stdClass Object ( [id] => 19355 [title] => La plus belle fille de la gratuité [alias] => la-plus-belle-fille-de-la-gratuite [introtext] =>Racines de Futur/11 - Deux mondes trompeurs : le Pays des jouets et l'Île des abeilles industrieuses.
par Luigino Bruni
Publié dans Avvenire le 13/11/2022
« L'enfant est un artiste, c’est un amoureux de la vie. Et malheur aux amoureux qui murmurent contre l'objet de leur amour, malheur à ceux qui en montrent les aspects les moins beaux et les plus cruels. »
Vincenzina Battistelli, La moderna letteratura per l’infanzia, 1925
a réflexion sur Pinocchio termine cette série. Ce dernier article montre qu'un village ne suffit pas pour élever un enfant : il faut tout l'univers. Il approfondit aussi la question du travail des enfants et de la réciprocité.
Le monde des enfants et des adolescents nous offre une manière unique d’entrer en relation qui dépasse la nôtre. Les enfants, garçons et filles, sont capables de converser avec les insectes, les oiseaux, les arbres. C'est comme si, dans l’emballage de leur arrivée sur terre, ils étaient dotés d’un regard et d’une ouïe différents et plus profonds pour voir les choses et comprendre des langages qui s'effacent à l’âge adulte. Ce sont peut-être les sons et les mots de l'Adam d'avant Caïn, les voix et les images de cette terre promise que tout petits nous avons entrevue, puis oubliée, mais dont nous rêvons encore certaines nuits – car il nous plaît de rêver. C'est là que réside la racine de la véritable réciprocité entre adultes et enfants. Ils ont quelque chose de moins que nous, mais aussi quelque chose de plus, qui, si nous en tenons compte, nous protège d'un paternalisme déplacé et suscite l'un des plus beaux spectacles qui soit : une véritable fraternité entre grands et petits. François d'Assise a pu la ressentir avec tous les êtres vivants parce que, en raison de son amour fou de l'Évangile, il avait réussi par grâce à redevenir un enfant. Les amis de François aiment beaucoup Pinocchio, car ils voient en lui quelque chose du "bouffon de Dieu", de cette liberté que seuls les enfants possèdent en raison de leur âge ou grâce à l’Évangile.
[fulltext] =>Pinocchio parle aux merles et aux lucioles, aux grillons et aux poissons. Parmi ses expériences décisives de réciprocité, il y a celles avec le pigeon qui le porte sur son dos pendant mille kilomètres, ou avec le thon qui le sauve en mer. Le chien Alidoro, sauvé par Pinocchio alors qu'il risquait de se noyer, lui révèle un précieux secret : « Dans ce monde, un service accompli est rendu. » C'est la règle d'or fondamentale de la vie, la réciprocité, et c'est un chien qui la lui révèle puis la met en pratique : alors que Pinocchio était sur le point d'être frit dans la poêle du pêcheur vert (chapitre XXVIII), ce sera Alidoro qui s’emparera de lui et le sauvera. Pinocchio nous dit qu'un village ne suffit pas pour élever un enfant : il faut tout l'univers.
La société dans laquelle Pinocchio naît est très différente de la nôtre. Les familles et l'Église formaient les enfants et les jeunes à une idée très précise du monde. Les règles éducatives étaient claires et partagées, et Collodi pouvait donc les transgresser en prenant le parti de Pinocchio qui désobéissait et s'enfuyait de la maison. D'autre part, lorsque nous observons les enfants d'aujourd'hui, nous nous rendons immédiatement compte que l'une de leurs faiblesses est leur incapacité à désobéir en raison de l'absence de règles partagées et claires à contester. C'est la première expérience de nombreux enseignants. Si, toutefois, nous parvenons à dépasser cette première dimension, nous pouvons découvrir autre chose.
Après avoir tenté, en vain, de rejoindre Geppetto au milieu de la mer, Pinocchio nage jusqu'à l'Île des abeilles industrieuses (chapitre XXIV) : « Les rues grouillaient de gens qui allaient et venaient pour vaquer à leurs occupations : tout le monde travaillait, tout le monde avait quelque chose à faire. On n’y trouvait aucun vagabond ni personne qui ne soit affairé, pas même en cherchant à l’aide d’une lanterne.» Ce n'est pas un pays industriel : c'est un pays industrieux. Non pas une image du capitalisme naissant, mais celle d'une société frénétique privée de temps libre et d’oisiveté. L'utilisation de la métaphore de l'abeille était très courante pour désigner une société exemplaire. La "Fable des abeilles" du moraliste français Fénelon décrit un monde d’où « l'oisiveté et la paresse ont été bannies » et où « le mérite est le seul moyen de gravir l’échelle sociale. » (Les Abeilles, fin du XVIIe siècle). À la lecture de ce chapitre, la sympathie de Collodi-Pinocchio pour cette société fondée sur le travail et privée de temps libre ne transparaît pas - peut-être avait-il plus de sympathie pour la "fable des abeilles" de Mandeville et son éloge du vice. Mais la critique de Collodi ne s’adresse pas à la société des adultes, il s'intéresse à celle des enfants.
Pinocchio arrive sur l'île et s'exclame : « Je comprends - ce pays n'est pas pour moi ! » En réalité, c'est un endroit très semblable au Pays des jouets où il n'y a pas d'école (« Les vacances d'automne commencent le premier janvier et se terminent le dernier jour de décembre », chapitre XXX), mais seulement des jeux ; dans celui des abeilles industrieuses, il n'y a pas de temps libre, seulement du travail. Ce sont deux mondes différents et trompeurs. Il n'est pas vrai que les enfants ne veulent pas travailler. Ils veulent simplement "travailler" de temps en temps, à leur manière et dans leur propre monde.
« Que veux-tu faire quand tu seras grand ? » - demanda mon ami enseignant, Matteo, à un élève du cours moyen. « Me reposer », a-t-il répondu. Nos enfants sont surchargés de " travail " : école, devoirs, gym, musique, danse, piscine, catéchisme... Une gestion du temps qui laisse très peu de place au doux farniente dont le rôle est essentiel à cet âge. C'est au cours de ces temps libres, faits de longues heures passées à jouer, à parler à un jouet ou à un chat (un temps qui, aujourd'hui, doit aussi être libéré des smartphones), que se développent l'imagination, la créativité et la soif de réalités différentes. C'est un champ en friches où les enfants peuvent et doivent pâturer librement. J'ai été formé aux mathématiques et à la poésie, mais certains des rudiments les plus importantes, je les ai appris lors de courses interminables dans les prairies, au cours de longs étés passés à faire des barrages et des plongeons dans le torrent, à construire des cabanes dans les arbres. De longues heures sans père, ni mère, ni professeur, ni éducateur - et c’est dans mon beau « pays des jouets » que j'ai grandi. Nous, les adultes, nous pouvons vivre (ou plutôt survivre) sans Shabbat, mais tel n’est pas le cas des enfants dont l’âme meurt si elle est privée d’un septième jour différent.
Pinocchio a faim (il a toujours faim) : « Il ne lui restait que deux manières d’y remédier : soit demander du travail, soit mendier un sou ou un morceau de pain. » Mais « il avait honte de mendier », car Geppetto lui avait appris que « seuls les vieillards et les malades ont le droit de demander l’aumône…. Tous les autres sont obligés de travailler. » Il est plus qu’évident que ce monde n'est pas celui que Collodi aimait - il faut être très attentif pour identifier où se situent les pensées de l'auteur : elles ne se trouvent presque jamais dans la morale explicite de ses personnages. Dans le journal Il Fanfulla, Collodi écrivait en effet : « À Florence, la mendicité publique est sévèrement punie. Et c'est bien. Dans les pays civilisés, on ne demande pas l'aumône. Dans les pays très civilisés, non seulement on ne la demande pas, mais on ne la fait même pas. Et c'est précisément à cause de cette interdiction très stricte que l'on trouve toujours un mendiant dans chaque rue de Florence. » (1874)
La marionnette rencontre un premier passant : « Un homme, tout en sueur et affairé, tirait à grand-peine deux charrettes pleines de charbon. Pinocchio s'approcha de lui et, baissant les yeux de honte, lui dit à voix basse : - Voudriez-vous me faire la faveur de me donner un sou, car je me sens mourir de faim ? - Pas un seul, répondit le charbonnier, mais je t’en donnerai quatre, si tu m'aides à tirer ces deux charrettes de charbon chez moi. - Je m'étonne ! - répondit la marionnette presque offensée – sachez, cher monsieur, que je n'ai jamais été un âne. » Pinocchio demande, à mi-voix, la "charité", et l'homme lui propose un contrat. Pinocchio n'accepte pas. Il rencontre ensuite un maçon : « Viens avec moi pour transporter de la chaux, et au lieu d'un sou, je t'en donnerai cinq. » Ici, la somme est quintuplée, mais Pinocchio n'accepte pas les contrats des hommes et commence à mendier. Même dans ce cas, il ne suit pas les recommandations de son père et du monde des adultes, il transgresse : « En moins d'une demi-heure, vingt autres personnes passèrent, et à toutes Pinocchio demanda une modeste aumône, mais elles lui répondirent toutes : - Tu n'as pas honte ?... apprends à gagner ton propre pain ! » Pinocchio préférait la mendicité au travail, la honte au contrat. Le droit des enfants à la nourriture et aux biens ne découle pas d'une relation contractuelle (do ut des). Au contraire, notre devoir de les nourrir résulte uniquement et exclusivement du fait qu’ils sont des enfants. Ils n’ont pas à mériter leur pain. Pinocchio et les enfants n’entrent donc pas dans la logique du contrat, ce qui nous renvoie à une dimension de l’homme qui dépasse celle du mérite et du commerce : nous valons plus, beaucoup plus. Et en cela, les enfants ressemblent beaucoup à Dieu, et Dieu leur ressemble.
Au terme de son séjour sur l'île, Pinocchio finit par accepter un travail : « Enfin, une brave petite femme passa, portant deux cruches d'eau. – Êtes-vous contente, ma bonne dame, si je prenne une gorgée d'eau de votre cruche ? – lui demanda Pinocchio qui mourait de soif. – Bois donc, mon enfant ! » Le dialogue avec cette femme commence par un cadeau. Une femme, qui se révélera plus tard être sa fée, répond à la première demande de Pinocchio, un verre d'eau, par un "oui" inconditionnel : elle n’exige rien en échange de l'eau, elle la lui donne.
Avec les enfants, la bonne réciprocité n'est que celle suscitée par le don, c’est la plus belle fille de la gratuité. Pinocchio poursuit : « J’ai étanché ma soif ! Si seulement je pouvais apaiser ma faim ! - Si tu m'aides à ramener une de ces cruches d'eau à la maison, je te donnerai un bon morceau de pain. - Pinocchio regarda la cruche sans répondre oui ni non. » Ici, le discours de la femme ressemble aux dialogues qu’il a eus précédemment avec les hommes. Et Pinocchio refuse une fois de plus. Mais voici l’élément décisif : « Et avec le pain, je te donnerai un bon plat de chou assaisonné d'huile et de vinaigre... Et après le chou-fleur, je t’offrirai une confiserie fine à la liqueur de "rosolio". » Cette femme s’écarte d’un échange de services équivalents. La réciprocité des enfants naît d'une surabondance démesurée. L'échange contractuel des adultes est insuffisant pour eux : « Pinocchio ne put résister à l’idée de cette dernière gourmandise. »
Chez les enfants la réciprocité débute avec un cadeau et se prolonge dans la profusion. C'est ainsi que, le moment venu, ils apprendront correctement l'art d’une réciprocité différente et nécessaire, celle des contrats.
Le chef-d'œuvre de Collodi conclut cette série "Racines de futur" et nos dialogues avec quelques grands auteurs - j'espère les reprendre à l'avenir. Dès dimanche prochain, je reviendrai aux commentaires bibliques avec le livre d'Esther. Et chaque fois que s’achève un de mes voyage sur "Avvenire", mes premiers remerciements vont à son Directeur, le premier compagnon et protagoniste de mes parcours toujours nouveaux, qui s’inscrivent chaque fois dans les blessures et les joies de notre époque – un temps très difficile et terrible, mais toujours merveilleux, parce que c'est le seul que nous avons pour aimer.
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par Luigino Bruni
Publié dans Avvenire le 06/11/2022
L'argent est une denrée délicate, mauvaise pour les enfants. Collodi le sait, et nous le rappelle dans les splendides et éternelles pages de Pinocchio sur l’économie.
L'argent et les enfants vivent dans des mondes différents. Le contact entre eux est toujours risqué, souvent nuisible. Le seul bon sac à main pour les enfants est celui de leur mère et de leur père. La règle (nomos) dans leur maison (oikos) est le don, pas le contrat ni la récompense. Lorsqu'ils ont besoin d'argent, ils le demandent à leurs parents, et c'est dans le cadre de cette relation gratuite qu'ils apprennent l'abécédaire de l'économie. La dépendance économique à l'égard des parents est une bonne chose, car leur premier contact avec l'argent dans ce contexte de gratuité et d’amour crée les conditions éthiques préalables pour que plus tard ils donnent aux contrats et au travail leur juste valeur. À l'intérieur du foyer, ils apprennent que l'argent provient du travail de leurs parents, qui passent beaucoup de temps à l'extérieur pour gagner cet argent qui leur permet de bien vivre.
[fulltext] =>C'est cette première gratuité domestique qui donne leur juste mesure à l'argent, au travail, à l'économie. L'argent de poche à gérer et à administrer de manière autonome, en revanche, crée un contexte commercial semblable au "petit commerçant" (Garoffi) du livre Cuore, plus proche du "petit homme précoce", Gigino, de Collodi (Storie allegre). En effet, lorsque nous commençons à utiliser l'argent à l'intérieur du foyer comme une récompense et à le dissocier de la logique du don en en faisant un moyen de motiver les enfants, nous dénaturons la famille et l'argent. Le pourboire devient la "raison" pour laquelle une fille fait la vaisselle et peut-être ses devoirs, et l'argent érode la grande loi de l'éducation : les actions bonnes et justes ne devraient être faites que parce qu'elles sont bonnes et justes, et non pour des raisons financières. En revanche lorsqu’on n'apprend pas l'éthique de la gratuité en famille, il sera difficile d'apprendre un jour la logique différente et complémentaire du contrat. Si les jeunes d'aujourd'hui n’entretiennent pas une bonne relation avec le monde du travail, c'est en partie parce que la logique économique entre trop tôt dans les familles, grâce au cheval de Troie de la responsabilité.
Les problèmes de Pinocchio commencent avec l'argent. Geppetto vient de vendre son manteau pour pouvoir lui acheter un manuel de lecture - le travail des parents est de rester en bras de chemise pour que leurs enfants puissent étudier : je l'ai vu et je le vois aussi dans ma propre famille. Pinocchio (ch. IX), séduit par l'appel du joueur de cornemuse (il est intéressant de noter que le mot "incentivo" vient du latin incentivus : la flûte qui accorde et enchante), abandonne son intention d'aller à l'école et décide d'entrer au "grand théâtre de marionnettes". Il demande à un camarade : « Combien ça coûte pour entrer ? » Pinocchio connaît également la loi fondamentale de la vie en dehors de la maison : si tu veux obtenir quelque chose de quelqu'un, tu dois lui offrir quelque chose en retour. Il s’y adapte, il l’accepte et tente d'obtenir les "quatre sous". Il essaie d'abord le troc : il offre en vain à l’enfant sa veste en papier à fleurs, puis ses chaussures, sa casquette en mie de pain. Finalement, il lui offre son objet le plus précieux : « Me donnerais-tu quatre sous en échange de ce livre de lecture ? » Et voici la réponse décisive du petit garçon : « Je suis un enfant, et je n'achète rien aux enfants », un petit garçon, commente Collodi, qui « avait un meilleur jugement que lui. » Les enfants ne font pas de contrats, ils n'ont pas besoin d'acheter quelque chose contre de l'argent. Mais c'est là que tout bascule : « Pour quatre sous, je prends ce livre d'orthographe », s'écrie un marchand de vêtements d'occasion. Entre en scène un adulte, un dealer, un professionnel de l'argent, qui fait un geste illicite et établit une relation trompeuse avec l’enfant. Il faut protéger les enfants des "marchands de vêtements d'occasion" ; il faut chasser les marchands du temple des enfants, car ils ont droit à une autre oikonomia où la seule monnaie est la gratuité.
Grâce à ces quatre sous mal employés, Pinocchio entre dans la cour de Mangiafoco. Nous connaissons l'histoire. Elle se termine encore avec une histoire d'argent : les fameuses "cinq pièces d'or" (chapitre XII), qui sont à l'origine de nombreuses mésaventures de Pinocchio. Ce deuxième épisode à caractère financier est cependant différent, apparemment opposé. Mangiafoco ne fait pas de commerce avec la marionnette, il lui donne, ou plutôt, il lui fait cadeau des cinq pièces d'or – regalo (= don) vient du mot latin rex, regis qui signifie roi et signale une origine asymétrique : le don est fait par ou à des puissants. Mais là encore, l'argent venant d’un adulte n’est pas bénéfique pour l’enfant. Une bonne motivation (comme semble l'être celle de Mangiafoco) ne suffit pas à faire de l'argent une bonne chose pour l’enfant. Le don n'est pas bon non plus s'il n'a pas lieu dans le cadre de relations primaires, s'il n'est donc pas médiatisé par la famille. L'argent qui revient directement aux enfants sans cette médiation familiale se dégrade.
