La terre du 'nous'

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La terre de nous tous/8 - Le marché, les commerçants et l'Évangile entre réflexion scientifique et œuvres sociales

par Luigino Bruni

publié dans Avvenire le 11//11/2023

L'époque des marchands médiévaux, avec leurs entreprises dont le Livre de raison comportait un compte général intitulé "À Notre Seigneur Dieu", fut celle où l'alliance entre les marchands et les frères mendiants a fait naître Florence, Padoue ou Bologne. Une époque extraordinaire qui n'a pas réussi à devenir la culture économique italienne et méridionale moderne, parce que la Réforme luthérienne et la Contre-Réforme catholique ont divisé l'Europe en deux et ont freiné le plein épanouissement des semences de la culture médiévale. Ce fut, paradoxalement, le monde protestant des pays nordiques qui a recueilli une partie de l'héritage de la première économie de marché du Moyen Âge (mais sans ses charismes, sans François ni Benoît), bien qu'elle soit née en s’opposant aux richesses de la chrétienté romaine des papes de la Renaissance. Les pays catholiques, et parmi eux l'Italie de façon particulière, ont vécu la Réforme protestante comme un traumatisme religieux et social, dont les effets ont les caractéristiques d’une grande blessure collective. Nous ne pouvons pas savoir ce que la société et l'économie italiennes et méridionales auraient pu devenir si cette alliance entre franciscains et marchands s'était poursuivie après le XVIe siècle, si l'Église catholique n'avait pas été effrayée, parfois terrifiée, par toute forme de liberté individuelle, convaincue que le "for interne", sans le contrôle des clercs, était trop exposé aux vents de l'hérésie du Nord. Toute cette classe de marchands humanistes qui s'était développée au siècle de Dante et de Masaccio, puis de Michel-Ange et Machiavel, grâce à l’essor des entreprises et des banques Toscanes et Lombardes, s'est brisée sur le récif du Concile de Trente, et avec la fin du XVIe siècle a commencé cet âge baroque qui a suscité d’excellents artistes et écrivains mais sans engendrer de fils ni de petits-fils à la hauteur de ces premiers marchands amis des frères et des villes. L'histoire baroque de l'Italie est celle d'un parcours interrompu, d'un inachèvement social, religieux et économique, qui a eu un effet décisif sur la forme qu’ont prise l'économie et la société transalpine à l’époque moderne. Cet ensemble fait de théologie, de normes juridiques et morales, de pratiques et d'interdits, de peurs et d'angoisses que nous appelons la Contre-Réforme (je n'utilise pas l'expression Réforme catholique, même s'il y a une Réforme dans la Contre-Réforme catholique et une Contre-Réforme dans la Réforme protestante) n'a pas seulement conditionné notre vie religieuse, elle a aussi changé et façonné nos entreprises, nos politiques, nos banques, nos communautés, nos familles et nos impôts.

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Dans cette Italie de la Contre-Réforme, une dimension de l'éthique économique du Moyen Âge et de la Renaissance a néanmoins réussi à survivre à cette restauration. Elle s'est glissée dans les recoins cachés entre les plis de la vie des gens, dans les espaces de vie inoccupés par le pouvoir religieux. Des espaces souvent engloutis, véritables rivières karstiques, où certains marchands et banquiers ont réussi à s’introduire sans se laisser décourager ni vaincre par les manuels de confessions et les catéchismes opposés aux commerçants et aux sociétés des XVIIe et XVIIIe siècles. Au cours de ces siècles, de nombreux Monts de Piété ont disparu, d'autres se sont transformés en banques commerciales. Les Monts frumentaires, nous l'avons vu, ont survécu plus longtemps, pendant quatre siècles, et ont fourni de maigres ressources mais qui ont été décisives pour l'Italie du Sud. Ils étaient peu nombreux, mais il ne manquait pas de savants économistes qui, jonglant avec les interdictions et les condamnations ecclésiastiques, écrivirent de belles pages de réflexion sur l’économie. Antonio Serra et Tommaso Campanella, puis Ludovico Muratori et Scipione Maffei furent ce pont idéal qui a uni les rives de l'humanisme social aux Lumières réformatrices de Genovesi et de son université napolitaine (de Dragonetti, Longano, Odazi, Filangieri, Galanti...), ce qui constitua l'une des périodes les plus lumineuses de l'histoire de l'Italie. Le XVIIIe siècle économique se heurta ensuite à la restauration des premières décennies du XIXe siècle, puis à l'antimodernisme de la fin du XIXe et du début du XXe siècle avec le Non expedit de Pie IX en 1874 et la Lettre Encyclique Pascendi dominici gregis de Pie X (1907), qui s'apparentait culturellement au climat créé par la Contre-Réforme dans les siècles passés.

Pour en venir directement à l'économie, le Napolitain Francesco Fuoco a écrit, dans les années 1820-1830, des textes qui étaient encore très marqués par la pensée de Genovesi, et donc humanistes, héritiers des marchands-banquiers humanistes de la Toscane des XIVe et XVe siècles. Mais avec Fuoco, la tradition de l'économie civile de Genovesi a pris fin, car au milieu du XIXe siècle, nos meilleurs économistes ont refondé la tradition italienne sur des bases françaises et anglaises, sans aucun lien vital avec le XVIIIe siècle napolitain et italien. De bons économistes verront le jour, mais ils seront désormais tous très éloignés de Genovesi et insérés dans le courant principal d'une science nouvelle, internationale et de plus en plus dirigée par les Anglo-Saxons. L'Italie devient une périphérie, même si elle reste respectée jusqu'à la Seconde Guerre mondiale (surtout grâce à l'immense estime de tous pour Vilfredo Pareto).

Quelques économistes italiens, même talentueux, ont toutefois tenté, entre le XIXe et le XXe siècle, de renouer avec la tradition italienne classique, sans suivre le rail uniforme de la science dans ses nouvelles voies. L'un d'entre eux, et peut-être le plus intéressant, est Achille Loria (1857-1943), de Mantoue, que nous avons quitté la semaine dernière avec sa "théorie de la rente", semblable à celle de Francesco Fuoco. Loria fut l'un des rares économistes de son temps à ne pas regretter les Monts frumentaires : « Les Monts frumentaires prêtaient du blé en nature, en donnant à l'emprunteur, au moment des semailles, un boisseau de blé à peine rempli et en recevant, au moment de la récolte, un boisseau débordant : la différence entre les deux représentait l'intérêt. Mais avec le temps, ce prêt fut surtout consenti en faveur des grands propriétaires terriens et perdit ainsi tout le caractère philanthropique qui constituait son mérite. » (Cours d’Économie politique, 1927, p. 695). L'intérêt de Loria pour la rente, qu'il place au centre de son système, est l'expression d'une vision de l'économie et de la société centrée sur le profit, et donc sur les entrepreneurs, sur la classe productive, critiquant ainsi la tendance parasitaire de la culture italienne, qui s'était développée de manière exponentielle pendant la Contre-Réforme. Le XVIIe siècle est en effet l'époque du retour à la terre, de la noblesse de sang, des comtes et des marquis, d'une classe de nobles qui vivent sans travailler, et de tout le reste de la société qui travaille sans vivre : « Puis vint une autre subdivision des classes sociales, modelée sur la distinction entre capital productif et improductif : celle des capitalistes productifs, qui se consacrent exclusivement à l'industrie, et celle des improductifs qui n'accroissent pas la richesse sociale mais spéculent sur les valeurs, en gagnant leur revenu par prélèvement sur ceux des autres. » (La synthèse économique, 1910, p.211).

Une question demeure cependant. Loria était un continuateur de la tradition de l’école italienne, mais il n'était pas catholique (il était issu d'une famille juive) : quelle a été la direction de la pensée économique catholique au XXe siècle ? Loria a également écrit sur la coopération et le mouvement coopératif. C'est d'ailleurs dans ses écrits sur la coopération, sur les banques rurales, puis sur les caisses d'épargne que l'on trouve quelques-unes des plus belles pages d'Économie civile des écrivains italiens, à partir de la seconde moitié du XIXe siècle, dont de très belles pages de Giuseppe Mazzini. De même qu'à l'époque de la Contre-Réforme, les Italiens catholiques se sont consacrés à la construction de Monts de Piété, de Monts frumentaires, et d'une énorme quantité (et qualité) d'œuvres sociales, d'écoles et d'hôpitaux, de même la nuit de la libre pensée antimoderniste entre le XIXe et le XXe siècle a vu une grande prolifération d'œuvres sociales, d'institutions, de coopératives, de banques, et de bâtisseurs peu académiques, mais qui ont remarquablement contribué au bien commun.

Cela n'enlève rien au fait que la vague antimoderniste de l'Église catholique a également fortement mobilisé les quelques économistes catholiques de la première moitié du XXe siècle, depuis Giuseppe Toniolo jusqu'à Amintore Fanfani. Cette tradition catholique, qui avait un centre important dans aux débuts de l'Université Catholique du Sacré-Cœur à Milan, fondée par Agostino Gemelli, a continué à considérer le Moyen-Âge comme l'âge d'or et la scolastique de Thomas comme le point culminant de la culture et de la philosophie chrétiennes, même dans le domaine économique. Pour Fanfani, brillant auteur et personnalité de renom, l'apogée de l’éthique économique se situe entre le XIIIe et le début du XIVe siècle, lorsque, avec les premiers signes de l'humanisme - perçu comme un relent de paganisme - commence le déclin de la civilisation chrétienne, qui donnera naissance, dès la fin du XIVe siècle, à l'esprit du capitalisme, qui est pour Fanfani un esprit maléfique. En effet, Fanfani, critiquant (peut-être sans le comprendre) Max Weber, affirme que le capitalisme n'est pas né dans le monde protestant mais en Italie entre le XIVe et le XVe siècle, lorsque le monde économique abandonne les enseignements de la scolastique et commence à suivre des voies différentes, éloignées de l'authentique humanisme évangélique : « Au cours du XIVe et du XVe siècle, le nombre de ceux qui adoptent des méthodes contraires aux règles thomistes pour s’enrichir augmente... Le voisin perd sa qualité de frère pour acquérir celle de concurrent, c'est-à-dire d’ennemi. » (Les origines de l’esprit capitaliste en Italie, Vie et Pensée, 1933, p.162). C'est ainsi que des marchands comme Marco Francesco Datini ont voulu racheter leur mauvaise vie en « essayant de se racheter à l'article de la mort. » (p.165). Car, à ce moment-là, « la richesse n'est qu'un moyen de satisfaire ses propres besoins. » (p.165). Au contraire, jusqu'au milieu du XIVe siècle, l'économie était pour Fanfani chrétienne parce que « l'activité économique, comme toutes les autres activités humaines, devait se dérouler autour de Dieu.... Elles se rejoignaient dans une idée : celle du théocentrisme. » (p.158). Le XVe siècle a donc vu naître l'esprit du capitaliste qui « ne connaît d'autre limite de conduite que l'utilité. » (p.155).

Ainsi, tout le travail de l'école franciscaine entre le XIIIe et le XIVe siècle (que Fanfani et Toniolo ignorent ou ne prennent pas au sérieux), qui avait conduit à une nouvelle conception du profit et du marchand comme ami de la cité, est considéré comme une dégénérescence et une décadence par rapport au véritable esprit chrétien, celui dominé par le thomisme, quand on ne travaillait que pour le bien commun, parce que, dit-il, travailler pour le bien privé n'est qu'une forme d'égoïsme et de recherche de l'utilité personnelle. D'où sa vision, qui oppose l'humanisme à la scolastique, et surtout met la centralité de Dieu en concurrence avec celle de l'homme, comme si Dieu avait voulu un monde tout orienté vers lui, un Père qui ne se réjouirait pas de l'autonomie de ses enfants et les voudrait tous à son service exclusif - Quel père, à moins d’être incestueux, pourrait agir ainsi ? On a ainsi oublié que les quatorzième, quinzième et seizième siècle étaient au contraire les siècles où l'alliance entre franciscains et marchands avait réalisé d'authentiques miracles économiques, civils, artistiques et spirituels, et voilà qu’au XXe siècle on assiste au retour de la rivalité entre la centralité de Dieu et celle des hommes qui avait dominé la Contre-Réforme.

De nombreux documents de la doctrine sociale de l'Église sont affectés par ces décennies de lutte contre la modernité, le commerce, les entrepreneurs et les banques (il n'est pas surprenant de ne pas trouver les mots entrepreneur et banque dans notre Constitution). C'est pourquoi il serait aujourd'hui non seulement urgent mais nécessaire que les études de Doctrine Sociale repartent réellement de l'Humanisme, de cette période où le marché est né de l'esprit chrétien, de l’alliance entre marchands et mendiants, de l'Évangile, et non contre lui. C'est ce que nous avons essayé de faire au cours de ces semaines. Merci à ceux qui nous ont suivis dans ce parcours exigeant, mais aussi, espérons-le, un peu utile.

