricorde s’éprouve pour celui qui est sans mérite, pour celui qui ne mérite que mépris et répulsion. Elle ne se trouve donc pas dans le monde de l’économie et des grandes entreprises : elle y est incomprise, ou combattue pour subversion du fait qu’elle conteste toutes les lois et règles de la justice des marchés, qui ne connaissent et ne pratiquent que la logique méritocratique du "grand frère". La miséricorde, au contraire, est imprudente, partiale, asymétrique, déséquilibrée, partisane. Elle ne peut donc pas être aimée du capitalisme. Mais s’il n’existait pas une seule personne miséricordieuse dans chaque organisation et communauté, les toxines produites infesteraient tant leur terrain qu’aucun bon fruit n’y pousserait.
La miséricorde a, par ailleurs, un rapport intrinsèque et nécessaire avec le pardon. Mais le pardon du miséricordieux a ses propres caractéristiques. Par exemple, le repentir de l’autre ne lui est pas nécessaire, ni qu’il demande pardon. L’émotion viscérale et le regard secourable s’activent avant même que l’autre ait reconnu sa faute et se soit converti – toutefois, son repentir et sa contrition favorisent l’activation de la miséricorde.
Sur le seuil de sa maison, le père attendait le fils prodigue alors qu’il dilapidait encore ses derniers sous avec les prostituées et mangeait avec les porcs. Son attente à la porte, le regard tourné vers l’horizon, était déjà miséricorde. Il l’avait "vu" quand encore il "était loin". Et il courra vers son fils et l’embrassera avant même de vérifier son repentir et sa conversion.
Rien n’est plus inconditionnel qu’un acte de miséricorde. Et rien de plus libre. Le repentir et la conversion sont souvent sa conséquence. Le "je me lèverai, et j’irai" est souvent un mystérieux effet de la miséricorde de quelqu’un qui, à notre insu peut-être, a commencé à y penser en examinant son propre cœur, avec des yeux miséricordieux et secourables. Nous ne saurons jamais combien de libérations hors des plus noires conditions ont commencé par ce regard miséricordieux – pendant notre sommeil peut-être – d’une personne qui a ainsi guéri en son âme notre blessure. Et un jour nous avons été capables de nous relever pour nous remettre en marche. La terre est pleine de ces libérations de profonds pièges moraux et spirituels initiées dans le cœur des miséricordieux. Nos renaissances commencent dans le cœur de qui a sur nous des yeux de mère.Notre miséricorde est toujours seconde. Surpris, je découvre de pouvoir être miséricordieux parce que quelqu’un l’a d’abord été pour moi. Dans la miséricorde, le ‘moi’ précède le ‘je’ : des entrailles et des yeux m’ont aimé et guéri, et m’ont rendu capable de faire de même. Miséricorde reçue et miséricorde donnée : une réciprocité toujours valable, et qui est essentielle pour l’enfant et le jeune. Derrière une personne aujourd’hui miséricordieuse se cachent, invisibles, les multiples visages miséricordieux qui l’en ont rendue capable.
"Bienheureux les miséricordieux, car ils obtiendront miséricorde" (Mt 5, 7). Une béatitude merveilleuse, la seule qui s’offre elle-même pour prix, pour promesse. Mais quelle miséricorde trouvera le miséricordieux ? Rien ne garantit, chaque jour le montre, que ceux envers qui je suis miséricordieux le seront aussi envers moi. S’il y a sans doute un lien entre miséricorde offerte et celle reçue, le monde est pourtant peuplé de personnes miséricordieuses qui, le jour où ils se trouvent avoir besoin d’elle, ne la trouvent pas – ou trop peu par rapport à toute celle qu’ils ont offerte.
Mais il y a deux types de miséricorde que le miséricordieux "trouve" sûrement. La première est celle qui a été donnée et qui, par le don, s’est multipliée. Comme et plus que les autres vertus, la miséricorde croît en s’exerçant. Plus on la pratique, plus on l’acquiert. La souffrance de ceux dont nous essuyons les larmes l’alimente en nous, à la manière des peupliers et des tamerici qui assainissent et désintoxiquent les terrains pollués, où ils croissent en se nourrissant des substances nocives. Si le monde n’était pas peuplé de miséricordieux – ils sont plus nombreux qu’on ne pense – la terre serait empoisonnée, sans aucun espoir de floraison printanière.
Une autre forme de miséricorde que trouve le miséricordieux, est celle, précieuse et sublime, envers lui-même. Qui est capable, par gratuité ou par vertu, de pratiquer la miséricorde envers autrui, se retrouve un jour doté d’autres yeux pour voir autrement des aspects de sa propre vie qu’il a du mal à accepter. Ce jour-là, il tressaille en son cœur en rencontrant face à face la personne qu’il ne voulait pas devenir et qu’il est au contraire devenu, les rendez-vous manqués, les mauvaises directions prises, son récit d’une histoire qu’il n’aurait pas voulu écrire.
Alors que je quitte Taranto, je vois que les 600 boutures de peupliers et les 300 tamarici que quelques habitants ont plantés il y a huit mois, sont déjà hauts de plus d’un mètre. Ils font du bien et ils poussent, comme notre espérance.
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Par Luigino Bruni
Paru dans Avvenire le 06/09/2015
"Je vois et je découvre dans les autres ma propre Lumière, ma vraie Réalité, mon vrai moi (enfoui peut-être ou par honte secrètement dissimulé), et, me retrouvant moi-même, je me réunis à moi en me ressuscitant".
Chiara Lubich, La résurrection de Rome
La miséricorde a été le ciment dont nous avons pétri notre civilisation dans les siècles passés. Sans connaître et aimer la miséricorde, nous ne comprenons pas la Bible, l’Alliance, le livre de l’Exode, Isaïe, l’évangile de Luc, François d’Assise, Thérèse d’Avila, Francesca Cabrini, Don Bosco, les œuvres sociales chrétiennes, la Constitution italienne, le rêve européen, la vie en commune et les amours d’après les camps de concentration, les familles qui vivent unies jusqu’au dernier moment.
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Par Luigino Bruni
Paru dans Avvenire le 30/08/2015
« Aussi égoïste que l’homme puisse être supposé, il y a évidemment certains principes dans sa nature qui le conduisent à s’intéresser à la fortune des autres et qui lui rendent nécessaire leur bonheur, quoiqu’il n’en retire rien d’autre que le plaisir de les voir heureux. De cette sorte est la pitié ou la compassion, c’est-à-dire l’émotion que nous sentons pour la misère des autres, que nous la voyions ou que nous soyons amenés à la concevoir avec beaucoup de vivacité. »
Adam Smith, Théorie des sentiments moraux, 1759
Affronter nos émotions et celle des autres devient aujourd’hui de plus en plus difficile. Nous avons en effet réduit de façon drastique les espaces, les lieux et les instruments communautaires et personnels qui nous permettent d’accompagner, de soigner et de sublimer nos émotions.
[fulltext] =>La culture des grandes entreprises, qui se répand actuellement dans le monde entier, produit une quantité croissante d’émotions négatives (déception, peur, colère, anxiété, tristesse…), qui sont traitées comme de véritables « déchets » et donc rejetées, expulsées ou considérées comme des caractéristiques des travailleurs « perdants ». Malheur à celui qui les montre et les rend perceptibles dans les lieux mêmes qui les ont engendrées, sous peine de stagner sur le plan professionnel ou, souvent, de perdre son travail. Ces dernières années, ces effets collatéraux émotionnels ont augmenté au point de pousser les grandes entreprises à recourir à de nouvelles figures professionnelles qui se voient confier la mission de gérer le mal-être émotionnel provoqué par des styles de relations insoutenables sur le lieu de travail. Cela enclenche une spirale perverse ressemblant plus ou moins à celle que nous trouverions dans d’hypothétiques usines qui polluent l’environnement de travail et qui, au lieu d’éliminer ce poison, offrent à leurs salariés des cures de désintoxication gratuites dans des cliniques spécialisées ou créent de nouveaux services internes pour les personnes atteintes par les fumées toxiques. Or, alors que notre sensibilité éthique n’accepte plus pareilles solutions en matière de santé et d’environnement, nous les approuvons sans sourciller dès lors qu’il s’agit d’affronter nos émotions. C’est ainsi que nous ne rebellons pas lorsque nos entreprises commencent par nous rendre tristes et nous déprimer en nous imposant des relations intenables dans notre travail, avant de nous proposer des techniques et des experts pour les améliorer, et parfois nous allons jusqu’à les remercier parce qu’elles nous offrent ces cures gratuitement. Comme si contracter une maladie pour ensuite (essayer de) la guérir revenait à ne pas être tombé malade. C’est ainsi que nous continuons à accumuler les émotions négatives et les traitements, qui ne peuvent que s’alimenter mutuellement.