C'est la possession des pièces d’or qui expose en fait Pinocchio aux abus du chat et du renard. En les rencontrant sur la route, Pinocchio leur dit : « Je suis devenu un grand seigneur ». Il exagérait peut-être, mais au XIXe siècle, en Toscane, avec cinq pièces d'or, on pouvait acheter environ cinq quintaux de blé. Ce n'était pas un grand seigneur, mais il maniait certainement trop d'argent. L’enfant, naïvement, en parle avec deux inconnus, deux adultes. Cette sincérité et cette confiance dans les adultes font partie de la beauté éphémère et stupéfiante des enfants et des jeunes, mais elles les exposent également à leurs premières expériences de vulnérabilité : « Et il sortit les pièces de monnaie qu'il avait reçues en cadeau de Mangiafoco. » Comme un cadeau, en effet. Pour Collodi, cette tromperie du chat et du renard est si grave que dans la première version du conte, elle conduit finalement Pinocchio à la mort (chapitre XV) ; comprenons par là que pour un enfant se tromper dans le rapport à l'argent est vital, c'est une question de vie ou de mort.
« Ou la bourse ou la vie", lui crient ses assassins - malheur aux enfants confrontés à ce dilemme, car c'est toujours leur vie qu’ils perdent. Collodi, pour bâtir le dialogue manipulateur du chat et du renard, utilise le registre du don et de l'altruisme : "Les cinq cents pièces d’or qui restent, je vous les donnerai en cadeau", dit Pinocchio. « Un cadeau pour nous ? cria le renard indigné et offensé - Dieu nous en préserve !... Nous ne travaillons pas pour de bas intérêts mais pour enrichir les autres" (Chapitre XII). Et alors Pinocchio dit au chat : « Si tous les chats te ressemblaient, les souris auraient de la chance » (chapitre XVIII). Mais il y a plus. Dans l'épisode important où Pinocchio prend la place du chien de garde Melampo, la marionnette reconnaît quelque chose d'erroné dans la proposition de corruption que lui font les martres (tu te tais, tu n'aboies pas, et nous te donnerons comme pot-de-vin une poule " belle et bien plumée pour ton petit déjeuner de demain " : chapitre XXII), et il les dénonce au fermier. Mais comme les martres utilisent le langage de l'échange et de l'intérêt, la marionnette découvre le méfait. Le chat et le renard, en revanche, plus rusés et experts en humanité, utilisent le langage du don et de la gratuité : ils le "tuent". Il n'y a rien de plus grave pour un adulte que de manipuler le langage de la gratuité pour tromper un enfant (et tout le monde).
Les chats et les renards savent que les enfants vivent sur le registre du don, c'est leur langue maternelle, et donc ils engagent des propos mortifères en utilisant le registre de la générosité. Ici, Collodi se montre également fin connaisseur du débat sur le rôle de l'égoïsme et de l'altruisme dans l'économie moderne, et peut-être avait-il en tête la célèbre phrase d'Adam Smith : « Je n'ai jamais rien vu de bon fait par ceux qui prétendaient faire du commerce pour le bien commun. » (La richesse des nations, 1776). De manière plus générale, un signe qui révèle souvent la présence de "d’assassins" dans une relation économique est leur prétention à ne travailler que pour enrichir les autres, sans aucun intérêt personnel. Pinocchio ne pouvait pas savoir qu’une économie saine et bonne se nourrit d’avantages bien répartis, et que l'absence d'intérêts chez l'une ou l'autre des parties est un signe de vice, de tromperie certaine lorsqu'elle est théorisée par la partie qui n'aurait aucun intérêt dans l'échange. Nous devrions pourtant le savoir.
Il est intéressant de noter que le chat et le renard sont déjà présents dans un roman du jeune Carlo Lorenzini (qui prendra le nom de Collodi), Les secrets de Florence. Le chapitre II, "Deux oiseaux de proie", nous présente le comte Calami et la comtesse Floriani aux prises avec leurs victimes : « Il faut plumer la caille avec un peu d'humanité", dit le comte. « Celle-ci consiste à ne pas la faire hurler - dit la comtesse - dont les yeux brillaient sinistrement comme ceux d'un chat sauvage. » (Carlo Lorenzini, I misteri di Firenze, p. 33). Le milieu dans lequel évoluent les deux " oiseaux de proie " (expression que l'on retrouve dans Acchiappacitrulli : ch. XVIII) est celui du jeu. Le marquis Stanislao Teodori est surpris par eux dans les tripots et se ruine au jeu : « Je l'ai vu venir à la table avec vingt pièces de "pauli" dans sa poche et parier un "demi-paulo" à la fois. Allons-nous le jouer sur sa parole ? » (p. 34) Dans Giannettino, le livre pour enfants de Collodi qui précède Pinocchio de quelques années, nous trouvons au centre du livre la scène où Giannettino joue aux dés avec l'argent que sa mère lui avait donné pour acheter l'atlas : « Le plus vulgaire de la brigade dit : "Je propose une chose : jouons entre nous à qui doit payer le dîner pour tous ? " "Oui, oui, sortez les dés !" s'écrièrent les autres... "Eh bien jouons les cinq lires !" dit Giannettino. Il les a jouées et les a perdues. » (Collodi, Giannettino, p. 238).
Collodi était probablement un "joueur". Il semble qu'il ait repris l'écriture de la seconde partie de Pinocchio pour payer des dettes de cette nature : « Ses paris suivaient un peu les hauts et les bas de sa bourse ; et lorsque, sortant à l'aube du tripot du Palazzo Davanzati, il entendait le tintement des pièces de monnaie dans ses poches, il haussait les épaules et ne parlait de reprendre la plume que lorsqu'il se sentait plus léger. » (M. Parenti, Rassegna Lucchese, 1952). Si, en effet, on lit les chapitres consacrés au chat et au renard, on y trouve davantage l’ambiance des jeux de hasard que celle des préoccupations économiques de l’époque : « Toi tu veux avec cinq misérables pièces d’or en faire cent, mille, deux mille. » (Chap. XII) La logique qui consiste à gagner beaucoup d'argent sans faire aucun effort – « pour réunir honnêtement un peu d'argent, il faut savoir le gagner soit par le travail de ses mains, soit par l'ingéniosité de sa tête », rappelle Pinocchio au grand perroquet (chap. XIX) – c’était et cela reste la grande illusion, (suivie d’une désillusion) des jeux de hasard, auxquels une certaine finance d’aujourd’hui ressemble trop. Il y a beaucoup de Collodi dans Pinocchio. Pinocchio, c'est aussi cet homme, Carlo Lorenzini, qui a cherché sa propre rédemption en nous offrant une merveilleuse histoire. L'art est également capable de cela, il transforme notre boue en beauté pour les autres. Les chefs-d'œuvre ont besoin de fragilité, de cette fissure de l'âme à partir de laquelle les artistes, lors d’un jour plus lumineux, aperçoivent le paradis.
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par Luigino Bruni
Publié dans Avvenire le 06/11/2022
L'argent est une denrée délicate, mauvaise pour les enfants. Collodi le sait, et nous le rappelle dans les splendides et éternelles pages de Pinocchio sur l’économie.
L'argent et les enfants vivent dans des mondes différents. Le contact entre eux est toujours risqué, souvent nuisible. Le seul bon sac à main pour les enfants est celui de leur mère et de leur père. La règle (nomos) dans leur maison (oikos) est le don, pas le contrat ni la récompense. Lorsqu'ils ont besoin d'argent, ils le demandent à leurs parents, et c'est dans le cadre de cette relation gratuite qu'ils apprennent l'abécédaire de l'économie. La dépendance économique à l'égard des parents est une bonne chose, car leur premier contact avec l'argent dans ce contexte de gratuité et d’amour crée les conditions éthiques préalables pour que plus tard ils donnent aux contrats et au travail leur juste valeur. À l'intérieur du foyer, ils apprennent que l'argent provient du travail de leurs parents, qui passent beaucoup de temps à l'extérieur pour gagner cet argent qui leur permet de bien vivre.
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par Luigino Bruni
Publié dans Avvenire le 30/10/2022
"Pinocchio" est un livre sur la liberté essentielle des enfants et sur les adultes qui tentent de la nier. Et il nous rappelle que travailler dur ne garantit pas que nous échapperons à la misère.
Les enfants ne mettent pas leurs pères sur leurs épaules ; au contraire, les épaules de leurs pères sont leur lieu préféré pour observer le vaste monde et rester à l'écart de l'argent et du travail.
Dans les quelques véritables grandes œuvres romanesques, les personnages s'affranchissent des mains de leur auteur et commencent à vivre une existence libre. Dans les romans plus ordinaires, l'auteur est le dieu de ses créatures, c’est l'artisan de ses marionnettes qui, inertes, exécutent parfaitement les ordres de ses doigts. Ces personnages-marionnettes n'apprennent rien à leur auteur et ne nous apprennent donc pas grand-chose non plus, car les conclusions du récit sont déjà inscrites dans ses intentions. Dans les chefs d’œuvre, en revanche, le personnage, une fois mis au monde, quitte le livre, quitte sa maison, commence à courir librement et fait des choses que son auteur n'a ni prévues ni pensées. Ici, l'auteur prête sa plume à son génie créateur et ses différentes créatures vivent, grandissent, meurent et ressuscitent plusieurs fois. Elles ressuscitent aussi leur auteur, rappelé à la vie par ce cri : « Sors de là ! »
[fulltext] =>Les Aventures de Pinocchio est l'un de ces grands livres, mort et ressuscité de nombreuses fois. Pinocchio est l'un de ces personnages libérés, devenu plus grand que son auteur. Dans Pinocchio, il y a beaucoup de Carlo Collodi, mais il n'y a pas que lui. En effet, l’expérience que Collodi fait vivre à Geppetto - il est incapable de garder chez lui la marionnette qu'il vient de créer, elle lui donne des coups de pied, s'enfuit, fait des choses que son créateur n'a ni imaginées ni voulues - il l'a lui-même vécu avec son livre. La marionnette a échappé aux mains du marionnettiste. La vertu de Collodi, cependant, est d'avoir voulu que ses personnages soient différents de lui. Ainsi, il écrit dans la note d’introduction de Occhi e Nasi (Des yeux et des nez), un livre de nouvelles publié en 1881, quelques mois seulement avant le premier épisode de Pinocchio : « Je l'ai intitulé ainsi, Des yeux et des nez, pour faire comprendre qu'il ne s'agit pas d'une exposition de figurines entières... c’est au lecteur de les finir lui-même. » C'est dans ce « vide » entre Pinocchio et Collodi qu'est né le chef-d'œuvre, et cet espace libre et libéré a suscité les interprétations les plus diverses, y compris les plus audacieuses, qui y ont vu une sorte de version laïque de l'histoire chrétienne du salut (Biffi et Nembrini). La qualité d'une œuvre d'art se mesure aussi à sa capacité à dire des choses que l'auteur ne pensait pas, ne voulait pas, voire détestait.
J'ai rencontré Pinocchio plusieurs fois dans ma vie. Ma dernière lecture a frappé et ému l’adulte que je suis. Je me suis rendu compte que Pinocchio est avant tout un très beau livre. Puis j'ai aussi réalisé que Les Aventures de Pinocchio sont essentiellement un livre sur la liberté, sur la vie perçue comme une aventure, en particulier sur la liberté des enfants, qui leur est si nécessaire, mais pourtant refusée par le monde des adultes. Geppetto sculpte son morceau de bois avec l'intention explicite d'en faire une marionnette, mais très vite, à un certain moment, il commence à l'appeler "mon fils". Le tout premier message du livre est donc clair et déstabilisant : dans cette société italienne du milieu du XIXe siècle, qui tentait de "fabriquer des Italiens" sur le modèle pédagogique des Lumières et de la Raison, les enfants étaient traités comme des marionnettes : des pièces de bois à l’écorce dure et sauvage qui, grâce à l'éducation, deviendraient un jour de bons citoyens. Pinocchio s'échappe d'un monde de pères et d'enseignants qui tentent, avec beaucoup de sacrifices et d'engagement, de construire avec ténacité des enfants-marionnettes, de redresser ce "bois tordu" (Qoelet 1, 15) par l'éducation et les règles. Mais Pinocchio résiste extraordinairement à l'éducation des adultes et vit sa liberté de manière sauvage, irresponsable, naïve, risquée, imprudente et merveilleuse. Dans une société qui façonnait les nouveaux Italiens comme les artisans construisent des meubles ("pour en faire un pied de table"), Collodi a écrit un livre sur la résistance des enfants à l'action éducative de la société. Pinocchio ne veut pas aller à l'école, et encore moins travailler, alors il court et s'échappe des seuls endroits où devrait se trouver un enfant sage ; il apprend la vie sur la route (il y a ici une véritable analogie avec l'humanisme biblique), où il fait des expériences extraordinaires, où il apprend l’art de vivre - Pinocchio a quatre pieds (deux brûlés et deux reconstruits) mais pas d'oreilles : « Dans son engouement à le sculpter, il avait oublié de les lui faire. »
Pinocchio est alors un hymne merveilleux et tenace à la liberté des enfants et donc aussi un chant à la paternité comprise comme une douloureuse et nécessaire perte de contrôle sur les enfants, qui doivent s’en aller de chez eux pour ne pas devenir des marionnettes. Pinocchio est alors la lutte continuelle entre l’enfant et la marionnette. Pinocchio ne dit donc pas à ses lecteurs : « Allez les enfants, rentrez chez vous, restez tranquilles et sages ! », mais plutôt le contraire : « Restez des enfants tant que vous le pouvez, résistez et échappez aux adultes qui veulent vous priver de votre irréductible liberté : votre bois tordu est beau. » « Qui a effacé les enfants de la surface de la terre ? » (Des yeux et des nez) Nous lisons donc Pinocchio sans préjugés et nous nous rendons compte qu’il fuit constamment la place que les adultes - Geppetto, Mangiafoco, la fée... - lui avait réservée dans ce monde.
La critique sarcastique de Collodi sur les hypocrisies de son monde néo-bourgeois atteint son apogée avec Pinocchio, "una bambinata", comme il l'appelait, un conte pour enfants, donc exempt de toute réflexion philosophique et pédagogique prudente - les livres pour enfants ont la particularité de libérer même leurs auteurs des vertus de leurs essais et romans sérieux, car en écrivant pour le monde enchanté des enfants, ils parviennent, de temps à autre, à redevenir libres. Et c'est ainsi que la critique a dépassé le critique, et qu'est né ce chef-d'œuvre qui nous aime depuis cent quarante ans.
Dans une société qui mettait l'accent sur la nature sociable de l'homme, Pinocchio est alors un garçon solitaire : ses amis sont des animaux (et ils sont merveilleux), des marionnettes, Lucignolo, avec qui il n’engage pas d’activités sociales, ne réalise pas d'actions collectives. C'est un être terriblement solitaire, même dans les moments décisifs de son histoire, y compris sa mort (pendu) dans ce qui devait être la fin de la première version de l'histoire (ch. 15) : « Oh mon père, si tu étais là », mais son père n'était pas là - et l’absence de son père est la différence décisive entre la mort de Jésus et celle de Pinocchio. Il nous rappelle ainsi que les enfants sont beaucoup plus seuls que les adultes ne le croient généralement.
Dans le monde de Collodi, il y avait des enfants et des hommes, il n'y avait pas d’espace intermédiaire. Pinocchio n'est plus un enfant, mais il n'est pas encore un adulte : « Pour être adulte, il lui manque quelque chose, et pour être un enfant il y a quelque chose de plus que le besoin » (Des yeux et des nez) Pinocchio a inventé l'adolescence, qui est l'âge des échappées et des fuites en avant, où l'on rentre chez soi heureux pour en repartir ensuite encore plus heureux. La proximité entre Pinocchio et le "fils prodigue" de l'Évangile de Luc se trouve dans le départ de la maison paternelle et non dans le retour, ou dans le "frère cadet" littéraire du fils prodigue (d'André Gide) qui, le soir du banquet pour fêter son retour, met ses chaussures, dit au revoir à son frère qui vient de rentrer et part à la recherche de la liberté que son frère n'a pas réussi à conquérir. Collodi est entièrement du côté de Pinocchio, et il l'est toujours, même lors de ses nombreuses espiègleries, car céder à la tentation est un trait constitutif de l'adolescence : quel garçon n'aurait pas suivi Lucignolo au Pays des jouets ? On devient adulte non pas tant en résistant à la tentation qu'en apprenant de ses erreurs, puis en se remettant sur les rails - résister aux tentations, après les avoir appelées par leur nom, est au contraire le propre de la vie adulte. Dans Pinocchio, nous avons ensuite l'imbrication, non résolue et pour cette raison toujours vitale, entre l'Ulysse d'Homère et l'Ulysse de Dante, c'est-à-dire entre la nostalgie du retour à la maison et l'envie irrépressible de la quitter dès qu’on y est ; et chez le florentin qu’est Collodi, Dante l'emporte sur Homère. Pinocchio court toujours, et nous qui le regardons nous n'avons pas envie de lui dire : "Reviens à la maison", mais : "Poursuis ta course en toute liberté".