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par Luigino Bruni

publié dans Avvenire le 11//11/2023

L'époque des marchands médiévaux, avec leurs entreprises dont le Livre de raison comportait un compte général intitulé "À Notre Seigneur Dieu", fut celle où l'alliance entre les marchands et les frères mendiants a fait naître Florence, Padoue ou Bologne. Une époque extraordinaire qui n'a pas réussi à devenir la culture économique italienne et méridionale moderne, parce que la Réforme luthérienne et la Contre-Réforme catholique ont divisé l'Europe en deux et ont freiné le plein épanouissement des semences de la culture médiévale. Ce fut, paradoxalement, le monde protestant des pays nordiques qui a recueilli une partie de l'héritage de la première économie de marché du Moyen Âge (mais sans ses charismes, sans François ni Benoît), bien qu'elle soit née en s’opposant aux richesses de la chrétienté romaine des papes de la Renaissance. Les pays catholiques, et parmi eux l'Italie de façon particulière, ont vécu la Réforme protestante comme un traumatisme religieux et social, dont les effets ont les caractéristiques d’une grande blessure collective. Nous ne pouvons pas savoir ce que la société et l'économie italiennes et méridionales auraient pu devenir si cette alliance entre franciscains et marchands s'était poursuivie après le XVIe siècle, si l'Église catholique n'avait pas été effrayée, parfois terrifiée, par toute forme de liberté individuelle, convaincue que le "for interne", sans le contrôle des clercs, était trop exposé aux vents de l'hérésie du Nord. Toute cette classe de marchands humanistes qui s'était développée au siècle de Dante et de Masaccio, puis de Michel-Ange et Machiavel, grâce à l’essor des entreprises et des banques Toscanes et Lombardes, s'est brisée sur le récif du Concile de Trente, et avec la fin du XVIe siècle a commencé cet âge baroque qui a suscité d’excellents artistes et écrivains mais sans engendrer de fils ni de petits-fils à la hauteur de ces premiers marchands amis des frères et des villes. L'histoire baroque de l'Italie est celle d'un parcours interrompu, d'un inachèvement social, religieux et économique, qui a eu un effet décisif sur la forme qu’ont prise l'économie et la société transalpine à l’époque moderne. Cet ensemble fait de théologie, de normes juridiques et morales, de pratiques et d'interdits, de peurs et d'angoisses que nous appelons la Contre-Réforme (je n'utilise pas l'expression Réforme catholique, même s'il y a une Réforme dans la Contre-Réforme catholique et une Contre-Réforme dans la Réforme protestante) n'a pas seulement conditionné notre vie religieuse, elle a aussi changé et façonné nos entreprises, nos politiques, nos banques, nos communautés, nos familles et nos impôts.

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Capitalisme, un nouvel esprit catholique

Capitalisme, un nouvel esprit catholique

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La terre de nous tous/7 – À la suite de Fuoco, Achille Loria critique la rente comme facteur d'injustice

par Luigino Bruni

 publié dans Avvenire le 04//11/2023

L’époque de la Contre-Réforme est sous le signe de l’ambivalence : les exemples lumineux des Monts des Franciscains se mêlent à des zones d’ombre dans d'autres domaines. En matière de science économique italienne, en revanche, ce fut une période faste. Alors que la théologie et la philosophie devenaient des secteurs à risque en raison du contrôle minutieux du Saint-Office, les arts, la musique, les sciences et même l'économie demeuraient des disciplines plus sûres où les chercheurs pouvaient s'exprimer avec une plus grande liberté. C'est ainsi que cette époque pauvre en grands théologiens et philosophes (surtout si on la compare à l'Europe du Nord) a suscité de nombreux et remarquables écrivains, musiciens, artistes et économistes.

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C'est dans le royaume de Naples que le génie économique méditerranéen et catholique s'est le plus manifesté. La tradition économique napolitaine a commencé aux XVIe et XVIIe siècles, grâce à Antonio Serra de Cosenza, qui a écrit son Bref traité (1613) considéré par beaucoup comme la première étude d'économie moderne, et pas seulement pour l'Italie. Puis, toujours à Naples, le XVIIIème siècle est celui de Ferdinando Galiani, Antonio Genovesi, Filangieri, Dragonetti et de dizaines d'autres célèbres économistes qui ont écrit sur l'argent, le crédit et surtout sur le "bonheur public". Cette tradition est restée vivante jusqu'à la première moitié du XIXe siècle avec Francesco Fuoco, qui peut être considéré comme le dernier des auteurs italiens classiques.

Ensuite, la naissance du Royaume d'Italie a engendré une forte tendance à considérer l'économie anglaise et française comme la "vraie" science, et la tradition napolitaine a donc fini par être jugée obsolète et rétrograde. Entre-temps, la science économique anglo-saxonne change de voie ; elle ne tarde pas à abandonner les grands thèmes du développement et du bien-être des peuples pour se concentrer sur l'individu et son utilité. Dans ce contexte culturel, le paradigme napolitain du bonheur public, qui s'intéresse davantage à la société qu'aux individus, apparaît encore plus lointain et étranger, et tombe rapidement dans l'oubli.

Francesco Fuoco, "personnage tout à la fois drôle et talentueux" (T. Fornari, Teorie economiche delle province napoletane, p.615), n'était pas seulement un excellent expert en matière de crédit et de banque. Il a écrit des pages remarquables concernant de nombreux autres domaines de la science économique. Dans le sillage de Genovesi, Fuoco voit dans le marché une forme providentielle d'"entraide" et de réciprocité. Ainsi, la "division du travail" ne divise pas mais favorise la cohésion sociale : « La division du travail n'est pas opposée à l’unité, au contraire elle la suppose et sert à la rendre plus forte et plus durable. » (Scritti Economici, 1825, I, p.205). En particulier, les différents métiers constituent un grand système de coopération et d’entraide, premier ciment des sociétés : « La division du travail n'est autre chose que la distinction des métiers. Plus l'industrie se perfectionne, plus les divisions se multiplient, et plus les professions deviennent nombreuses. » (p.207).

Ainsi, l'industrie et l'économie sont considérées par Fuoco comme un réseau coopératif dense où chacun répond, par son travail, aux besoins des autres, dans la réciprocité. Le travail est un langage de coopération civile, grâce auquel des milliers, aujourd'hui des millions de personnes s'entraident et coopèrent sans même se connaître. Fuoco et l'école napolitaine tiennent un discours opposé au nôtre où l'entreprise se résume à la compétition, à la lutte contre les concurrents, aux vertus antagonistes et guerrières: pour eux le marché est une civilisation parce qu'il favorise les vertus coopératives et douces, parce qu'il se fonde sur la loi d'or de la réciprocité positive : « C'est ainsi que les peuples sont devenus membres d'une vaste famille, et qu'une sorte de communauté s'est établie entre tous les habitants de la terre. » (p.x).

Mais c'est sur la "théorie de la rente" que Fuoco a concentré ses réflexions. Lors de son séjour en France, il s'est familiarisé avec le récent débat anglais sur la rente foncière. Il étudie en particulier la théorie de David Ricardo qui, dans ses Principes d'économie politique (1817), propose une théorie de la destruction des revenus et du capitalisme différente de celle d'A. Smith, en mettant l'accent sur la rente comme clé de compréhension de la dynamique du capitalisme. Quelques années plus tard, Fuoco écrit son propre essai sur la rente (en 1825), dans lequel il approfondit le débat, en l'amendant et en le complétant. Quel est le cœur de son argumentation ?

La théorie de la rente repose sur deux piliers : (1) le rôle central des entrepreneurs (ou capitalistes) dans la richesse et le développement des nations ; (2) le conflit structurel entre les entrepreneurs et les propriétaires terriens (ou rentiers). Il existe trois classes sociales, et leurs revenus respectifs sont au nombre de trois : les salaires vont aux travailleurs, les profits aux entrepreneurs, les rentes aux propriétaires terriens. Les salaires étant fixés au niveau de subsistance, les deux variables du système économique sont les profits et les rentes, qui sont en relation de rivalité : si l'un augmente, l'autre diminue. D'où l'idée fondamentale : le développement économique trouve sa limite dans le conflit radical entre les rentiers et les entrepreneurs, un conflit remporté par les rentiers parce que la dynamique du capitalisme conduit à une forte augmentation des rentes au détriment des profits. Et comme les entrepreneurs sont le moteur du développement, la réduction des profits conduit à l'impasse du système : « A mesure que les rentes augmentent, les profits diminuent, et à mesure que les profits diminuent, l'épargne et donc l'accumulation deviennent plus difficiles. » (Écrits économiques, I, p.57).

Fuoco était convaincu que le bonheur public dépendait de la croissance de l'industrie et donc des entrepreneurs et, par conséquent, de la diminution du pouvoir des rentiers ; également parce que, contrairement à Ricardo et à Malthus, Fuoco était convaincu que la croissance des rentes tirait également les salaires vers le bas et appauvrissait les travailleurs et les "consommateurs" (un terme présent dans son système). D'où sa proposition radicale en matière de fiscalité : « Si la rente de l'État [la fiscalité] ne provenait que de la rente foncière, l'industrie ne serait pas lésée. » (p.67). Une thèse qui reste encore aujourd'hui à l’état de prophétie, si l'on considère la faible imposition des richesses et des rentes de toutes sortes. A partir de là, Fuoco va encore plus loin et s’avance sur le terrain prometteur de l'utopie sociale : « Si les terres n'appartenaient à personne, le revenu total de celles-ci pourrait servir aux dépenses de l'État. » (p.67). Une thèse qui préfigure la théorie de la "terre libre" du Mantouan Achille Loria (1857-1943), autre grand économiste italien oublié.

En effet, c'est Loria lui-même qui fait l'éloge de son prédécesseur napolitain : « Francesco Fuoco, brillant défenseur de la théorie ricardienne de la rente et remarquable par la prééminence qu'il accorde aux rapports de distribution sur ceux de production. » (A. Loria, Verso la giustizia sociale, 1904, p.90). En réalité, la production était très importante pour Fuoco, mais il était convaincu, et nous avec lui, que si le mécanisme qui attribue des parts de revenus aux différentes classes sociales (c'est-à-dire la "distribution") est déformé et perverti, la production s'effondre.

Loria est un auteur extrêmement important dans notre recherche sur "l'esprit méridional" du capitalisme. Alors que la science économique s'oriente vers les préférences des consommateurs et devient une arithmétique appliquée aux choix de l'individu, Loria, avec une ténacité sans borne, place la "vieille" rente au cœur de sa théorie. Et il l'a fait tout au long de sa vie comme une authentique vocation, depuis ses premières études universitaires à Sienne jusqu'à sa mort qui l'a surpris dans sa maison de Luserna San Giovanni (Turin) alors que les fascistes tentaient de le capturer parce qu'il était juif. Dans sa thèse de fin d'études, il écrit : « La rente foncière n'est pas seulement le phénomène le plus important de tout l'organisme social, mais elle en est elle-même la synthèse. » ("La rendita fondiaria", 1880, p. xiii). Loria était un critique du capitalisme à la fois semblable et différent de Karl Marx. Comme Marx, il voulait comprendre les grands mouvements de la société à partir des relations économiques ; mais alors que pour Marx l'axe du capitalisme réside dans le conflit entre les salaires et les profits, pour Loria (et Engels) le conflit décisif se joue entre les rentes et les profits : « La véritable scission fondamentale des deux catégories de richesse est celle qui existe entre la classe des propriétaires terriens et celle des capitalistes aux intérêts antithétiques et opposés, et donc en perpétuel conflit. » (La sintesi economica, 1910, p. 211).

Entre le XIXe et le XXe siècle, Loria a écrit des ouvrages monumentaux pour donner de plus en plus de fondement à sa thèse et présenter ainsi une théorie du matérialisme historique alternative à celle de Marx et de F. Engels - avec lesquels il a eu de vives polémiques publiques, en partie rapportées dans sa Préface au troisième volume du Capital de Marx. L'histoire de Loria est celle d'une défaite. Sa théorie de la rente a été écrasée "à gauche" par le développement du marxisme (A. Gramsci a sarcastiquement inventé l'expression "lorianisme") et "à droite" par la nouvelle économie libérale néoclassique représentée en Italie par Pantaleoni et surtout Pareto (qui, avec l’arrogance qu'on lui connaît, considérait Loria comme un charlatan). Loria, de plus en plus seul et marginalisé (et estimé par quelques-uns, dont Luigi Einaudi), continua néanmoins à croire en sa théorie de la rente, qui, avec le temps, ne concernait plus seulement la rente foncière mais s'étendait à toute forme de revenu qui arrive aujourd'hui grâce aux privilèges d'hier (il s'agit, par essence, de la rente). C'est pourquoi il a également écrit sur les rentes financières et les banques - aurait-il également traité des rentes de Consulting au détriment des entrepreneurs d'aujourd'hui ? La théorie de la rente est donc l'instrument avec lequel Loria critique un capitalisme de plus en plus spéculatif et éloigné du travail : « La vérité est que, sous le monde économique sain et normal que l'école classique se plaît à peindre, sous les propriétés et les latifundia, les ateliers et les usines, dans de lugubres souterrains, s'agite un conglomérat de faux-monnayeurs qui manipulent et trafiquent les richesses d'autrui et en tirent frauduleusement de très grands profits. » (Corso di Economia Politica, 1910, p.303).