En réalité, ces nouveaux vrais pièges de pauvreté émotionnelle sont le résultat de la forte régression de la compassion, l’une des plus grandes qualités humaines et l’une des plus précieuses, qui a été remplacée par des techniques et des instruments. Compassion signifie littéralement « souffrir » (pati) « ensemble » (cum), c’est-à-dire être capable de partager et vouloir partager la souffrance d’autrui. La compassion est l’attitude opposée à l’envie. En effet, tandis que l’envieux se réjouit de la souffrance des autres et souffre de les voir se réjouir, la personne compatissante souffre du malheur de ses prochains et se réjouit de les voir heureux. L’envie, un sentiment engendré, encouragé et cultivé par notre culture où règnent la rivalité et la compétitivité, peut se guérir si l’on limite ses graves méfaits en introduisant dans l’organisme social des personnes capables d’éprouver de la compassion, qui sont des antibiotiques naturels contre le virus de l’envie. Dans la tradition occidentale (mais pas uniquement : il suffit de penser au bouddhisme), la compassion se distingue de ce que nous désignons aujourd’hui sous le nom d’empathie, car la compassion sous-entend que l’on prend délibérément part à la souffrance de l’autre afin de la soulager, ce que l’empathie n’exige pas. La compassion suppose la volonté de faire du bien à ceux qui se trouvent dans un état de souffrance, qui part de la prise de conscience ou de l’espoir que partager cette souffrance pourra en quelque sorte la soulager.
Où et comment se crée la compassion ? Dans les générations précédentes, où la compassion était plus présente, voire surabondante au cours de certaines périodes (lors des guerres et après les grands deuils collectifs), le lieu principal où la compassion naissait et s’alimentait était la communauté, à commencer par la famille. La compassion possédait ses institutions et son entretien mobilisait beaucoup d’énergies collectives. Les enterrements, par exemple, se concevaient comme une forme de grande compassion communautaire. Lorsque je suis allé à un enterrement dans mon village natal il y a quelques semaines, j’ai été très frappé par la quantité de baisers reçus par la veuve et les enfants du défunt, et de larmes qui coulaient sur leurs joues. Une compassion collective et authentique qui, dans les décennies passées, se prolongeait sur plusieurs jours. C’étaient les nombreuses communautés de vie qui créaient notre capacité de compassion et les lieux où la pratiquer. Les longues soirées, non encore occupées par la télévision, étaient le temps de la compassion, temps au cours duquel les adultes la pratiquaient entre eux et les enfants l’apprenaient en les observant. Dans les sociétés d’autrefois, on apprenait la compassion en écoutant des histoires et des contes ou en lisant la grande littérature ; dès l’enfance, ceux-ci éveillaient et cultivaient la capacité à souffrir et à se réjouir face aux joies et aux peines des autres qui devenaient progressivement un peu les nôtres. Quel degré de compassion les nouveaux récits numériques et les jeux vidéo des tablettes parviennent-ils à susciter chez nos jeunes ?
La compassion est une expérience qui ne nous laisse jamais indemnes : elle nous change et nous contamine par les sentiments et les souffrances de l’autre. Si nous avons tous, à des degrés divers, une capacité naturelle d’empathie, la compassion commence là où, une fois que notre empathie s’est éveillée et que nous avons ressenti une part des émotions de l’autre, nous décidons librement de nous laisser contaminer par sa souffrance, de partager ses émotions, de devenir son prochain solidaire et de faire un bout de chemin avec lui. Ceci explique pourquoi, alors que nous pouvons éprouver (beaucoup) d’empathie sans être bienveillants, la compassion ne va pas sans l’agape, qui consiste à faire le choix de soulager une personne concrète en l’aimant, comme le bon Samaritain l’a fait avec l’homme attaqué par des brigands. D’autre part, la compassion n’est pas un acte unilatéral à sens unique. C’est une relation qui nous fait ressentir ensemble et être mutuellement conscients, au même moment, que nous éprouvons les mêmes émotions et les mêmes sentiments. C’est cette expérience réciproque et simultanée qui soulage la souffrance et démultiplie la joie. Certaines souffrances ne peuvent être apaisées que par la compassion. Si nous n’atteignons pas cette réciprocité émotionnelle en toute conscience, la compassion n’est pas pleine et ne peut porter ses merveilleux fruits. En effet, si l’on ne parvient pas à entrer dans les sentiments de l’autre – ou bien, si l’autre ne nous autorise pas à le faire – jusqu’à devenir « un seul cœur », la compassion ne peut ni soulager la douleur de celui qui souffre, ni faire expérimenter à celui qui prend sur lui la souffrance de l’autre cette joie typique et profonde. L’expérience de la compassion nous enseigne alors que, contrairement à ce que l’on croit, la douleur et la joie ne sont pas deux sentiments opposés : les plus grandes joies prennent leur source dans les souffrances partagées et accompagnées, lorsque la souffrance, tout en restant présente, fait jaillir une joie mystérieuse et sublime, semblable à une fleur rare.
La culture immunitaire des grandes entreprises refuse la compassion parce qu’elle n’aime pas le mélange des émotions ni la contagion par les émotions dans les relations ordinaires de travail, une contagion qu’elle décourage et combat. Or, comme la souffrance émotionnelle s’accroît chez les salariés, les entreprises croient pouvoir répondre à la demande de compassion en proposant des techniques d’empathie, et forment des professionnels capables de remédier au malaise émotionnel sans avoir à les « pénétrer » en profondeur. On inhibe et on empêche le développement de la compassion entre salariés et avec leurs responsables, on réduit les espaces communautaires hors du lieu de travail et la culture de l’entreprise investit de plus en plus de domaines de la vie, où elle exporte son mépris pour la compassion et son remplacement par des techniques (j’ai vu de tels professionnels jusque dans un sanctuaire). C’est ainsi que, paradoxalement, ces figures et ces instruments ne font rien d’autre qu’augmenter la demande de compassion, qui reste insatisfaite et frustrée, bien qu’elle soit motivée par des intentions souvent tout à fait louables. Tant que la culture dominante existant au sein de nos entreprises et de notre société continuera à considérer la souffrance, la vulnérabilité et les blessures uniquement comme un coût et un mal à fuir et à combattre, en se gardant de les aborder, de les accueillir et de les intégrer comme composantes nécessaires et souvent amies des êtres humains, elle ne fera que multiplier les diverses souffrances émotionnelles engendrées par des relations humaines partielles, immunitaires, artificielles et donc malades. Les techniques d’empathie, les professionnels et les consultants peuvent se révéler très utiles dans tous les domaines, à condition qu’ils ne deviennent pas des substituts ni des détenteurs du « monopole » de la compassion civile et générale qui constitue l’âme profonde de toute société.
Enfin, la compassion a ses mots caractéristiques. Le premier d’entre eux est attention. Impossible pour nous de cultiver et de pratiquer la compassion si nous sommes distraits et ne prêtons pas attention à ceux qui passent à côté de nous, qui travaillent dans le bureau voisin du nôtre ou habitent l’appartement d’en face. Il y a trop de victimes de brigands, qui restent abandonnées et blessées au bord du chemin vers notre Jérusalem ou notre Jéricho, parce que les personnes capables de marques d’attention à leur égard manquent. Sans cette attention intérieure qui est de la vigilance spirituelle, nous ne pouvons pas mettre en pratique le deuxième verbe fondamental de la compassion : observer. La personne compatissante évolue dans le monde en l’observant ; son attention et son silence intérieur sont suffisants pour lui permettre d’observer la vie autour d’elle. Elle observe et voit et, ainsi, elle entend le cri sans fin de compassion qui s’élève des cités. Une fois qu’elle a vu et entendu les souffrances des autres, elle décide librement de pratiquer la compassion, en se penchant sur eux, en se faisant proche d’eux et en se préoccupant de leur douleur. La compassion est essentielle pour bien vivre, parce qu’elle nous rend capables de multiplier même nos joies en les partageant. C’est une sorte de muscle moral qui, lorsqu’il s’atrophie, nous empêche non seulement d’alléger les souffrances des autres, mais diminue aussi notre capacité à nous réjouir et à vivre. La culture immunitaire de notre temps est en train d’atrophier ce muscle ; nous avons donc de plus en plus de mal à éprouver des émotions face aux souffrances des autres, et encore plus à agir par compassion.