Dans Pinocchio, l'économie est très importante. Collodi était un observateur attentif et très critique de l'idéologie selon laquelle le travail (peut-être dans les usines) était la solution à la misère de masse de l'ère industrielle et au vagabondage des enfants, une société où les pauvres finissaient trop souvent en prison. On peut lire dans la nouvelle "L’enfant de la rue" (Des yeux et des nez): « L'homme qui travaille n'est pas fait à l'image et à la ressemblance de Dieu, car Dieu a travaillé sept [six] jours seulement, et il y a maintenant six mille ans qu'il se repose. »
Sans la pauvreté, la faim, le travail, l'argent, on ne peut saisir l'essence des aventures de Pinocchio - et c’est pourquoi le Pinocchio de Disney (1940), filmé dans un beau village nordique où la pauvreté est absente, trahit notre auteur. Mais le nom du personnage principal en dit déjà long : « Je veux l'appeler Pinocchio. Ce nom lui portera chance. Je connaissais une famille entière de Pinocchios : Pinocchio le père, Pinocchia la mère et Pinocchi les enfants, et ils se débrouillaient tous bien. Le plus riche d'entre eux mendiait. » La maison de Geppetto est une icône de la pauvreté absolue, où le feu et la marmite sont seulement peints sur le mur. Pinocchio a toujours faim, il cherche toujours de la nourriture et en trouve rarement. Sans la pauvreté et la faim, on ne peut même pas comprendre le sens du travail et le travail dans Pinocchio : « Quel métier fait ton père ? - lui demande Mangiafoco - Le pauvre » répond Pinocchio. Geppetto travaillait, mais c'était un homme pauvre : travailler ne le libérait pas de la pauvreté ni de la faim. Contrairement à l'idéologie de son époque (et de la nôtre), qui pensait et pense encore que le travail pourrait vaincre la pauvreté et la faim, Geppetto travaille mais est foncièrement pauvre. Collodi savait qu'il ne suffit pas de travailler pour ne pas être pauvre, et la réalité de ces années nous le rappelle avec force, même si nous continuons à invoquer un travail abstrait pour condamner comme maudits des pauvres qui le sont réellement.
Pinocchio a un très mauvais rapport à l'argent, il est à l'origine des pages malheureuses de son histoire - nous le verrons au cours des semaines à venir. Il ne travaille pas et ne veut pas travailler. Il ne se mettra au travail qu'à la fin, lorsque, nouvel Énée, il aura sauvé son père du requin en le mettant sur son dos. Il travaillera parce qu'il n’est plus un enfant. Les enfants ne mettent pas leur père sur leurs épaules ; au contraire, les épaules de leur père sont l’endroit qu’ils préfèrent pour contempler le vaste monde et se préparer à prendre leur envol en toute liberté.
Et surtout, ils doivent se tenir à l'écart de l'argent et du travail, et lorsque les adultes les leur proposent, ils doivent simplement s’échapper, courir, et ne jamais s'arrêter.
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par Luigino Bruni
Publié dans Avvenire le 30/10/2022
"Pinocchio" est un livre sur la liberté essentielle des enfants et sur les adultes qui tentent de la nier. Et il nous rappelle que travailler dur ne garantit pas que nous échapperons à la misère.
Les enfants ne mettent pas leurs pères sur leurs épaules ; au contraire, les épaules de leurs pères sont leur lieu préféré pour observer le vaste monde et rester à l'écart de l'argent et du travail.
Dans les quelques véritables grandes œuvres romanesques, les personnages s'affranchissent des mains de leur auteur et commencent à vivre une existence libre. Dans les romans plus ordinaires, l'auteur est le dieu de ses créatures, c’est l'artisan de ses marionnettes qui, inertes, exécutent parfaitement les ordres de ses doigts. Ces personnages-marionnettes n'apprennent rien à leur auteur et ne nous apprennent donc pas grand-chose non plus, car les conclusions du récit sont déjà inscrites dans ses intentions. Dans les chefs d’œuvre, en revanche, le personnage, une fois mis au monde, quitte le livre, quitte sa maison, commence à courir librement et fait des choses que son auteur n'a ni prévues ni pensées. Ici, l'auteur prête sa plume à son génie créateur et ses différentes créatures vivent, grandissent, meurent et ressuscitent plusieurs fois. Elles ressuscitent aussi leur auteur, rappelé à la vie par ce cri : « Sors de là ! »
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par Luigino Bruni
Publié dans Avvenire 23/10/2022
Le livre Cuore (Cœur) est une réflexion sur l'école et le travail, qui nous livre des observations surprenantes et magnifiques sur le sens que ces deux réalités revêtent encore aujourd'hui aux yeux des enfants et dans la vie des adultes.
De Amicis est capable de nous offrir en une seule phrase la quintessence d'un océan de sagesse : « Les pauvres apprécient l’aumône de la part des enfants parce qu'elle ne les humilie pas, et parce que les enfants, qui ont besoin de tout le monde, leur ressemblent. »
"Cœur" est un livre sur l'école, mais non pas sur le mérite. L'école, toute l'école, n'a jamais été fondée sur le mérite. Si nous l'observons de loin et en surface, nous voyons des évaluations, quelques échecs, et nous pensons qu’elle ressemble à une entreprise : les notes y tiennent lieu de salaire, les résultats scolaires de progression de carrière. Mais c'est une vision trop lointaine et donc erronée de l'école (et de l'entreprise). L'idéologie méritocratique qui tente également d'occuper avec succès les écoles repose sur le dogme selon lequel les talents sont des mérites et que, par conséquent, ceux qui ont plus de talent devraient être davantage récompensés. Mais nous savons tous que ce dogme est un piège, ou du moins une illusion, pour la société et encore plus pour l’école. Parce que les talents sont des dons, et que notre performance dans la vie dépend de talents que nous avons reçus en cadeau, très peu des mérites (car même ma capacité d'engagement est un don). Quel mérite a-t-on d'être né intelligent, riche, voire bon ? C'est pourquoi les écoles ont été inspirées par des valeurs qui sont non seulement différentes de la méritocratie, mais qui lui sont opposées.
[fulltext] =>L'école de tous et pour tous a été conçue et voulue pour réduire les inégalités sociales et naturelles que la méritocratie, c'est-à-dire l'idéologie du mérite, ne fait au contraire qu’accroître. Tous les enfants, garçons et filles, vont et doivent aller à l'école, pas seulement ceux qui le méritent. Chacun doit pouvoir s'épanouir et atteindre l'excellence, pas seulement les « méritants ». Chacun a droit à l'attention, à l'estime, à la reconnaissance, à l'admiration, à la dignité, même s'il n'a pas beaucoup de mérite ou s'il en a moins que d'autres. De plus, l'école est un merveilleux jardin de fleurs aux talents différents : « Précossi, je te remets cette médaille. Personne n'est plus digne que toi de la porter. Je ne la donne pas seulement à ton intelligence et à ta bonne volonté, je la donne à ton cœur, à ton courage : tu es un fils exemplaire. N'est-ce pas vrai - ajouta-t-il en se tournant vers la classe - qu'il la mérite aussi pour cela ? « Oui, oui », ont-ils tous répondu d'une seule voix. » Precossi était le fils d'un forgeron qui buvait et le battait occasionnellement. Mais lui aussi a eu sa médaille.
Ce n'était pas la médaille de Derossi, le premier de la classe. C'était la médaille d'une école d’un genre différent. Après De Amicis il y a eu Maria Montessori qui supprima les classes, puis Don Lorenzo Milani et l'école de Barbiana. La démocratie a vu se multiplier les médailles de Precossi, qui s'appellent aujourd'hui inclusion scolaire et cours de soutien ; car nous avons compris que la vie des enfants ne se résume pas au mérite. Le jour où quelqu'un nous convaincra que l'école aussi doit être fondée sur la méritocratie, nous commencerons à donner des médailles toutes identiques et toujours aux mêmes élèves, nous créerons des classes et des écoles spécialisées pour les plus faibles, l'inégalité explosera et la démocratie aura enfin cédé la place à la méritocratie, qui est la principale tentative de légitimation éthique de l'inégalité.
Dans cette œuvre, il est aussi beaucoup question de travail. Dans l’Italie de l’époque les pauvres travaillaient. Dans les champs, dans les ateliers, dans les usines, il n'y avait pas les riches, les avocats ni les professeurs. Cuore nous offre de belles pages sur le travail des ouvriers et des artisans. Voici ce que son père écrivait à Enrico : « Quand tu seras à l'université ou au lycée, tu iras voir tes camarades dans les magasins ou les ateliers... ; méprise les différences de fortune et de classe sociale : seuls les gens mesquins règlent leurs sentiments et leurs politesses en fonction d’elles. » L'Italie naissante essayait de prendre au sérieux ce principe de fraternité, également cher à Mazzini, et espérait que les personnes appartenant à des classes sociales différentes pourraient apprendre à l'école à se sentir frères et citoyens, au-delà des nombreuses différences.
Le petit maçon. C’est le fils d'un maçon, l'un des camarades les plus appréciés d'Enrico qui vient d'une famille aisée. Un jour, Enrico l'invite chez lui : « Le petit maçon est venu aujourd'hui, vêtu des vieux vêtements de son père, encore blancs de chaux et de plâtre. » Cuore nous montre souvent le petit maçon en train de faire une grimace caractéristique et sympathique : il excellait dans l'art de mimer un "visage de lièvre", un talent qu'il utilise de temps en temps pour transformer une réprimande sévère du maître en faisant rire toute la classe. Tout en bavardant et en jouant, le petit maçon « m'a parlé de sa famille : ils vivent dans un grenier, son père fréquente les cours du soir pour apprendre à lire, sa mère est de Biella. » La description de ces cours du soir compte parmi l’une des plus belles pages : les ouvriers restaient « bouche bée en train d’écouter la leçon. » Les visages de ces hommes assoiffés de connaissances, m’ont rappelé ceux des enfants que j'ai rencontrés dans les écoles d'Afrique et d'Asie… ils ont le même goût d’apprendre et le même espoir d’une vie meilleure. Ils ont ensuite goûté ensemble sur le canapé : « Quand nous nous sommes levés, mon père n'a pas voulu que je nettoie le dossier que le maçon avait taché de blanc avec sa veste. » De Amicis conclut l'épisode par un passage d'une lettre du père d'Enrico, c’est l’un des plus beaux de notre littérature sur le travail : « Sais-tu, mon fils, pourquoi je ne voulais pas que tu nettoies le canapé ? Le nettoyer, c'était presque lui reprocher de l'avoir sali. ... Et ce que l'on fait en travaillant n'est pas sale, c'est de la poussière, c'est de la chaux, c'est de la peinture, c'est tout ce que tu veux, sauf de la saleté. Le travail ne salit pas : ne dis jamais d'un ouvrier qui rentre du travail qu’il est sale. » Ces pages, restées gravées dans l'âme collective des Italiens, leur ont aussi permis d'écrire des décennies plus tard : « L'Italie est une République démocratique fondée sur le travail. » (article 1)
Les pauvres, une autre lettre écrite par son père à Enrico : « Ne t'habitue pas à passer avec indifférence devant la misère qui te tend la main. » Nous, au contraire, nous nous sommes parfaitement habitués à la misère du monde ; nous nous sommes alors rendu compte que notre indifférence est devenue une nouvelle grande pauvreté de notre temps : l'atrophie de notre âme nous empêche de souffrir au contact de la pauvreté des autres. Nous ne souffrons plus en voyant la misère parce que nous nous sommes moralement appauvris.
Puis, comme un arc-en-ciel inattendu, à l'intérieur de ces réflexions sur les pauvres, nous trouvons des pensées dont la beauté et la vérité ont frappé mon âme et mon esprit : « Les pauvres aiment l'aumône qui vient des enfants parce qu'elle ne les humilie pas, et parce que les enfants, qui ont besoin de tout le monde, leur ressemblent. » Cette phrase est le concentré d'un océan de sagesse. Les rares fois où le regard d’un enfant (ou d’un jeune) parvient à rencontrer celui d’une personne en situation de pauvreté sont des moments d’une intensité exceptionnelle – mais hélas, la mesquinerie de notre époque veut qu’on évite aux enfants de rencontrer la pauvreté : on croit ainsi les protéger ! En fait on les prive d’une incroyable expérience de fraternité. Les enfants, garçons et filles, et parfois les jeunes, ne distinguent pas les adultes riches et ceux qui sont pauvres : pour eux, ce sont tous des "hommes". Certes, ils perçoivent des différences extérieures, mais c'est comme s'ils ne les voyaient pas, car ils voient leur âme. Ils n’éprouvent donc pas ce sentiment déplacé de compassion qui humilie les pauvres. Par ailleurs le pauvre (mais je n'aime pas utiliser ce mot à tort et à travers) sait que l'enfant est aussi pauvre que lui - "ils ont besoin de tout le monde" - et le perçoit vraiment comme son égal. Dans mon enfance, j'ai été aimé par de nombreux pauvres, qui m'ont enrichi de leur pauvreté, sans avoir l'intention de m'aimer, simplement en étant ce qu'ils étaient. Et je les ai aussi aimés avec mon esprit d’enfant naturellement fraternel et absolument sincère. Il est donc vrai que seuls les enfants peuvent donner ou faire quelque chose pour les pauvres sans les humilier, tout comme les adultes qui ont lutté toute leur vie pour sauver une certaine dimension de leur enfance - en tant qu'adulte, il m'est très difficile de me tenir comme un frère à côté d'un "pauvre", mais quand cela arrive, c'est aussi beau que lorsque j'étais enfant : « L'aumône d'un adulte est un acte de charité ; mais celle d'un enfant est à la fois un acte de charité et une caresse : comprends-tu ? » Oui, nous le comprenons.
L'atelier. Precossi, un autre camarade, est le fils d'un forgeron que son fils a réussi à remettre au travail grâce à sa médaille. Le garçon "étudiait ses leçons" au sommet d'une "tour de briques, un livre sur les genoux". Son père, quant à lui, travaille : « Il soulève un grand marteau et frappe à grands coups une barre, il déplace tantôt ici, tantôt là, sa partie rougeoyante qui va de l’extrémité au milieu de l'enclume. » Et pendant ce temps, « son fils nous regardait d'un air fier, comme pour nous dire : "Voyez comment mon père travaille !" »
La fierté du travail des parents est comme du bon pain pour les enfants et les jeunes. L'estime du monde et des adultes commence par l'estime de notre père pendant qu'il travaille - le fait que les parents travaillent est également important pour gagner l'estime de leurs enfants : les enfants savent aussi que papa et maman sont respectables même s'ils ne travaillent pas, mais c'est le devoir d'une bonne société que de permettre à chaque personne de pouvoir travailler, aussi pour que leurs enfants puissent dire avec fierté : « Voyez comme mon père travaille ! » Les fils et les filles sont fiers du travail de leurs parents, quel qu’il soit. Là encore, à la différence de la société, ils ne font pas de distinction entre les métiers, car ils reportent sur la profession de leurs parents l’admiration qu’ils leur vouent : pour les enfants, rien n’a plus de valeur au monde que leurs parents. C'est pourquoi il n'y a peut-être pas de plus grande douleur que celle ressentie par un enfant lorsqu'on méprise le travail de ses parents. C'est une profanation de son cœur. La méritocratie est aussi une fabrique à humilier de nombreux travailleurs et leurs enfants.
Lorsqu'ils grandiront, et au moment opportun, les enfants comprendront que tous les emplois ne sont pas égaux, que tous ne sont pas également respectés, ni rétribués équitablement. Mais en tant qu'enfants, il faut juste qu’ils puissent s’exclamer, tout fiers : « Regardez comme il travaille mon papa ! »
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par Luigino Bruni
Publié dans Avvenire 23/10/2022
Le livre Cuore (Cœur) est une réflexion sur l'école et le travail, qui nous livre des observations surprenantes et magnifiques sur le sens que ces deux réalités revêtent encore aujourd'hui aux yeux des enfants et dans la vie des adultes.
De Amicis est capable de nous offrir en une seule phrase la quintessence d'un océan de sagesse : « Les pauvres apprécient l’aumône de la part des enfants parce qu'elle ne les humilie pas, et parce que les enfants, qui ont besoin de tout le monde, leur ressemblent. »
"Cœur" est un livre sur l'école, mais non pas sur le mérite. L'école, toute l'école, n'a jamais été fondée sur le mérite. Si nous l'observons de loin et en surface, nous voyons des évaluations, quelques échecs, et nous pensons qu’elle ressemble à une entreprise : les notes y tiennent lieu de salaire, les résultats scolaires de progression de carrière. Mais c'est une vision trop lointaine et donc erronée de l'école (et de l'entreprise). L'idéologie méritocratique qui tente également d'occuper avec succès les écoles repose sur le dogme selon lequel les talents sont des mérites et que, par conséquent, ceux qui ont plus de talent devraient être davantage récompensés. Mais nous savons tous que ce dogme est un piège, ou du moins une illusion, pour la société et encore plus pour l’école. Parce que les talents sont des dons, et que notre performance dans la vie dépend de talents que nous avons reçus en cadeau, très peu des mérites (car même ma capacité d'engagement est un don). Quel mérite a-t-on d'être né intelligent, riche, voire bon ? C'est pourquoi les écoles ont été inspirées par des valeurs qui sont non seulement différentes de la méritocratie, mais qui lui sont opposées.
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par Luigino Bruni
Publié dans Avvenire le 16/10/2022
Ma chère petite,
Pour toi, j'aurais donné tous les jardins
De mon royaume si j'avais été reine,
Jusqu'à la dernière rose, jusqu'à la dernière plume.
Tout mon royaume pour toi.
Je te laisse à la place des cabanes et des épines...
Nous sommes seulement confus, penses-tu.
Mais soyons à l’écoute. Écoutons encore.
Nous sommes encore capables d'aimer quelque chose.
Ayons encore de la compassion.
Il y a de la splendeur
En toute chose. Je l'ai vu.
Je le vois davantage maintenant.
Il y a de la splendeur. N'aie pas peur.
Mariangela GualtieriCuore est un livre dont certaines pages nous parlent encore. Il nous rappelle ce qu'est réellement l'école (et aussi la santé). C'est un exercice nécessaire pour comprendre quelles sont les vertus d'hier qu'il faut aussi chérir aujourd'hui.