On comprend ainsi l'une de ses plus belles affirmations : « Quiconque observe la société humaine avec un esprit serein perçoit aisément qu'elle présente l'étrange phénomène d'une scission absolue et irrévocable en deux classes rigoureusement distinctes ; dont l'une, sans rien faire, s'approprie des revenus énormes et croissants, tandis que l'autre, beaucoup plus nombreuse, travaille du matin au soir de sa vie en échange d'un salaire misérable ; l'une vit sans travailler, tandis que l'autre travaille sans vivre, ou sans vivre humainement. » (Les fondements économiques de la constitution sociale, 1902, p.1). Le système classique de Ricardo, Fuoco et Loria était tridimensionnel : terre, travail, capital. En revanche, la science économique néoclassique de la fin du XIXe siècle est devenue bidimensionnelle : travail et capital. Cette transformation n'a pas seulement entraîné la perte de la profondeur théorique que la troisième dimension de la terre apportait avec elle. L'éclipse de la terre dans le capitalisme est l'une des principales causes de la destruction de la planète et de la perte de ses racines. Dans une interview qu'il a accordée à "L'ufficio moderno" lorsqu’il quitte sa chaire d’enseignant à l'Université de Turin, à la question « Qu'est-ce qui stimule le plus votre intérêt scientifique ? », Loria a répondu par une phrase qui devrait être inscrite dans tous les Départements d'Économie du monde : « La douleur des hommes »

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La terre de nous tous/7 – À la suite de Fuoco, Achille Loria critique la rente comme facteur d'injustice

par Luigino Bruni

 publié dans Avvenire le 04//11/2023

L’époque de la Contre-Réforme est sous le signe de l’ambivalence : les exemples lumineux des Monts des Franciscains se mêlent à des zones d’ombre dans d'autres domaines. En matière de science économique italienne, en revanche, ce fut une période faste. Alors que la théologie et la philosophie devenaient des secteurs à risque en raison du contrôle minutieux du Saint-Office, les arts, la musique, les sciences et même l'économie demeuraient des disciplines plus sûres où les chercheurs pouvaient s'exprimer avec une plus grande liberté. C'est ainsi que cette époque pauvre en grands théologiens et philosophes (surtout si on la compare à l'Europe du Nord) a suscité de nombreux et remarquables écrivains, musiciens, artistes et économistes.

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La véritable économie part de la douleur des hommes

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La terre de nous tous/6 - L'économie civile napolitaine du XVIIIe siècle et la pensée de Francesco Fuoco

par Luigino Bruni

publié dans Avvenire le 28/10/2023

L'idée que l'échange est un "jeu" où les gains des uns sont égaux et opposés aux pertes des autres, est souvent la première difficulté qu'un professeur rencontre dans ses premiers cours d'économie. Les étudiants abordent l'économie en pensant que le marché est un lieu de relations à somme nulle (+1/-1). Il est en effet difficile de faire comprendre que dans l'échange économique, la règle d'or est le profit mutuel, et donc que les gains des uns correspondent aux gains des autres, et que lorsque ce bénéfice mutuel ne se produit pas, on fausse et on dénature le marché, qui finit par ressembler à une guerre, à un vol ou à de l'athlétisme (la métaphore sportive appliquée à l'économie étant presque toujours inadéquate). Derrière la mauvaise réputation que les opérateurs économiques ont subi pendant des siècles se cachait la même erreur commise aujourd’hui par mes étudiants. Si, en effet, le marché est une relation où l'une des parties s'enrichit aux dépens de l'autre, il devient nécessaire de protéger la partie la plus faible, de réduire l'espace d'échange, et donc de considérer les commerçants et les banquiers avec une grande méfiance. Les interdictions religieuses du prêt à intérêt n'ont fait que renforcer cette vision négative. En réalité, les commerçants et les opérateurs financiers savaient bien que le marché était un "jeu à somme positive" ; ils le savaient parce qu'il était fondé sur des contrats qui, lorsqu'ils sont exécutés en toute liberté, révèlent la nature mutuellement bénéfique des parties (pourquoi devrais-je consentir librement à une relation prédatrice ?) ; tout comme ils savaient que le bénéfice mutuel était souvent asymétrique (+4, +1) en raison des différences d'information et des rapports de force. Mais lorsque le contrat en vient à générer un moins quelque part (+2, -1), ils savaient que l'on sortait de l'économie pour entrer dans le vol, que l'on sortait de la normalité pour entrer dans la pathologie du marché.

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Le vrai problème est donc ailleurs, chez les théologiens et les philosophes. Ceux qui ont en effet écrit sur les prix, les marchés ou l'intérêt étaient en grande partie des intellectuels qui (à l'heureuse exception des franciscains et de quelques dominicains) prêchaient le commerce et les affaires sans avoir en général la moindre idée de ce qu'étaient les vrais marchés, les vrais prêts, les vrais contrats, les vrais magasins et les vrais entrepreneurs (un problème qui, en partie, existe toujours). Ainsi, l'idée était supérieure à la réalité, et les traités de morale et les manuels pour les confesseurs parlaient d'un monde commercial déformé, très éloigné de la vie réelle des gens. Si bien que pendant que les traités contre le commerce et l'usure se multipliaient, le Moyen-Âge comptait des dizaines de milliers de banquiers et de marchands chrétiens, qui réalisaient des profits, empruntaient et prêtaient à usure, tout en contribuant à la magnificence de nos villes.

En effet, décrivant la grande diffusion de l'usure dans l'Italie des XIIIe et XIVe siècles, A.L. Muratori rappelle que le prêt à intérêt était prévu dans les statuts des villes, où il existait même souvent un registre public des usuriers : « Personne à Sienne ne pouvait prêter à usure de quelque manière que ce soit, s'il ne s'inscrivait pas d'abord dans le livre appelé Usuraio di Bischerna. » (Opera Omnia, 1790 [1738-1743], XVI, p.310), lit-on dans un document de 1339 cité par Muratori - la "Bischerna" était l'ancienne magistrature. Il poursuit : « Celui qui prêtait à usure ne prêtait que pour six mois, et celui qui recevait l'argent faisait un don à l'usurier, c'est-à-dire qu'il payait [immédiatement] le fruit des six mois. » Une fois les six mois écoulés, « si le débiteur ne payait pas, l'intérêt qu'il était obligé de payer était d'un quart de lire pour chaque lire de chaque mois. » (p. 311), soit 4% par mois équivalant à près de 50% par an (et l'on comprend ici pourquoi les 5% annuels sur les prêts au Mont de Piété étaient bien le taux d'une institution à but non lucratif). Le langage est frappant : on parlait de don à l'usurier, car présenter l'intérêt comme un don permettait de contourner plus facilement les interdictions de l’Église contre l'usure. Mais chaque commerçant savait bien que la réalité était très différente des mots qui la désignaient, et que le don n'avait rien à voir avec elle. Les belles paroles sont les premières victimes de tout éloignement de la réalité par l’idée que l’on s’en fait. C'est ainsi que l'hypocrisie et le double langage sont devenus monnaie courante dans le monde des commerçants et des banquiers depuis le Moyen Âge jusqu'à une époque récente.

Une hypocrisie civile renforcée et amplifiée par les théologiens de la Contre-Réforme qui, après des siècles, ont repris les anciennes interdictions sophistiquées du profit et de l'usure, qui avaient été largement dépassées par les franciscains et les marchands entre le 13e et le 16e siècle. Au XVIIe siècle, on a vu s’accroître la distance et la méfiance entre le monde économique et le monde ecclésiastique, y compris chez les banquiers très chrétiens des papes. La religion devient une affaire de culte et de fêtes, de confréries et de processions, de naissances et de décès, d'épouses et de femmes, mais les marchands et les banquiers se tiennent à l'écart des confessionnaux et des sermons. Parmi les nombreux prédicateurs et théologiens de la Contre-Réforme, se distingue le jésuite Paolo Segneri (1624-1694), homme de lettres estimé (il a collaboré à la troisième édition du Vocabolario della Crusca), auteur de nombreux manuels pour les confesseurs et de traités de morale. Le plus célèbre d'entre eux est Il cristiano istruito secondo la sua legge (Le chrétien instruit selon sa loi) publié en 1686. On y lit des mots très durs à l'égard des marchands, « qui, en vendant aux pauvres leur marchandise à crédit, leur font une faveur, à savoir que depuis qu’ils n’ont plus d’argent ils la paient plus chère. ». Le crédit sur parole est donc une escroquerie créée par le vendeur dans le seul but d'augmenter ses gains au détriment des pauvres. Et il ajoute : « Je sais que les marchands se défendent avec ces prétextes si précieux pour eux., tels le "manque à gagner" et le "dommage réel"..., mais je doute fort que ce ne soient souvent pour eux qu'une simple astuce pour arracher de force des fruits qu'ils ne peuvent atteindre avec la main. » (Ed. Veneziana, Carlo Todero, 1765, vol. 1, p. 207). Ces phrases élégantes révèlent une piètre conception morale du commerce, réalisée dans de sombres ateliers : « L'acheteur cherche des avantages illicites, soit en discutant le prix, soit en invoquant la faiblesse des cours de la monnaie. Le vendeur s'efforce de dissimuler les défauts de la marchandise qu'il expose, et quand on l'interroge, il les cache en choisissant habilement des boutiques obscures, pour qu'ils apparaissent moins. » (p.209). Il poursuit avec ses doutes (qui sont en réalité des certitudes) : « Je doute aussi du grand risque qu’ils appréhendent, celui de ne pas être payés en vendant à temps, ne se produise pas, parce qu'ils réclament souvent le Mallevadore [un garant] ; et comme si cela n’était pas suffisant, ils veulent aussi le gage. » (p.207). Il est évident que Segneri parle ici des marchands mais aussi des banquiers qui, dans l'ancien régime, étaient souvent les mêmes personnes. Et de conclure : « Négocier une bonne affaire et ne pas nuire aux autres dans sa boutique, est chose très difficile. » (p.208). Enfin, l'idée de l'échange comme "jeu à somme nulle" apparaît très clairement : « Dans tout contrat d'achat et de vente, le péché se situe au milieu, comme un poteau bloqué entre un mur et un autre ... C'est à peu près comme si, entre ces deux termes, l'injustice était tellement coincée, qu’on ne peut s'en délivrer même si on le veut. D'un côté, elle est accaparée par l’acheteur, de l’autre par le vendeur. » (p. 208).

Il ne faut donc pas s'étonner, compte tenu de cette idée dominante en matière de commerce et de crédit, que ni le mot entrepreneur, ni le mot banque ne figurent dans notre belle constitution italienne.

L'économie civile napolitaine et italienne est née au XVIIIe siècle avec une autre conception du commerce et du crédit. Nous l'avons déjà vu avec Genovesi, et maintenant avec l'un de ses héritiers, le Casertan (Mignano) Francesco Fuoco (1774-1841). Fuoco, aujourd'hui oublié dans sa propre patrie, fut un auteur extrêmement original, parfois génial. Prêtre, révolutionnaire napolitain en 1799, pédagogue, mathématicien, physicien, géographe latiniste et philologue dans la première phase de son activité, il devint ensuite économiste après son exil politique en France (1821-23), où il étudia avec le grand économiste J.B. Say. C'est au cours de cette période française qu'il entame une collaboration compliquée avec l'homme d'affaires de Côme Giuseppe de Welz, pour lequel il écrivit, peut-être par nécessité économique, ses premiers ouvrages sur l'économie et la finance (qui paraissent sous la signature de de Welz : un conflit d'attribution qui n'est pas encore entièrement résolu). Il s'agit notamment du livre La magia del credito svelata (1824), où l'on trouve une théorie novatrice et parfois surprenante du crédit et de la banque. Sa référence est Antonio Genovesi, dont il cite de larges extraits dans ses Saggi Economici (1825-27), où, entre autres, parlant des maxima et minima en économie (Fuoco est l'un des premiers économistes mathématiciens), il écrit : « La notion de salaire minimum est le point où l'ouvrier refuse de travailler pour un salaire insuffisant. » (Vol. II, p. 11), pour nous rappeler que le salaire minimum est tout sauf un sujet récent ou saugrenu.

Dans l'introduction de La magie du crédit, Fuoco commence son discours en disant qu'il est tombé sur une thèse d'un auteur français si bizarre qu'elle semblait, à première vue, un délire : « Celui qui a le talent de contracter des dettes possède l'art de s'enrichir. » (p.1). Le délire possible provenait du souvenir, que Fuoco en tant que fin lettré avait bien en tête, de textes satiriques comme Il debitor felice, de Ser Muzio Petroni da Trevi, qui affirmait à la fin du XVIe siècle « qu’ il n'y a pas de plus grand bonheur dans cette vie que d'avoir des dettes », et faisait l'éloge de ceux qui vivaient sans travailler, en faisant travailler les autres pour eux-mêmes. Il est clair que l'éloge du crédit (et non de la dette) que partageait Fuoco avait des racines très différentes et opposées.

En effet, quelques années plus tard, dans ses Essais économiques, il écrira des pages d'une grande beauté et d'une grande pertinence sur le crédit : « Les moyens qui donnent au travail d'un peuple sa plus grande énergie sont créés et multipliés en vertu du crédit, et le crédit se renforce à mesure que le travail se perfectionne. » (II, p. 395). Il parle donc d'une « alliance entre le travail et le crédit », fondée sur le profit mutuel, essentielle au bonheur public. Une alliance qu'il qualifie d'"intime", grâce à laquelle "la morale se répand".

En ce qui concerne les intérêts des prêts, pour Fuoco « rien n'est plus juste que de recevoir une compensation du prêt. » (p. 397). Citant abondamment Genovesi, « auquel on ne saurait rien ajouter de mieux », il conclut en disant que « le capital est une richesse stérile lorsqu'il n'est pas affecté à un usage productif, c'est-à-dire à une branche quelconque de l'industrie. L'emprunt est donc une condition nécessaire pour que le capital serve à des usages productifs. » (II, p. 415).

La conclusion de son raisonnement est très belle : « La création et l'emploi des capitaux reposent sur le crédit, et par conséquent sur la morale, qui en a été et en sera toujours le fondement. Si les principes de la morale étaient généralement reconnus et respectés, le crédit seul suffirait pour faire vivre l'économie générale des peuples. » (II, p. 416). Une économie fondée seulement sur le crédit, une économie régie par la confiance, un marché animé seulement par la bonne foi. Voilà qui semble une utopie révolue : et si c'était une prophétie pour le monde de demain ?