Nous avons un immense besoin de personnes compatissantes, aujourd’hui plus qu’hier. Nous sommes de plus en plus submergés par la souffrance psychologique, morale et spirituelle, mais la terre ne parvient pas à absorber ce trop-plein, parce que trop peu de personnes sont capables de compassion, et celles qui la pratiquent sont encore moins nombreuses. Et pourtant, elles sont les plus à même de changer radicalement la qualité morale de nos lieux de vie. Parfois, une seule personne compatissante suffit à sauver une communauté entière. La vie fonctionne et s’épanouit lorsque nous sommes capables de découvrir la beauté qui nous entoure, en nous laissant aimer par elle. Mais il est tout aussi important de chercher et de découvrir la souffrance autour de nous, de l’aimer et de se laisser aimer par elle. Le plus grand cadeau que l’on puisse faire à son enfant, c’est de l’aider à augmenter sa capacité de compassion. Car c’est la compassion envers la souffrance des autres qui nous fait voir la beauté la plus grande existant sur terre, la beauté cachée dans le cœur des personnes.
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Régénérations/5 - Entreprises, sociétés et famille : il n’y a plus de place pour la compassion
Par Luigino Bruni
Paru dans Avvenire le 30/08/2015
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Affronter nos émotions et celle des autres devient aujourd’hui de plus en plus difficile. Nous avons en effet réduit de façon drastique les espaces, les lieux et les instruments communautaires et personnels qui nous permettent d’accompagner, de soigner et de sublimer nos émotions.
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Par Luigino Bruni
publié dans Avvenire le 23/08/2015
« La vraie générosité est un échange aux conséquences imprévisibles. Elle représente un risque car elle mêle nos besoins et nos désirs aux besoins et aux désirs des autres. »
Adam Phillips et Barbara Taylor, On Kindness (Éloge de la gentillesse)
Les entreprises et toutes les organisations continuent d’être des lieux de vie bonne et entière tant qu’elles laissent s’y épanouir des vertus non économiques parallèlement aux vertus économico-entrepreneuriales. Une coexistence décisive mais tout sauf simple, car elle demande aux dirigeants de renoncer à exercer un contrôle total sur le comportement des personnes, d’accepter que leurs actes comportent une part d’imprévu et d’être prêts à relativiser y compris l’efficience, qui est en passe de devenir le dogme absolu dans la nouvelle religion de notre époque.
[fulltext] =>La générosité est l’une de ces vertus non économiques et cependant essentielles à toute entreprise et institution. À la racine de la générosité, il y a le mot latin genus, generis, un terme qui renvoie à la lignée, la famille, la naissance, et c’est le sens premier du mot genre. Cette étymologie ancienne, aujourd’hui perdue, nous donne des informations importantes sur la générosité. Elle nous rappelle avant tout que notre générosité a beaucoup à voir avec la transmission de la vie : avec notre famille, avec les gens qui nous entourent, avec l’environnement dans lequel nous grandissons et apprenons à vivre. Nous recevons la générosité en héritage lors de notre venue au monde ; c’est un don de nos parents et des autres membres de notre famille. La générosité s’apprend au sein du foyer familial. Celle que nous retrouvons en nous dépend beaucoup de la générosité de nos parents, de l’amour qu’ils avaient l’un pour l’autre avant notre naissance, des choix de vie qu’ils ont fait et de ceux qu’ils font au moment où nous commençons à les observer. Elle dépend également de leur fidélité, de leur hospitalité, de leur attitude envers les pauvres, de leur disponibilité à « gaspiller » du temps pour écouter et aider leurs amis, de leur amour et de leur reconnaissance envers leurs propres parents.
Cette générosité primaire n’est pas une vertu individuelle, mais un don faisant partie de la dotation morale et spirituelle de ce que l’on appelle le caractère. C’est un capital que nous possédons déjà lors de notre venue sur terre, qui s’est formé avant notre naissance et que nous alimentons grâce aux qualités de nos relations durant les toutes premières années de notre vie. Il dépend également de la générosité de nos grands-parents et arrière-grands-parents, de nos voisins et de celle de nombreuses autres personnes qui, même si elles n’entrent pas dans notre ADN, contribuent, de façon mystérieuse mais bien réelle, à notre générosité (et à notre absence de générosité). Elle est influencée par les poètes qui ont nourri le cœur de notre famille, par les prières de ceux que nous aimons, par les musiciens que nous apprécions et écoutons, par les chanteurs ambulants dans les fêtes de village, par les discours et les actions des politiques et par les homélies des prédicateurs ; par les martyrs de tous les mouvements de résistance, par ceux qui ont donné leur vie hier pour notre liberté d’aujourd’hui. Elle procède de la générosité infinie des femmes des siècles passés (il existe une grande affinité entre la femme et la générosité) qui, bien souvent, ont fait passer l’épanouissement de la famille qu’elles ont fondée avant celui de la leur – et les femmes continuent aujourd’hui à le faire. La générosité engendre la reconnaissance envers ceux qui, par leur générosité, nous ont rendus généreux.
Vivre avec des personnes généreuses nous rend plus généreux, et l’on observe la même chose avec la prière, la musique, la beauté… Cultiver la générosité produit bien plus d’effets que nous ne parvenons à en voir et à en mesurer, et il en va de même lorsque nous-mêmes et les autres manquons de générosité. La réserve de générosité d’une famille, d’une communauté ou d’un peuple est en quelque sorte la somme de la générosité de chacun. Chaque génération augmente la valeur de cette réserve ou la réduit, comme c’est actuellement le cas en Europe, où notre génération, qui n’a plus ni idéaux ni grandes passions, est en train de dilapider le patrimoine de générosité dont elle a hérité. Un pays qui laisse la moitié de ses jeunes au chômage n’est pas un pays généreux.
En outre, notre générosité diminue avec l’âge. Lorsque l’on est adulte puis âgé, on tend à devenir moins généreux. L’horizon futur nous apparaît tout à coup fini et proche ; ainsi, le temps, qui est la première « monnaie » de la générosité, se fait plus rare. Nous n’en avons jamais assez et il ne nous en reste plus à consacrer aux autres. C’est pour cela que conserver la générosité dont nous avons hérité et que nous avons cultivée dans notre jeunesse demande énormément de travail. Là, la générosité se fait vertu, parce qu’il faut beaucoup d’amour et de souffrance pour rester généreux quand les années passent.
Pourtant, conserver notre générosité est fondamental si nous voulons continuer à engendrer la vie. Générosité et engendrer sont deux mots frères : l’un ne peut se lire ni s’expliquer sans l’autre. Seul celui qui est généreux engendre, et engendrer la vie renforce et alimente la générosité. L’absence de fécondité ou la stérilité de la vie est alors un symptôme de la diminution de la générosité. Lorsque l’on se retrouve, souvent brutalement, dénué de créativité et d’énergie vitale, il faut ressentir le désir d’être encore généreux, à tout âge, pour espérer recommencer à engendrer, car le temps offert par une personne redevenue généreuse possède une valeur inestimable.
Au sein des entreprises, qui sont tout simplement une tranche de vie, il y a souvent beaucoup de générosité et, donc, de générativité. Les chefs d’entreprise sont généreux par vocation, notamment dans la première phase de leur activité, lorsque l’entreprise n’est encore qu’un ensemble de rêves à réaliser, que de nouvelles idées naissent chaque jour et que l’on est trop occupé à développer la nouveauté, si bien que l’on n’a pas le temps d’être avare et mesquin. Les bonnes entreprises, y compris les entreprises économiques et industrielles, sont l’œuvre de personnes généreuses, et c’est encore le cas aujourd’hui. Au moment où une entreprise démarre, la générosité des entrepreneurs, des associés, des dirigeants et des salariés n’est pas seulement importante, mais essentielle à son bon développement. Sans l’enthousiasme de tous et sans ce qu’ils donnent en surplus par rapport aux exigences de leur contrat de travail et à leurs devoirs, autrement dit, sans générosité, les entreprises ne voient pas le jour ou bien ne durent pas. On pourra créer des services pour répondre à des commandes ou pour saisir des opportunités de spéculation, mais il n’en sortira pas de bonnes et belles entreprises.