Chaque génération doit choisir entre les vertus d'hier qu’elle veut chérir et celles qu'elle veut oublier. Très peu de vertus sont valables en tout temps et en tout lieu ; toutes les autres le sont hic et nunc, et certaines se transforment avec le temps en vices (et inversement). Les vertus militaires étaient très prisées dans les civilisations passées. On les transmettait dans les familles, dans les religions, dans les écoles, on les célébrait dans les contes de fées et les romans. Ces récits guerriers et patriotiques nous émeuvent parfois encore. Mais nous décidons de ne pas nous attarder et de détourner le regard. Parce que l'histoire des guerres nous enseigne que l'arbre de la démocratie naît, grandit, porte de bons fruits lorsque d'autres vertus sont cultivées : la douceur, le dialogue, la réciprocité, la compassion, la tolérance, la non-violence. Ainsi, des mots comme "l'ennemi" ont quitté le territoire des vertus pour entrer dans celui des mots à ranger au placard.
[fulltext] =>Le livre Cuore (Cœur) d'Edmondo De Amicis, l'un des ouvrages les plus lus en Italie et dans le monde, parle beaucoup des vertus. On y vante beaucoup les vertus militaires et l’amour de la patrie, des vertus qui étaient importantes pour le jeune royaume d'Italie. Qui peut oublier la "Piccola vedetta lombarda" ou le "Tamburino sardo" ? Mais les jeunes garçons de De Amicis ont lu les histoires de ces petits soldats héroïques assis à leur bureau, et nous ont dit, peut-être au-delà de l'intention de l'auteur, qu’ils préféraient le terrain de sport au champ de bataille. La première critique de ces vertus guerrières est alors intrinsèque au livre lui-même, qui tout en les racontant les dépasse pour fonder une autre civilisation.
J'ai relu Cuore à l'âge adulte. J'ai beaucoup aimé, particulièrement certaines pages. Je n’ai pas partagé le sarcasme d'Umberto Eco (Elogio a Franti, 1962), j'ai apprécié la finesse du jugement de Benedetto Croce (La Critica, 1903). Un livre qui parle des jeunes, des familles, de la pauvreté et de nombreuses souffrances, il y est question des adultes et des enseignants - le portrait de la "petite maîtresse au stylo rouge" est merveilleux. Mais surtout, il parle de l'école, des premières années de classe des écoliers (quel beau mot oublié !) Cuore est un livre qui s’intéresse aux enfants, dans une société qui ne les voyait même pas. Et il a commencé à les voir en train d'aller à l'école - et c'est toujours là, alors qu'ils courent légèrement avec leurs lourds cartables sur le dos, que chaque génération doit apprendre à les revoir, à comprendre le présent et l'avenir.
Nous sommes en 1886 en Italie, plus précisément à Turin, dans une école primaire, après la loi Coppino (1877) qui avait porté à trois le nombre d'années de scolarité obligatoire. Ce sont les tous débuts de l'école pour tous, et comme à l’aube de chaque nouveau jour, la lumière et l'air sont différents et uniques. Cuore traite de la plus grande révolution civique et morale de la modernité. Avant (et dans une certaine mesure après), seuls les enfants de la noblesse et des riches fréquentaient l'école. Ceux des pauvres devaient travailler, travailler trop dur et dans de très mauvaises conditions - de mes quatre grands-pères et grands-mères, seuls Domenico et Luigi savaient écrire leur signature, parce que - en tant que garçons - ils avaient fait la première et la deuxième année.
La grandeur de De Amicis est de nous familiariser avec les pupitres de ses premières salles de classe : « Je suis né pour être maître d'école, et quand je vois dans une salle quatre pupitres et une petite table, je me sens tout ému ! » (Pagine sparse, 1874). Une manière de nous faire comprendre ce que l'école était et continue d'être véritablement : un service de tous et pour tous. Dans cette Italie et dans cette Europe, les enfants des riches fréquentaient l'école avec ceux des pauvres, des classes sociales différentes se rencontraient et fraternisaient grâce aux liens d’amitié et de fraternité que leurs enfants avaient tissés autour de ces pupitres. C'est dans la salle de classe que se dissipe la convoitise sociale qui est à l'origine si nombreux dysfonctionnements. Ils étaient tous différents et pourtant tous égaux. Une Italie encore semi-féodale a appris l'abécédaire de la démocratie dans les salles de classe, qui n'étaient et n’en demeurent pas moins importantes que les salles du parlement. Nous avons pu écrire les articles prophétiques de la Constitution parce que nous avions vécu et écrit ce nouvel humanisme dans les rédactions et les dictées - nous avons été fondés sur le travail pour que les enfants pauvres puissent aller à l'école. Et puis nous avons aussi voulu que les enfants en difficulté soient dans toutes les classes grâce à des enseignants de soutien (j'en ai revu beaucoup dans ce livre), et nous avons chassé la tentation des "classes spécialisées". Les lois raciales et racistes étaient inhumaines à tout point de vue, mais elles étaient également sacrilèges lorsqu'elles ont expulsé les enfants juifs des écoles. Pour ces garçons et ces filles, quitter la porte de leur salle de classe n'était pas moins effrayant et terrible que de franchir celle des camps.
Dans Cuore il est question de garçons, âgés de 9 à 12-13 ans. Un âge merveilleux, situé entre l'enfance et l'adolescence. Quand l'innocence de l'enfance disparaît et qu'à sa place, une autre s'épanouit. C'est l'innocence qui, par exemple, s'exprime par une nouvelle confiance dans les adultes - les "hommes", c'est ainsi que les jeunes garçons de Cuore les appellent, car pour eux les adultes sont les habitants d'un monde très différent. La confiance inconditionnelle de l'enfant demeure, elle se colore désormais d'estime et d'imitation. C'est l'âge où les grands, oncles et tantes, maîtres et professeurs sont aimés par les petits. Ils n'ont plus la candeur de l'enfant, mais ils en ont une autre, encore plus lumineuse. Ils ont aussi une intelligence extraordinaire qui leur est propre, et qui, par certains aspects disparaît avec l'adolescence. Son caractère éphémère la rend sublime : cette intelligence différente et qui ne dure pas fait partie du patrimoine moral de l'humanité.
Certaines pages de Cuore comptent parmi les plus belles de notre littérature. Certains de ses récits sont des romans dans le roman - nous y reviendrons également dimanche prochain.
Des Apennins aux Andes. C'est l'histoire de Marco, un garçon de treize ans originaire de Gênes, qui part seul en Argentine à la recherche de sa mère. J'ai revu Marco dans les nombreux garçons qui partent encore seuls, embarquent sur notre mer, parfois ils arrivent à bon port, certains retrouvent leur mère ou leur père ou les deux, d'autres trouvent les ports fermés, trop nombreux sont ceux qui trouvent la mort. Et lorsque, après un voyage très long et désespéré vers Tucuman (De Amicis avait été en Argentine), Marco retrouve enfin sa mère malade, le mot : "Dieu, Dieu, mon Dieu", apparaît trois fois : c’est l’exclamation de sa mère à la vue de son fils. On a reproché à Cuore de ne pas accorder de place à la religion : le mot Dieu répété trois fois par une mère suffit à emplir ce livre d'un parfum de haute spiritualité ; c'est précisément le silence de la religion qui permet le retentissement du mot " Dieu ". Il est également significatif que les livres pour enfants les plus appréciés et les plus influents dans l'Italie catholique aient été Cuore et Pinocchio, deux œuvres qui parlent très peu de Dieu et de la religion mais qui savent toucher les âmes des enfants (et des adultes). Peut-être est-ce parce que les romans à visée religieuse sont rarement de bons livres (il y faudrait l'immense génie religieux d’un Manzoni ou d’un Dostoïevski) ; parce que le message dévore l'art : celui-ci a un besoin absolu de liberté et de gratuité. Dieu aime se faufiler dans la vie à notre insu, pour nous surprendre et nous étonner : c'est ainsi qu'il se protège de nos idéologies. Mais là où les livres idéologiques, y compris les livres religieux, ne fonctionnent jamais, c'est avec les enfants et les jeunes. Les enfants ne rencontrent Dieu et son esprit que dans la vie, et non dans nos idées sur la vie. Ils arrivent dans le monde munis d'un sens religieux qu’ils apportent comme une dot du monde d'où ils viennent et avec lequel ils restent en contact vital et continu pendant des années. Ils sont les compagnons des anges et les citoyens du ciel. Nous, adultes, ne pouvons leur parler de Dieu que si nous entrons dans leur espace - "si vous ne devenez pas comme des enfants...". Il est difficile de transmettre la foi aux enfants car, au lieu d'essayer d'entrer dans leur univers, nous leur demandons d'entrer dans le nôtre, qui est beaucoup moins évangélique et religieux.
L’infirmier de tata. C’est peut-être mon "histoire mensuelle" préférée. Cicillo est envoyé par sa mère à l'hôpital de Naples pour rendre visite à son père, tata, qui est rentré de France et y est hospitalisé. L'infirmier lui montre un homme très malade : "Voici ton père". Cicillo fond en larmes, "pauvre tata, comme il avait changé !" Cicillo l'assiste, le malade a presque toujours les yeux fermés. C'est ainsi que Cicillo "commence sa vie d'infirmier" : il le borde, lui tient la main, "chasse les mouches". Après cinq jours de soins, un homme entre dans la grande salle et crie : "Cicillo !". C'était... son père. Le garçon avait pris soin d'une autre personne malade. Il embrasse à nouveau son père, mais ne bouge pas du lit. Le père l'invite à venir à la maison, et Cicillo lui dit : « Il y a ce vieillard ... Il me regarde toujours. Je pensais que c'était toi... Laisse-moi ici un peu plus longtemps » Cicillo reste et recommence à le soigner. Il demeure à ses côtés quelques jours, lui serrant toujours la main. L'homme finit par mourir. Cicillo repart, mais il cherche à donner un nom à cet homme : « Et de son cœur monte à ses lèvres le doux nom qu'il lui avait donné pendant cinq jours : Adieu pauvre tata ! » Cicillo nous révèle un des secrets de l'existence humaine : on commence par aimer un père et une mère et quelques frères, on finit par découvrir chaque homme et chaque femme comme "frère, sœur, mère" et père.
Cicillo est aussi une splendide image, parce que c’est un enfant, des religieuses, des infirmières et des infirmiers d'hier et d'aujourd'hui. Ils ne connaissaient pas notre nom mais ils nous ont traités comme des tata, et continuent de le faire. Telle est la nature profonde des soins infirmiers, un monde merveilleux d'étrangers qui soignent et tiennent la main d'autres étrangers qui ressemblent beaucoup, voire trop, à nos proches. Si l'on regarde bien, Cicillo continue à tenir la main et à chasser les mouches de tata tous les jours dans nos hôpitaux, avec cette compassion très laïque et religieuse qui tient le monde debout. Et comment ne pas entendre dans le " Voici ton père " de l’infirmier à Cicillo un écho du " Voici ta mère " de Jésus à Jean ?
Le travail le plus difficile est d'apprendre à trouver la vie dans la mort, à voir l'Évangile là où il ne devrait pas être, à toucher Dieu là où il n'est pas.
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La tâche difficile est de trouver la vie et Dieu là où la vie et Dieu ne se trouvent pas.
par Luigino Bruni
Publié dans Avvenire le 16/10/2022
Ma chère petite,
Pour toi, j'aurais donné tous les jardins
De mon royaume si j'avais été reine,
Jusqu'à la dernière rose, jusqu'à la dernière plume.
Tout mon royaume pour toi.
Je te laisse à la place des cabanes et des épines...
Nous sommes seulement confus, penses-tu.
Mais soyons à l’écoute. Écoutons encore.
Nous sommes encore capables d'aimer quelque chose.
Ayons encore de la compassion.
Il y a de la splendeur
En toute chose. Je l'ai vu.
Je le vois davantage maintenant.
Il y a de la splendeur. N'aie pas peur.
Mariangela GualtieriCuore est un livre dont certaines pages nous parlent encore. Il nous rappelle ce qu'est réellement l'école (et aussi la santé). C'est un exercice nécessaire pour comprendre quelles sont les vertus d'hier qu'il faut aussi chérir aujourd'hui.
Chaque génération doit choisir entre les vertus d'hier qu’elle veut chérir et celles qu'elle veut oublier. Très peu de vertus sont valables en tout temps et en tout lieu ; toutes les autres le sont hic et nunc, et certaines se transforment avec le temps en vices (et inversement). Les vertus militaires étaient très prisées dans les civilisations passées. On les transmettait dans les familles, dans les religions, dans les écoles, on les célébrait dans les contes de fées et les romans. Ces récits guerriers et patriotiques nous émeuvent parfois encore. Mais nous décidons de ne pas nous attarder et de détourner le regard. Parce que l'histoire des guerres nous enseigne que l'arbre de la démocratie naît, grandit, porte de bons fruits lorsque d'autres vertus sont cultivées : la douceur, le dialogue, la réciprocité, la compassion, la tolérance, la non-violence. Ainsi, des mots comme "l'ennemi" ont quitté le territoire des vertus pour entrer dans celui des mots à ranger au placard.
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par Luigino Bruni
Publié dans Avvenire le 09/10/2022
La deuxième partie du "Marchand de Venise" présente une critique de la société commerciale de l'époque, de ses hypocrisies et de ses contradictions. Et si dans cette pièce la victime était Shylock lui-même ?
À Londres, à la fin du XVIe siècle, Shakespeare se fait le prophète de la montée du capitalisme. La religion du profit exige que le consensus et l'accord mutuel soient de nouveaux dogmes.L'une des illusions que véhicule la culture capitaliste de notre époque consiste à penser que l'argent et la publicité commerciale peuvent acheter presque tout, y compris les choses les plus importantes. Avant l’avènement de la modernité, les civilisations étaient dominées par les passions. L'intérêt économique, qui a toujours existé, y jouait un rôle important mais n'était pas déterminant, car c’étaient les passions qui gouvernaient le monde et les plus importantes ne pouvaient être monétisées. Les passions, c'est-à-dire l'honneur, le respect, la renommée, la colère, la vengeance, n'avaient pas d'équivalent monétaire dans monde d’alors. L'avènement de l’économie de marché a apporté avec elle la promesse et l'utopie de réduire toutes les passions à des intérêts économiques, dans l'espoir d'attribuer une valeur monétaire correspondant à chaque sentiment humain. La principale caractéristique de la modernité est peut-être précisément cette transformation des passions en intérêts, une transformation qui, comme nous l'a appris le grand économiste Albert Hirschman (en 1977), a quelque chose de souhaitable. Car si les passions, qui ne sont pas rationnelles, peuvent être dévastatrices pour l'individu et la collectivité, les intérêts sont moins dangereux car ils sont prévisibles et calculables. Si j'ai de bonnes raisons de croire que mon homologue se comportera conformément à ses intérêts économiques, je peux facilement prévoir ses mouvements et ses contre-mouvements. En revanche ce n’est plus possible lorsque l'orgueil, la vengeance, l'honneur sont en jeu, surtout lorsque nous sommes sous l’effet des passions des autres. L'une des grandes difficultés que rencontre l'OTAN pour gérer et prévoir l'évolution de la guerre en Ukraine réside peut-être dans le fait que nous avons sous-estimé la force que les passions ont encore dans la société russe, en nourrissant l’illusion que les intérêts économiques y auraient la nature et la force qu'ils ont dans notre société capitaliste.
[fulltext] =>Mais revenons à Shakespeare, là où nous nous sommes arrêtés dimanche dernier. Dans Le Marchand de Venise, après le contrat de chair scellé entre les deux marchands, qui prévoit l’étrange pénalité d'une livre de la chair du débiteur, l'impondérable se produit : tous les navires du débiteur, Antonio, font naufrage. Ainsi, trois mois après le début du contrat, il ne peut honorer sa dette de 3 000 ducats. Shylock, le créancier juif, demande l'exécution de la peine, devant le Doge de Venise. Bassanio, l'ami prodigue pour lequel Antonio s'était endetté, entre en crise profonde devant le malheur de son ami, se confie à sa fiancée Portia, et celle-ci lui demande : « Quelle somme doit-il au juif ?" Trois mille ducats, répond Bassanio. "Autre chose ? Donnez-lui six mille, et libérez la dette. Doublez-la, triplez-la." Portia aussi, bien que vivant dans le Belmont médiéval, évolue dans un monde où l'argent règle tout. Mais, paradoxalement, ce n'est pas le monde du banquier Shylock. En effet, le châtiment qu'il exigeait d'Antonio n'était pas de l’argent, mais une livre de sa chair. Techniquement son contrat n'était donc pas un contrat d'usure, il n'avait pas voulu que l'argent prêté produise plus d'argent. Shylock refuse alors que la chair soit commuée en argent : « Shylock, on vous offre trois fois cet argent » (Portia). « J'ai juré, j'ai juré au ciel : vais-je me parjurer ? » Shylock ne veut qu'une livre de chair : « Que gagnerais-je à exiger qu'il remplisse la condition convenue ? Une livre de chair humaine ne vaut pas une livre de chair de mouton, de bœuf ou de chèvre. »
Le monde de Shylock était donc plus proche du monde chevaleresque et féodal de Belmont que du monde commercial et moderne de Venise où tout était sur le point d'être monétisé. Portia, une femme du monde antique, qui propose de multiplier l'argent pour payer cette peine faite de chair humaine, se montre en fait une femme du nouveau monde (sans l'ambivalence de ses personnages, nous ne comprendrions ni Le Marchand de Venise ni Shakespeare). Ainsi, par certains traits de caractère, Shylock est du côté de Venise et de son commerce de moins en moins lié à la morale et à la religion, mais par d'autres traits de caractère décisifs, il est encore dans le monde médiéval, où tout ne peut (et ne doit) pas être transformé en argent.