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La terre de nous tous/6 - L'économie civile napolitaine du XVIIIe siècle et la pensée de Francesco Fuoco

par Luigino Bruni

publié dans Avvenire le 28/10/2023

L'idée que l'échange est un "jeu" où les gains des uns sont égaux et opposés aux pertes des autres, est souvent la première difficulté qu'un professeur rencontre dans ses premiers cours d'économie. Les étudiants abordent l'économie en pensant que le marché est un lieu de relations à somme nulle (+1/-1). Il est en effet difficile de faire comprendre que dans l'échange économique, la règle d'or est le profit mutuel, et donc que les gains des uns correspondent aux gains des autres, et que lorsque ce bénéfice mutuel ne se produit pas, on fausse et on dénature le marché, qui finit par ressembler à une guerre, à un vol ou à de l'athlétisme (la métaphore sportive appliquée à l'économie étant presque toujours inadéquate). Derrière la mauvaise réputation que les opérateurs économiques ont subi pendant des siècles se cachait la même erreur commise aujourd’hui par mes étudiants. Si, en effet, le marché est une relation où l'une des parties s'enrichit aux dépens de l'autre, il devient nécessaire de protéger la partie la plus faible, de réduire l'espace d'échange, et donc de considérer les commerçants et les banquiers avec une grande méfiance. Les interdictions religieuses du prêt à intérêt n'ont fait que renforcer cette vision négative. En réalité, les commerçants et les opérateurs financiers savaient bien que le marché était un "jeu à somme positive" ; ils le savaient parce qu'il était fondé sur des contrats qui, lorsqu'ils sont exécutés en toute liberté, révèlent la nature mutuellement bénéfique des parties (pourquoi devrais-je consentir librement à une relation prédatrice ?) ; tout comme ils savaient que le bénéfice mutuel était souvent asymétrique (+4, +1) en raison des différences d'information et des rapports de force. Mais lorsque le contrat en vient à générer un moins quelque part (+2, -1), ils savaient que l'on sortait de l'économie pour entrer dans le vol, que l'on sortait de la normalité pour entrer dans la pathologie du marché.

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La prophétie d'un marché fondé sur la seule confiance

La prophétie d'un marché fondé sur la seule confiance

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La terre de nous tous/5 -Apôtre de l'économie civile, l'abbé Antonio Genovesi fut persécuté pour ses idées

par Luigino Bruni

publié dans Avvenire le 21/10/2023

Les débats sur l'usure, qui ont accompagné pendant plusieurs siècles l’histoire européenne, sont la pointe d'un iceberg très profond et très vaste, qui concerne directement le bien commun, les pauvres et la justice sociale. Il ne s'agissait pas, et il ne s'agit toujours pas, d'une question réservée aux seuls spécialistes de la finance ou de l'éthique économique, mais du cœur du pacte social, et donc de la vie et de la résilience des communautés. Il n'est donc pas surprenant que les économistes et les théologiens, mais aussi les philosophes, les hommes de lettres et les humanistes aient toujours écrit sur l'usure.

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La Réforme de Luther et la Contre-Réforme catholique qui s'ensuivit ont également fortement conditionné l'éthique économique et les attitudes à l'égard de l'usure. Les théologiens et prédicateurs catholiques de la seconde moitié du XVIe siècle, très préoccupés, parfois terrifiés par les effets néfastes de la liberté de conscience individuelle privée de la médiation de l'autorité ecclésiastique, ont mis en place un système capillaire de contrôle de toutes les actions sensibles sur le plan éthique, y compris celles liées à l'économie et à la finance. C'est ainsi que, plus ou moins intentionnellement, la doctrine sur l'usure (et plus largement sur la liberté d’entreprendre et sur les profits) a régressé d'au moins quatre siècles. Ils ont oublié les réflexions des maîtres franciscains et ont ramené la teneur et le niveau des débats et des interdictions sur les intérêts et les bénéfices à ceux que l'on pouvait lire dans les traités de la fin du premier millénaire.

Le milieu du XVIIIe siècle a connu un nouvel âge d'or de l'éthique économique. Des auteurs comme Muratori ou Genovesi reprennent le débat sur le profit, l'argent et l'intérêt là où l'Humanisme civil l'avait laissé et ils écrivent de très belles pages à ce sujet. Ils n'ont pas oublié les dégâts de l'usure, ils les ont même beaucoup étudiés et combattus, mais ils n'ont pas non plus oublié le caractère indispensable du crédit pour une société nouvelle enfin libérée des liens de la féodalité. C'est ainsi que naquit l'Économie Civile, l'un des chapitres les plus lumineux de l'histoire italienne et européenne, dont l'abbé Genovesi fut l'inspirateur.

Antonio Genovesi fut d'abord théologien, puis économiste. Il n'eut pas la vie facile avec l'Église de son temps : on lui retira l'enseignement de la théologie (1745) en lui conseillant d’occuper la chaire d'éthique. Très aimé des étudiants et du peuple, il fut dénoncé pour athéisme et hérésie, et « fut persécuté avec tant d'acharnement et au-delà de la mort que, pour éviter de plus grands dommages, il fut prudent de l'enterrer en secret, sans pierre tombale et avec la pieuse "complicité" des capucins de Sant'Efremo Nuovo. » (Lina Sansone Vagni, Studi e Ricerche Francescane 23, 1994). Ses Lezioni di Economia civile ont été mises à l'index par décret le 23.6.1817. Dans son autobiographie, il écrit : « Moi qui commençais à me lasser de ces intrigues théologiques et à détester ces études turbulentes et souvent sanglantes, je fis plus : je repris mes manuscrits, et décidai une fois pour toutes de ne plus penser à ces questions. » Autobiografia, lettere e altri scritti, p.22).

Genovesi connaît bien, en tant que théologien, les objections philosophiques et théologiques concernant le versement d'intérêts sur l'argent prêté- usure ou intérêt, qu'il distingue cependant (Lezioni, Vol. II, ch. 13, §1) - mais il sait que ces interdictions abstraites avaient rendu la vie très difficile aux marchands honnêtes et avaient créé une culture catholique hypocrite, où personne ne pouvait prêter mais où tout le monde prêtait et empruntait. D'où sa lutte tenace et délibérée pour dénoncer ces hypocrisies et moderniser son peuple à Naples.

Son chef-d'œuvre théorique et rhétorique sur l'usure et le crédit se trouve dans son débat avec les théologiens, qu'il appelle "mes ennemis" : « Deux difficultés nous sont donc présentées par les théologiens : 1. Que la doctrine de l'usure répugne aux doctrines bibliques 2. Qu'elle est opposée à l'autorité des pères et des théologiens. » Pour ce qui est de la seconde difficulté, il se réfère au savant ouvrage de feu le marquis Maffei, où il démontre « qu'il n'est donc pas vrai que les pères et les théologiens aient tous partagé cet avis, pour autant qu'on sache exposer le fond du problème. » (§XIX). Puis il s'adresse directement à ces théologiens, avec un style admirable : « Je voudrais me trouver dans un concile de ces savants et très saints pères et leur poser deux questions. 1) Si quelqu'un, qui n'en a pas besoin, me demande un bénéfice par pur luxe, par plaisir, par avidité de richesses, suis-je obligé, Messieurs les Pères, de lui accorder ce prêt ? 2 - Et si je suis dans le besoin, et que je ne puisse vivre qu'en faisant valoir mon besoin, puis-je dire à cet homme : mon frère, aidons-nous mutuellement ; je te ferai du bien avec mes biens, mais tu me donneras en échange le prix courant de la marchandise ; puis-je, dis-je, lui poser cette question à juste titre ? Tant que je n’ai pas entendu la réponse de ce concile à mes deux questions, j'ai la certitude que ni les pères ni les théologiens ne se sont jamais opposés à l'usure dans les termes de notre question. » (§XIX). Comparé à la médiocrité de nos débats télévisés, l’excellent niveau des échanges de cette époque a de quoi nous attrister.

Il poursuit et entre sur le terrain de l'exégèse biblique, nous montrant un Genovesi élève d'Érasme et surtout de Muratori, véritables pionniers de l'étude scientifique et libre des Écritures, qui, nous le verrons, nous incite même à rectifier les traductions officielles des Évangiles : « Commençons par l'Ancien Testament. La loi de Moïse dans le Deutéronome (23,20) est : "Non foeneraberis fratri tuo pauperi ; foeneraberis alienigeno" (tu ne feras pas de prêt à ton frère pauvre, tu prêteras à l'étranger). Expliquons cette loi.1 Il donne ou laisse le droit du prêt avec intérêt à ceux qui ne sont pas juifs (c'est l'alienigeno ou l'étranger) ». Et de conclure magistralement : « Moïse ne considérait donc pas l'usure comme contraire au droit ni à la loi naturelle. Dieu n'annule pas la loi de la nature, car Dieu ne peut ni s'annuler ni se renier.2 Il interdit le prêt usurier à un frère (juif) pauvre » (§20).

Et c'est ainsi qu'il formule sa théorie générale du prêt et de l'usure : « La proposition principale est donc : tu as le droit de prêter à usure à tes frères ; sauf s'ils sont pauvres. » (§20). C'est sa seule solution : la Bible interdit l'intérêt lorsqu’il s’agit de prêts aux pauvres, mais ne le condamne pas en général.

Après avoir réfuté ses détracteurs qui invoquaient l'Ancien Testament pour condamner tout intérêt, il se tourne vers le Nouveau Testament. Tout d'abord, il effectue une démarche très actuelle et très juste : il lit l'évangile en même temps que toute la Bible hébraïque. Ainsi, la fameuse phrase de Luc sur le prêt sans intérêt (Lc 6,35), que les théologiens utilisaient pour condamner tout intérêt, Genovesi la replace dans le discours qu'il vient de faire sur le livre du Deutéronome et donc dans le contexte de l'interdiction du prêt à intérêt destiné à des pauvres. Genovesi paraphrase Luc 6,35 et suivants et nous offre son éblouissante traduction : « Vous ne faites du bien, dit-il, qu’à ceux dont vous espérez quelque chose. Votre principe est donc de ne rien faire sans contrepartie. Une maxime infâme qui pervertit l'humanité. Tous les coquins, les méchants, les cupides, les voleurs, en font autant. En quoi consistera donc la grâce qui vous est due ? Quelle reconnaissance méritez-vous de la part de Dieu ? Regardez ces publicains qui font des prêts à ceux dont ils espèrent le plus grand profit ; en quoi vous distinguerez vous d'eux, si vous faites aussi aux pauvres des entourloupes pour vous emparer de leurs richesses ? Si donc vous voulez être justes et vertueux, comme le demande le Très-Haut, et prétendre être appelés ses enfants, aimez aussi vos ennemis, faites-leur du bien : prêtez sans priver les indigents et les pauvres de l'espoir qu'ils ont mis dans votre libéralité, et sans les conduire au désespoir. » (§21).

Et c'est là qu'intervient son véritable coup de génie (et de culture). Maîtrisant le grec et le latin, Genovesi donne à ses collègues théologiens une leçon qui reste d'actualité et qui mérite d'être méditée. Voyons comment. Il écrit : « Ce précepte est donc conforme à la première partie de la loi du Deutéronome. Y a-t-il là quelque chose qui conforte nos théologiens ? » (§21). Genovesi, cependant, se rend compte qu'il a fait une traduction avec un élément de liberté qui peut paraître intrusif - à savoir son discours sur les pauvres et les nécessiteux. Et il écrit : « Mais rendons compte de quelques mots que j'ai placés dans ma paraphrase et qui, pour ceux qui liront les versions, seront considérés comme intrusifs. J'ai dit d’emblée que Jésus-Christ se réfère aux nécessiteux et aux pauvres, ce qui n'est pas mentionné dans le précepte. » (§22). Genovesi soutient que l'interdiction concerne les pauvres parce que telle est la distinction initiale dans le Deutéronome (que Luc cite implicitement), et parce que, (c’est moi qui l’ajoute), ces paroles font suite au discours des Béatitudes qui s'ouvre par « heureux les pauvres. » (6,20). Notons que le texte latin de la Bible (la Vulgate), dans ce passage de Luc, comportait le mot "indiget", c'est-à-dire "nécessiteux", "démuni", un terme qui, dans la traduction italienne, a été au contraire omis.

Mais la partie la plus belle, la plus émouvante de son exégèse courageuse et novatrice porte sur le verbe espérer. Les traductions courantes, à commencer par la traduction latine de la Vulgate, traduisent apelpizo (le mot grec de Luc) par "sans rien espérer" en retour. Genovesi propose au contraire une autre traduction, que je cite ici dans son intégralité : « Je mets : sans décevoir les nécessiteux et les pauvres de l'espérance qu'ils ont eue en votre libéralité, et sans les faire désespérer, car, bien que les compilateurs des variantes du Nouveau Testament l'aient omis, certains critiques sacrés ont observé que l'accusatif étant donc masculin, l'απελπιξω (apelpizo) est pris dans un sens actif, comprenons ne pas les faire désespérer, une construction employée par plusieurs des meilleurs écrivains grecs. ». Il propose donc d'amender également la version de Jérôme (qui donne ici "nihil inde sperantes" : prêter sans rien espérer) : « La version latine aurait pu être : mutuum date, neminem desperare facientes » (§22), c'est-à-dire : prêter, sans faire désespérer personne ! C'est pourquoi Genovesi conclut son raisonnement par ces mots : « Parce que dans ce précepte il est clairement question de prêter aux pauvres et parce qu'il est plus conforme au texte de donner au verbe apelpizo le sens de ne conduire personne au désespoir. » (§22). Superbe ! Lorsque, il y a de nombreuses années, j'ai commencé à étudier et à écrire sur l'économie, puis sur l'éthique et enfin sur la Bible, j'espérais que viendrait le jour où je pourrais trouver, comprendre, apprécier et faire apprécier une page, à la fois difficile et belle, comme celle de Genovesi. Son exégèse biblique n’est peut-être pas la meilleure ni la seule, mais son exégèse économique de ces passages bibliques reste inégalée et pleine d'espérance pour nos sociétés.