La joie, « sacrement » de toute vie généreuse, accompagne aussi les jeunes entrepreneurs et les vraies entreprises au début de leur aventure. Mais lorsque l’entreprise grandit et se transforme progressivement en une organisation complexe, bureaucratique et rationnelle, orientée vers le profit, la générosité originelle des entrepreneurs diminue et la générosité authentique n’est plus exigée des salariés, ni encouragée. Elle laisse alors la place à une sous-espèce de générosité : la générosité adaptée aux objectifs à atteindre, gérable et contrôlable. C’est ainsi que l’on prive la générosité de sa dimension de surplus, d’abondance et de liberté. La générosité n’est pas efficiente par nature parce qu’elle a un besoin essentiel de gaspillage et de redondance. Elle ne peut non plus faire l’objet de mesures incitatives car elle n’obéit pas à la logique du calcul.
On perçoit alors qu’une culture organisationnelle fondée sur l’idéologie de l’incitation économique fait justement disparaître chez ses membres la dimension de générosité en surplus qui lui avait permis d’être innovante et générative en des temps meilleurs. L’entreprise transformée en institution voudrait pouvoir se contenter de cette générosité qui entre dans ses projets industriels, c’est-à-dire une générosité limitée, domestiquée, réduite au minimum. Or, si la générosité perd cette notion de gaspillage et de surplus, elle se dénature et prend un autre visage, car on ne peut être généreux pour « atteindre des objectifs ».
Ceux qui essaient de normaliser la générosité en la dépossédant de ses dimensions moins faciles à gérer et plus déstabilisantes ne fait rien d’autre que combattre et tuer la générosité même. La générosité produit ses meilleurs fruits lorsqu’on la laisse libre de donner plus de fruits qu’il n’en faut. Or, la coexistence de fruits « utiles » et « inutiles » est justement l’un des pires ennemis des entreprises capitalistes et de toutes les institutions bureaucratiques. Grâce à la technologie, nous avons réussi à produire des « mandariniers » sans leurs semences difficiles à obtenir. Pourtant, si les techniques managériales amputent notre générosité des « semences » qui ne plaisent pas à l’entreprise ou ne lui servent pas, c’est la générosité même qui disparaît. Les êtres humains donnent beaucoup uniquement lorsqu’on les laisse libres de tout donner. À l’avenir, la qualité de vie au sein de nos organisations dépendra de plus en plus de la capacité de leurs dirigeants à laisser mûrir plus de fruits qu’ils n’en mettront sur le marché, à faire vivre et grandir même les vertus inutiles à l’entreprise.
Nous voici de nouveau devant une nouvelle forme du principal paradoxe des organisations modernes. Le développement de leurs dimensions et l’application de techniques et méthodes standardisées de gestion et de contrôle avilissent, chez les salariés, les caractéristiques qui ont permis la naissance de l’entreprise et dont celle-ci a encore un besoin vital pour continuer à engendrer. Si cette loi vaut pour toutes les organisations, elle devient cruciale lorsque l’on a affaire à des entreprises et communautés capables de se développer uniquement quand elles parviennent à avoir en leur sein des personnes généreuses et les mettent dans des conditions qui leur permettent de déployer leur générosité même au travail.
Enfin, un aspect particulièrement délicat entre dans la dynamique de la générosité ; il s’agit de que l’on peut appeler la « chasteté organisationnelle ». La générosité ne renvoie pas seulement au fait d’engendrer : elle exige aussi la chasteté, un mot qui peut sembler en contradiction avec les deux autres, en apparence, seulement. La personne généreuse ne « mange » pas, elle ne consomme pas les belles personnes qu’elle voit autour d’elle, mais les laisse profondément libres. Une entreprise et organisation généreuse n’a pas la prétention d’accaparer entièrement le temps et l’esprit de ses meilleurs salariés, ni même de ses salariés bien particuliers dont sa réussite dépend presque exclusivement. Car elle sait ou, du moins, elle devine que, si elle le faisait, ces personnes perdraient les dimensions de la beauté qui les avaient rendues excellentes et spéciales et que, pour continuer de s’épanouir, elles ont besoin de liberté et de surplus. Si je cueille une magnifique fleur dans une vallée alpestre pour rendre mon séjour plus agréable, j’ai déjà décidé de sa fin. Même si je garde ses racines et la replante dans mon jardin, je ne pourrai plus jamais revoir les couleurs et le parfum qui m’avaient attiré lorsque j’étais à la montagne, parce qu’ils étaient le fruit spontané de la générosité de toute la vallée, de ce soleil, de ces minéraux, de cet air. Les meilleurs jeunes de nos organisations et communautés restent beaux et lumineux tant que nous ne décidons pas de les déraciner pour les planter dans le jardin de notre maison et de les transformer en un bien « privé », tant que nous sommes disposés à faire partager leur beauté à tous les habitants de la vallée. Trop de jeunes se fanent dans les grandes entreprises, parfois même dans les communautés religieuses, parce qu’ils n’y rencontrent pas cette générosité sans laquelle ils ne peuvent conserver leur surplus de beauté. Pour entretenir la générosité des personnes, il nous faut des institutions généreuses, des personnes magnanimes et des âmes plus grandes que les objectifs de l’organisation à laquelle elles appartiennent.
Nous sommes tous habités par un souffle d’infini. Tous les lieux de vie continuent de fleurir tant que ce souffle reste vivant, libre et inaltéré.
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Régénérations/4 - Les êtres humains donnent beaucoup uniquement lorsqu’ils sont libres de tout donner
Par Luigino Bruni
publié dans Avvenire le 23/08/2015
« La vraie générosité est un échange aux conséquences imprévisibles. Elle représente un risque car elle mêle nos besoins et nos désirs aux besoins et aux désirs des autres. »
Adam Phillips et Barbara Taylor, On Kindness (Éloge de la gentillesse)
Les entreprises et toutes les organisations continuent d’être des lieux de vie bonne et entière tant qu’elles laissent s’y épanouir des vertus non économiques parallèlement aux vertus économico-entrepreneuriales. Une coexistence décisive mais tout sauf simple, car elle demande aux dirigeants de renoncer à exercer un contrôle total sur le comportement des personnes, d’accepter que leurs actes comportent une part d’imprévu et d’être prêts à relativiser y compris l’efficience, qui est en passe de devenir le dogme absolu dans la nouvelle religion de notre époque.
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Par Luigino Bruni
publié dans Avvenire le 09/08/2015
"Et quand je vois au ciel briller les étoiles, Je me dis en moi-même : À quoi bon tant de facelle? Que fait l’éther infini, et ce profond infini ciel serein ? Que veut dire cette solitude immense ? Et moi, qui suis-je ?"
Giacomo Leopardi, Canto notturno di un pastore errante dell’Asia
L’humilité est une de ces vertus que l’économie et les grandes entreprises n’aiment pas, alors qu’elles en ont un besoin vital. Notre culture, soumise à l’influence croissante des valeurs de l’entreprise, est incapable de voir la beauté et la valeur de l’humilité, qui se trouve ainsi « humiliée ».
[fulltext] =>Les vertus pratiquées et entretenues par les grandes entreprises et les grandes organisations se nourrissent en effet de l’anti-humilité. Pour faire carrière et être valorisé, il faut mettre en avant ses mérites, montrer une mentalité et des attitudes « gagnantes », être plus ambitieux que ses collègues-concurrents. Il faut chercher et désirer ce qui est en haut, et fuir le bas, tout ce qui touche la terre, l’humus – l’humiltas.
L’époque que nous vivons n’est pas à l’humilité. Les générations passées, et celles qui sont aujourd’hui sur leur déclin, connaissaient et reconnaissaient parfaitement l’humilité. Elles avaient appris à la découvrir, cachée sous terre, en faisant l’expérience de la limite que seul peut faire celui qui connaît la terre pour l’avoir touchée de ses propres mains. C’est en touchant les pierres, le bois, les outils rudes du travail, les vêtements pauvres, la nourriture parcimonieuse, les machines dans les usines et dans les bureaux, que l’on découvrait la terre et, en dialoguant avec elle, on apprenait les métiers et le métier de vivre. La culture des générations qui avaient connu les grandes guerres et les holocaustes, réussissait à sauvegarder la foi en Dieu et la foi en l’homme. C’était une culture humble, parce que ces hommes et ces femmes aimaient, estimaient l’humilité et la récompensaient.