C'est cette imbrication multidimensionnelle de nouveauté et de tradition, de christianisme et d’hébraïsme, de religion et de laïcité, qui fait la beauté et l'actualité du Marchand de Venise : « Si nous sommes semblables à vous dans tous les domaines, nous vous ressemblerons aussi en ce point. Si un Juif outrage un chrétien, quelle est la modération de celui-ci ? La vengeance. Si un chrétien outrage un Juif, comment doit-il le supporter, d’après l’exemple du chrétien ? En se vengeant. Je mettrai en pratique les vilénies que vous m’apprenez ; et il y aura malheur si je ne surpasse pas mes maîtres. » (Shylock). Il y a un deuxième aspect important. Portia apparaît au procès déguisée en jeune prince du forum, et commence par affirmer que le contrat stipulant une peine de chair humaine était légitime : « Le procès que vous avez intenté est étrange, mais régulier ; la loi vénitienne ne peut vous empêcher de l’engager. » Même Antonio avait reconnu l'impossibilité d'annuler ce contrat : « Le doge ne peut pas empêcher le cours de la loi : si les privilèges commerciaux que les étrangers ont à Venise étaient désavoués, cela discréditerait la justice de l'État, qui a des échanges et des profits avec toutes les nations. » Ce contrat consensuel est donc valide. En réalité, un contrat stipulant une peine de chair humaine est nul pour raison d’objet illicite - il en serait ainsi aujourd'hui (art. 1346 CC), et le droit romain allait dans le même sens.
On connaît, en effet, la célèbre phrase d'Ulpiano dans les Digesta : « Personne ne peut être considéré comme le propriétaire de ses propres membres » (Dig, 9.II.13). Le droit romain et européen était en effet fondé sur la distinction entre les personnes et les choses : les choses pouvaient être aliénées, mais non pas les personnes, ni leurs corps. Cette règle a été transgressée dans le cas des esclaves, qui étaient assimilés à des choses et, en tant que tels, achetés, vendus et souvent tués par leur propriétaire (avec ou sans raison valable). Et si Shakespeare, parmi de nombreux autres messages implicites, nous disait que les débiteurs insolvables sont les nouveaux esclaves du nouveau capitalisme ? Pourquoi alors considérer ce contrat comme légitime ? À travers le refus de cette nullité, Shakespeare se montre comme un prophète du monde qui émerge à Londres à la fin du XVIe siècle, qui deviendra plus tard le capitalisme. La religion du profit exige que le consensus et l'accord mutuel soient les seuls nouveaux dogmes de la société marchande, aucun obstacle ne doit se dresser entre les deux volontés.
Nous sommes ainsi conduits directement à la solution du dilemme et à la conclusion de la pièce. Portia a recours à une faille juridique : Shylock a gagné le procès, et peut donc légitimement prendre une livre de la chair d'Antonio. Mais, ajoute Portia, « il y a autre chose. Cette obligation ne vous donne pas une goutte de sang, il est expressément écrit "une livre de chair" » Shylock devra donc prendre cette chair avec son couteau sans tirer une seule goutte du sang d'Antonio. Une impossibilité pratique évidente, sur la base de laquelle Portia affirme que l'intention cachée de Shylock derrière cette peine était la mort d'Antonio : « Vous avez comploté contre la vie de l'accusé. » Elle condamne ensuite Shylock à donner la moitié de ses richesses à Venise et l'autre moitié à Antonio. Le Doge épargne sa vie, mais l'oblige à "devenir chrétien". L'usurier est vaincu et ruiné grâce à un vice de forme juridique. Ce sont les mêmes arguties juridiques que celles utilisées à l'époque par les moralistes, juristes et théologiens chrétiens à propos de l'usure pour condamner les Juifs et absoudre les banquiers et marchands chrétiens (manque à gagner, préjudice émergent, intérêts "du" prêt et intérêts "pour" le prêt, lettres d'échange, citations, contrats d'assurance etc.) L'éthique gagnante dans Le Marchand d Venise n'est pas celle du capitalisme réformé et calviniste du travail considéré comme vocation (beruf), mais celle héritée à Londres d'un commerce italien décadent : « L’Anglais italianisé est un diable incarné » (proverbe cité par Roger Ascham, précepteur de la reine Élizabeth).
C’est donc le proto-capitalisme londo-vénitien qui a gagné le procès non sans hypocrisie, en condamnant les Juifs pour usure et s'absolvant pour des crimes encore plus graves. Portia avait invoqué la clémence (miséricorde) de Shylock à l'égard d'Antonio : « Alors le juif doit être miséricordieux. » Shylock répond : « Et tu me forces à l'être ? » Portia : « La miséricorde a cette qualité, elle ne peut pas être forcée. » Ce monde chrétien a demandé au Juif de pratiquer la miséricorde, mais a ensuite été impitoyable avec Shylock lui-même en le forçant même à être baptisé - la miséricorde ne peut être imposée, mais cette règle ne vaut pas pour le baptême.
Shylock est donc le perdant, mais avec des armes morales inappropriées. L'usure de Shylock n'est plus d'aucune utilité pour ce nouveau monde commercial : il a développé tous les mécanismes hypocrites au sein de la culture et même de la théologie chrétienne, ce qui lui permet d'obtenir des prêts sans encourir d'infractions religieuses ni légales. Shylock est l'une des victimes du nouveau monde impitoyable qui progresse rapidement en Europe : il est peut-être la principale victime du Marchand de Venise.
Un indice décisif à l'appui de cette hypothèse se trouve, là encore, dans une référence biblique explicite dans la pièce. En fait, lorsque Portia entre dans le procès, déguisée en avocat, son nom est Balthazar. Et les mots que Shylock prononce en entendant Portia-Balthazar sont : « Un Daniel, un second Daniel venu rendre justice. » Balthazar, en effet, est le nom babylonien du prophète Daniel (Dn 1,7). Le seul passage de la Bible où Daniel-Balthazar assume la fonction d'un juge juste est l'épisode de Suzanne, accusée par deux vieillards qui voulaient la violer par ruse, que Daniel parvient à libérer d'un procès injuste (Dn 13). Shylock, par conséquent, nous est présenté par Shakespeare comme une nouvelle Susanne attendant que justice soit faite ; il convient également de noter que le chapitre 13 concernant Susanne n'est pris en compte que par le canon chrétien et non par le canon juif, ce qui souligne que les destinataires de ces messages éthiques implicites, mais forts, étaient les chrétiens et non les juifs. Le rôle de Shylock dans la pièce est surtout de mettre en évidence les contradictions internes des nouveautés qui se profilaient alors, lesquelles, d'une certaine manière, relevaient encore de l’ancien monde (Belmont n'est pas très différent de Venise), tout en apparaissant, dans leurs nouvelles composantes, plus injustes que l'ancien monde. Où sont aujourd’hui les nouveaux Shakespeare capables de dévoiler les contradictions, les hypocrisies et les victimes de notre monde dont les règles économiques et les passions ne sont pas si éloignées de celles du Marchand de Venise ?
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par Luigino Bruni
Publié dans Avvenire le 09/10/2022
La deuxième partie du "Marchand de Venise" présente une critique de la société commerciale de l'époque, de ses hypocrisies et de ses contradictions. Et si dans cette pièce la victime était Shylock lui-même ?
À Londres, à la fin du XVIe siècle, Shakespeare se fait le prophète de la montée du capitalisme. La religion du profit exige que le consensus et l'accord mutuel soient de nouveaux dogmes.L'une des illusions que véhicule la culture capitaliste de notre époque consiste à penser que l'argent et la publicité commerciale peuvent acheter presque tout, y compris les choses les plus importantes. Avant l’avènement de la modernité, les civilisations étaient dominées par les passions. L'intérêt économique, qui a toujours existé, y jouait un rôle important mais n'était pas déterminant, car c’étaient les passions qui gouvernaient le monde et les plus importantes ne pouvaient être monétisées. Les passions, c'est-à-dire l'honneur, le respect, la renommée, la colère, la vengeance, n'avaient pas d'équivalent monétaire dans monde d’alors. L'avènement de l’économie de marché a apporté avec elle la promesse et l'utopie de réduire toutes les passions à des intérêts économiques, dans l'espoir d'attribuer une valeur monétaire correspondant à chaque sentiment humain. La principale caractéristique de la modernité est peut-être précisément cette transformation des passions en intérêts, une transformation qui, comme nous l'a appris le grand économiste Albert Hirschman (en 1977), a quelque chose de souhaitable. Car si les passions, qui ne sont pas rationnelles, peuvent être dévastatrices pour l'individu et la collectivité, les intérêts sont moins dangereux car ils sont prévisibles et calculables. Si j'ai de bonnes raisons de croire que mon homologue se comportera conformément à ses intérêts économiques, je peux facilement prévoir ses mouvements et ses contre-mouvements. En revanche ce n’est plus possible lorsque l'orgueil, la vengeance, l'honneur sont en jeu, surtout lorsque nous sommes sous l’effet des passions des autres. L'une des grandes difficultés que rencontre l'OTAN pour gérer et prévoir l'évolution de la guerre en Ukraine réside peut-être dans le fait que nous avons sous-estimé la force que les passions ont encore dans la société russe, en nourrissant l’illusion que les intérêts économiques y auraient la nature et la force qu'ils ont dans notre société capitaliste.
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par Luigino Bruni
Publié dans Avvenire le 01/10/2022
"Le Marchand de Venise" est une œuvre fondamentale pour comprendre la naissance de l'esprit du capitalisme. Cependant, il contient des idées et un message qui peuvent surprendre. Dans le dialogue très animé auquel se livrent Shylock et Bassanio, on retrouve de nombreuses prémisses de la modernité. Et surtout, le germe de l'Évangile de la prospérité, qui revient à la mode.
La voie royale pour saisir l'essentiel d'une civilisation, passe toujours par son art. Le Marchand de Venise de William Shakespeare dit à lui seul presque tout sur la naissance de l'esprit du capitalisme. Nous sommes à la fin du XVIe siècle, à Londres. Shakespeare est à l’apogée de sa carrière artistique. Il puise, une fois de plus, dans le matériel narratif italien. En particulier dans la nouvelle "Il pecorone", de Ser Giovanni Fiorentino, composée autour des années 1480, où l'on retrouve tous les éléments du Marchand de Venise, y compris le point central de la tragédie : la peine de chair prévue dans le contrat entre le riche marchand de Venise (Ansaldo) et l'usurier juif de Mestre (nouvelle I). En 1966, Elio Toaf, a relaté un événement qui s’est réellement déroulé à Rome (raconté par G. Leti en 1852) pendant le pontificat de Sixte V (1585-1590) : Paolo M. Secchi, un marchand romain, avait parié une livre de sa chair avec le "juif" Samson Ceneda, un épisode peut-être également connu à Londres.
[fulltext] =>L'intrigue du Marchand de Venise de Shakespeare est bien connue. Bassanio, un jeune très dépensier, a besoin de 3 000 ducats pour participer à une sorte de concours d'amour (les "trois coffres") et pouvoir épouser la riche et belle Portia. Il se tourne donc vers son très cher ami Antonio, un riche marchand de Venise (qui donne peut-être son nom à la pièce), qui, n'ayant pas d'argent liquide, tente d'obtenir l'argent d'un usurier bien connu du Rialto : le juif Shylock. Cependant, Shylock ne lui propose pas un contrat d'usurier normal avec intérêt. Il lui fait une offre bizarre et terrible : s'il ne rend pas l'argent à la date prévue, le prêteur prélèvera comme pénalité « une livre de [sa] belle chair, sur la partie de [son] corps qu'il [lui] plaira de choisir. » Antoine accepte - nous nous attarderons sur la suite de l'histoire dimanche prochain.
Pourquoi un tel contrat ? Pourquoi présenter cet usurier comme un tueur ? La présence d'un sentiment antisémite dans cette pièce a fait l'objet de nombreuses discussions. En réalité, Shakespeare enregistre les sentiments de son époque sans exprimer son propre jugement sur le sujet - dans les œuvres d'art, notamment les chefs-d'œuvre, la description du monde est la première critique de l'artiste. En étudiant cette œuvre, et en la regardant avec les yeux de l'économiste que je suis, j'ai acquis la conviction qu’il est possible de repérer le jugement éthique de Shakespeare, et qu'il nous surprendra peut-être. Il est probable que Le Marchand de Venise contienne une description et une critique du capitalisme naissant de Venise et, surtout, de celui de Londres.
Shylock est une figure complexe et ambivalente. Nous trouvons une première clé de compréhension dans son premier dialogue avec Antonio, le marchand débiteur : Shylock : « Mais écoutez, il me semble que vous venez de dire que vous ne prêtez ni n’empruntez à intérêt. » Antonio : « Non, jamais. » Antonio était un marchand qui avait aussi des activités bancaires, mais il était fier de prêter sans intérêt. En effet, lorsqu'il le voit, Shylock pense : « Comme il a l’air d’un hypocrite publicain ! je le hais parce qu’il est chrétien, mais je le hais bien davantage parce qu’il a la basse simplicité de prêter de l’argent gratis et qu’il fait baisser à Venise le taux de l’usance (usure). »
Une première tension narrative : d'un côté l'usurier juif et de l'autre le philanthrope chrétien. Les deux se connaissaient. Shylock : « Il invective contre mes marchés, mes gains bien acquis, qu’il appelle usure. » Antonio l'offense ensuite sur la place du Rialto. De plus - fait important - Antonio ne prête pas à intérêt, pourtant il va finir par accepter un contrat usuraire. Et c'est ici que nous trouvons une première clé d'interprétation. Shylock cite la Bible, rapportant l'épisode bien connu de la ruse de Jacob par laquelle il s'est enrichi auprès de son beau-père Laban, un païen (Genèse, ch. 30). Antonio commente : « Et alors ? Jacob prêtait-il à intérêt ? » Shylock : « Non, il ne prêtait pas à intérêt, non, si vous voulez, pas précisément à intérêt. Remarquez bien ce que Jacob faisait. » Le Juif explique ensuite cet épisode central de l'histoire d'Israël et de l'histoire du Marchand de Venise. Laban veut liquider le salaire de Jacob pour les services qu'il lui rend, mais la première réponse importante de Jacob est : « Tu ne me donneras rien » (Gn 30, 31). Une réponse qui ressemble au "gratis" d'Antonio. Jacob et Laban concluent alors un contrat bizarre qui, pour le lecteur, ressemble presque à une plaisanterie, un peu comme le contrat entre Shylock et Antonio : ils stipulent que tous les agneaux nés avec une toison à rayures appartiendront à Jacob, les autres à Laban. Le lecteur savait qu'il y a très peu d'agneaux à rayures dans un troupeau, il imagine donc que le contrat désavantage Jacob, et pense que son "je ne veux rien" était presque vrai. Au lieu de cela, voici le rebondissement.
Jacob trouve un expédient (il ne vole donc pas) : pendant que les brebis les plus fortes s'accouplent, il les place devant des piquets qu'il écorce avec des rayures verticales, afin - pensait-il - qu'en regardant des piquets rayés, les brebis donnent naissance à des agneaux rayés (Gn 30,39). La ruse a fonctionné, les meilleurs agneaux sont nés rayés, et Jacob est devenu très riche.
La référence à cet épisode de la Genèse est essentielle dans l'économie du Marchand de Venise (négligée par les interprètes). Tout d'abord, dans la saga de Laban et Jacob, le malhonnête est le beau-père, qui ne cesse de rompre les alliances (il les a changées " dix fois " : Genèse 31, 5). L'escroc, c'est le païen : Jacob n'est ici que rusé et astucieux mais, à sa manière, il respecte les alliances. De plus, Jacob n'a pas pris son salaire sous forme d'argent : il a pris des moutons, mais ceux-ci lui ont apporté un bénéfice bien plus grand qu’un salaire en espèces. Et Antonio de demander : « En déduiriez-vous quelque chose en faveur de l'usure ? Votre or et votre argent sont-ils comme les moutons et les chèvres de Jacob ? » En fait, la réponse est : vos moutons le sont. En fait, Shylock disait à Antonio : il n'y a pas de différence éthique entre vos "moutons" (vos revenus du commerce) et mon intérêt pour l'argent. Nous sommes égaux, mais tu es un hypocrite et un escroc, comme Laban, un païen comme toi.
Mais le sens ultime de la citation de Jacob émerge à la fin : « C’était là un moyen de gagner [thrive] ; et Jacob fut béni du ciel ; et le gain est une bénédiction, pourvu qu’on ne le vole pas. » En anglais, le terme Thrift ne signifie pas profit ni même usure, mais plutôt prospérité, bénéfice, avantage, voire économie, et n'a donc pas de sens négatif. Pour l'éthique de Shylock, prospérer par la ruse est une bénédiction, et non un vol ni un comportement moralement condamnable. Et si c'était aussi l'éthique de Shakespeare ?
Il existe en effet un deuxième élément tout aussi important. Ce qui aurait pu être moralement répréhensible, c'est la prodigalité de Bassanio : « Tu n'ignores pas, Antonio, combien j'ai dissipé mon patrimoine en menant un train de vie bien au-dessus de mes moyens. » En fait, à bien y regarder, ceux qui dans cette pièce sont obsédés par l'argent sont les chrétiens (surtout Bassanio). Shylock demande une livre de chair, sans valeur économique - son esprit est semblable à celui de Mazzaro envers ses "biens matériels".
Les questions de la tragi-comédie deviennent : pourquoi prêter de l'argent avec un taux d'intérêt serait-il plus immoral que le profit d'un commerçant ? « Vous me traitez de mécréant, de chien assassin... et tout ça pour l'usage que je fais de ce qui est à moi ? » Et pourquoi, d'autre part, des profiteurs comme Bassanio sont-ils aimés et respectés ? Est-il alors moral pour Antonio de risquer sa propre chair pour satisfaire les caprices d'un ami prodigue ? De quel côté se situe donc la bonne éthique ?