L'usure est un grand mal social parce qu'elle condamne les gens, les pauvres, au désespoir. C'est d’abord la prise en compte du désespoir des pauvres qui permet de mesurer notre usure, à commencer par celle de certaines banques pour finir avec celle d'une civilisation irresponsable qui pille la terre et plonge ses enfants et petits-enfants dans le désespoir.

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La terre de nous tous/5 -Apôtre de l'économie civile, l'abbé Antonio Genovesi fut persécuté pour ses idées

par Luigino Bruni

publié dans Avvenire le 21/10/2023

Les débats sur l'usure, qui ont accompagné pendant plusieurs siècles l’histoire européenne, sont la pointe d'un iceberg très profond et très vaste, qui concerne directement le bien commun, les pauvres et la justice sociale. Il ne s'agissait pas, et il ne s'agit toujours pas, d'une question réservée aux seuls spécialistes de la finance ou de l'éthique économique, mais du cœur du pacte social, et donc de la vie et de la résilience des communautés. Il n'est donc pas surprenant que les économistes et les théologiens, mais aussi les philosophes, les hommes de lettres et les humanistes aient toujours écrit sur l'usure.

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Prêter, mais sans faire désespérer personne

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La terre de nous tous/4 - Les limites du profit mutuel du marché, un nouveau souffle à l'époque de Muratori

par Luigino Bruni

publié dans Avvenire le 14/10/2023

La naissance de l'économie politique moderne est profondément liée à l'émergence d'une nouvelle conception du bien commun. La pensée antique et médiévale le faisait naître du renoncement délibéré et conscient au bien privé des individus. Au XVIIIe siècle, en revanche, on commence à dire que le bien commun est le résultat (non voulu) de la poursuite des intérêts de chacun, sans qu'il soit nécessaire d'y renoncer. Sur le marché, personne ne perd rien, tout le monde gagne. Tel est le cœur du discours caché derrière la métaphore de la "main invisible" d'Adam Smith, introduite quelques années plus tôt par le Napolitain Ferdinando Galiani (Della Moneta, 1750) et déjà présente, en germe, chez l'autre célèbre Napolitain Giambattista Vico. Une révolution bien exprimée par Smith : « Je n'ai jamais rien vu de bien fait par ceux qui se sont mis à travailler pour le bien commun. » (La richesse des nations, 1776).

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Sur ce point, l'économie civile napolitaine et italienne pensait et pense différemment : tout en reconnaissant les mécanismes de profit mutuel du marché comme la règle d'or de la vie économique et sociale, elle n'a jamais pensé que le profit mutuel de la main invisible suffisait à lui seul pour assurer le Bien commun. Notre pays connaissait le profit mutuel mais n'en faisait pas le seul vecteur social ou économique pour la civilisation des peuples. Antonio Ludovico Muratori (1672, Vignola - 1750, Modène), un homme de génie, avait des idées très claires à ce sujet. Après le XVIIe siècle, qui fut aussi l'âge d'or de la Contre-Réforme et de l'Inquisition (à laquelle Muratori s’intéressa aussi), un mouvement de réforme s'amorça en Europe. Dans le domaine ecclésial, l'élection, en 1724, de Benoît XIII que nous avons déjà rencontré dans des articles précédents pour sa grande action en faveur des Monts frumentaires, puis, en 1740, celle de Benoît XIV (après la brève parenthèse de Clément XII), ont donné lieu à un véritable renouveau, y compris sur le plan social et économique. Benoît XIV, en plus de son encyclique Vix pervenit (1745) sur la légitimation du prêt à intérêt, fut un réformateur économique, et mit en œuvre une réforme agraire pour réintroduire l'institution biblique du "glanage" en faveur des paysans pauvres.

 L'époque de Muratori est marquée par une plus grande tolérance envers les idées nouvelles et différentes, un climat qui favorise l'émergence d’une grande pensée sociale que le XVIIe siècle n'avait pas suscitée - les talents catholiques de ce siècle s'étant orientés vers les domaines moins "périlleux" de l'art, de la musique et de la poésie. Muratori était une figure intellectuelle impressionnante et prodigieuse. Il a apporté des contributions fondamentales aux études historiques, il suffit de rappeler les 27 volumes du Rerum Italicarum Scriptores, les 6 volumes des Antiquitates Italicae Medii Aevi et les 12 volumes des Annali d'Italia. Il fut le professeur du jeune Antonio Genovesi et écrivit d'importantes réflexions économiques dans La carità cristiana (1723) et dans Cristianesimo felice (1743), où il décrit et fait l’éloge de l'expérience socio-économique des "réductions" des Jésuites au Paraguay. L'année précédant sa mort, il a publié un résumé de sa pensée dans Della pubblica felicità, un livre dont le titre a inspiré la recherche des économistes italiens pendant au moins un siècle, une œuvre toujours d’actualité. Parmi les nombreux domaines abordés et renouvelés par Muratori, deux sont très importants : son travail théologique en vue de réformer la vie économique et publique et son idée que le profit mutuel coexiste avec le don.

Après presque deux siècles de Contre-Réforme, Muratori s'est rendu compte que sans une réforme profonde de la "dévotion" (divozione) et de la piété populaire, qui, au cours de ces siècles, avaient été associées à la magie et à la superstition, la société catholique se serait définitivement enlisée. C'est ainsi que Muratori, qui était prêtre, critique les dévotions pour sauver la dévotion : « Les livres de dévotion et de piété abondent dans l'Église catholique, les auteurs proposant chaque jour quelque nouvelle dévotion et des invocations. » (Della regolata devozione dei cristiani, Préface, 1747). Ses critiques lui valent de nombreuses réactions sévères, des accusations de protestantisme et de jansénisme, un sort que connaissent tous les vrais réformateurs.

La raison principale de sa critique religieuse est très importante : « Nous devons nous mettre dans la tête une vérité très importante : Dieu ne nous commande rien d'autre que notre propre bien, c'est-à-dire d'aimer et de chercher notre bonheur même dans la vie présente. » (p.5). Car, explique-t-il, toute la Révélation est orientée vers notre bonheur : « C'est la volonté de Dieu que nous résistions aux ardeurs de la convoitise désordonnée, de la colère, de la gourmandise, de la vengeance, et autres passions vigoureuses du même genre : n'est-ce pas là notre propre avantage ? » (p.35). Dans une Église qui ne parle que des âmes du purgatoire, de la vallée de larmes, des pénitences, de la douleur et de la théologie de l'expiation, l'œuvre de Muratori brille comme un hymne à la vie et à la personne, comme un humanisme, où Dieu est le premier allié de l'homme pour son bonheur. Une vision toute biblique et évangélique. La relation de l’homme à Dieu doit être vue comme un profit mutuel et une réciprocité : Son bien est le nôtre et le nôtre est le Sien. C'est beau. De cet humanisme découle sa critique du culte des saints et de la Vierge Marie, et il va même jusqu'à dire quelque chose de révolutionnaire : la dévotion envers les saints « n'est pas nécessaire ni essentielle au chrétien » (p. 205).

La raison économique de son long combat pour réduire le nombre trop élevé de fêtes religieuses obligatoires dans l'Église catholique est également très importante. Les fidèles ne pouvaient pas travailler les jours de fête, de sorte que « leur grand nombre pénalise et aggrave le sort de ceux qui doivent gagner leur pain grâce à leur savoir-faire et à la force de leurs bras. » (p.10). Et il ajoute : « Les saints n'ont pas besoin qu’on les glorifie, mais les pauvres ont besoin de pain, et il n’est pas pensable que les saints, si passionnés de charité, puissent comprendre que, pour leur rendre un honneur inutile, les pauvres soient privés de leur pain quotidien. » (p.211). Encore une fois, on constate l'absence de profit mutuel. Et de conclure magistralement : « Notre dévotion vise notre profit » (p. 212). Quelques années plus tard, son élève Antonio Genovesi ne manque pas, dans ses cours, de reprendre à son compte ce point de vue de Muratori sur la religion (ch. 10, IX, vol. 2). Son combat théologique pastoral le plus complexe et le plus long a été de dénoncer le "vœu sanglant" (ou vœu des "Palermitains") que les théologiens, les évêques et les Jésuites conseillaient aux chrétiens de prononcer. Ceux qui faisaient ce vœu devaient défendre la doctrine de l'Immaculée Conception de la Vierge au prix de leur vie. Muratori considérait ce vœu comme superstitieux et illicite. Son combat commence en 1714 avec le livre De ingeniorum moderatione (1714). La raison de son opposition réside, ici aussi, dans l'absence de profit mutuel : même si l'immaculée conception était certaine (Muratori ne la considérait pas comme certaine mais seulement comme probable), Marie ne gagne rien à ce que les chrétiens donnent leur vie pour défendre un dogme : « Marie n'a pas besoin d'éloges douteux, ni de sacrifices imprudents. Au contraire, vous avez besoin de votre vie » (p. 269). Muratori critique ainsi une Église qui voit dans le sacrifice humain une monnaie d'échange pour rendre gloire à Dieu. D'où sa critique des excès des "dévotions mariales", de la prolifération des "Confréries des esclaves de la Mère de Dieu" (Regolata Divozione, p.280). Les seules bonnes dévotions sont celles, comme il le dit à la fin de son livre, « qui servent à la gloire de la religion et au profit du peuple. » (p 283). Alphonse Marie de Liguori, même s’il tenait Muratori en haute estime, critiqua sévèrement sa stigmatisation du "vœu des palermitains" et, faisant appel à l'autorité de Saint Thomas d’Aquin, il écrivait : « Il est pourtant certain qu'un tel culte peut être la cause du martyre. » (A. Maria de Liguori, Delle Glorie di Maria, ch. V, 1750).

Pour en venir au second aspect de sa pensée, dans son beau livre La carità cristiana, nous trouvons également les Monts de Piété : « La charité industrieuse des fidèles a ensuite inventé d’autres Monts de Piété. Par exemple le Mont Sacré de la Farine, dont le bienheureux Jérôme de Vérone fut le principal initiateur à Modène et dans d'autres villes. » Le Mont de la Farine était une variante des Monts frumentaires - que d'études à faire sur ces anciennes institutions ! Et il poursuit : « Les administrateurs d'un tel Mont se proposent d'acheter des grains, de bonne qualité, avec le plus grand profit possible à un moment raisonnable, et de ne pas faire preuve de moins de diligence que s'ils traitaient leurs propres affaires, pour les revendre, sans aucun intérêt, convertis en farine, aux personnes du peuple qui en ont besoin... Trop de gens ont pris l’habitude de s’enrichir sur le sang des pauvres ». Il précise ensuite qu’un « Mont du Chanvre a été érigé à Bologne, ville où abondent les Œuvres pieuses. » (p.315). À propos des Monts de Piété, il poursuit : « Des Monts-de-piété avec prêts sur gage, fondés au cours de ces derniers siècles grâce à la compassion des chrétiens, tout à l’honneur du catholicisme en Italie et en Flandre. » (p.310). Des initiatives dont la culture catholique peut être fière, même en cette période contrastée de l'Église. Ce qui est important, c'est la manière dont Muratori explique le fonctionnement de ces Monts, où ceux qui prêtent de l'argent le font « avec l'intention de ne recevoir rien de plus que le capital prêté..., car exiger davantage consisterait à ne rechercher que notre propre intérêt et non celui de notre prochain. » (p.311). Le seul intérêt licite dans les Monts des pauvres est celui qui sert « au remboursement des dépenses nécessaires au maintien du Personnel. » (p.312). Un Muratori, donc, qui aime tellement le profit mutuel qu'il le place même au centre de sa critique de la religion, mais qui reconnaît que dans certains domaines de la vie économique et sociale, ce profit est insuffisant, parce qu'il faut le registre du don. Le profit mutuel, dans la religion, était du côté des pauvres ; dans les Monts, seul le don était de leur côté, et donc du Bien Commun.

Muratori (avec Scipione Maffei) reconnaissait le caractère licite de l'intérêt dans la plupart des affaires commerciales, mais savait qu'il y a des actions humaines où le profit mutuel ne fonctionne pas bien. Une façon de nous rappeler que la "main invisible" fonctionne dans beaucoup de secteurs mais pas partout, sans quoi cette main ne devient qu'un outil idéologique pour "sucer le sang des pauvres". Le "véritable" bien commun ne naît pas seulement des intérêts : il naît aussi du don, qui est le ferment de la masse formée par les intérêts. C'est ce qui ressort de son Della pubblica felicità, où l'on peut lire : « Le désir le plus ordinaire, et le père de beaucoup d'autres, est celui de notre Bien privé... Il existe un autre Désir, qui vient d’une sphère sublime et d’une origine plus noble, c’est celui du bien de la société, du bien public, ou même du bonheur public. » (p.vi). De nombreux biens résultent du désir du Bien privé, mais pas tous, car il en est d'autres qui naissent de l'amour du Bien commun. Deux biens différents, mais tous deux essentiels. Le musée municipal de Modène abrite un portrait du bienheureux Jérôme de Vérone. Le saint tient un simple drap sur lequel sont inscrits ces mots : Mons charitatis. En pleine Contre-Réforme, l'Église a compris qu'il y avait une sainteté liée à la construction de Monts, aux banques, et que la création d'un Mont pour les pauvres pouvait être l’unique signe distinctif d'un saint, sans besoin d’y ajouter un emblème « religieux ».