L’humilité est une vertu de la vie adulte. On ne doit pas humilier les enfants et les jeunes dans le but de les rendre humbles. L’humiliation provoquée par l’entourage n’engendre pas l’humilité, mais mille maladies du caractère. La seule humiliation utile est celle qui nous vient de la vie, sans que personne ne nous la procure intentionnellement. On prépare les enfants et les jeunes à l’humilité en les mettant en contact avec la beauté, avec l’art, avec la nature, la spiritualité, la poésie, les contes, la grande littérature. C’est en rencontrant l’infini que l’on se découvre fini, mais habité par un souffle d’éternité, et quand cette expérience de toucher l’infini s’accompagne des expressions les plus hautes de l’humanité, la finitude n’écrase pas, mais élève ; la limite ne mortifie pas, mais fait vivre. Quand nous levons les yeux et que nous sentons le ciel « infini et immortel », alors se forme en nous le terreau où l’humilité peut fleurir.
Nous nous formons à l’humilité à travers nos relations avec nos pairs, lors de nos échanges avec nos amis ou à nos frères et sœurs. La réduction du nombre et de la diversité des amis de nos enfants, remplacés par des rencontres « fonctionnelles » (piscine, musique…), mais aussi et surtout les trop nombreuses relations « toutes-puissantes » avec les machines (tv, smartphones, tablettes…), modifie et réduit inévitablement les occasions de faire de bonnes expériences des limites, ce qui menace le développement de l’humilité. L’expérience de la mort et de la maladie, dès les premières années de la vie, représente une rencontre essentielle qui fait naître l’humilité. Cacher à la vue des enfants leurs grands-parents et autres parents morts, ne pas amener les adolescents voir des parents et amis malades ni à leur enterrement, complique et empêche la rencontre avec la loi de la terre et ne contribue pas à faire mûrir l’humilité en eux. Une éducation qui ne pose aucune limite n’éduque pas davantage à l’humilité.
Beaucoup de personnes âgées offrent des témoignages d’humilité et sont passés maîtres dans cet art, parce que la vie a eu le temps de les rendre humbles. Dans les civilisations qui ont précédé la nôtre, leur présence était essentielle, entre autres à cause du magistère d’humilité qu’elles exerçaient. En s’éloignant de la terre qui les avait engendrées et en se rapprochant de celle qui les attendait, elles offraient une perspective différente et essentielle sur la vie, qu’elles pouvaient faire partager à tous. C’est entre autres pour cette raison que le monde des grandes entreprises, construit sur des registres psychologiques s’adressant aux adolescents et aux jeunes (d’où le recours fréquent à des métaphores issues du monde du sport, presque toutes inappropriées), ne connaît pas l’humilité, et ne la comprend pas.
L’humilité illustre dans sa plus belle expression une loi universelle qui forme le cœur de nombreuses vertus et d’autres grandes choses de la vie : on devient humble sans même s’en apercevoir. Nous découvrons l’humilité en recherchant autre chose : la justice, la vérité, l’honnêteté, la loyauté, l’agapè. Si elle ne peut se programmer, nous pouvons la désirer, l’estimer et l’attendre comme un cadeau que la vie nous fait. Lorsque nous l’attendons, elle vient tôt ou tard et nous sommes surpris de son arrivée. Souvent, cela se produit dans les moments où l’on est le plus faible, après un échec, un abandon ou un deuil, lorsque l’humiliation fait fleurir l’humilité. L’amour de l’humilité est le fondement de toute vie bonne, parce qu’elle nous permet de ne pas nous approprier nos vertus et les dons que nous avons reçus.
L’humilité est une vertu « indicible » et elle est foncièrement relationnelle : seuls les autres peuvent et doivent reconnaître notre humilité, de même que nous pouvons et devons reconnaître la leur, dans un jeu de réciprocité qui constitue la grammaire de la bonne vie civile. Elle est invisible mais bien réelle, et nous savons la reconnaître même si nous sommes peu humbles, voire pas du tout, et que nous aimerions l’être, car le désir d’humilité est déjà une forme d’humilité. Les fruits qu’elle porte sont reconnaissables entre mille. Le premier d’entre eux, c’est notre « gratitude » sincère envers la vie, envers les autres et nos parents, qui naît d’une prise de conscience : nos talents, nos mérites et notre beauté sont un cadeau, un « charis », une grâce. L’humilité consiste à prendre acte de la vérité sur le monde et sur la vie. Elle naît de façon naturelle ; c’est un acte de l’âme, qui n’exige aucun effort de volonté, c’est reconnaître ce qui apparaît un jour comme une évidence. Elle nous fait comprendre que nous entrons pour une part infime dans les choses les plus belles et les plus grandes, car ce que nous sommes et possédons n’est que le cadeau généreux de la vie.
Tout est grâce. Cependant, pour parvenir à cet acte naturel et radical de gratitude, il faut pratiquer l’amour de la vérité, un exercice éthique qui dure tout au long de la vie adulte et se termine – sur un dernier acte de gratitude – lorsque nous quittons ce monde, en étant simplement reconnaissants et enfin humbles. L’humilité n’est alors rien d’autre que l’accès à une vérité plus profonde. Elle est donc un don immense. La personne humble est constamment reconnaissante. Ses « merci », rares car précieux, s’expriment parce qu’elle a conscience de la beauté et de la bonté de ceux qu’elle côtoie – il existe une beauté plus profonde et plus vraie des personnes et du monde, qui ne se révèle qu’aux humbles. Et seule une personne humble sait prier.
La capacité à s’excuser et à dire « pardonne-moi » est le deuxième signe de la présence de l’humilité. Certains conflits ne parviennent pas à s’apaiser parce que chacun est subjectivement convaincu d’avoir entièrement raison, et il attend donc que ce soit l’autre qui vienne s’excuser. Mais, comme ils sont tous deux convaincus d’avoir raison, ils restent coincés dans des pièges relationnels qui finissent par engloutir des familles, des amitiés, des communautés et des entreprises, parfois même des peuples entiers. Pour sortir de ces pièges, il faut au moins « une » personne humble, capable de demander pardon même lorsqu’elle ne se sent pas responsable du conflit – et elle ne l’est peut-être pas réellement. Elle fait le premier pas vers la réconciliation parce qu’elle a à cœur de reconstruire la « relation » malade, avant même que les responsabilités et les torts de chacune des parties prenantes ne soient reconnus. En effet, elle sait que c’est seulement après la reconstruction de la relation qu’il sera possible et nécessaire de reconstituer la trame de la responsabilité de chacun face aux faits qui se sont produits.
Prononcer ces « excuse-moi » et « pardonne-moi » est particulièrement difficile, donc très précieux, dans les rapports hiérarchiques. Dire humblement « excusez-moi » à l’un de nos responsables est très difficile : il est bien plus simple de se taire ou bien de le dire soit par peur, soit par opportunisme. Mais il est encore plus difficile pour un directeur de demander pardon à l’un de ses subordonnés, car aucun règlement de l’entreprise ni code éthique ne le lui impose. Et pourtant, quelques mots tels que « pardonnez-moi », prononcés par un chef d’entreprise à l’adresse de l’un de ses collaborateurs, confère une qualité éthique et humaine à tout le groupe de travail. De telles paroles créent un esprit de solidarité et même de fraternité au sein de l’équipe de travail : elle parvient à tout donner dans les moments de difficulté uniquement lorsque ses membres ont le sentiment de partager tous le même destin et d’être égaux, en faisant passer cela avant leurs différences de salaire et de responsabilité. Un « merci » et un « excusez-moi », prononcés avec sincérité et humilité par un chef d’entreprise, génèrent un plus grand esprit d’équipe que cent leçons de « team building » (formation d’un groupe de travail) qui, en l’absence de ces paroles profondes, finissent par trop ressembler aux jeux de nos enfants préadolescents. Or, l’humilité, à l’instar d’autres grandes paroles de la vie, nous rend plus forts et résistants en même temps qu’elle nous rend plus vulnérables. Remercier et demander pardon dans la vérité rend les chefs d’entreprise plus fragiles dans un monde qui a fait de l’invulnérabilité la valeur entre toutes. Cela revient à montrer une blessure, la nôtre et celle de l’autre, afin de la guérir. Hélas, le registre des relations au sein de l’entreprise, entièrement masculin, n’accorde aucune place ni signification à ces blessures. C’est ainsi qu’au lieu de guérir, elles restent cachées et s’infectent jusqu’à empoisonner tout le corps.