Voici donc une première conclusion. Avec le Marchand de Venise, nous assistons, avec l’avènement du capitalisme, à un tournant de l'éthique économique - il faut noter que le mot utilisé pour le contrat de la livre de chair est bond (obligation).
Dans ce dialogue conflictuel entre Shylock et Bassanio, on retrouve de nombreuses racines de la modernité. Il y a le germe de l'Évangile de la prospérité, une idéologie centrée sur la bénédiction de la richesse qui revient à la mode aujourd'hui, surtout dans les pays de culture protestante. Il y a aussi une racine de cette conception romantique de l'argent qui n'est bon que s'il est dépensé : la richesse ne vaut que si elle est consommée, peu importe si cet argent est emprunté à des institutions financières que nous condamnons. On y trouve aussi une icône du déclin du proto-capitalisme du début de la Renaissance italienne. L'Italie qui entre dans l'Angleterre puritaine n'est plus celle des marchands économes du XIVe siècle. C'est plutôt celle de Francesco Benni : « Il n'y a pas de vie plus belle au monde que celle d’un débiteur en faillite, ruiné et désespéré. On peut dire de lui qu’il est béni. Mon cher, faites donc des emprunts, sur la confiance ou avec intérêt, et laissez que d’autres s’en soucient : parce que l’un prépare la toile et un autre la tisse » ("In lode del debito" Éloge de la dette, 1548)
Le Marchand de Venise est une œuvre qui se situe entre deux mondes. Dans la Londres élisabéthaine de Shakespeare, une éthique chrétienne féodale était encore vivante, qui faisait l'éloge de la consommation, de la terre, de la noblesse, qui autorisait l'emprunt, mais condamnait le prêt - il est d'ailleurs curieux que la condamnation de l'emprunt à usure n'ait pas été assortie d'une condamnation tout aussi ferme de la dette à usure, une pratique beaucoup plus populaire et répandue. Cette éthique chrétienne approuvait l'endettement à des fins luxueuses et estimait des marchands comme Antonio qui amassaient de grandes richesses grâce au commerce et pouvaient même se permettre de prêter gratuitement, mais condamnait et maudissait le prêt à intérêt des Juifs qui, avec leur argent, permettaient aux marchands chrétiens de s'enrichir, de vivre dans le luxe tout en donnant aux œuvres de bienfaisance : « Comme il a l'air d'un publicain hypocrite. » Ceux qui prêtaient de l'argent étaient "comme Judas", ceux qui l'empruntaient pour la consommation ou le commerce étaient au contraire de "bons chrétiens", imitant Marie Madeleine qui avait "gaspillé" un parfum d'une valeur de 300 deniers. Nous ne comprenons pas l'Europe moderne sans ces ambivalences et ces hypocrisies, et rares sont ceux qui, comme Shakespeare, nous le montrent aussi clairement.
Dans la première partie du Marchand de Venise, l'ambivalence décisive est donc celle toute interne à Shakespeare et à son époque, déchiré entre l'ancien monde et le nouvel esprit capitaliste. Jusqu'au contrat de chair, la tragi-comédie reste ouverte : laquelle des deux éthiques va finalement l'emporter?
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par Luigino Bruni
publié dans Avvenire le 24/09/2022
La rencontre entre Jean Valjean et Petit Gervais dans "Les Misérables" est une réflexion sur la façon dont les résurrections se produisent dans la vie et le rôle des enfants dans ce domaine. Parfois, ce qui semble être un retour en arrière n'est que le premier pas vers une nouvelle vie.
Pour des conversions véritables et durables, il ne suffit pas comprendre seulement avec sa tête : la rationalité, l'intelligence sont trop fragiles. De tels événements dépendent très peu de nos intentions. Ils arrivent et cela suffit.
Il y a longtemps que les enfants et les jeunes ne grandissaient pas à la maison. La misère a engendré de nombreux petits vagabonds. Certains se sont échappés d'orphelinats, d'autres, sans famille, ont erré à la recherche d'un travail saisonnier, d'autres encore ont inventé de petits spectacles itinérants pour gagner un peu d'argent. Tous ont été exposés à la violence des colons et des voyageurs. Au XIXe siècle, on en rencontrait encore beaucoup en Europe. Et on en rencontre encore trop dans de nombreuses villes du monde. Au Brésil, on les appelle meninos de rua, dans d'autres pays ils n'ont pas de nom, ils vivent dans la rue, exposés sur les places, sans abri ni famille.
[fulltext] =>C'est avec un de ces tout jeunes vagabonds que Jean Valjean s'est retrouvé. Petit Gervais devait être son deuxième bon samaritain. Il venait d'être "racheté" par l'évêque Myriel qui, en réponse à son vol d'argenterie, lui avait fait un deuxième cadeau extraordinaire : des chandeliers et la liberté. Il erre maintenant dans les champs, confus, en proie à mille pensées : « Il éprouvait une sorte de rage ; il ne savait pas contre qui. » (Misérables, I, 13). La rencontre avec la bonté de Myriel après vingt ans d'emprisonnement fut pour lui un événement à la fois merveilleux et stupéfiant : « En sortant de cette chose difforme et noire qu'on appelait le bagne, l'évêque lui avait fait mal à l’âme comme une clarté trop vive lui eût fait mal aux yeux en sortant des ténèbres. » Ce cadeau exagéré reçu de Myriel après son vol faisait voir à Jean Valjean avec une force nouvelle le vol qu'il avait subi de sa propre existence : « Comme une chouette qui verrait brusquement se lever le soleil, le forçat avait été ébloui et comme aveuglé par la vertu. » Et donc « il contemplait sa vie et elle lui semblait horrible. »
Les personnes vivant dans une condition d'erreur et de péché, lorsqu’elles sont touchées par un amour grand et gratuit savent que la rencontre avec cette lumière céleste blesse l'âme : « Il lui semblait voir Satan dans la lumière du paradis. » Elles voient, comprennent et souffrent davantage : la lumière nous fait voir nos ténèbres dans toute leur formidable ampleur, cette nouvelle vision de notre passé nous fait peur, et elle peut devenir angoissante. C'est pourquoi, parfois, bien souvent, la rencontre avec l'amour libre et authentique ne suffit pas pour commencer véritablement une nouvelle vie : cette grande lumière ne nous libère pas de notre passé, qui, paradoxalement, nous pèse davantage parce que nous en percevons toute la gravité.
Dans ce combat intérieur de la lumière et des ténèbres, Jean Valjean s'assied derrière un buisson : « Il tourna la tête et vit venir par le sentier un petit savoyard d’une dizaine d’années qui chantait, sa vielle au flanc et sa boîte à marmotte sur le dos ; un de ces doux et gais enfants qui vont de pays en pays, laissant voir leurs genoux par les trous de leur pantalon. » Le garçon ne savait pas qu'il était observé et jouait en lançant ses quelques pièces et en les ramassant du revers de sa main. Une pièce de quarante sous lui échappe « et roule vers les broussailles, jusqu'à Jean Valjean. Jean Valjean posa son pied dessus. » Le petit garçon s'approcha de lui : « Monsieur, dit le petit Savoyard avec la confiance de l'enfance, qui se compose d'ignorance et d'innocence, mon argent ! »
– Comment t’appelles-tu ? dit Jean Valjean.
– Petit-Gervais, monsieur.
– Va-t’en, dit Jean Valjean.
– Monsieur, reprit l’enfant, rendez-moi ma
pièce. Ma pièce d’argent ! Mon argent ... L'enfant pleurait. »
Au bout d’un moment :
« C'est encore toi ? dit Valjean, et se levant brusquement, sa chaussure reposant encore sur la pièce d'argent, il lui dit :
Veux-tu bien t’en aller ! »
C’est alors que « l’enfant le regarda avec effroi, puis se mit à trembler de la tête aux pieds et, après quelques secondes de stupeur, il commença à fuir en courant de toutes ses forces »Jean Valjean demeure assis. Il commençait à faire sombre. En se baissant pour ramasser sa canne, il voit la pièce de monnaie : « Qu'est-ce que c'est ? » Il regarde au loin dans la plaine. Et il crie de toutes ses forces : « Petit Gervais ! Petit Gervais ! Petit Gervais ! » L’enfant est désormais loin, et Jean Valjean continue de crier : « Petit Gervais ! Petit Gervais ! ». Il rencontre un prêtre, lui demande s’il l’avait vu, mais en vain. Il continue sa course désespérée : « Petit Gervais ! Petit Gervais ! », crie-t-il pour la dernière fois. Puis il tombe d’épuisement, et « le visage entre ses genoux, il s'écrie : je suis un misérable. » Son cœur éclate : « C'était la première fois qu'il pleurait en dix-neuf ans. »
Une deuxième lumière s’est donc fortement manifestée à lui, mais différemment. Elle n'est pas née de l'agapè de l'évêque, mais de « l'ignorance et de l'innocence » d'un enfant des rues. La violation de cette innocence ignorante poursuit la résurrection initiée par la générosité de Myriel. Le nom de cet enfant – Petit Gervais - répété plusieurs fois de manière obsessionnelle, crié en désespoir de cause, est sur le point de faire rouler la pierre du tombeau.
Pour des conversions véritables et durables, Il ne suffit pas de comprendre seulement avec sa tête : la rationalité, l'intelligence sont trop fragiles. Ces quelques très rares événements qui nous changent vraiment - parfois un seul - ne sont pas le résultat de notre volonté, ils dépendent très peu de nos intentions. Ils adviennent tout simplement : ils nous attendent derrière un buisson pendant que nous errons confusément sans rien chercher.
Jean Valjean était déjà dans un processus de conversion, sa résurrection avait déjà commencé avec Myriel. Mais pour son accomplissement, il fallait une rencontre avec l'innocence violée d'un enfant innocent. Si ç’eût été un adulte qui avait fait rouler cette pièce d'argent, l'effet n'aurait pas été le même. Les enfants contiennent et gardent le mystère d'une gratuité et d'une innocence absolues. Lorsqu'un adulte vole un centime à un enfant, ce vol est d'une autre nature : c’est le vol de leur vie. C'est la condition adulte qui nous apprend à distinguer les personnes des biens qu’elles possèdent (sans jamais y parvenir tout à fait). Les trésors des enfants, en revanche, se confondent avec leur chair. C'est pourquoi leurs biens, même s’il ne s’agit que de quelques pièces de monnaie, ne sont pas ceux des adultes : la matière (la chose) est la même, mais quand elle arrive entre les mains des enfants, cette matière change de substance même si ses accidents (apparences) demeurent : les mains des enfants opèrent des transsubstantiations différentes mais non moins réelles que celles opérées par les mains des prêtres. Les violer est un sacrilège. Dans l'oikonomia de la vie, la valeur des pièces manipulées par les enfants est différente, leur parcours est autre - elles roulent autrement. Ils nous rappellent ainsi que les pièces de monnaie, toutes les pièces de monnaie, tirent leur véritable valeur des relations à travers lesquelles on en use ou on en abuse, de la façon dont on les maltraite, selon qu’on les donne ou qu’on les vole... aujourd'hui comme autrefois, dans la littérature comme dans la vie.
Jean Valjean, par une grâce authentique - Hugo nous offre un traité de théologie incarnée de la grâce - prend soudain conscience qu'il a commis un sacrilège, qu'il a violé un lieu sacré, qu'il a profané une hostie. Car le cœur de chaque enfant est un tabernacle - le cœur de chaque personne l'est. Il n'aurait pas pu comprendre ce sacrilège sans le geste inouï de l'évêque ; mais ce don extraordinaire n'aurait pas porté ses fruits de vie sans la profanation du mystère de la pièce de cet enfant. Le cœur de Jean Valjean était capable d'éprouver de la terreur et de l'angoisse devant cette pièce volée parce qu'il avait été blessé auparavant par le don de Myriel. L'expérience d'être aimé d'un amour-agapè débute par une brèche dans l'âme, et par cette fissure peut entrer une nouvelle douleur que nous ne pouvions pas connaître auparavant en raison de la dureté de notre cœur. Lorsqu'une résurrection s’amorce, l'amour et la douleur coexistent, et notre capacité d'expérimenter une nouvelle qualité de douleur morale est le premier signe que le cœur a vraiment changé.
Et dans cette douleur aiguë, Hugo fait dire à Jean Valjean l'une de ses plus belles phrases : « Une voix lui dit à l'oreille qu'il a franchi l'heure solennelle de son destin, qu'il n'y a plus de juste milieu pour lui, que s'il ne devient pas le meilleur des hommes, il sera le pire. » Dans les jours ordinaires de la vie, nous sommes confrontés à des choix dont l'issue nous rendra un peu meilleurs ou un peu moins bons. Il y a cependant quelques jours différents. Ce sont les jours du grand jugement sur nos vies, et nous sommes le juge. En ce jour, nous choisissons entre le paradis et l'enfer : le purgatoire n'existe plus. On sent très clairement qu’on a le choix entre essayer de devenir le meilleur ou bien assurément le pire des hommes sur terre. C'était le jour du Père Kolbe, le jour du Christ sur le Golgotha, de François devant son père et devant l'évêque d'Assise ; c'est aussi le jour où beaucoup de femmes et d’hommes ordinaires, vivent pourtant de temps en temps un moment extraordinaire : c’est alors que le véritable sens du mot "salut" et de son contraire "se perdre", leur apparaît manifeste. Nous pouvons nous tromper et mener une vie erronée parce que nous ne voyons pas le mal que nous faisons : mais si un jour, par une grâce, nous voyons enfin ce mal sans choisir d’y renoncer, le mal d'hier devient l'enfer de demain.
Dans cette rencontre manquée entre l'ex-taulard et le petit Savoyard, il y a donc un dernier message précieux, pour nous et pour les gens que nous aimons. Lorsque quelqu'un qui a été aimé tendrement commence une nouvelle vie, il y a souvent l’étape qui va de la porte de Mgr Myriel au buisson du Petit Gervais. Il avait reçu une véritable grâce, nous le voyons chuter à nouveau et nous pensons que ce premier don et cet espoir se sont envolés, que c’était une illusion. Hugo nous dit : attention ! Vous regardez peut-être Jean Valjean entre la porte de la curie et le buisson. Cette méchanceté qu'il ne devrait pas commettre et qu'il fait au contraire peut être le premier pas vers une nouvelle vie. C’est déjà un homme nouveau, bien qu'il soit encore revêtu de la douleur de l’homme ancien : « En volant cet argent à cet enfant, il avait fait une chose dont il n'était plus capable. »
Trop souvent, nous ne comprenons pas et nous condamnons parce que nous ne laissons pas à Jean Valjean le temps de crier son désespoir : « Petit Gervais ! ». Il est déjà sur le bon chemin mais pour continuer à le suivre, il a aussi besoin de notre confiance. Jean Valjean a été sauvé et par Myriel et par Petit Gervais : à la fois par l'innocence née de la vertu d'un vieillard et par celle, naturelle, d'un enfant pauvre. La grande littérature nous fait vivre cette expérience jusqu'au bout, puis nous répète : « Va, et fais de même. »
Enfin il est aujourd'hui très frappant de revoir - parmi les garçons et les filles de Fridays for Future et de l'Économie de François - les yeux du Petit Gervais, nous réclamant son argent volé. Quand entendrons-nous à nouveau son cri ? Quand allons-nous retirer de la terre nos pieds encombrants ? Quand rendrons-nous sa pièce à l’enfant ?
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Et c'est décisif.
par Luigino Bruni
publié dans Avvenire le 24/09/2022
La rencontre entre Jean Valjean et Petit Gervais dans "Les Misérables" est une réflexion sur la façon dont les résurrections se produisent dans la vie et le rôle des enfants dans ce domaine. Parfois, ce qui semble être un retour en arrière n'est que le premier pas vers une nouvelle vie.
Pour des conversions véritables et durables, il ne suffit pas comprendre seulement avec sa tête : la rationalité, l'intelligence sont trop fragiles. De tels événements dépendent très peu de nos intentions. Ils arrivent et cela suffit.
Il y a longtemps que les enfants et les jeunes ne grandissaient pas à la maison. La misère a engendré de nombreux petits vagabonds. Certains se sont échappés d'orphelinats, d'autres, sans famille, ont erré à la recherche d'un travail saisonnier, d'autres encore ont inventé de petits spectacles itinérants pour gagner un peu d'argent. Tous ont été exposés à la violence des colons et des voyageurs. Au XIXe siècle, on en rencontrait encore beaucoup en Europe. Et on en rencontre encore trop dans de nombreuses villes du monde. Au Brésil, on les appelle meninos de rua, dans d'autres pays ils n'ont pas de nom, ils vivent dans la rue, exposés sur les places, sans abri ni famille.
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par Luigino Bruni
publié dans Avvenire le 17/09/2022
Les Misérables de Victor Hugo contient également un grand enseignement sur l'agapè comme remède à la misère. En commençant par la rencontre entre Valjean et l'évêque Myriel.
Dieu fait de nous des innocents avec le regard, quelques écrivains avec la plume de l'âme. Et l'art est le chemin invisible entre le Golgotha et le tombeau vide.
Il y a quelques livres, très peu nombreux, qui sont capables de dire à eux seuls tout ce qu'il faut sur la justice, sur la souffrance morale, sur la vie. Enfants de leur époque et de leur environnement comme tout un chacun, ils possèdent pourtant le privilège quasi divin de l'éternité. Leurs personnages sont plus proches de nous que nos collègues de travail, ce sont des amis et ils comptent parmi nos familiers : ils sont une part de nous-mêmes, la plus authentique de notre cœur. En feuilletant les pages de ces livres et de ces poèmes, nous relisons nos propres vies, des recoins invisibles ou cachés s’éclairent, leurs mots parviennent à exprimer l'indicible douleur. Nous lisons les histoires de ces personnages et elles nous instruisent sur nous-mêmes, nous révèlent l'âme de notre âme.