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La terre de nous tous/4 - Les limites du profit mutuel du marché, un nouveau souffle à l'époque de Muratori

par Luigino Bruni

publié dans Avvenire le 14/10/2023

La naissance de l'économie politique moderne est profondément liée à l'émergence d'une nouvelle conception du bien commun. La pensée antique et médiévale le faisait naître du renoncement délibéré et conscient au bien privé des individus. Au XVIIIe siècle, en revanche, on commence à dire que le bien commun est le résultat (non voulu) de la poursuite des intérêts de chacun, sans qu'il soit nécessaire d'y renoncer. Sur le marché, personne ne perd rien, tout le monde gagne. Tel est le cœur du discours caché derrière la métaphore de la "main invisible" d'Adam Smith, introduite quelques années plus tôt par le Napolitain Ferdinando Galiani (Della Moneta, 1750) et déjà présente, en germe, chez l'autre célèbre Napolitain Giambattista Vico. Une révolution bien exprimée par Smith : « Je n'ai jamais rien vu de bien fait par ceux qui se sont mis à travailler pour le bien commun. » (La richesse des nations, 1776).

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Les biens, les intérêts …et le don comme levain

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La terre de nous tous/3 - Dans le capitalisme latin, les liens font partie de la dynamique ordinaire des entreprises et des banques

par Luigino Bruni

publié dans Avvenire le 07/10/2023

Les institutions économiques de nos terres méridionales sont nées métissées et le sont restées tant que le commerce transalpin a conservé ses caractéristiques et ses particularités qui aujourd'hui disparaissent dans la distraction générale. En effet, alors que le Nord protestant distinguait, à la suite d'Augustin et de Luther, la "cité de Dieu" et la "cité de l'homme", et donc le marché et le don, le contrat et la gratuité, la solidarité et l'entreprise, le profit et son contraire, l'humanisme latin a favorisé, à l'époque de la Contre-Réforme, une osmose entre ces mondes et ces sphères. C'est ainsi qu'on a vu des curés gérer des coopératives et des banques rurales, des familles d'entrepreneurs, des frères prôner la grande pauvreté tout en fondant des banques pour les pauvres.

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Aujourd'hui, nombreux sont ceux qui pensent que l'économie communautaire, méditerranéenne et catholique, cette "terre commune" faite de relations denses et de liens chaleureux, où les marchands ambulants chantaient sur les places (l'abbanniata sicilienne) et où, sur les marchés, on échangeait surtout des paroles, n'a plus rien de bon à dire ; que le capitalisme latin où la solidarité ne se limitait pas aux 2 % des profits parce qu’elle était insérée dans les dynamiques habituelles des entreprises, des banques et des coopératives – la nôtre était celle du pendant et non de l’après. Ce monde méditerranéen où les salaires n'étaient pas laissés au seul jeu du "marché du travail" parce que cette ration de sel valait plus et était différente d'une marchandise. La vie et la souffrance nous ont appris que lorsque le travail devient une marchandise, ce salaire, ce sel, dénaturé devient trop ridicule pour donner de la saveur à de bons repas dignes de ce nom. Ainsi, ce qui reste de l'économie communautaire n’est pas mieux considéré que la vieille Singer de la tante ou que la Lettre n°35 de grand-père.

La communauté est ambivalente, nous le savons bien, à l’image de la vie réelle qui l’est aussi. La communauté, c'est donc la vie et la mort, la fraternité et le fratricide, l'amitié et le conflit, les étreintes et les luttes, les larmes de joie et de tristesse, c’est tout cela à la fois. Et une société qui ne voit dans les liens que des chaînes, qui vénère l'individu libre parce qu'il est libéré de toute relation humaine autre que celle du marché, du contrat et des réseaux sociaux (qui sont la même chose : le "like" de Facebook est le "like" du consommateur souverain), ne peut que fuir la communauté, toute communauté faite de chair et de sang.

Pourtant, dans toute cette rhétorique, qui est en train de devenir la seule, il doit y avoir quelque chose qui ne va pas et que seule la crise environnementale nous révèle chaque jour davantage.

Ces semaines-ci, nous voyons que les Franciscains avaient une autre idée de la personne, de la communauté et de l'économie. Ils ont fait le choix tout à fait charismatique d'aller vivre au cœur des nouvelles villes marchandes du Moyen Âge et de la Renaissance, ils ont quitté les vallées et sont descendus sur les places, sont devenus les amis des marchands et des citoyens, et les ont souvent compris. Et lorsqu'ils ont écrit sur l'économie et la finance, ils n'ont pas regardé le monde du haut des traités théologiques, généralement écrits par ceux que les vrais marchands et banquiers n'ont jamais vus (l'impression que les théologiens écrivant sur l'économie faisaient sur les marchands est très semblable à celle que font aujourd'hui les politiciens écrivant des lois pour une économie qu'ils ne voient pas). Au lieu de cela, ils se sont placés au bas des étals des marchés, et c'est là qu'ils ont rencontré les yeux des mercatores, et une autre économie est née : des banques d’un nouveau genre et d'autres Monts ont vu le jour.

Ces Franciscains ont pu innover parce qu'ils se sont salis les mains dans les questions économiques, au risque de commettre des erreurs, car la terre ne change que grâce à ceux qui la foulent et ne se réfugient pas dans la pureté éthérée des cieux - il n'y a pas de nouveaux cieux sans de nouvelles terres. Ils ont commis des erreurs, parfois graves, comme l’antisémitisme dans leur lutte contre l'usure, fondée sur l'idée que seuls les Juifs prêtaient de l'argent à usure. Une idée fausse, car une grande partie de l'usure, surtout celle pratiquée à grande échelle, était le fait de bons chrétiens, de riches familles de banquiers qui prêtaient aux riches marchands chrétiens, aux cardinaux et aux papes ; il ne restait aux juifs que les petits prêts, qu’ils effectuaient assis sur leurs bancs sous leur tente que signalait un tapis rouge. Là, tout le monde pouvait les voir, alors que les grands contrats d'usure des puissants Strozzi, Médicis ou Chigi restaient invisibles pour la plupart des gens, y compris pour les frères - la grande finance a toujours puisé sa force dans l'invisibilité. De nombreux usuriers catholiques ont fait de brillantes carrières politiques (Massimo Giansante, L'usuraio onorato, 2008), dans une finance européenne qui, contrairement à ce que véhiculait la légende antisémite, était aussi, et dans certains cas surtout, entre des mains de chrétiens (F. Trivellato, Ebrei e capitalismo: storia di una leggenda dimenticata, 2021).

Il s’agit de comprendre les raisons profondes de l'ancienne lutte morale contre l'usure. La principale repose sur un principe clair et fort : « Vous ne pouvez pas faire de l’argent sur l’avenir car c'est le temps des enfants et des descendants. » C'est pourquoi notre génération est une génération d'usuriers, parce qu'elle ne sait pas « penser au bien commun ni à l'avenir de ses enfants. » (Laudate Deum, 60), ces « enfants qui paieront les dommages de nos actions » (LD, 33). L’usurier est celui qui spécule aujourd’hui sur le temps de ses enfants. Les pauvres d'aujourd'hui sont donc aussi et surtout les enfants nés et qui vont naître, qu'il faut protéger contre nos usures individuelles et collectives.

Revenons à la merveilleuse histoire des Franciscains qui, aujourd'hui, ici à Assise où je me trouve pour promouvoir l'"Économie de François", qui projette une lumière éblouissante sur l'avenir : François c’est le nom de demain, pas seulement celui d'hier.

Lorsque le Concile de Trente a limité l'action des frères mineurs dans la fondation des Monts de piété (qui, dans les villes, se sont progressivement transformés en banques), les frères capucins ont pris le relais et, pendant plus de deux siècles, ont mis sur pied des centaines de Monts frumentaires. Les frères mineurs opéraient principalement dans les villes du Centre-Nord, car dans ces économies régies par la monnaie, il était essentiel de contourner l'usure grâce à la grande intuition (d'origine juive) des prêteurs sur gages qui devinrent leurs Monts de Piété. Là, les objets ménagers (vêtements, meubles, outils de travail, bijoux : presque tout sauf les armes) étaient liquidés en argent, ce qui était essentiel dans les villes où prévalait la division du travail. En fait, il y avait peu d'objets mis en gage au Mont qui étaient remboursés au moment de l'emprunt, car ces Monts remplissaient une fonction mixte de prêt et d'achat. En revanche, dans les campagnes et dans le Sud, où l'économie ne reposait pas que sur les flux monétaires, sont nés les Monts frumentaires, avec l'innovation simple et extraordinaire de l'utilisation du blé comme monnaie d'échange. Dans les campagnes et dans ces économies de subsistance, il y avait peu de biens pouvant être mis en gage, et les garanties, nécessaires à toute forme de financement, étaient donc personnelles, comme le cautionnement. Le crédit retrouve ainsi son ancienne étymologie : croire, faire confiance, croire surtout en quelqu'un, donc en des personnes. En cas d'insolvabilité, les Monts de piété vendaient les objets mis en gage, et les Monts frumentaires s'"emballaient" : « Comme il n'y avait pas d'objets à vendre en cas de non-remboursement du prêt, les monts dévissaient." » (Paola Avellone, All'origine del credito agrario, p. 33). Les communautés sont aussi faites de ces fragilités.

C’est une grande et longue histoire d'amour méconnue, toute évangélique et toute civile, une des pages les plus lumineuses de notre histoire économique et sociale. En voici encore quelques exemples.

Eufranio Desideri (1556-1612), futur saint Joseph de Leonessa, fut l'un de ces infatigables frères capucins qui construisirent des dizaines de Monts frumentaires dans les villages des monts Sibillini et Laga, d'Amatrice à Norcia, dans presque tous les villages et villes de ces terres fragiles. Nous lisons dans les témoignages de ses compagnons : « Quand le frère Giuseppe prêchait à Borbona, J'étais son compagnon et il y avait une grande famine dans ce pays. Deux femmes ont apporté deux paniers remplis de pain. Le père Joseph est arrivé à l'église, a béni le pain et a ordonné de le distribuer aux pauvres : ils étaient environ 200. Entre-temps, beaucoup de gens étaient venus, mais à la fin il y en avait assez pour tout le monde, en fait il en restait et on le gardait dans les maisons : dans la nôtre il y en avait trois ou quatre de 12 pains chacun. » (http://www.manoscrittisangiuseppe.it/la-vita/). La multiplication des pains et des poissons a accompagné notre histoire chrétienne, elle s'est répétée mille fois dans ces lieux où "deux femmes" ou "un jeune" ont donné quelque chose, et où on avait encore la foi dans le miracle du pain pour les pauvres.

Fra Giuseppe fut proclamé saint par le pape Benoît XIV en 1746, le pape qui reprit le nom de Benoît XIII, c'est-à-dire ce Francesco Orsini de Gravina, le "pape paysan", inspirateur de centaines de Monts frumentaires. L'année précédente, Benoît XIV avait écrit la Vix Pervenit, la première encyclique pontificale qui rendait légitimes les intérêts sur les prêts. Dans cette encyclique, le prêt de "blé" est également mentionné (VP,3. V), ce qui montre à quel point l'expérience des Monts frumentaires était encore présente et importante. Et bien qu'il s'agisse d'un document entré dans l'histoire comme légitimation du prêt à intérêt, la quasi-totalité de l'encyclique est consacrée à réaffirmer l'illégitimité de l'usure et du prêt à intérêt qui n'est légitime que dans des conditions particulières et précises (variantes des anciens dommage émergent et manque à gagner) et « d'où découle une raison tout à fait juste et légitime d'exiger quelque chose de plus que le capital dû pour le prêt. » (VP, 3.III). Pour le reste, il rappelle que « tout gain qui excède le capital est illicite et revêt un caractère usuraire. » (VP, 3.II), ce qui devrait "faire honte" à ceux qui s’enrichissent de cette manière - c'était un monde où l'éthique de la honte était encore efficace. Quelques années plus tard, dans la même tradition civile et spirituelle, Antonio Genovesi écrivait : « La règle : tu as le droit de donner à intérêt à tes frères ; l'exception : à condition qu'ils ne soient pas pauvres ». (Lezioni di Economia Civile, 1767, II, cap. XIII, §20). On ne demande pas d'intérêt aux pauvres : le remboursement du capital suffit. Tout cela, l'ancienne tradition civile le savait bien, nous l'avons oublié.

Le franciscanisme nous a promu de nombreuses valeurs, dont certaines sont merveilleuses. Parmi elles, la dignité du pauvre, qui avant d'être aidé doit être estimé, parce que sans l'estime de ce que le pauvre est déjà, rien de bien ne peut advenir : « Je me souviens que le dimanche, quand une grande quantité de pain blanc entre habituellement dans nos couvents, le Frère Giuseppe m'a demandé pourquoi j'apportais du pain noir aux pauvres qui frappaient à la porte. Et il m'a dit avec beaucoup d'insistance : "Je veux que tu donnes aux pauvres du pain blanc" ». La valeur du pain blanc pour les pauvres ne pouvait être comprise que par François et ses amis d'hier et d'aujourd'hui.