Le monde de l’entreprise en Occident souffre de graves lacunes chez les nouvelles classes dirigeantes, parce que cette culture de l’humilité, gommée par des pratiques et des idéologies inspirées de l’anti-humilité qui présentent l’humble comme un « perdant », nous fait cruellement défaut. La première leçon de management devrait porter sur l’humilité. De telles leçons ne sont données nulle part, en raison du manque de professeurs, et parce que l’humilité ne peut s’enseigner dans les écoles de commerce ; mais, surtout, si l’on commençait à faire l’éloge de l’humilité et de ses sœurs (la douceur, la miséricorde, la générosité…), toute la culture de la gestion d’entreprise et ses techniques s’en trouveraient complètement bouleversées. L’humilité apprend à suivre les autres. Un responsable qui n’a pas été formé à suivre les autres – n’importe quel autre, les pauvres, ce qu’il a de meilleur et de plus authentique en lui – ne sera jamais un bon guide, ni un vrai chef.
La valeur de toute une existence se mesure au degré d’humilité qu’elle est parvenue à générer. L’humilité est fondamentale pour vivre et résister lors des grandes épreuves. Quand la vie nous fait trébucher et que nous touchons la terre (humus), nous ne nous faisons pas trop mal et nous réussissons à nous relever si nous avons appris à connaître la terre et sommes devenus ses amis. Sans l’humilité, impossible d’atteindre l’excellence humaine, de bien apprendre un métier et de devenir vraiment adulte. Chaque cantique des créatures se conclut là-dessus.
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Régénérations / 3 – Une vertu que l'économie n'aime pas et qui est pourtant la clé de l'avenir.
Par Luigino Bruni
publié dans Avvenire le 09/08/2015
"Et quand je vois au ciel briller les étoiles, Je me dis en moi-même : À quoi bon tant de facelle? Que fait l’éther infini, et ce profond infini ciel serein ? Que veut dire cette solitude immense ? Et moi, qui suis-je ?"
Giacomo Leopardi, Canto notturno di un pastore errante dell’Asia
L’humilité est une de ces vertus que l’économie et les grandes entreprises n’aiment pas, alors qu’elles en ont un besoin vital. Notre culture, soumise à l’influence croissante des valeurs de l’entreprise, est incapable de voir la beauté et la valeur de l’humilité, qui se trouve ainsi « humiliée ».
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Par Luigino Bruni
publié dans Avvenire le 02/08/2015
"Il ne recueille pas le fruit de la vertu, celui qui veut exploiter la vertu."
Mahabharata, Livre sacré hindou
Les organisations ne peuvent disposer des vertus les plus importantes dont elles ont besoin. Elles sont sages celles qui acceptent « le triage » entre les vertus désirées et celles qu’elles obtiennent de leurs salariés ; elles apprennent ainsi à vivre avec l’inévitable indigence en qualités humaines fondamentales pour leur fonctionnement et leur croissance, sans chercher à les remplacer par des éléments plus simples.
[fulltext] =>La première des sagesses de toute institution consiste à reconnaître qu’elle n’a pas le contrôle de l’âme de ses membres ; toute vertu est avant tout une question d’âme. Quand il cette conscience est absente, ou quand elle est niée, les entreprises ou les organisations s’arrêtent sur le seuil du mystère du travailleur-personne, et elles font l’impossible pour combler le vide créé par le « triage ». Elles finissent alors par perdre ce qu’il y a de meilleur dans leurs employés. L’impressionnant effondrement de cette forme de sagesse institutionnelle est une des pauvretés les plus graves de notre époque, car elle se présente comme une forme de richesse et, au lieu d’être combattue, elle est au contraire alimentée.
Le triage entre les vertus exigées de leurs membres et celles qui sont disponibles, accompagne depuis toujours la vie associée, surtout en Occident. Toutes les bonnes institutions ont toujours été demandeuses de vertus. Les monastères, les gouvernements, et même les armées avaient un besoin vital des plus hautes vertus chez les hommes ; cependant, elles savaient que celles-ci ne pouvaient être obtenues sur ordre ou par la force : elles pouvaient seulement les accueillir comme un don libre des hommes et des femmes. La nouveauté, aujourd’hui, réside dans cette éclipse totale de cette antique conscience pleine de sagesse, surtout dans le monde des grandes entreprises qui croient avoir enfin inventé des instruments et des techniques leur permettant d’obtenir des travailleurs les vertus dont elles ont besoin – tout leur esprit, toutes leurs forces, tout leur cœur – sans avoir besoin ni de la force ni, encore moins, du don gratuit. Elles se retrouvent alors en possession de pseudo-vertus.
Cette destruction de masse des vertus a beaucoup à voir avec l’idéologie de la prime d’encouragement. La culture qui se pratique dans les grandes entreprises, en particulier au sommet de leurs hiérarchies, devient un culte perpétuel au dieu incitation, une véritable foi dont le dogme principal est la conviction qu’il est possible d’obtenir l’excellence des êtres en les rémunérant de façon adéquate. La méritocratie naît d’une alliance avec l’idéologie de la prime, parce que le mérite est reconnu en construisant un système de mesures incitatives toujours plus sophistiqué, fait sur mesure pour obtenir le maximum de chaque employé et, si possible, obtenir tout. On croit ainsi qu’en « alléchant » les travailleurs par des primes d’encouragement, ceux-ci pourront donner librement le meilleur d’eux-mêmes. N’oublions pas que les mots incitation, fascination et charmeur de serpents ont la même racine. En réalité, non seulement la prime incitative n’est pas un instrument approprié pour créer et développer les vertus, mais, en général, elle les détruit, car elle réduit la liberté des êtres de façon drastique. Le système des primes d’encouragement, en particulier celui de dernière génération, qui est construit autour de la « gestion des objectifs », se présente comme un contrat – et il l’est de fait – et donc, en tant que tel, comme une des plus hautes expressions de la « liberté des modernes ». Or il suffit de le regarder droit dans les yeux pour s’apercevoir aussitôt que la liberté offerte par la culture de la prime d’encouragement n’a rien à voir avec la liberté nécessaire au développement et au renforcement des vraies vertus des gens. La liberté offerte par la prime est une liberté auxiliaire, petite et fonctionnelle par rapport aux objectifs posés et imposés par la direction de l’entreprise. C’est une liberté mineure, qui ressemble à celle d’un merle à l’intérieur d’une volière, à celle des lions dans un zoo, même si, à la différence des animaux, nous croyons entrer librement dans les cages et les parcs naturels. En réalité nous y entrons parce que nous sommes pris sous le charme de la flûte ensorcelante (en latin incentivus signifie « ce qui donne le ton » et, par extension, flûte), et nous ne sortons plus de la cage.
Pour prendre un exemple, pensons à la loyauté. Peu de mots sont autant évoqués dans la culture de l’entreprise que celui de loyauté. C’est un mot-clef dans les entretiens de sélection du personnel, et on le retrouve dans tous les documents éthiques ; il constitue une partie essentielle du répertoire de l’employé idéal que toute entreprise souhaite avoir. La loyauté est la vertu qui nous rend capables d’être fidèles à une personne, à une institution, à une valeur, dans des situations où nos comportements représentent un coût élevé et ne sont pas observables. La loyauté ne peut être contractualisée. C’est une question d’état d’esprit, d’âme. Or nous savons qu’il existe dans tout contrat une hypothèse implicite de loyauté, que cependant nous ne pouvons acheter. Les contrats n’ont pas leur fondement en eux-mêmes, car ils ont besoin des pactes, et donc de la loyauté et de beaucoup d'autres vertus précontractuelles. Si les contrats viennent se substituer aux vertus, ils finissent par miner le terrain sous leurs pieds.Nous trouvons une grammaire fondamentale de la loyauté dans le magnifique épisode de Joseph et de l’épouse de Potiphar l’Égyptien. Un jour où Joseph « vint à la maison (…) sans qu’il s’y trouve aucun domestique », l’épouse de Potiphar « leva les yeux » sur lui et lui dit : « Couche avec moi » (Genèse 39). Joseph répondit : « Mon maître (...) ne m’a privé de rien sinon de toi (…) Comment pourrais-je faire un si grand mal (...) ? » Un choix loyal qui lui coûta la prison, quand la femme, se voyant refusée, l’accusa de l’avoir maltraitée.
Pour que la loyauté apparaisse, trois éléments sont donc nécessaires : un rapport de confiance risquée, un coût concret que la personne doit supporter en faisant ou en ne faisant pas quelque chose qui lui éviterait ce coût, et – troisième élément crucial – l’action loyale ne doit pas être observable. La valeur de la loyauté se mesure alors sur la base de ce que j’aurais pu faire et que, au contraire, je n’ai pas fait, pour être loyal.La loyauté est l’esprit des pactes et des promesses qui vivent des choix et des actes visibles, soutenus par des actes et des choix invisibles. Il y a des paroles non dites, des choses non faites, des secrets gardés par amour pour quelqu’un durant toute une vie, et qui génèrent, régénèrent et ne font pas mourir nos pactes, y compris ceux qui fondent la vie des entreprises et des institutions. Des paroles non dites et des choses non faites, dont personne ne nous dira jamais « merci » mais qui, souvent, donnent densité morale et dignité à nos relations et à toute notre existence.