[fulltext] =>L’œuvre intitulée Les Misérables de Victor Hugo fait partie de ces livres. Son principal protagoniste est Jean Valjean. Pourtant, le roman s'ouvre sur un évêque, Monseigneur Myriel, auquel sont consacrées certaines des pages les plus belles et les plus vibrantes de l'histoire de la littérature. Elles nous touchent, nous émeuvent, nous convertissent.
Nous sommes en 1815 – l’année où débute le récit d’un autre chef-d'œuvre français : Le Comte de Monte Cristo. Nous rencontrons un évêque, désormais âgé, fils d'un aristocrate. La Révolution entraîne sa ruine économique et sociale : il doit émigrer en Italie avec sa jeune épouse, qui meurt durant cet exil. Cette expérience douloureuse va le conduire à embrasser la prêtrise. Cet évêque nous est présenté comme l'icône de l'Évangile vécu. Dès qu'il est nommé, il fait don de sa grande résidence épiscopale à l'hôpital de Digne, puis on nous décrit son budget personnel entièrement consacré aux pauvres. Ensuite, nous le voyons voyager à dos d'âne, jamais en voiture.
Un soir d'hiver, Jean Valjean, un vagabond tout juste libéré de prison, vient frapper à sa porte. Il avait été libéré après dix-neuf ans de prison. Il avait échoué là parce qu'il était au chômage (il était élagueur) : révolté à la vue des sept enfants de sa sœur veuve privés de nourriture, il avait fini par voler une miche de pain à un boulanger : « Il était rentré en prison plein de tristesse, il en est sorti désespéré. » Hugo explique les raisons de ce désespoir. En prison, « la lumière naturelle s'était manifestée à lui », et « le malheur, qui a sa propre lumière », l'avait amplifiée. En considérant son malheur, Jean Valjean devient "un tribunal pour lui-même", et « reconnaît qu'il n'est pas un innocent injustement puni ». Il avait en effet volé ce pain, il n'avait pas su endurer la faim, ni attendre - pensait-il alors qu’il était au bagne. Mais il se disait aussi : « Ai-je été le seul à me tromper dans mon histoire malheureuse ? » Assurément pas. Il se rendit compte que la société était également fautive, d'abord en lui faisant perdre son emploi, puis en l'affamant, lui et ses jeunes neveux, et enfin en le maintenant en prison pendant dix-neuf ans pour avoir volé une miche de pain. Aussi a-t-il « jugé la société et l'a condamnée : il l'a condamnée à sa haine. » Il pensa « qu'il n'y avait pas de commune mesure entre le préjudice qu’il avait causé et celui qu’on lui infligeait. » Jean Valjean s’en est donc profondément indigné.
Les Misérables sont aussi une grande réflexion sur l'innocence des êtres humains. Bien que Jean Valjean reconnaisse sa culpabilité, nous pensons qu'il est innocent. Car l'innocence qui compte n'est pas l'absence de culpabilité ni l’ingénuité (nous le verrons dans un instant) : si c'était le cas, personne ne serait innocent. Au contraire, l'innocence de ce roman profondément biblique et évangélique, a trait à la pureté du cœur, à la sincérité, à l'honnêteté envers soi-même et envers les autres. Jean Valjean « n'avait pas un mauvais caractère. Il était encore bon lors de son entrée en prison. » Et l'écrivain s'interroge : « L'homme, créé bon par Dieu, peut-il devenir mauvais à cause de l'homme ? » ; la méchanceté des autres et la sienne peuvent-elles « effacer le mot que le doigt de Dieu écrit sur le front de tout homme : Espérance ? » La réponse de Hugo est clairement non. Cette innocence profonde, la justice ne la voit pas, et nous ne pouvons pas la voir chez les autres ni en nous-mêmes. C'est l'innocence du fils prodigue, l'innocence de Job : c'est l’innocence que voit Dieu, celle qu’au moins Lui doit voir. L'image de Dieu, la vocation à l'amour et à la relation, reste vivante et opérante dans notre moelle malgré le geste de Caïn. Le regard de l'écrivain touche avec la plume de l'âme les victimes de son temps en se penchant vers elles, et ainsi il les innocente. L'art est la route invisible qui mène les victimes du Golgotha au tombeau vide. La Bible nous dit que Dieu, en nous regardant et en nous touchant dans notre misère, nous rend innocents par son regard, depuis notre premier souffle jusqu'au dernier, lorsque dans les bras de l'ange de la mort nous éprouverons à nouveau l’innocence avec laquelle nous sommes venus au monde.
C'est avec cette haine et cette indignation que Jean Valjean était arrivé à Digne. Dans la ville, il est reconnu comme un ancien détenu et on lui ferme la porte des auberges. Jusqu'à ce que, affamé et résigné à dormir dans le froid, il arrive à la porte de Myriel. L'évêque l'accueille, met la table avec des couverts d'argent. Et lorsqu'il s'adresse à Jean Valjean en l’appelant "monsieur", Hugo nous fait part d’une de ses plus belles pensées : « L'ignominie a soif de considération. »
Après ce dîner partagé fraternellement, la nuit arrive. Les fantômes de la haine, de la colère et de l'indignation reviennent Dans l'esprit de Jean Valjean,: « Ces six couverts d'argent le hantaient. » Il se lève, se dirige vers l'armoire, puis « met l'argenterie dans son sac à dos, traverse le jardin, saute par-dessus le mur comme un tigre et s'enfuit. »
Le lendemain matin, la femme de chambre découvre le vol et alerte l'évêque. Il déclare : « Cette argenterie était-elle à nous ? Elle appartenait aux pauvres. Qui était cet homme ? De toute évidence, un homme pauvre. » On frappe à la porte : « Trois hommes en tenaient un quatrième à l’encolure. C’étaient trois gendarmes, l'autre était Jean Valjean. » Et voilà qui va leur couper le souffle : « Ah vous êtes là, je me réjouis de vous voir. Comment donc ? Je t'avais aussi donné les chandeliers d'argent : comment se fait-il que tu ne les aies pas pris avec les couverts ? »
L'hospitalité ne va pas sans risques. L'invité peut être un ange (He 13,2), mais celui qui arrive peut être Ismaël qui a tué Godolias qui l'a accueilli, qui l’a assassiné alors qu'« ils mangeaient ensemble » dans sa maison (Jr 41,1). Il y a toujours eu, il y a toujours et il y aura toujours des invités "tués" par ceux qui les accueillent. Lorsque nous accueillons quelqu'un à la maison, nous ne pouvons pas savoir ce qui va se passer pendant la nuit ; surtout lorsque c'est un homme blessé, humilié ou dépité qui entre. Myriel a été plus imprudent que vertueux ; l'éthique de l'agapè n'est pas celle de la vertu. Nous désapprouvons l'action de Jean Valjean ; mais l'exercice d'empathie que Hugo nous fait vivre ne se termine pas par la recommandation : « N'accueillez pas un autre Jean Valjean » ; au contraire il augmente en nous le désir imprudent d'ouvrir une porte de plus - au moins celle de notre propre maison. Nous avons cessé de lire la Bible et Les Misérables, nous avons fermé nos portes et nos ports à nos compagnons de route, et nous sommes devenus les nouveaux misérables.
Myriel nous apprend ce qu'est l'agapè. Un étranger arrive, peut-être un malheureux. Il devient un membre de la famille, on sort les plus beaux couverts. Nous savons, nous sommes des experts en humanité, que cette vue étincelante après tant de douleur et de méchanceté peut devenir une tentation invincible pour ce pauvre homme. Mais l'honneur qui est fait à l'hôte l’emporte sur la peur de cette tentation : pourquoi maudire chaque nuage chargé d'eau à cause du souvenir d’une tempête meurtrière ?
Cette forme particulière (merveilleuse et essentielle) de don commence par une transgression : au lieu d’envoyer dormir l'hôte dérangeant dans un hospice, il lui donne un bon lit dans sa maison ; il ne l'envoie pas à la soupe populaire, il l'invite à sa table. Pour honorer son hôte, il lui offre des couverts en argent et l'appelle "monsieur". La beauté est le premier remède à toutes les misères. Puis on va se coucher en sachant que l'on risque ses biens et même sa vie (la naïveté de l'agapè n'est pas stupidité), mais en sachant que ces biens, et même sa vie, ne sont pas une propriété privée, qu'ils sont déjà un don et qu'ils peuvent - doivent donc être donnés. Puis vient l'expérience de la trahison, nous sommes déçus mais nous ne nous sentons pas escroqués. Puis l'hôte revient : on s'attend à la condamnation et à l'insulte, et au lieu de cela on trouve le par-don (le don par excellence). C'est-à-dire qu'au lieu du cadeau volé, il en trouve un autre : la bague au doigt, la fête.
Mais pourquoi aussi les chandeliers ? Le bon "mensonge" du cadeau des couverts n'était-il pas suffisant ? (Notez bien que les règles abstraites, "on ne ment jamais", sont presque toujours fausses). Peut-être parce que la trahison de ceux qui ont fait du mal se soigne en regardant vers l'avenir, en générant de l'espoir grâce à un nouveau cadeau. C'est cette surabondance gratuite que nous donne l'autre, qui, après l'erreur, nous rend capables du nécessaire. Seul un nouveau cadeau peut guérir le vol d'un premier cadeau. L’amour humain (éros) ne va pas jusqu’à accepter de se faire vulnérable. L'amitié (philia) peut offrir le gite et le couvert, y compris aux trois gendarmes, mais dans ce cas l’invité reste « un coquin et un ingrat ». Seul l'amour agapè va jusqu'aux chandeliers. Bien sûr, il est difficile, voire impossible aujourd'hui, de construire tout un système social et pénal seulement sur l’agapè. Mais lorsque nous le construisons sans agapè, nos sociétés et nos prisons finissent par trop ressembler à celles de Polyphème et des benjaminites de Gabaa (Jd 19-21).
C'est cependant dans la vie ordinaire de l'évêque que se trouve la dimension décisive du sens de l'agapè. Myriel a réagi de cette manière à la trahison du don - le don gratuit inclut dès le départ la possibilité concrète de la trahison - parce que toute son existence était nourrie par l'agapè. Ce qui peut apparaître comme une réponse émotionnelle est au contraire le fruit d'une vie et d’une pratique quotidienne de cette dimension de l’agapè. À la vue de quelqu'un en train de se noyer dans une mer déchaînée, si on plonge instinctivement dans le tourbillon des vagues, il est presque certain qu’on se noiera avec lui ; si c'est un nageur professionnel qui plonge, le sauvetage probable résulte de toute une vie d'entraînement. L'amour agapè ne s’improvise pas : c'est une habitude conquise, c'est une discipline exigeante : « Quand tu penses à la légèreté de la danseuse, regarde ses pieds. » (Carla Fracci). Tout le monde ne peut pas faire l'expérience de ce genre d'hospitalité tous les jours : il faut pourtant qu’au moins quelqu'un la fasse, à titre personnel, au moins une fois. Un seul geste dicté par cet amour-là peut racheter une vie, il peut donc sauver le monde - nous le verrons dimanche prochain, en continuant à suivre Jean Valjean. Mais arrivés à ce point, laissons nos cœurs se reposer sur la beauté de l’amour agapè.
Dédié aux prisonniers, innocents comme Jean Valjean, qui, à la lumière de leur malheur, ont su chérir une véritable innocence.
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Il y a des livres qui disent tout sur la vie et nous apprennent ce qu'est l'agapè
par Luigino Bruni
publié dans Avvenire le 17/09/2022
Les Misérables de Victor Hugo contient également un grand enseignement sur l'agapè comme remède à la misère. En commençant par la rencontre entre Valjean et l'évêque Myriel.
Dieu fait de nous des innocents avec le regard, quelques écrivains avec la plume de l'âme. Et l'art est le chemin invisible entre le Golgotha et le tombeau vide.
Il y a quelques livres, très peu nombreux, qui sont capables de dire à eux seuls tout ce qu'il faut sur la justice, sur la souffrance morale, sur la vie. Enfants de leur époque et de leur environnement comme tout un chacun, ils possèdent pourtant le privilège quasi divin de l'éternité. Leurs personnages sont plus proches de nous que nos collègues de travail, ce sont des amis et ils comptent parmi nos familiers : ils sont une part de nous-mêmes, la plus authentique de notre cœur. En feuilletant les pages de ces livres et de ces poèmes, nous relisons nos propres vies, des recoins invisibles ou cachés s’éclairent, leurs mots parviennent à exprimer l'indicible douleur. Nous lisons les histoires de ces personnages et elles nous instruisent sur nous-mêmes, nous révèlent l'âme de notre âme.
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par Luigino Bruni
publié dans Avvenire le 10/09/2022
La nouvelle intitulée "La roba" de Verga nous donne un aperçu du système économique de notre époque et de son triste épilogue, si nous ne sommes pas capables d'inverser la tendance.
L’accumulo di cose e beni si realizza “negli occhi degli altri” e fa crescere in chi lo persegue e nelle società in cui si realizza l’invidia dei giovani.
« "Ici on est chez qui ? - il s’entendit répondre : - chez Mazzarò. - Et passant devant une ferme aussi grande qu'un village : - Et ici ? – chez Mazzarò... Puis il vit une oliveraie aussi grande qu’une forêt. C'était les oliviers de Mazzarò. Des biens appartenant tous à "Mazzarò". »
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La roba est l'une des plus belles nouvelles de Giovanni Verga et de la littérature italienne. Il l’écrit en 1880 alors qu'il terminait son chef-d'œuvre, I Malavoglia. Le capitalisme n'existait pas encore, en tout cas pas encore dans la campagne sicilienne, peut-être pouvait-on en deviner les toutes premières lueurs, mais Verga, poète et visionnaire, a pu apercevoir du haut de sa tour notre midi par un matin très clair.Sa critique de ce proto-capitalisme est toujours vivante parce qu'elle est anthropologique, c'est une réflexion radicale sur les effets que l’appât des richesses produit sur les personnes séduites et enchaînées par le totem de la marchandise. Dans cette fascination irrésistible et presque religieuse, il y a quelque chose de semblable au "fétichisme des marchandises" dont Marx avait parlé quelques années plus tôt ; mais le regard de l'écrivain sicilien est poétique, dramatique, traversé par une grande compassion pour les victimes de ses récits, pour les perdants qui restent au bord du fleuve du progrès. Il nous révèle ainsi les grandes lignes de l'esprit méridional, méditerranéen et catholique de cette nouveauté que l'on appellera bientôt le capitalisme. Un esprit différent de celui de l'Europe du Nord, mais aussi de l'esprit des premiers marchands de l’époque médiévale.
Verga a senti que le vent de la modernité apportait également quelque chose de nouveau au pied des Alpes. Mazzarò, en effet, n'est plus le propriétaire terrien aristocratique ("avec une tête comme un diamant, il avait accumulé toutes ces terres"), mais il n'est pas non plus un capitaine de l’industrie moderne. Il n'est pas attiré par l'argent lui-même comme les malfaiteurs de tous les temps : " D'ailleurs, il ne se souciait pas de l'argent : celui-ci n’était pas une réalité concrète, et dès qu'il avait réuni une certaine somme, il achetait aussitôt un terrain ". Mazzarò n'accumule pas de l'argent mais des biens. Dans la civilisation catholique du bassin méditerranéen, caractérisée par le sentiment de honte (à la différence du monde protestant marqué par la culpabilité) la richesse ne vaut que si elle est étalée aux yeux des autres. L'œil du "voyageur" qui ouvre la nouvelle et demande "À qui appartient ce terrain ?" est une présence nécessaire tout au long du Cycle des vaincus. Car si personne ne la voit, la richesse est sans valeur et inutile. La richesse est celle vue par les autres. Cette visibilité est une fierté, c'est une réhabilitation sociale : « Tout le monde se souvenait de lui avoir donné un coup de pied au derrière, et maintenant on l'appelait excellence. » Mais il s’agit plutôt d’une réhabilitation illusoire.
En Italie du Nord et du Mezzogiorno les miracles économiques et sociaux du vingtième siècle ont résulté aussi et surtout de l'action de nombreux Mazzarò - de ceux qui sont restés dans l'agriculture et de tous ceux qui ont émigré des campagnes vers la petite puis la grande industrie familiale. La richesse investie dans les fermes, tout comme dans les usines, ne doit pas passer inaperçue, elle doit donc être admirée, louée, enviée. Elle implique une grande assiduité : « Il n'avait pas laissé passer une minute de sa vie sans réaliser des affaires. » Cette éthique de l’épargne s’accompagne presque d’une mystique du non-gaspillage : « Vous voyez bien que je ne mange que du pain et des oignons – répondait-il – et avec çà j'ai des entrepôts pleins à craquer, et je suis le propriétaire de tous ces biens ! »
Ces premiers entrepreneurs n'étaient pas des hédonistes, ils ne cherchaient ni le plaisir ni le divertissement à travers l'argent. Ils n'aimaient pas la consommation qui réduit les biens, mais l'investissement qui les augmente et attire l’attention. Ils entretenaient avec les affaires une relation presque conjugale. Ce n'est pas une coïncidence si le terme roba désignait aussi le nom de la dot des jeunes mariées : « Il n’avait jamais eu à faire à une femme, sauf à sa mère. » En réalité, plus que conjugale, celle de Mazzarò est une relation incestueuse, comme celle d'un père qui veut que sa fille soit admirée et enviée, mais sans jamais la donner en mariage à quiconque.