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La terre de nous tous/3 - Dans le capitalisme latin, les liens font partie de la dynamique ordinaire des entreprises et des banques

par Luigino Bruni

publié dans Avvenire le 07/10/2023

Les institutions économiques de nos terres méridionales sont nées métissées et le sont restées tant que le commerce transalpin a conservé ses caractéristiques et ses particularités qui aujourd'hui disparaissent dans la distraction générale. En effet, alors que le Nord protestant distinguait, à la suite d'Augustin et de Luther, la "cité de Dieu" et la "cité de l'homme", et donc le marché et le don, le contrat et la gratuité, la solidarité et l'entreprise, le profit et son contraire, l'humanisme latin a favorisé, à l'époque de la Contre-Réforme, une osmose entre ces mondes et ces sphères. C'est ainsi qu'on a vu des curés gérer des coopératives et des banques rurales, des familles d'entrepreneurs, des frères prôner la grande pauvreté tout en fondant des banques pour les pauvres.

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L'ancienne solidarité vécue pendant

L'ancienne solidarité vécue pendant

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La terre de nous tous/2 - Le vide laissé par le déclin des monts Frumentaires

par Luigino Bruni

publié dans Avvenire le 30/09/2023

La politique des gouvernements centraux, celui des Bourbons puis des Piémontais, visant à arracher à l'Église le contrôle des instituts de crédit agraire, a produit de nombreux dégâts dans le Sud et dans les petits villages.

L'époque de la Contre-Réforme a connu, à côté de pages sombres, des pages lumineuses. Car la "terre commune" est celle de la communauté, et la communauté est toujours un entrelacement d'ombre et de lumière. L'une des pages lumineuses est celle écrite par les Capucins, par les évêques et par de nombreux chrétiens qui ont donné vie aux centaines de Monts di Piété et de Monts Frumentaires, et qui se sont résolument placés du côté des personnes les plus démunies, en particulier dans le sud de l'Italie. Des pages aussi lumineuses qu'inconnues, que la Doctrine Sociale de l'Église, née formellement en 1891 (Rerum Novarum) n’a pas relatées, en négligeant systématiquement les Monts qui étaient déjà en déclin. Ainsi, nous ne savons pas que les 114 Monts frumentaires de la République vénitienne à la fin du XVIIIe siècle « ont été remplacés par les banques rurales voulues par Leone Wollemborg. » (Paola Avallone, Alle origini del credito agrario, 2014, p. 85). Cependant, cette transformation des Monts a partiellement fonctionné dans le Nord, moins dans le Centre, et a substantiellement échoué dans le Sud de l'Italie, où le vide laissé par les Monts a subsisté. Voyons pourquoi.

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L'histoire des Monts Frumentaires est marquée par une problématique propre au Sud de l’Italie, qui commence avec les Bourbons et se prolonge avec l’Italie unifiée. Dans le Royaume de Naples, les Monts frumentaires se sont développés grâce à l'impulsion décisive donnée par l'Église, tant institutionnelle (évêques) que charismatique (capucins). L'évêque dominicain Pierfrancesco Orsini (Gravina 1650, Rome 1730), futur pape Benoît XIII, en est une figure emblématique. À Manfredonia (Siponto), où il était évêque, il érigea son premier Mont Frumentaire en 1678, et lorsqu'il devint évêque de Bénévent, il y fonda un Mont Frumentaire en 1686 et veilla à ce qu'il y en ait au moins un dans chaque village et chaque ville. Plus d'une centaine virent le jour et devenu pape, il encouragea leur implantation partout.

Et c'est précisément autour du rôle de l'Église dans la gestion des Monts que s’est joué leur sort en Italie du Sud. En 1741, en effet, un concordat entre les Bourbons et le pape Benoît XIV a conduit à une sécularisation des Monts frumentaires, afin de réduire l'ingérence de l'Église dans la vie économique des villes. Avec quels résultats ? Quelques décennies plus tard, Francesco Longano, économiste et philosophe assistant d'Antonio Genovesi (professeur d’économie), rédige des propos très clairs et importants après un voyage dans le Molise (et à Foggia) : « Depuis des temps immémoriaux, on trouve dans toutes les provinces du royaume une multitude de monts-de-piété, ou lieux de piété, destinés à soulager le peuple. Ils étaient tellement soumis aux évêques, et leur administration était si rigoureuse, qu'ils s’étaient fort développés. Leurs revenus se composaient en grande partie de céréales, mais aussi de bétail, de moutons et de dons en espèces. Le contrôle annuel excessif des nouveaux administrateurs fit qu’en très peu de temps, tous ont été, spoliés, appauvris... Huit ou dix privilégiés, pauvres ou riches, formaient une sorte de monopole. Les riches pillent par avarice, les pauvres par besoin. » (Viaggio dell'abate Longano per la Capitanata, 1790, p. 188-189). L'opération des Bourbons avait ainsi produit « la perte irréparable d'une œuvre d'une très grande utilité publique dans toutes les villes, terres et villages de la Province. » (p.259). Et Longano de conclure : « On comprend alors la nécessité de les rétablir, en les déclarant de nouveau propriété ecclésiastique, sous la direction de l'évêque. » (p. 260).Mais cette contre-réforme n'a pas eu lieu.

Comme le rappelle l'historienne Paola Avallone, « les Monts frumentaires ont connu une certaine prospérité tant qu'ils étaient libres de fonctionner selon les statuts qu'ils s'étaient donnés et tant qu'ils étaient gérés localement par des personnes nommées par le curé et tenues de rendre compte de leur gestion à l'autorité de l'évêque, comme l'a indiqué le pape Benoît XIII après 1724. Ils ont prospéré jusqu'à ce que, dans la pratique, ils puissent s'adapter aux besoins de la communauté locale. » (cit., p. 24). La politique des gouvernements centraux, d'abord des Bourbons puis des Piémontais, visant à retirer le contrôle des monastères à l'Église, a causé beaucoup de dégâts, surtout dans le Sud, où l'Église avait également assuré de nombreuses services sociaux et économiques pendant des siècles, en particulier dans les petits villages et auprès des personnes les plus démunies. Ils ont voulu centraliser la gestion des Monts, sans reconnaître leur structure locale et communautaire, fragile mais essentielle, et les ont fait mourir.

L'échec du "Mont frumentaire Général" du Royaume de Naples, méga-institution centrale (avec siège à Foggia), censée gérer tous les Monts disséminés dans le royaume comme des succursales périphériques, et aussi remédier aux tristement célèbres contrats à la criée dans les campagnes est à cet égard significatif : Fondée en 1781, elle n'a jamais décollé. Elle n'a fait qu'accroître la bureaucratie, creuser la distance entre les gouvernants des Monts et les paysans pauvres, et tenter de séparer le financier du caritatif, en sapant cette double nature qui constituait au contraire l'âme et le secret de leur succès. C'est donc une réforme contraire au principe de subsidiarité, renforcée par la période française post-révolutionnaire, la Restauration et enfin l'État unitaire qui a cherché à transformer les Monts en "banques de crédit agraire" ou "caisses d'épargne", des institutions loin de la tradition et de l’esprit des régions méridionales. J'ai retrouvé deux décrets royaux, datés du 31.1.1878 et du 14.7.1889, qui transformaient respectivement « les deux Monts Frumentaires et le Mont pécuniaire de Roccanova (PZ) en convertissant leurs actifs en faveur de la Caisse de prêt et d’épargne », et "les Monts frumentaires de Maltignano (AP) en une Caisse de prestation aux agriculteurs. » Le verbe utilisé dans le langage bureaucratique du décret - "inverte" (= inverser) – revêt aujourd'hui une dimension prophétique : c'est précisément une inversion du sens des Monts qui résulte de lois qui ne les comprenaient pas. Les décrets nous apprennent que dans la petite commune lucanienne de Roccanova, il y avait trois "Monts", et que dans le village de Maltignano, on parle génériquement de "Monts" au pluriel, ce qui témoigne de l'étendue et de la capillarité de ces institutions. En outre, "la manœuvre consistant à transformer les Monts Frumentaires en Caisses de Prestations (banques de crédit), en convertissant le blé en argent, a particulièrement favorisé les classes qui n'étaient pas directement concernées par les travaux des champs...L'usure a fini par prendre le dessus » (Michele Valente, Evoluzione socio-economica dei Sassi di Matera nel XX secolo, 2021, p. 29).

La transformation des Monts en ces nouvelles banques "du Nord" a donc entraîné une financiarisation des Monts frumentaires qui, à la différence des Monts pécuniaires qui les côtoyaient souvent, utilisaient le blé comme monnaie. C'est l'utilisation du blé comme monnaie qui constitue la grande innovation de ces banques d’un autre type, la nouveauté étant précisément la réduction d'une étape intermédiaire, élément crucial dans un monde où l'argent est peu abondant et donc détenu par des usuriers. Les nouvelles lois ont contraint les Monts à abandonner le blé comme monnaie et à se transformer en institutions financières ordinaires. Et cela a entraîné leur disparition. De plus, les lois de l'État n'ont pas compris la nature hybride de ces institutions - crédit et charité, contrat et don - et l'ont combattue, sans se rendre compte que s'opposer à cette nature hybride revenait à nier l'histoire des Monts, qui ont vécu tant qu’ils étaient mêlés, influencés et pétris par la culture rurale. Ils ont voulu séparer ce qui était uni par nature et vocation, et ils les ont fait mourir. Bien sûr, nous savons tous que derrière la disparition massive de ces milliers de Monts, il y a de nombreuses raisons inscrites dans l'évolution de la société italienne et européenne au cours des siècles, mais les réformes contraires à la subsidiarité, l'idéologie anticléricale, l’écart culturel entre les nouveaux dirigeants et la classe paysanne, ont été des éléments décisifs dans cette débâcle économique et social : qui sait ce que la finance, l'économie et la société du Sud seraient devenus si les Monts avaient été compris et préservés ? Giustino Fortunato, homme politique et intellectuel de l’Italie méridionale, était très opposé à la réforme des Monts et, plus largement, à la politique agraire et économique du jeune État italien dans le Sud. Dans une lettre à Pasquale Villari datée du 18 janvier 1878, il écrit : « Une réforme faite de bout en bout sur des idées préconçues, sur des a priori... La confusion est grande. Premier exemple : la transformation des Monts frumentaires en Caisses de prestations agraires. » (Carteggio (1865-1911), p. 11-12)., Pour Fortunato, cette réforme a véritablement asphyxié les Monts et les "péquenots".

Il faut ici revenir à la vocation et à la nature de l'économie "catholique" méridionale. L'action pastorale de la Contre-Réforme avait renforcé et développé la présence capillaire de l'Église dans les campagnes qui, surtout dans le sud, se trouvaient dans un état de grave dégradation, y compris économique. La présence constante de frères, de religieuses et de prêtres dans chaque village, dans les églises paroissiales, dans les nombreux couvents ruraux, avait amené l'Église à comprendre les réels besoins des personnes et à devenir compétente en matière de pauvreté et d'économie concrètes. Les Monts Frumentaires ont alors vu le jour : « Tant que ces institutions étaient administrées par des ecclésiastiques, les biens qui y étaient conservés étaient considérés comme sacro-saints et donc intouchables. A partir du moment où elles ont été sécularisées, elles ont été pillées sans retenue. » (Paola Avallone, cit., p. 27).

Ce qui reste encore en Italie et dans le sud de l'Europe de cette tradition sociale et civile, de ces institutions de la finance solidaire, risque maintenant de subir le même sort que les Monts Frumentaires : les gouvernants ne sont plus les Bourbons ni les Piémontais mais les algorithmes de Bâle et les institutions financières nationales et internationales, qui séparent le crédit des communautés, qui délocalisent les lieux de décision, qui n'écoutent plus les besoins réels des personnes et qui, lorsqu'ils essaient de le faire, ne les comprennent pas parce qu'ils parlent des langues trop différentes, et sans traducteurs.

Je terminerai en donnant la parole à Ignazio Silone, qui a réhabilité le mot péquenot, un mot trop chargé d'injustice, de souffrance et d'espoir, qui attend encore le jour où la douleur ne sera plus une honte : « Je sais bien que le nom péquenot, dans la langue courante de mon pays, est aujourd'hui un terme offensant et moqueur : mais je l'utilise dans ce livre avec la certitude que lorsque, dans mon pays, la misère ne sera plus honteuse, il évoquera le respect et peut-être même la reconnaissance. » (Fontamara, Introduction).

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La terre de nous tous/2 - Le vide laissé par le déclin des monts Frumentaires

par Luigino Bruni

publié dans Avvenire le 30/09/2023

La politique des gouvernements centraux, celui des Bourbons puis des Piémontais, visant à arracher à l'Église le contrôle des instituts de crédit agraire, a produit de nombreux dégâts dans le Sud et dans les petits villages.

L'époque de la Contre-Réforme a connu, à côté de pages sombres, des pages lumineuses. Car la "terre commune" est celle de la communauté, et la communauté est toujours un entrelacement d'ombre et de lumière. L'une des pages lumineuses est celle écrite par les Capucins, par les évêques et par de nombreux chrétiens qui ont donné vie aux centaines de Monts di Piété et de Monts Frumentaires, et qui se sont résolument placés du côté des personnes les plus démunies, en particulier dans le sud de l'Italie. Des pages aussi lumineuses qu'inconnues, que la Doctrine Sociale de l'Église, née formellement en 1891 (Rerum Novarum) n’a pas relatées, en négligeant systématiquement les Monts qui étaient déjà en déclin. Ainsi, nous ne savons pas que les 114 Monts frumentaires de la République vénitienne à la fin du XVIIIe siècle « ont été remplacés par les banques rurales voulues par Leone Wollemborg. » (Paola Avallone, Alle origini del credito agrario, 2014, p. 85). Cependant, cette transformation des Monts a partiellement fonctionné dans le Nord, moins dans le Centre, et a substantiellement échoué dans le Sud de l'Italie, où le vide laissé par les Monts a subsisté. Voyons pourquoi.