On comprend alors que la vertu de la loyauté ne peut être renforcée, et encore moins créée, par des primes d’encouragement. La logique des primes, au contraire, décourage la loyauté justement parce qu’elle est encouragée et renforcée par des comportements visibles, contrôlables, contractuels.
Ici s’ouvre un nouveau scénario. Notre capacité de loyauté n’est pas un stock constant ; elle varie dans le temps, en fonction de la qualité de notre vie intérieure et des signaux relationnels qui nous parviennent des communautés dans lesquelles nous vivons. Mon choix d’être loyal, ici et maintenant, dépendra de mes récompenses morales intrinsèques mais aussi de ma perception que, dans telle entreprise ou telle communauté, il « vaut la peine » de supporter le prix de la loyauté, qui parfois peut être très élevé. L’entreprise ne peut créer de la loyauté – car c’est entièrement et uniquement un don libre de la personne –, mais elle peut mettre les personnes déjà loyales en condition d’exercer, là aussi, cette vertu.
C’est pourtant bien là que se révèle le mécanisme d’autodestruction de la loyauté et des autres vertus, produit par la logique des mesures incitatives. Les grandes entreprises et les banques ont un besoin croissant de contrôler les actions de leurs membres, de les prévoir, de les orienter vers leurs objectifs. Elles craignent, par-dessus tout, les zones d’action hors du contrôle de leur direction, les zones de limite et de proximité. Elles n’aiment pas les maisons « où il n’y a personne » pour contrôler, gérer, évaluer. Et la raison de cette peur et de cette méfiance est l’anthropologie pessimiste qui, au-delà des mots, est à la base de l’implantation des grandes institutions capitalistes. Les dirigeants et, encore avant, la propriété privée (et parfois même les syndicats), pensent plus ou moins consciemment que le travailleur est en général un opportuniste et qu’il doit donc être contrôlé. Dans les usines d’hier, ce contrôle était très sommaire et apparent. Avec le système incitatif, la forme a changé et s’est revêtue de liberté, mais en substance la culture du contrôle total s’est exacerbée, parce qu’elle atteint l’âme. C’est alors que les grandes organisations capitalistes réduisent systématiquement les espaces non observables d’action et de liberté. Elles réduisent donc aussi les conditions préalables, nécessaires pour que puissent s’exercer la loyauté et bien d’autres vertus qui, pour ne pas mourir, ont besoin de vraie liberté et de confiance risquée. On provoque ainsi la création radicale et progressive de « loyautés » contractuelles qui, étant observables et contrôlables, sont dépourvues de la partie la plus précieuse que possède la vertu de vraie loyauté. On se retrouve en présence d’institutions peuplées de vertus bonsaïs, toutes contrôlées et pouvant tenir sous les plafonds des entreprises. Or les bonsaïs ne portent pas de fruits, et s’ils en portent ils sont minuscules et non comestibles.
Tout cela produit un phénomène de grande importance. Ces « vertus », petites et gérables, fonctionnent assez bien dans les situations ordinaires de la vie des entreprises, mais elles rendent les organisations hautement vulnérables quand surviennent les grandes crises où il y aurait besoin de la loyauté et de l’âme véritable des travailleurs, malheureusement remplacées entre-temps par les mesures incitatives. L’idéologie des mesures incitatives, en éliminant les espaces incontrôlables de liberté et de confiance, réduit les petites vulnérabilités mais augmente terriblement les grandes vulnérabilités des entreprises, qui se trouvent alors privées des anticorps essentiels pour survivre en cas de maladies graves.
Les êtres humains sont beaucoup plus compliqués, plus complexes, plus riches et miséricordieux que ne le croient les institutions et les entreprises. Ils sont quelquefois pires, très souvent meilleurs, toujours différents. Nous nous retrouvons face à des sentiments et des émotions qui ne nous permettent pas d’être aussi efficaces que nous le devrions. Nous gaspillons des ressources infinies dans des demandes de reconnaissance et d’estime qui, nous le savons, ne seront jamais satisfaites par les réponses que nous obtenons.
Nous traversons des épreuves physiques et spirituelles, nous vivons des chocs émotionnels, affectifs, relationnels. Cependant, nous sommes aussi capables d’actions beaucoup plus dignes et plus nobles que celles que demandent les contrats et les règles. Et nous restons vivants et créatifs tant que les lieux de vie n’éteignent pas la lumière du cœur, en la réduisant à leur image et ressemblance et en effaçant le surcroît d’âme où réside notre salut et celui de nos entreprises.
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Par Luigino Bruni
publié dans Avvenire le 02/08/2015
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Mahabharata, Livre sacré hindou
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Par Luigino Bruni
Paru dans Avvenire le 26/07/2015
« Partout, dans le monde, les êtres humains désirent la même chose : être reconnus dans leur dignité pour ce qu’ils sont et ce qu’ils font. Les entreprises semblables à la nôtre se trouvent dans les conditions idéales pour satisfaire ce désir. »
(Robert H. Chapman).La culture des grandes entreprises occupe tout notre temps. Les catégories, le langage, les valeurs et les vertus des multinationales fabriquent et proposent une grammaire universelle, propre à décrire et à produire des histoires individuelles et collectives qui soient toutes "gagnantes". Ainsi donc, en quelques décennies, de lieu principal d’exploitation et d’aliénation qu’elle était, la grande entreprise est devenue icône d’excellence et d’épanouissement humain.
[fulltext] =>À notre époque, où les passions collectives qui subsistent du XXe siècle sont des passions tristes, comme la peur et le sentiment d’insécurité, et où les passions individuelles règnent en maître et s’opposent de plus en plus violemment, la culture produite et véhiculée par les entreprises est l’instrument rêvé pour incarner et potentialiser l’esprit du temps. En effet, aujourd’hui rien ne peut mieux que l’entreprise capitaliste exalter et développer les valeurs de l’individu et ses passions. C’est ainsi que le discours de l’entreprise, du business, et ses vertus, deviennent ceux de toute la vie sociale : dans la politique, dans la santé et à l’école.
Mérite, efficacité, compétition, leadership, innovation : tels sont désormais les seuls mots qui ont cours dans tous les domaines de la vie en commun. Faute d’autres lieux forts pouvant produire une autre culture et d’autres valeurs, les vertus des entreprises se présentent comme les seules dignes d’être reconnues et cultivées dès l’enfance. Les entreprises font souvent de bonnes choses, mais elles ne peuvent ni ne doivent être la source de toutes les valeurs sociales, ni celle du bien commun dans sa totalité. Pour que la vie vaille la peine, on a besoin de créer des valeurs différentes de la valeur économique ; il existe en effet d’autres valeurs qui ne sont pas celles des entreprises, et le bien commun dépasse le bien commun créé par le monde économique.
Tout cela, nous l’avons toujours su, mais nous sommes en train de l’oublier. La façon dont a été gérée la crise grecque et européenne, ces dernières semaines, et dont elle le sera au cours des semaines à venir, en est un signe éloquent. Cependant, même ce qui est en train de se produire dans le domaine de la santé, à l’école, dans le bénévolat et dans le monde de l’économie sociale, voire dans certains mouvements catholiques et dans certaines églises, nous indique que les vertus économiques sont en train de remplacer progressivement toutes les autres vertus (la douceur, la miséricorde…), auxquelles elles viennent se substituer, entre autres parce qu’elles sont présentées comme des vices par la culture de l’entreprise.D’autre part, nous devons prendre acte du fait que la « faute » de cet impressionnant réductionnisme n’incombe pas seulement, ni même peut-être principalement aux entreprises, aux sociétés internationales de conseil ou aux écoles de commerce – aux business schools – qui sont les vecteurs principaux de cette « monoculture ». Une grande part de responsabilité objective revient à la société civile, qui n’est plus capable de créer suffisamment de lieux extra-économiques pouvant susciter chez les jeunes et les adultes des vertus autres qu’économiques. L’école, par exemple, devrait constituer, avec la famille, le principal contrepoids à une culture des affaires. En effet, c’est précisément le rôle de l’école d’enseigner par-dessus tout, aux enfants et aux jeunes, les vertus non utilitaristes et non instrumentales qui ont une valeur, même si elles n’ont pas un prix – ou justement parce qu’elles n’en ont pas. Or, nous assistons au contraire, dans le monde entier, à une occupation de l’école par la logique et les valeurs de l’entreprise (mérite, primes, compétition...), une culture dans laquelle enseignants et étudiants sont formés et évalués à l’aune des valeurs des entreprises. Ce faisant, nous appliquons partout les notions d’efficacité, de récompenses et de mérite, y compris dans l’éducation de nos enfants et dans la gestion de nos amitiés. Il suffit de fréquenter les pays nordiques, où ce processus est plus avancé, pour s’apercevoir que c’est toute la vie communautaire, relationnelle et amicale qui se trouve ainsi transformée.