Verga sait que la richesse ne peut pas tenir ses promesses. Il connaît également les théories économiques libérales de son époque qui, après Galiani et Smith, s'appuient sur la main invisible des effets positifs indirects de l’illusion trompeuse de la recherche individuelle de la richesse. Il les connaît mais n’y croit pas, parce qu'il regarde les laissés-pour-compte, les vaincus, parce qu’il s'intéresse aux « faibles qui restent sur la route, aux paresseux qui se laissent emporter par la vague. » (Les Malavoglia, préface)
La source de la corruption de notre civilisation matérialiste est intrinsèque aux biens eux-mêmes. Si le capitalisme devient le règne de la quantité et de l'expansion, s’il se réduit à la res extensa, il ne peut connaître aucune limite ni aucun frein. Il verse alors dans la démesure : « Mazzarò voulait acquérir autant de terres que le roi ». Si la bénédiction ne se trouve pas, comme le pensaient les calvinistes, dans le travail compris comme vocation (beruf) mais dans les biens matériels, en particulier ceux que les autres peuvent voir et envier, alors la course au dépassement quantitatif et à l’expansion ne s'arrête jamais : « Les vaincus lèvent les bras en désespoir de cause, et baissent la tête sous la botte des vainqueurs : et ceux-ci, happés par le tourbillon des affaires, pressés d’arriver les premiers, finiront demain par être dépassés. " (Préface). Première surprise : au XXIe siècle, l'esprit conquérant (ou victorieux ?) du capitalisme ne procède pas du calvinisme qui considère le travail comme une vocation (beruf), mais, contre toute attente, de l’esprit méridional qui privilégie les biens. Mais il s’agit de biens destinés seulement à la consommation, qui ne sont plus investis ni accumulés. C'est la consommation, et non le travail, qui pilote l'économie mondiale actuelle et ce n'est pas par hasard, qu’elle se développe et se développera surtout au sein des cultures communautaires marquées par le sentiment de honte (Asie, Afrique) et proches de l'esprit de Mazzarò.
Le coup de génie de la nouvelle de Verga se trouve toutefois dans sa conclusion splendide et "désespérée". L’échec de Mazzarò nous est présenté à travers quelques détails dans la dernière partie de la nouvelle : « Il n'avait ni enfants, ni petits-enfants, ni parents ; il n'avait que ses terres. » Son économie, privée d’enfants et donc d’avenir, se résume à accumuler des biens. Le capitalisme méridional, fondé sur l’acquisition de biens, a fonctionné en partie, et a même développé quelques valeurs et vertus civiques, tant qu'il restait dans le cadre familial : l'usine était avant tout un facteur de lien entre les générations et les classes sociales, les biens étaient accumulés aussi et surtout en fonction des enfants. C'est pourquoi l'économie de Mazzarò constitue une trahison de l’esprit qui animait l’économie méridionale à ses débuts : celle-ci était essentiellement familiale, communautaire et intergénérationnelle.
L’illusion et la déception qu’engendre ce type de gestion économique ne se révèlent en fait clairement qu'en fin de parcours. C’est ce qui ressort du dénouement de la nouvelle : « Une seule chose le chagrinait, c'est qu'il commençait à vieillir et qu'il devait laisser la terre là où elle était. Une injustice de Dieu : après avoir peiné toute une vie pour acquérir des terres, il faut les quitter au moment où on est parvenu à les avoir et où l’on souhaite encore en avoir ! » Dans cet épilogue, on trouve un second détail, à la fois terrible et stupéfiant : « Et s’il croisait un jeune à moitié vêtu, courbé sous le poids comme un âne fatigué, il lui flanquait sa canne entre les jambes, par jalousie. » Cette économie où l’enfant est absent rend jaloux de la jeunesse. Dans une culture de la vie, les jeunes sont le paradis ; dans une culture de la mort, ils sont l'enfer. Telle est la terrible caractéristique de la civilisation de Mazzarò. Formidable et prophétique, car ce que le génie artistique de Verga entrevoyait, devient désormais de plus en plus évident. Cette jalousie destructrice envers les jeunes n'est ni théorisée et encore moins admise par les protagonistes de notre système de développement, de plus en plus semblable à l'économie de Mazzarò. Cependant, il y a un domaine où la convoitise de Mazzarò est désormais trop évidente pour être niée : c’est celui de la gestion de notre terre. Seule une économie mortifère, qui suscite la jalousie des générations montantes et les regarde de travers, peut leur laisser une planète dévastée, une terre meurtrie par la poursuite névrotique, illimitée et débridée des richesses.
Cette jalousie enragée explose dans toute sa beauté désespérée à la lecture des dernières lignes de la nouvelle, un point culminant de son œuvre : « Alors, quand on lui dit qu'il était temps de laisser ses richesses, de penser à son âme, il sortit dans la cour comme un fou en titubant, et alla tuer ses canards et ses dindes avec des bâtons, en s’écriant : - Toutes mes richesses, qu’elles viennent donc avec moi ! » Un capitalisme sans enfants et sans ciel conduit à tuer la dernière poule lorsqu’on atteint le dernier jour de sa vie, à consommer le dernier mètre cube de gaz pour son dernier respirateur. La crise démographique nous signale que nous sommes déjà entrés dans le capitalisme sans avenir de Mazzarò. Celui-ci emporte dans sa propre tombe ses forêts, ses mers, ses fleuves, ses glaciers, parce qu'il ne voit rien qui vaille la peine d’être légué aux jeunes qu'il envie et déteste. Sa richesse se confond alors avec cette terre, matraquée et frappée à mort.
Quelques années plus tard Mazzarò deviendra Maître Don Gesualdo : « Puis, désespéré de mourir, il [Don Gesualdo] se mit à assommer canards et dindes, à détruire pierres précieuses et semences. Il voulait éliminer d'un coup tous les biens de Dieu qu'il avait accumulés petit à petit. Il voulait que toutes ses richesses s’en aillent avec lui, emportées dans le même désespoir. »
Depuis plusieurs années, nous matraquons canards et dindes, nous arrachons des semences qui devraient nourrir des enfants que nous n'avons pas ou que nous n'aimons pas. Verga savait que cette économie ne conduit nulle part - nous ne l'avons simplement pas encore réalisé. Nous ne serons sauvés que par une économie qui élève des canards et des dindes, conserve et sème le bon grain pendant que Mazzarò poursuit son œuvre destructrice – est-il encore temps ?
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par Luigino Bruni
publié dans Avvenire le 10/09/2022
La nouvelle intitulée "La roba" de Verga nous donne un aperçu du système économique de notre époque et de son triste épilogue, si nous ne sommes pas capables d'inverser la tendance.
L’accumulo di cose e beni si realizza “negli occhi degli altri” e fa crescere in chi lo persegue e nelle società in cui si realizza l’invidia dei giovani.
« "Ici on est chez qui ? - il s’entendit répondre : - chez Mazzarò. - Et passant devant une ferme aussi grande qu'un village : - Et ici ? – chez Mazzarò... Puis il vit une oliveraie aussi grande qu’une forêt. C'était les oliviers de Mazzarò. Des biens appartenant tous à "Mazzarò". »
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La roba est l'une des plus belles nouvelles de Giovanni Verga et de la littérature italienne. Il l’écrit en 1880 alors qu'il terminait son chef-d'œuvre, I Malavoglia. Le capitalisme n'existait pas encore, en tout cas pas encore dans la campagne sicilienne, peut-être pouvait-on en deviner les toutes premières lueurs, mais Verga, poète et visionnaire, a pu apercevoir du haut de sa tour notre midi par un matin très clair.
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par Luigino Bruni
publié dans Avvenire le 03/09/2022
Les entreprises recherchent des consommateurs influençables pour vendre leurs produits et des travailleurs assidus pour les fabriquer. Ce sont les mêmes personnes : le conflit est naissant mais déjà sérieux. Les crises environnementales et énergétiques ont définitivement sonné le glas : le temps est venu d’un repentir nécessaire : l’heure n’est pas à une transition lente mais à une conversion forte.
« Imaginez un capitaine sur son navire au moment où il doit livrer bataille ; il peut peut-être dire "nous devons faire ceci ou cela" ; mais tant qu'il n'a pas encore pris sa décision, le navire avance. Il en va de même pour l'homme : arrive le moment où il n'a plus la liberté de choisir, non pas parce qu'il a choisi, mais parce qu'il n'a pas choisi. »
[fulltext] =>Cette page tirée de Aut-Aut (= ou bien-ou bien) du philosophe danois Søren Kierkegaard, un livre écrit en 1843, chef-d'œuvre de la pensée moderne, nous met immédiatement face à un carrefour décisif : « Aut-Aut : vivre esthétiquement ou vivre éthiquement ». L'esthétique « est ce par quoi l'homme est spontanément ce qu'il est ; l'éthique est ce par quoi il devient ce qu'il devient. » Celui qui vit de manière esthétique dit : « Il faut profiter de la vie. » L'icône de la vie éthique est le mari, celui qui a fait un choix et qui vit son existence dans la fidélité à un engagement et à un pacte. L'image de la vie esthétique est le séducteur, le Don Juan qui vole de fleur en fleur, qui cueille tous les fruits qu'il rencontre en chemin. Il se nourrit d'émotions, il est tout entier happé et perdu dans le présent sans avoir besoin d'harmoniser les choix d'aujourd'hui à une quelconque contrainte d'hier. L'esthète, tel que le définit Kierkegaard (tout grand auteur réinvente ses mots), vit dispersé dans le multiple, dans un perpétuel " état d'indifférence ", car " le choix esthétique n'est pas un choix ", c'est un flux. L'esthète ne se donne aucune tâche, aucun engagement autre que celui qui émerge à chaque instant. Jamais rassasié, toujours affamé de nouvelles émotions à consommer, dans une recherche spasmodique d'un bonheur qui ne vient pas car il est dévoré par le plaisir.
Il n'est pas difficile d'identifier dans notre société de consommation la réalisation parfaite de la vie esthétique décrite par Kierkegaard. Le citoyen qui habite la ville globale capitaliste est d'autant plus parfait qu'il vole de fleur en fleur pour aspirer les opportunités qui se présentent à lui. L'infidélité et la trahison sont des qualités nécessaires de l'homo consumens, car toute forme de conditionnement qu'un choix passé exerce sur les choix présents est une contrainte inefficace dont il faut se libérer. Le consommateur idéal est celui qui renaît chaque jour, sans passé ni futur, tout entier plongé dans le présent où il satisfait au maximum ses goûts. Les pactes, les promesses, la loyauté, sont de véritables frictions du système, car ce qui rend le capitalisme fluide et efficace, c'est précisément la vitesse de réaction des consommateurs à la moindre variation de qualité et de prix.
Les entreprises, quant à elles, se présentent aux consommateurs comme des agences offrant des objets de plaisir sans fin. Sur les marchés, les séducteurs ont toujours été les vendeurs, et les séduits les clients, conquis et charmés par les marchandises proposées. Les biens sont les instruments avec lesquels s'exerce la grande séduction. Des consommateurs insatiables - la non-satiété est un axiome de la théorie économique de la consommation - continuellement recherchés, poursuivis et séduits par les biens. Autrefois, cette séduction était également confiée aux gestes, aux clins d'œil, à la voix et aux mots des vendeurs ; ses lieux étaient principalement les foires et les marchés sur les places des villes. Il y a toujours eu une analogie entre l'éros et le commerce, entre la séduction amoureuse et la séduction mercantile, mais dans les marchés métis des générations passées, la philia et l'agapè sont également apparues aux côtés de l'éros, libérant ce dernier de sa cage d'éternel présent. Aujourd'hui, la séduction se construit dans les centres d'études et de marketing des grandes multinationales, et s'exerce principalement dans les médias et sur le net, donc sans corps. La tendance séductrice de l'économie a cependant augmenté, le marché devient de plus en plus un grand mécanisme de séduction de masse anonyme, un immense système de séduction. Mais c'est la séduction d'un éros sans corps - il ne faut donc pas s'étonner que dans un monde de plus en plus séduisant et "érotique", centré sur la recherche de la santé et du bien-être physiques, le désir de corps réels en fait diminue, au profit de corps imaginaires et intacts.
Le capitalisme est un immense jardin de délices, de séducteurs et de personnes séduites plongées sans fin dans l'instant fugace, de nouveaux Lotophages oublieux du passé et encore plus de l'avenir. Le XXe siècle a été le témoin d'un succès énorme et imprévu de la civilisation de l'esthétique. Dans un monde qui vivait encore dans la pénurie généralisée, la croissance exponentielle de la consommation a permis une extraordinaire prospérité généralisée, notamment dans le Nord et en Occident.
Cette richesse marchande a d'abord séduit nos corps, puis nos âmes. Au crépuscule des dieux, de nouvelles idoles scintillantes d'or et d'argent ont vu le jour. C'est ainsi que le capitalisme est devenu la nouvelle religion, toute esthétique, sans enfer, une nouvelle vie éternelle : un paradis intemporel. La catégorie de la tentation a été complètement effacée et ridiculisée, car elle est incompatible avec la civilisation esthétique qui la considère comme une limitation indue des possibilités offertes hic et nunc. Il s'agit d'un culte quotidien et instantané, dont la dimension éphémère détermine le succès stupéfiant : si son paradis ne peut être apprécié qu'au moment même de sa consommation, le seul moyen de ne pas sortir de cette félicité est de ne pas cesser d'acheter, de préférence en s'endettant, car la nouvelle finance a perverti la dimension économique du temps. Dans le passé, le crédit permettait au présent de devenir le futur, aujourd'hui le crédit à la consommation transforme le futur en présent. L'éthique de la vertu connaît elle aussi la valeur du présent, mais son présent est celui où le passé et le futur se rencontrent et empêchent le présent de sombrer dans le néant.
Un premier signal fort de la crise du capitalisme esthétique est apparu dans le monde de l'entreprise lui-même. Pour vendre leurs produits les entreprises ont besoin de consommateurs esthétiques, mais pour les fabriquer elles ont besoin de travailleurs capables d'éthique, de loyauté et de fidélité. Mais les consommateurs et les travailleurs sont les mêmes personnes, ils changent seulement de masque sur scène. Cela donne lieu à un conflit, encore naissant mais sérieux, au sein du capitalisme : pour pouvoir vendre et se développer, les entreprises encouragent la culture esthétique des consommateurs, mais lorsque ceux-ci franchissent les portes des entreprises, ils sont de plus en plus privés du capital éthique dont les entreprises ont un besoin vital. Derrière le mouvement récent des "grandes démissions" du monde du travail, il y a de nombreux facteurs, mais il y a aussi une société qui érode sur l'autel de la consommation ses biens civiques, et se retrouve avec de jeunes "esthètes" incapables de résister à l'impact du travail, qui reste un lieu de sacrifice, d’engagement, de labeur. Le capitalisme veut que nous soyons des adolescents quand on consomme et des adultes quand on est au travail, et il rend adolescent le monde des adultes.
Mais celui qui a définitivement mis en échec le capitalisme esthétique, c'est l'environnement. La crise écologique, dont la crise énergétique est aussi une expression directe, ramène la grande question de Kierkegaard au centre de la scène économique et politique : Aut-Aut. Une option fondamentale qui revêt aujourd'hui une importance collective et mondiale sans précédent, car elle concerne pour la première fois chaque habitant de la planète. Le temps s’est écoulé : il n'est plus possible de continuer à vivre dans l'indifférence de la vie esthétique.
Kierkegaard dans Aut-Aut (ou bien-ou bien) nous dit que l'étape intermédiaire obligatoire pour passer de l'esthétique à l'éthique s'appelle le désespoir. On ne passe pas de l'éthique à l'esthétique par une lente transition écologique. Le désespoir est un moment, c'est un changement de regard : il ne relève pas de l'ascèse mais de la métanoïa, c'est-à-dire d’une conversion radicale. « L'état de votre désespoir est magnifique. Choisissez donc le désespoir. » Le désespoir naît du repentir : « Le véritable salut de l'homme est de désespérer. » Kierkegaard oppose le désespoir au doute : « Le désespoir est la condition de toute la personne, le doute se limite à la pensée. » Le doute implique la raison, le désespoir l'ensemble de l'existence. Penser la crise n'est pas suffisant, c'est souvent une illusion de plus. Cela fait des décennies que nous nous vautrons dans les doutes sur la durabilité : conférences, commissions, débats sans fin, appels, discussions... L'ère du doute doit céder la place à celle du repentir collectif, puis au désespoir, qui est le prélude à un nouveau choix éthique : « Désespère et le monde redeviendra beau et plein de joie pour toi, même si tu le verras avec des yeux différents de ceux d'avant. » Il faut désespérer de tout son cœur, de tout son esprit, de toutes ses forces, mais ensemble : un juste désespoir collectif est salutaire.
Nous avons besoin d'actes symboliques forts et collectifs de repentance, nous devons nous excuser auprès du présent et de l'avenir, maintenant. Et puis ressentir du désespoir, car le désespoir est l'accoucheur d'un espoir solide après le temps des illusions. Seule une économie née du repentir et du désespoir peut devenir éthique.
Dans ce processus collectif vital et nécessaire de repentance-désespoir-éthique, nous avons avant tout besoin de véritables maîtres. Seuls, nous ne pouvons pas le faire. Nous avons besoin de mots autres que les nôtres. Nous en avons trouvé beaucoup au fil des ans dans la Bible, et nous les utiliserons. Dans cette nouvelle série de réflexions, Racines de l'avenir, nous irons à la recherche de paroles fortes aux racines de notre humanité, chez les écrivains, les philosophes, les poètes qui ont ressenti le désespoir de leur époque et ont essayé d’en voir une autre "avec des yeux différents". Bon voyage.
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