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Fins connaisseurs des pauvres et de la finance

Fins connaisseurs des pauvres et de la finance

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La terre de nous tous /1 - L'origine et la signification des « Monts Frumentaires »

par Luigino Bruni

publié dans Avvenire le 23/09/2023

Les Franciscains, puis l'Église et la société, ont compris que face à la pauvreté et à la pénurie d’argent, une solution, aussi simple qu'oubliée, consiste à réduire l'utilisation de la monnaie. Le monde moderne catholique et méridional a également généré sa propre idée de l'économie, différente à bien des égards de celle du capitalisme nordique et protestant. La réaction de l'Église de Rome après le schisme luthérien a renforcé et amplifié certaines dimensions du marché et de la finance déjà présentes au Moyen Âge, et en a créé d'autres de toutes pièces. Dans la série "La terre de nous tous", Luigino Bruni poursuit sa réflexion sur les origines et les racines du capitalisme et de la société à l'époque de la Contre-Réforme.

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Avant l’époque des Temps modernes, la lutte contre l'usure est une priorité constante de l'Église. Proches du peuple, les évêques et les moines avaient compris que les premières victimes de l'usure étaient avant tout les plus pauvres. Pendant plus de mille ans, du concile d'Elvire (vers 305) à celui de Vienne (1311), il y a eu environ "soixante-dix conciles dans toutes les régions" qui ont fortement dénoncé l'usure (P.G. Gaggia, Le usure, p. 3). Et tandis que les papes et les évêques diffusaient des bulles et des documents contre l'usure, les évêques et les charismes créaient des institutions financières contre elle afin que la publication de ces documents ne reste pas abstraite - Dans l'Église, la réalité a toujours été supérieure à l'idée, depuis que le logos a décidé de devenir un enfant. Les racines de l'Europe portent aussi en elles cette lutte tenace contre l'usure par la mise en œuvre d’institutions ad hoc. Parmi celles-ci figurent en premier plan les Monts de piété franciscains qui, depuis quelques décennies, font enfin l'objet d'un regain d'intérêt. Les Monts frumentaires (Dépôts de blé), également d'inspiration franciscaine - mais comment remercier François et ses disciples ? - sont moins étudiés ! Des institutions métisses, car le métissage était et demeure "l'économie catholique", communautaire et latine, cette "terre de nous" qui, de la communauté, a aussi emprunté son métissage, son ambivalence, sa chair et son sang.

Comme les Monts de Piété, les Monts frumentaires (Dépôts de blé) servaient en effet un peu de banque, un peu d’assistance, un peu de prêt, un peu de don, un peu de marché, un peu de solidarité, associant ainsi gratuité et intérêt, individu et communauté, honnêteté et corruption, confiance et caution, ville et Église. Ce fut une institution fondamentale pour l'économie rurale italienne (mais pas seulement), en particulier en Italie Centrale et Méridionale, et cela pendant plus de quatre siècles (!). Tout comme les Monts de Piété, les Monts Frumentaires sont nés de l'imitation d'institutions préexistantes. Pour les Monts de Piété, les Franciscains de l'Observance se sont inspirés des deposita pietatis romains (à l’époque pietas était déjà un terme très prisé) et d’institutions ultérieures présentes dans l’Eglise des premiers siècles : c’était « des caisse de dépôt de la pietas (pitié), utilisée pour aider les pauvres... et même ceux qui avaient fait naufrage. » (Tertullien, Apol. 39,6). Mais les Franciscains se sont inspirés surtout des banques de prêts sur gage pratiqués par les juifs, en y apportant des nouveautés, - des intérêts bas, des prêts spécifiques, des échéances de restitution - Les Monts frumentaires (ou greniers à blé ou céréales, réserves de secours, de farine, de châtaignes...) sont nés du développement des dépôts publics de céréales, de graines gérés au moyen-âge par des communes ou des monastères pour remédier aux mauvaises récoltes ou aux famines : à Massa Marittima, le "Palais de l'Abondance" remonte à 1265 ; le nom de la municipalité de Montegranaro fait référence à des dépôts publics médiévaux (datant peut-être même de l’époque romaine) de blé, d'orge et de céréales. Les emblèmes des premières banques étaient des monts – banquiers Chigi -, ce qui nous indique que le monticule, le dépôt, a été la première forme de la finance moderne.

Le blé a été le premier nom de l'économie méditerranéenne (F. Braudel) : au cœur de la vie de populations essentiellement rurales, du commerce, de la richesse et de la pauvreté des villes, des fiefs, des campagnes ; et il a fallu une guerre en Europe pour nous rappeler que notre vie et notre mort dépendent encore du blé. La Bible aussi peut être lue comme l'histoire du blé et du pain : de la manne à l'Eucharistie. Les Monts Frumentaires étaient la concrétisation de la sagesse de Joseph, de sa capacité à interpréter les rêves et donc à faire face aux années de vaches maigres en réalisant des dépôts de céréales au temps des vaches grasses - l'une des histoires les plus douloureuses et les plus belles de la fraternité trahie et guérie est sous le signe des senteurs du blé, que l’on retrouve aussi dans l'histoire de Ruth, l'ancêtre de Jésus. La dîme et le glanage étaient des institutions de solidarité à partir de réserves naturelles, propres à une société qui n’était pas régie par la monnaie mais essentiellement agricole. Le temple de Jérusalem lui-même, et auparavant les sanctuaires, avaient également pour fonction de collecter, de réserver et de redistribuer les semences.

Les Franciscains ont transformé les anciens Monts de piété en quelque chose de nouveau et ont créé les Monts Frumentaires. S'occupant des habitants des villages ruraux, ils écoutaient leurs rêves de vie et comprenaient que l’agriculteur, de condition moyenne ou modeste (métayer ou emphytéote) était souvent en grande difficulté : il suffisait d'une mauvaise récolte, d'un accident, d'une maladie, d'une inondation, et le blé destiné à la semence pour l'année suivante était consommé pour ne pas mourir de faim : il fallait alors s'endetter à l’occasion des nouvelles semailles, le plus souvent auprès d'usuriers qui le conduisaient au bord de la faillite. Les Monti frumentari ont également été fondés dans les mêmes locaux que les Monts de Piété, mais avec des statuts et des fonctionnaires distincts. Il ne s'agissait pas d'institutions purement philanthropiques : un "intérêt" en nature était pris sur le blé. En général on prélevait un boisseau juste rempli à raz bord et on le restituait avec une mesure débordante; un petit intérêt donc, proche du taux monétaire des Monti di pietà (environ 5%) - les Franciscains ne faisaient pas coïncider gratuité avec gratis. Le travail de Bernardino da Feltre a été fondamental, si bien qu'en 1515, une bulle pontificale (Inter multiplices, Léon X) a reconnu la légalité de l'intérêt des Monts de Piété. Les premiers Monti frumentari (Dépôts de blé) franciscains sont nés à la fin des années 1580 en Ombrie et dans les Abruzzes. Les noms de ces premiers Monts - Mont de Piété du blé de la Vierge Marie à Rieti, ou Mont de Piété du blé à Sulmona - révèlent une première éclosion des Monti frumentari (Dépôts de blé) à partir des Monts de Piété. Les Franciscains ont compris que le prêt d'argent ne fonctionnait pas dans le contexte rural et ont imaginé des banques non monétaires. Le sort des personnes, leur vie et leur mort dépendaient du blé, et dans un monde où l'argent circulait très peu, ceux qui détenaient de l'argent avaient trop de pouvoir pour ne pas en abuser par le biais de l'usure. Plus tard, aux Monts Frumentaires s’ajoutèrent les Monts pécuniaires (qui continuaient à prêter du blé et des denrées agricoles, mais contre une somme d’argent), mais l'utilisation du blé comme monnaie (la "grana") a été la grande innovation des Monts et la raison de leur longévité.

À ce jour, il semble que le Mont le plus ancien soit celui de Norcia (1487), fondé par le frère Andrea da Faenza (le véritable missionnaire du blé). Il est toutefois intéressant de noter qu'en 1771, l'historien A.L. Antinori revendiquait la primauté de Leonessa : « En 1446, le Mont de Piété fut, grâce à Antonio di Colandrea piovano, mieux protégé à Lagonessa, où fut construit près de la place un édifice sécurisé pour les dépôts et les gages. » (cf Giuseppe Chiaretti, Leonessa Arte, Storia, Turismo, 1995). La pierre, un portail d'entrée, est aujourd'hui conservée dans le couvent local de S. Francesco. Le paiement d'intérêts versés à un Mont frumentaire était plus facile à accepter par l'Église, car la condamnation de l’usure reposait l’idée que l'argent est stérile, un argument qui ne pouvait s’appliquer au blé : dans ce cas l’intérêt (ou le surplus versé) était considéré comme le partage d’un profit naturel provenant de la générosité de la terre :une semence en produit dix !

L'historien Palmerino Savoia, qui relate le travail incessant et novateur des Monts Frumentaires (à la fin du XVIIe siècle) sous l’impulsion de Mgr Orsini, le futur pape Benoît XIII, appelé "l'agriculteur de Dieu" (nous y reviendrons), décrit le fonctionnement du Mont Frumentaire de Bénévent : « Le Mont était administré par deux gouverneurs et deux dépositaires, nommés par l'archevêque pour un an... Le prêt de blé avait lieu quatre fois par an : en octobre pour aider les semailles, au mois de décembre pour soutenir les nécessiteux pendant les fêtes de Noël, au mois de mars pour les fêtes de Pâques et au mois de mai en l’honneur de saint Philippe Néri. » (Une grande institution sociale : Les monts frumentaires, 1973, Acerra). Voilà qui révèle le sens de ce qu'étaient les fêtes pour notre peuple : au milieu de la misère, et précisément parce qu'ils étaient pauvres et exposés à la fragilité radicale de la vie, les jours de fête, on célébrait la vie, on la célébrait ensemble pour continuer à espérer et pour vaincre la mort. Et l'Église, qui dans ce domaine a fait preuve d’une grande humanité, comprenait et approuvait les prêts de blé pour ces repas et ces gâteaux festifs qui interrompaient la faim et la famine pour dire aux pauvres : « Vous n'êtes pas pauvres toujours ni pour toujours. » Aujourd'hui, nous avons perdu la signification des fêtes parce que nous avons oublié le sens de la sobriété, cette grande qualité des pauvres : gavés d’argent, nous mourons par manque de fêtes.

Certaines données nous indiquent ce qu'étaient les Monts Frumentaires. En 1861, il y en avait 1 054 en Italie du Sud, deux fois plus qu'au Nord, dont environ 300 pour la seule Sardaigne ; en Italie centrale, notamment en Ombrie et dans les Marches, il y en avait 402 (P. Avallone, " Il credito ", dans Il mezzogiorno prima dell'unità, édité par N. Ostuni et P. Malanima, 2013, p. 268). Pourquoi ont-ils disparu ? En 1717, dans le diocèse de Bénévent – dont Mgr Orsini était alors l’évêque - il y avait "157 Monts Frumentaires ", non pas des filiales mais toutes indépendantes les unes des autres (P. Calderoni Martini, Fra Francesco Maria Orsini e il credito agrario nel sec. XVII, Naples, 1933). Au XVIIIe siècle, parmi les protagonistes des débats sur les Monts Frumentaires il y avait les meilleurs économistes "civils", de Giuseppe Palmieri à Francesco Longano, l'élève de Genovesi qui, de 1760 à 1769, l’aida puis assura à Naples les cours d'économie civile dispensés par son maître frappé par la maladie. Les Monts étaient de véritables institutions économiques, financières et éthiques, et non pas du bricolage.

Les Franciscains, et plus tard les évêques et les citoyens, ont compris que lorsqu'il s'agit de pauvreté et de pénurie d'argent, une solution, aussi simple qu'oubliée, consiste à réduire l'usage de la monnaie. Ils ont compris qu'il était possible de créer une économie sans argent : si c'était le blé qui était nécessaire et rare, celui-ci pouvait devenir la monnaie, sans qu'il soit nécessaire de recourir à un autre intermédiaire. Ils ont sauté une étape, raccourci la chaîne de l'économie et allongé la chaîne de la vie. Un pas en moins est devenu un pas de plus. Ils ont innové en supprimant, en réduisant une phase intermédiaire. En ce moment des milliards de personnes sont exclues des circuits monétaires et auraient besoin de nouvelles institutions financières locales et mondiales sans usure. Serons-nous capables aujourd'hui de retrouver la créativité et l’éthique sociale des Franciscains d'hier ?

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La terre de nous tous /1 - L'origine et la signification des « Monts Frumentaires »

par Luigino Bruni

publié dans Avvenire le 23/09/2023

Les Franciscains, puis l'Église et la société, ont compris que face à la pauvreté et à la pénurie d’argent, une solution, aussi simple qu'oubliée, consiste à réduire l'utilisation de la monnaie. Le monde moderne catholique et méridional a également généré sa propre idée de l'économie, différente à bien des égards de celle du capitalisme nordique et protestant. La réaction de l'Église de Rome après le schisme luthérien a renforcé et amplifié certaines dimensions du marché et de la finance déjà présentes au Moyen Âge, et en a créé d'autres de toutes pièces. Dans la série "La terre de nous tous", Luigino Bruni poursuit sa réflexion sur les origines et les racines du capitalisme et de la société à l'époque de la Contre-Réforme.

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Une autre gestion du blé, sociale et solidaire

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