On ne comblera pas le déficit anthropologique, qui se manifeste aujourd’hui dans la vie économique et civile, en occupant avec les « nouvelles » vertus économiques le vide laissé par les « anciennes » vertus non économiques. On le comblera en suscitant et en faisant revivre les vertus, anciennes et nouvelles, qui dépassent le monde de l’économie et des affaires et qui permettront aux êtres de s’épanouir, au sein du monde du travail comme en dehors de celui-ci.
L'économie a toujours eu besoin de vertu, c’est-à-dire d’excellence (en grec : arété). Cependant, il y a encore quelques décennies, les usines et les lieux de travail utilisaient des patrimoines de vertus et de valeurs qui se formaient en dehors d’elles : dans la société civile, dans la politique, au sein des églises, dans les lieux de culte, dans les coopératives, les syndicats, les magasins, sur les mers, dans les campagnes, à l’école et, surtout, dans les familles. C’est dans ces lieux non économiques, régis par des principes et par des lois différentes de celles des entreprises et du marché, que se formaient et se remodelaient le caractère et les vertus des hommes qui, au sein des entreprises, transformaient leurs capitaux personnels en ressources de production, d’entreprise, de gestion et de travail. Sans oublier l’immense patrimoine que représentaient les femmes – mères, filles, épouses, sœurs, tantes, grands-mères – qui dans les maisons éduquaient, aimaient, soignaient, engendraient et réengendraient chaque jour grands et petits. Et, quand elles franchissaient les grilles des lieux de travail, elles faisaient entrer avec elles des figures féminines qui, pour être peu visibles, n’en étaient pas moins réelles ; elles apportaient et offraient aux entreprises des services de très haute valeur, y compris économique, à un coût zéro pour l’entreprise.En l’espace de deux ou trois décennies, nous avons commencé à épuiser ce stock séculaire de patrimoines éthiques, spirituels, civiques, alors que nous ne sommes pas encore capables d’en créer de nouveaux. Ainsi voit-on arriver dans les entreprises des personnes qui, en général, ont un patrimoine moral faible, sont fragiles et ne possèdent guère ces vertus si essentielles dans la vie professionnelle, dans le travail de groupe et, surtout, dans la gestion des rapports humains, des crises et des conflits. Les entreprises, pour continuer de produire richesse et profits, se sont alors équipées pour produire elles-mêmes les vertus dont elles ont un besoin vital. Quasiment aucune de ces vertus et de ces valeurs ne sont inédites : elles ne sont rien d’autre que la réélaboration et la réadaptation de pratiques anciennes, d’instruments et de principes réorientés – et c’est là le point-clef – en fonction des buts de l’entreprise postmoderne. Ceci nous met face à des défis décisifs, les plus importants, dont dépendra fortement la qualité de la vie économique, personnelle et sociale des prochaines décennies, sujet sur lequel nous nous pencherons au cours des prochains dimanches.
Hier, aujourd’hui et de tout temps, il existe des vertus essentielles à la bonne formation du caractère des êtres, et elles viennent avant les vertus de l’économie et de l’entreprise. La douceur, la loyauté, l’humilité, la miséricorde, la générosité et l’hospitalité sont des vertus qui précèdent l’économie et qui, lorsqu’elles sont présentes, permettent aux vertus économiques de fonctionner. On peut très bien vivre sans être efficace ni, surtout, compétitif ; en revanche, on vit très mal, et on meurt souvent sans avoir de générosité, sans espérance et sans douceur.Dans un monde préoccupé par les seules vertus économiques, comment répondons-nous à ces questions : « Que faisons-nous des non méritants ? » « Où vont les non excellents? » « Où mettons-nous les non doués ? » Nous ne sommes pas tous méritants au même titre ; nous ne sommes pas tous talentueux ; nous ne sommes pas tous faits pour « gagner » dans la compétition de la vie. Le marché et l’économie ont leurs propres réponses à ces questions. Sur les marchés, celui qui n’est pas compétitif est éliminé ; dans les entreprises à succès, « celui qui ne progresse pas est exclu du groupe ». Or, si le monde économique envahit toute la vie sociale, vers quoi « sortent » les perdants de la compétition, quel « ailleurs » accueille celui qui ne progresse pas ou qui progresse autrement et d’une manière qui ne compte pas pour les indicateurs de performance des entreprises ? Le seul scénario possible est alors la construction d’une « société du rebut ». Certes, nous restons des êtres dignes, même quand nous sommes ou devenons non méritants, inefficaces, non compétitifs ; mais cette dignité différente, la nouvelle culture de l’entreprise l’ignore.
Les vertus économiques et managériales des travailleurs ont besoin d’autres vertus, que les entreprises ne sont pas capables de créer. Les vertus économiques sont d’authentiques vertus, si elles sont accompagnées et précédées des vertus qui puisent dans la gratuité leur principe actif. C’est là que le grand projet de la culture des affaires, qui entend créer par elle-même les vertus dont elle a besoin pour atteindre ses objectifs, se heurte à une limite infranchissable. Les vertus, toutes les vertus, pour naître et s’épanouir, ont un besoin vital de liberté et de priorité par rapport aux objectifs posés par la direction de l’entreprise. Nous ne serons jamais d’excellents travailleurs si nous perdons de vue la valeur intrinsèque des choses, si nous ne nous libérons pas de l’esclavage du système des primes. Les vertus économiques des entreprises ne se changent pas en vices si, humblement, nous les faisons côtoyer par d’autres vertus qui les tempèrent et les humanisent. Si j’apprends à perdre du temps auprès de mes salariés, sans rechercher l’efficacité, alors seulement je peux espérer devenir un directeur vraiment efficace. Si je reconnais avec humilité que les talents les plus précieux que je possède ne sont pas le fruit de mon mérite, mais un pur don (en grec : charis), alors seulement je peux reconnaître mes vrais mérites et ceux des autres.
Les entreprises n’ont pas le pouvoir de construire le caractère des travailleurs : si elles le font, elles ne construisent pas des êtres libres et heureux, comme elles l’affirment et comme elles en ont peut-être l’intention : elles ne font que fabriquer de tristes instruments de production. Les entreprises peuvent seulement accueillir et consolider nos vertus, et non pas les détruire. Elles ne peuvent pas les fabriquer. Ainsi en est-il des arbres. Et ainsi en est-il dans la vie. C’est une des plus belles lois qui existent sur cette terre : les vertus s’épanouissent si elles sont plus grandes et plus libres que nos objectifs, même les plus nobles et les plus grands.Ici, à Vallombrosa, d’où j’écris ces lignes, une tempête a abattu près de vingt mille arbres, il y a quelques mois. Tandis qu’on travaille à enlever les troncs tombés à terre, que des moines vertueux avaient cultivés pendant des siècles, les services forestiers plantent de nouveaux arbres de différentes espèces, pour tenter de sauver la biodiversité de la forêt qui en naîtra.
Quand les forêts tombent, quelqu’un doit replanter des arbres. L’arbre de l’économie se développera comme il faut s’il pousse au milieu de tous les autres arbres de la forêt.
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Régénérations/1 – Les valeurs ne se fabriquent pas, et le défis doivent être compris
Par Luigino Bruni
Paru dans Avvenire le 26/07/2015
« Partout, dans le monde, les êtres humains désirent la même chose : être reconnus dans leur dignité pour ce qu’ils sont et ce qu’ils font. Les entreprises semblables à la nôtre se trouvent dans les conditions idéales pour satisfaire ce désir. »
(Robert H. Chapman).La culture des grandes entreprises occupe tout notre temps. Les catégories, le langage, les valeurs et les vertus des multinationales fabriquent et proposent une grammaire universelle, propre à décrire et à produire des histoires individuelles et collectives qui soient toutes "gagnantes". Ainsi donc, en quelques décennies, de lieu principal d’exploitation et d’aliénation qu’elle était, la grande entreprise est devenue icône d’excellence et d’épanouissement humain.
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